Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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«RÉPARATIONS» LOCATIVES ET DÉCORATIVES


M. Crépinet était savetier. Il avait très bien compris que sa destinée dans ce monde était de réparer les bottes et les souliers plutôt que de les faire...

Crépinet était d'avis que les bonnes pensées étaient comme les bonnes bottes destinées à courir le monde...

Crépinet avait le cœur à son ouvrage, et elles sont nombreuses les chaussures détériorées qui auraient été jetées au rebut et auxquelles son habile traitement fit comme un tempérament nouveau... De quelque côté que se tournât Crépinet, il remarquait que les choses étaient ce qu'elles ne devaient pas être et même ce qu'elles auraient pu ne pas être.

«Toute chose tend à sa destruction, se disait le savetier; vous n'avez pas plutôt essayé un soulier qu’il commence à s'user; une pendule est-elle remontée, en allant elle se démonte; une maison est-elle bâtie, il faut tout de suite l'entretenir et même quand l'état de détérioration des choses a atteint un certain degré toute réparation est impossible.»

Que de fois Crépinet interrompit son travail et se prit le front dans ses deux mains, cherchant un remède à ce mal; mais il n’en vit point et conclut que le monde irait ainsi jusqu'à la fin.

«Cependant, se disait le savetier, s'il n'y a pas un remède absolu à cet état de choses, notre devoir, en même temps que notre intérêt, c'est de l'améliorer autant qu'il est en nous. Pour cela, deux choses à faire:

ouvrir l'œil pour bien voir l’endroit qui s'use:

entretenir les choses qui s'usent sans cesse par une incessante réparation...

C'est pour moi une conviction profonde, dit Crépinet à un ami qui venait d'entrer chez lui, que chaque homme ne se possède lui-même qu'à bail et avec les réparations à sa charge: idem de sa femme et de ses enfants.....


Toi, tu te tiens en bon état, il faut l'avouer, dit le grand Jacques en regardant l'honnête figure, la tenue propre et la chambrette parfaitement en ordre de l'honorable rapetasseur (réparateur).

En effet, répondit le savetier, je suis en assez bon état de réparations locatives et non pas décoratives, car il y a une différence: la réparation décorative concerne tout ce qui est peinture, dorure, les décors enfin ...

«— Ah! Joseph, observa Jacques, il vaut bien mieux s'entretenir comme toi tous les jours que d'avoir à se refaire de pied en cap, si bien faite que soit la réparation.

«Mais, demanda Jacques, que fais-tu donc pour te maintenir en si bon état! Tu es gai, de si belle humeur, quand tant d'autres sont maussades: tu as toujours des vêtements convenables

Cousin Jacques, dit le savetier, je fais tous les jours des efforts pour me réparer. Ainsi mon petit corps n'est guère plus de la moitié du tien: eh bien, si je le négligeais, je serais bientôt sur le flanc et incapable de rien faire. Et alors, qui soignerait ma femme et mes enfants?.... Fais bien attention à ceci, Jacques: Toute réparation doit être faite à temps! Un point fait à temps en épargne cent!»


COMMENT M. JOSEPH CRÉPINET!

MAINTIENT AUSSI SA FEMME EN ÉTAT DE «RÉPARATION».


À quoi penses-tu donc, cousin Jacques?

À ma femme, répondit Jacques,

Très digne sujet de réflexions, continua le savetier; si une femme, a mérité qu'on l'épouse elle mérite qu'on pense à elle. Si les hommes pensaient un peu plus à leurs femmes, il y aurait plus de bonheur dans les ménages.

La mienne me donne terriblement à penser, dit Jacques.

C'est parce que tu n'y as pas assez pensé jusqu’ici, fit Joseph. J'ai entendu dire: partout où il y a une femme, il y a une énigme; il faut la déchiffrer: mais plus on y pense, moins elle vous donne à penser.

Qu'est-ce que tu veux dire?

Si tu t'occupes de ta femme, elle en sera flattée, elle t'en estimera davantage; elle s’efforcera de te faire honneur et de t'épargner des chagrins: elle ne s'endettera pas. Au contraire, les femmes qu'on néglige n’estiment pas leur mari..... Le désordre s’établit dans le ménage..... Or, les femmes sont des êtres délicats.... Il leur faut des égards, de l’attention: laissées à elles-mêmes, elles se gâtent. Et puis, comme toi et moi, comme tous et comme tout, elles ont souvent besoin de «réparations».

Mais voici venir Mme Crépinet, dit le savetier; et sa figure rayonna d'un sourire particulier.

Eh bien, c'est singulier, mais je suis toujours charmé de la voir, dit le brave savetier, quoi qu'il y ait à parier dix contre un que quand elle vient me trouver ici, c'est qu'elle a besoin de quelque chose.»

Cousin Jacques ne partageait à aucun degré le sentiment du savetier et n'avait nulle envie de se trouver tête à tête avec Mme Crépinet, dont le franc parler lui allait parfois jusqu'au vif.... Le seul moyen de lui éviter cet ennui, c'était de s'enfermer dans une espèce de petite armoire qui, par bonheur se trouvait vide.... Donc, en un clin d’œil, voilà Jacques en prison et Mme Crépinet dans le cabinet de travail de son mari.


«Je suis heureux à ta vue; Sois ici la bienvenue!» se mit à chantonner Crépinet. Tu sais bien, Élisa, que je ne chante jamais cette chanson que quand tu viens me voir ici, chez moi, à mon établi. Voyons assieds-toi donc là, un moment.

