Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UNE ACTION HÉROÏQUE

Qui ne connaît en Angleterre Jerry, le jeune pécheur de Cornouailles! Dans toute la flotte de Penzance, capitaines, matelots, mousses, tous savent son nom.

Il est jeune, mais dans son jersey bleu l’enfant a un cœur de lion, et il a déjà récolté plus d'un beau laurier.

Gens tous simples que les pécheurs de Cornouailles; pieux et tempérants pour la plupart; rien, par exemple, ne les tentera de se mettre en mer le dimanche, quand même ils auraient eu un mauvais succès toute la semaine.

«Je remplirai ce verre de pièces d'or, dit un jeune riche, écervelé, en faisant sonner l’or dans sa poche, si vous voulez me prendre avec un ou deux de mes amis pour faire une promenade en mer.

Non, monsieur, pas même si vous remplissiez de pièces d’or ce tonneau là-bas! répondit un grand gaillard de pêcheur au visage bronzé et aux yeux noirs perçants, JE CONNAIS MON DEVOIR À L’ÉGARD DE MON MAÎTRE.

Et si vous ne désirez pas un de ces jours être logé avec le diable, je vous engage à en faire autant.»

Le jeune homme se détourna avec un ricanement, en haussant les épaules. Le pêcheur n’ajouta rien, mais se rendit au quai où était amarré le bateau — P.G. 109 — qui lui appartenait en commun avec plusieurs autres.


«Camarades, dit-il, s’adressant à deux hommes assis, à moitié endormis, auprès du feu de l’avant, nous avons eu peu de succès cette semaine, et si cela continue, les marmots auront faim. Mettez tout en ordre pour cette nuit; le temps se gâte, et ce soir nous nous réunissons en prière dans la chapelle; nous demanderons au Seigneur de nous envoyer de bonnes prises. Il le peut, car sur la mer de Galilée ne l’a-t-il pas déjà fait?

Jerry, veille aux filets et apporte celui qui est déchiré avec la ficelle et les aiguilles, nous nous en occuperons ce soir. N’allez pas boire, camarades, on n’y trouve pas de bénédiction, portez vos peines aux Seigneur!»

En disant cela, BenjaminTrevithick enjamba l’espace entre la barque et le quai, et s’en alla chez lui. Sa femme leva les yeux à son arrivée et vit de suite l'expression de patiente résignation, qui chez son mari, voulait dire: filets rompus, cale vide.

«Oui, ma fille, dit-il en réponse à la pensée non exprimée de sa femme, point de prise encore une fois, et les filets se sont accrochés a une vieille ancre, et demanderont quelques heures de travail pour les raccommoder. Il faut nous contenter de pain et de hareng salé, heureux encore d’en avoir.

Père, dit Jerry, en s’approchant du pêcheur, ai-je bien entendu ce monsieur? Ne vous a-t-il pas offert son verre plein de pièces d’or si vous vouliez le promener demain?

Oui, mon gars, tu as bien entendu; mais J’AIMERAIS MIEUX MANQUER DE PAIN, ET, CE QUI EST PIRE, VOUS EN VOIR MANQUER, QUE DE DÉSOBÉIR À LA PAROLE DE DIEU!

Jamais, mon enfant, notre barque ne prendra la mer le dimanche pour le travail ou pour le plaisir de qui que ce soit durant ma vie, et, je l’espère, durant la tienne! Je ne la laisserai quitter le quai le dimanche qu’à une seule condition: ce sera quand il y aura une vie à sauver. Allons! mettons-nous à l’œuvre! à nous deux les filets seront bientôt remis à neuf.»

Le vent sifflait et gémissait ce samedi soir, comme si la tempête se préparait à venir. Des nuages blancs traversaient le ciel, semblables à des coursiers au galop; de temps en temps, la lune éclairait le rivage; les lumières étincelaient dans les maisons du petit village; et, comme un diamant noir enchâssé d’argent, le mont Saint-Michaël ressortait sur les ondes lumineuses, puis soudain un grain cachait tout.

Benjamin et Jerry, leurs casques à mèches tirés sur les oreilles, gravissaient, en dépit du vent, la dune sur laquelle était la petite chapelle blanche qui brillait par moments aux beaux rayons de la lune. En s’approchant, une mélodie, chantée par des voix d’hommes riches et sonores, — un de ces airs étranges, modulés en mineur, tels que les chérissent les gens de Cornouailles, — s'échappait du modeste édifice.

