Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UN TRISTE AVEU


(Authentique)

Dans un hôpital civil et militaire d'un des départements du centre de la France, un aumônier causait tranquillement avec des soldats, lorsque l'infirmier de la salle St-Louis vint lui dire que le «n°11» allait mourir.

Saisir ses clefs,

pénétrer dans la chapelle,

mettre son aube, son étole,

prendre son ciboire et arriver au chevet du mourant,

l'hostie consacrée entre le pouce et l’index,

fut pour le prêtre l'affaire d’un instant.

Malheureusement, il était déjà trop tard, le brave hussard rendait le dernier soupir.


Indigné de ce que ce prêtre avait attendu jusqu'au dernier moment pour administrer le sacrement qu'il devait considérer comme nécessaire au salut du malade, je lui demandai s'il était bien convaincu de l'efficacité du viatique, et s'il croyait bien réellement au pardon qu'il accordait dans la confession.

Il répondit affirmativement, je soutins le contraire.

Comme il élevait la voix en disant que je méconnaissais son caractère et en me demandant de prouver mon assertion, une cinquantaine de soldats nous entourèrent aussitôt. Alors pour lui démontrer la vérité de ce que j'avançais, je lui lis le raisonnement suivant:

Je suppose que vous soyez curé d'une petite paroisse.

Vous êtes bon et généreux.

Vous êtes comme un père pour vos paroissiens.

Vous les visitez souvent et vous gagnez tous les coeurs.

Grands et petits assistent régulièrement aux offices.

Vos enseignements sont entendus et goûtés; tout le monde vous écoute et vous croit.

Cependant malgré leur piété, vos fidèles ne sont préservés ni de la maladie, ni de la mort, car on meurt partout.

Or, un jour on vient vous dire qu'Antonin est malade. Vous vous rendez chez lui, vous l'encouragez; et comme c'est un homme religieux et que, pour lui, c'est le moment de communier, vous le confessez et ensuite il communie.

Mais bientôt la maladie s'aggrave: une seconde faiblesse succède à une première, on craint la mort; et sans tarder on vous appelle. Toujours présent et toujours prêt, muni d'hosties consacrées, vous voilà penché sur le mourant.

En vous voyant, ce dernier comprend déjà tout: il vous fait une confession générale de ses péchés, demande pardon à Dieu et à vous pour les fautes dont il se souvient et pour celles qu'il oublie, et vous lui donnez l'absolution et l'Eucharistie.

Voulez-vous me dire à quoi sert l'Eucharistie?

Comment! à quoi sert..., mais vous savez bien que Jésus a dit: «Si vous ne mangez ma chair et si vous ne buvez mon sang, vous n'aurez point la vie; mais celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle.»

C'est l'Évangile qui dit cela, vous le savez bien!

Oui, je le sais bien, mais malheureusement vous n'y croyez pas.

Comment, je n'y crois pas!

Non, Monsieur, vous n'y croyez pas; attendez.

Vous lui donnez donc l'Eucharistie, puis vous sortez. À peine êtes-vous parti que, soit émotion de vous avoir vu, soit autre chose, le pauvre Antonin expire. Le lendemain, le service funèbre a lieu.

Un mois plus tard, comme la pauvre veuve est une catholique sérieuse et convaincue, elle doit faire dire une messe pour son mari; mais elle est épuisée, sans ressources; elle a des dettes; ses enfants sont sans vêtements; ils ont à peine du pain. Que faire?

Une pensée lui vient: elle emprunte 1 fr.50 à sa voisine de gauche, autant à celle de droite, puis elle arrive chez vous;

«Monsieur, dit-elle tout en larmes, je vous apporte trois francs afin que vous disiez une messe pour mon mari.» Alors vous répondez: «C'est bien Madame, je la dirai jeudi prochain.»

Voulez-vous me dire, Monsieur, à quoi sert cette messe?

À quoi sert..., mais vous le savez bien.

Dites toujours!

Mais vous le savez bien.

Vous n’allez pas me dire que c'est mal de prier le Bon Dieu!

Non. Je ne dis pas cela. Mais enfin, vous dites des messes pour faire sortir l'âme d'Antonio des flammes du purgatoire.

Voulez-vous me dire alors à quoi ont servi le pardon et la communion que vous lui avez donnés avant de mourir?

Mais vous n'allez pas dire que c'est mal de dire la messe?

Telle n'est pas la question. Je vous demande seulement de nous dire si vous croyez au pardon et à l'efficacité du viatique que vous avez donnés. Répondez.

(Tout rouge). Je crois ce que croit l'Église.

Oui. vous croyez ce que croit l'Église. Mais enfin, de deux choses, l'une: ou vous ne croyez pas à votre pardon, et alors vous ne devez pas tromper les gens en prétendant leur pardonner; ou vous y croyez, et alors, pour être honnête, vous devriez dire à la pauvre veuve: Madame Antonin, gardez votre argent: j'ai pardonné à votre mari, je lui ai donné le «bon Dieu» avant sa mort, par conséquent, il est maintenant an ciel, soyez consolée...

Mais non, Monsieur, ni vous, ni vos collègues ne dites jamais cela! Et si l'on vous apporte 100 fr., 1.000 fr., 10.000 fr., 1000.000 fr.! Vous les recevez toujours pour faire sortir des flammes du purgatoire celui que vous avez absous avant sa mort!

Donc, vous ne croyez pas à l'efficacité du pardon que vous donnez. Répondez!


L’aumônier avait déjà regardé plusieurs fois de quel côté il pourrait fuir, mais les soldats s'étaient resserrés et ne voulaient pas le laisser partir avant d'avoir entendu sa réponse. Alors, après avoir balbutié quelque échappatoire, il dit: On n'est pas sur!

Les soldats battirent des mains et l'aumônier, confus, s'en alla.

Vincent.

La pioche et la truelle N° 19 (1891?)


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