Je n'ai pas le temps, je n'ai pas le temps: Mme Lépine, notre voisine, va aujourd'hui à Cholet: elle m'offre une place sur son char. Les étoffes y sont bien meilleur marché qu'ici: Marie a besoin d'une robe neuve et M. Joseph de deux chemises de plus. Or, comme nous n'achetons rien à crédit, je viens te demander quelque argent?

Combien faudrait-il à madame Crépinet? demanda Joseph.

Il me faudrait quinze francs!

Quinze francs, répéta le savetier, c'est beaucoup! Et cinq francs pour un ruban neuf à mettre au chapeau de Madame, cela fait vingt. Voilà, Madame, vingt francs, une pièce neuve en or!

Mais non, mon cher ami, c'est trop: tu ne peux te passer de tout cet argent!

Bah ! bah ! on économise toujours quelque chose pour sa femme. Et quand j'ai entendu dire à Noël dernier que les enfants commençaient à avoir des vêtements usés, j'ai mis de côté cette pièce ronde pour eux. Mais tant que je songerai aux enfants, je n’oublierai pas la mère. Tiens, attrape donc, dit-il, en lançant en l’air la pièce d'or de manière à la faire tomber dans le tablier de sa femme.

Eh bien! voilà un brave homme! fit Mme Crépinet avec un cri de joie: et elle appliqua à son mari quelques petites tapes d'une main très caressante; celui-ci les reçut avec un air d'enchantement et les rendit avec usure à son épouse.

Me voilà partie, dit Mme Crépinet, en faisant de la porte un dernier signe à son mari.»

Ce fut bien heureux pour notre prisonnier que Mme Crépinet partit de suite, car l'armoire était étroite et Jacques commençait à étouffer.

Eh bien, Jacques, dit le savetier, tu m’as vu (ou entendu) faire un petit bout de «réparation» et même de «réparation décorative».

C'est ainsi que je répare Mme Crépinet de temps à autre: car ne sommes-nous pas fait de la même chair et de même sang! Les hommes l'oublient quelquefois et ils semblent croire que la femme est faite pour travailler toujours ou être toujours harcelée par les enfants, sans être tenus, eux, d'avoir pour elle un sourire d'encouragement, un acte de complaisance....

Depuis que j'ai l'honneur de posséder Mme Crépinet et que je professe mes idées sur la «réparation locative et décorative», je les ai appliquées à ma femme, et c’est ce qui l'a faite ce que tu la vois.

«Mais il y a des temps, où c'est l'âme qui a besoin d'être réconfortée et réparée, alors surtout, j'ai recours à ce livre, la Bible, et je m'aperçois qu'il est fait pour elle et pour moi, et qu'il fait ce que nul autre ne pourrait faire.

Et puis, je fais usage de la prière.

Tu ne te figures pas, cousin, de combien de succès et de tristesses cet exercice nous a tirés...!

C'est le caractère de ma femme qui m'inquiète, observa Jacques; elle n'est pas bonne tous les jours, elle est parfois irritable et emportée.

Ah! fit le savetier, c’est la preuve qu'alors surtout elle a grand besoin d'entretien et de réparation. Pour moi, JE M'APPLIQUE AUTANT À ENTRETENIR LA BONNE HUMEUR DE MA FEMME QUE SA TOILETTE ET TOUT LE RESTE.

Tout ce qui nous trouble, nous autres hommes, trouble les femmes elles-mêmes: elles plus que nous, mon cousin, car elles ne peuvent pas aussi bien que nous se dérober aux ennuis qui les travaillent.

Pour moi, ce qui m’étonne, c’est qu’une femme qui a une nombreuse marmaille à soigner, puisse encore conserver quelques moments de bonne humeur. Oui, voilà ce qui m'étonne, et j'agis en conséquence...»


* * *



Eh bien, ami lecteur, Jacques, cet être délabré et bon à rien, est aussi devenu un homme «remis à neuf». respectable, utile à sa famille et à ses semblables...

Souffrez que je vous demande s'il n'y a pas chez vous-même, quelques endroits qui auraient besoin de réparations?...

Il y a des foyers qui manquent de tirage... C'est ce qui explique le froid qu’il fait dans votre intérieur, froid qui glace votre prochain: il faut faire disparaître tous les embarras que l'égoïsme ou l'orgueil ont amassés sur les avenues de votre cœur pour les obstruer: alors le tirage sera bon, et vous ferez rayonner la chaleur et la joie du dedans au dehors.

Entretenez aussi et décorez un peu la muraille extérieure: gardez-vous d'une mine sombre, n'ayez pas l'air d’un mur grisâtre: soyez radieux, souriant, ouvert.

Entretenez en été, sur la fenêtre, quelques fleurs grimpantes qui parlent de fraîcheur et de beauté, qui réjouissent la vue et le cœur, et soient comme une révélation odoriférante de votre intérieur le plus intime.

Si vous suivez jusqu'au bout la pensée de ce savetier, qui, au tond, est un vrai sage, elle vous conduira à Jésus-Christ, le grand Réparateur de l'âme humaine.

(Extrait).


* * *


Maris, aimez vos femmes, et ne vous aigrissez pas contre elles.

(Col. 3, 19)


Maris, aimez vos femmes, comme Christ a aimé l’Église,

et s’est livré lui-même pour elle...

(Eph. 5, 25)


La pioche et la truelle N° 18 (1891?)


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