Jésus, ami de mon âme,

Laisse-moi voler vers toi!

Du sein des eaux je te réclame!

Des flots, en fureur, sauve-moi!

Ils y entrèrent sans bruit et s’assirent. Après le chant, une prière, mais une prière de marin pour tout de bon.

Puis un grand gaillard en jersey bleu se leva et parla droit au but.

«Cammarades, dit-il, êtes-vous sauvé? Je ne veux pas vous demander si vous avez tourné le feuillet, ou abjuré un passé qui ne vous va plus; mais, vous êtes-vous abandonné au Christ AFIN QUE SON SANG PRÉCIEUX VOUS PURIFIE ET VOUS NETTOIE?

Il n’y a point d’autre voie pour aller au ciel, camarades, sinon par le Seigneur Jésus; et nous avons besoin do lui à bord, qu'il fasse beau ou qu’il fasse mauvais,

Qu’il puisse être à notre bord, cela est sûr puisqu'il dit qu'il veut habiter dans nos cœurs. Ne craignez rien, amis! la semaine a été mauvaise; mais virons de bord, et donnons-nous au Sauveur! il aura soin de nous, corps et âme.

Oui, oui! C'est bien cela! Je le crois fermement. Gloire à Dieu!»

Ces exclamations réitérées, d’après la coutume se firent entendre de toutes parts.

«Benjamin priera, continua l'orateur, et Jerry n'a pas oublié le Seigneur Jésus, je l’espère.

Non! répondit le jeune garçon interpellé, car je l'aime et je veux le suivre.

Que Dieu te bénisse, mon enfant!»

Puis chacun se prosterna en prière.

D’une voix forte et vibrante Benjamin répandit les besoins et les désirs de tous devant Dieu. Priant Dieu d’accorder une grande bénédiction à leurs âmes, il lui demanda ensuite de se souvenir des petits enfants et de leur envoyer leur pain de chaque jour. Bien des amen sortis du cœur répondirent à cette prière, et les braves pécheurs rentrèrent au village.

Le lendemain, le temps se brouillait, le baromètre descendait, un vent du sud-ouest se levait peu à peu, gémissant comme une âme en peine.

«Le temps se gâte, dit Benjamin; mais n’importe, petite femme, Marie soignera les enfants, et toi, moi et Terry nous irons à la maison de Dieu; je suis sûr qu’il nous bénira aujourd'hui, j'en suis convaincu.»


Assis dans la petite chapelle, se joignant au chant dont la mélodie se répandait au loin, Benjamin se sentit tout à coup frappé sur l'épaule, et un homme, arrivant tout essoufflé, lui dit quelques mots à l’oreille. Le pêcheur se tourna avec calme vers sa femme, et lui dit:

«Il y a des gens en danger de périr; veux-tu rester ici, mon amie, pendant qu’avec Jerry et deux ou trois autres, nous tâcherons de les sauver?»

Et sans attendre de réponse, il quitte la chapelle d’un pas rapide, suivi de son fils.

D'immenses lames se brisaient sur la plage avec un son lugubre, et la barque tirait sur son ancre, lorsque Benjamin, Jerry et trois autres hommes descendirent en courant jusqu’au quai et sautèrent à bord.

«Jerry, dit soudain son père, je crois que tu es encore trop jeune pour affronter de tels périls; tu pourrais 
être emporté, mon enfant.

Voici de quoi il s’agit; il y a deux hommes sur l’écueil du Loup, il sera difficile d’y aborder, et je pense que tu feras bien de retourner à la maison.

Père, dit le gars, se redressant avec une noble fierté: je suis votre gars, et où vous irez, j’irai; j’aime le Seigneur Jésus, et — père — si je meurs, je meurs au poste du devoir, et j’irai auprès de Lui.

Laisse-Ie venir! c’est un brave que Dieu bénit! Il ranimera notre courage. Laisse-le venir, camarade!

Que la volonté de Dieu se fasse, dans tous les cas! répondit le père. Allons, levez l’ancre et en avant! notre barque est bien la plus solide de Penzance; mais si nous ne sommes pas de retour en trois heures, nous serons au Paradis?»


