Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UNE RÉUNION NOCTURNE

(Il est facile d'insulter le Dieu Tout-Puissant, mais...)


Au milieu des forêts du Canada habitait un homme de bien. Un soir, il sortit pour méditer dans les champs. Bientôt, il se trouva sur la lisière d'un bois, où il pénétra fort avant, en prenant un petit sentier que d'autres avaient suivi avant lui.

Absorbé dans ses réflexions, il marche, il marche encore, jusqu’à ce qu'enfin il aperçoit que les ombres du crépuscule se sont abaissées autour de lui. Il se demande alors avec inquiétude comment il passera la nuit et frémit déjà à la pensée de n'avoir pour abri qu'un arbre de la forêt à la cime duquel il devra monter.

Tout à coup, il voit une lumière à quelque distance parmi le feuillage, et, espérant qu'elle provient d'une hutte où il trouvera un asile hospitalier. Il se dirige en hâte vers le point lumineux.


Enfin, il l'atteint: mais qu'on juge de sa surprise quand, au lieu d'une cabane qu'il pensait trouver, il voit dans une clairière un grand nombre de personnes réunies, et, sur une plateforme improvisée avec des troncs d'arbres, un orateur qui harangue l'assemblée.

Ah! Pense le chrétien, quelle heureuse rencontre, je suis tombé au milieu d'âmes fidèles qui, dans cette sombre forêt, se sont réunies pour adorer Dieu et quelques serviteurs du Christ les entretient sans doute à cette heure tardive des choses qui regardent le Royaume de cieux et de justice.

Toutefois, ces impressions agréables sont de courte durée; il s'approche et qu'elle n'est pas son indignation en entendant le jeune homme qui occupe l'estrade, déclamer, de la manière la plus violente, contre son Créateur et jeter au Très-Haut d'insolents défis, proférer les blasphèmes les plus audacieux contre la justice du Tout-Puissant et affirmer avec une effronterie révoltante que la vie à venir n'est qu'une fable.

... L'assemblée de cette scène offrait un aspect des plus étranges; des torches de pins jetaient ça et là une lueur blafarde, tandis que d'épaisses ténèbres enveloppaient le reste du tableau. L'auditoire écoutait avec avidité et quand l'orateur se rassit, des tonnerres d'applaudissements éclatèrent de toutes parts.

Les choses ne peuvent se passer ainsi, pensa le chrétien; il faut que je me lève et que je parle, l'honneur de mon Dieu l'exige. Cependant le digne homme éprouvait un certain embarras à prendre la parole devant un tel auditoire, mais avant qu'il fût parvenu à vaincre sa timidité, un incident imprévu se produisit.

Un homme entre deux âges, fort robuste et à l'air respectable, se leva, et, s'appuyant sur son bâton, s'adressa en ces termes aux assistants:

Mes amis, j'ai un mot à vous dire ce soir. Je n'essaierai pas de réfuter les arguments de l'orateur qui vient de parler; je me bornerai à vous raconter un simple fait, laissant à chacun de vous le soin d'en tirer des conclusions.

Hier, je me promenais au bord de la rivière qui coule ici près, sur ces flots j'aperçus un jeune homme seul, sur un frêle esquif. L'esquif se précipitait vers les rapides; le jeune homme n'en était plus maître; il ne pouvait se servir de ses avirons ni s'approcher du rivage.

Je vis alors le malheureux se tordre les mains de désespoir; bientôt, il renonce à sauver sa vie, et se jetant à genoux, s'écrie avec une ardeur passionnée;

«Ô Dieu! Sauve mon âme! Si mon corps ne peut être sauvé, mon âme!» Puis je l'entendis confesser qu'il a été un blasphémateur, un impie; je l'entendis prendre le Seigneur à témoin que si sa vie est épargnée, il ne retournera plus dans ces anciennes voies; je l'entendis invoquer la miséricorde du Ciel pour l'amour de Jésus-Christ, et conjurer Dieu avec insistance de le laver dans le sang de son Fils..

Ces bras, continua l'orateur, ces propres bras arrachèrent le jeune homme à une mort certaine. Je plongeais dans les flots, je tirai la barque jusqu'au rivage et je lui sauvais la vie. Ce même jeune homme est maintenant devant vous: C'est lui qui vient de vous parler et de maudire son Créateur... je n'ai rien de plus à ajouter.»

L'orateur se rassit.

Je vous laisse penser quel frisson glacial parcouru les veines de l'impie à l'ouïe de ce récit, et quel murmure d'indignation s'éleva contre lui du sein de l'assemblée qui naguère l'applaudissait.

Chacun reconnut que, s'il est facile d'insulter le Dieu Tout-Puissant sur terre ferme et quand le danger est loin, il est beaucoup moins commode de faire le fanfaron quand on est au bord de la tombe. Tant il est vrai que tôt ou tard, la conscience de l'homme le convainc que Dieu entrera en compte avec lui.

La pioche et la truelle N° 14 (1891?)


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