Et la barque fendit les flots, — image frappante de Celui qui, par amour pour nous, «n’a pas tenu compte de sa vie

Comme ils approchaient de l’écueil, les brisants furent terribles et Benjamin gouvernait avec un soin particulier sur le seul endroit abordable. Deux malheureux étreignaient le roc, une barque chavirée, quille en l’air, flottait au gré des flots, et des cris lamentables se faisaient entendre au travers de la tempête.

«C’est la Fillette secourable que cette barque! Oh! maintenant je reconnais ces hommes, dit l’un des marins, l’un d’eux est celui qui t’a offert plein son verre de pièces d’or, et l’autre est son compagnon. Sûrement ils ne sont pas prêts à affronter la mort!»

Benjamin eut l’air soucieux en gouvernant à bâbord, et se préparant à s’élancer:

«C’est un saut périlleux, dit-il, mais je puis le faire! Je les sauverai!»

Et il s’élança au moment précis: mais la force du courant était telle, que glissant sur l’écueil, il fut emporté dans le gouffre. Point de ligne de sauvetage autour de sa taille. La vague ne le ramena un instant que pour l’engloutir. Il ne reparut plus.

Pauvre Jerry! il lui sembla mourir avec son père; mais il n’y avait pas un instant à perdre et serrant résolument les dents, il murmura:

«Seigneur Jésus, aide-moi à vivre comme mon père a vécu, et à suivre ses traces!» Puis, ses doigts tremblants d'émotion et d’angoisse serrèrent autour de ses reins une ligne.

«Que fais-tu? où vas-tu? lui dit un des hommes avec l’effroi que lui donnait la réalité de la mort de leur camarade.

Je vais sauver ceux pour lesquels mon père est mort!» répondit le garçon avec simplicité.

Non, Jerry! Non! s’écrièrent les hommes tous à la fois, tu es trop petit!»

Jerry se redressa:

«Mon père avait sa part d'intérêt dans la barque et moi j’ai la mienne; laissez-moi, il me faut, faire mon devoir.»


Encore une fois la barque revint à la charge, Jerry s’élança, il semblait bondir dans la gueule de la mort; mais non, il atterrit sur le roc. Les hommes engourdis, attachèrent la ligne de sauvetage autour de l’un, puis autour de l’autre, chacun à son tour fut tiré à bord, à travers les brisants, pendant que les vagues, qui avaient englouti son père, venaient entourer ses pieds pour l’entraîner à son tour....

Comme le dernier des deux atteignit la barque, Jerry restait seul sur l'écueil en face de la mort. Le courant faisait dévier la barque, la ligne pourrait-elle lui être jetée de manière à l’atteindre, et ses mains, qui s’engourdissaient rapidement, pourraient-elles l'attacher autour de sa taille?

Il leva les yeux et le cœur vers le Sauveur, qui naguère marcha sur les eaux en fureur de la mer de Galilée, et lui demanda secours dans ce moment terrible.

Ô lecteur, n'avez-vous jamais fait cela sur le bord de l'éternité? Ou avez-vous senti que pour vous l’avenir était un néant où le Christ n’était point?

La ligne bien dirigée siffla à travers les airs et tomba à ses pieds; il la saisit, réussit à se l’attacher autour des reins, puis tomba évanoui sur le rocher.

Lorsqu'il revint à lui, il était à la maison. Sa mère éplorée se penchait sur lui et s’écria: Ô Dieu, mon Père! tu as pris mon mari, mais tu m’as laissé mon garçon! — Ta volonté soit faite!

Mère, dit Jerry, d'une voix faible, mon père s’en est allé auprès de Dieu, faisant son devoir; j’ai essayé de faire le mien; Dieu m'a ramené. Ô mère! je ne désire que t’être utile!


* * *


Une action héroïque, tel était le titre de la colonne du journal qui contenait ce récit; mais ON OUBLIA DE PARLER DE LA FOI CHRÉTIENNE qui avait donné ce noble courage au jeune garçon, et qui en avait presque fait un martyr du devoir comme son père.


Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même.

(Mat. 22, 37, 39.)


A. Weston

La pioche et la truelle N° 17 (1891?)


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