Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LA FIN D'UN «SANS DIEU»


J’avais un camarade d’école né la même semaine que moi et dans la maison contiguë à la nôtre. Nous partagions ensemble les plaisirs de l'enfance. Ses parents étaient riches, mais tout le monde les disait avares.

Lui-même était plein de santé, fort, mais si malfaisant qu’on avait fini par l’appeler «le fléau du village».

Au lieu de saluer, il jetait aux gens des remarques blessantes et même les injures.

Commettre des actes de vandalisme sans être vu, et en accuser d’autres, était son plaisir.

À l’école, il apprenait peu: dans la rue il était le plus habile, mais aussi le plus détesté. Que de coups j’ai reçus de lui, sans savoir pourquoi!

Plus tard, il m’a fallu subir des dégâts aux champs et à la maison dont je ne savais que cette seule chose: C’est Jean qui l’a fait. Il reçut de l’instituteur certainement autant de remontrances à lui seul, que tous les autres élèves ensemble:

«Ne penses-tu donc pas, lui disait ce digne homme, que Dieu te voit, soit que tu mentes ou accomplisses tes méchantes actions en cachette?»

Mais au sortir de l'école, alors que nous le croyions honteux et humilié, lui de s'écrier: «Que m'importe si Dieu le voit! Pourvu que mon père n’en sache rien!» Malheureusement celui-ci était tout bouffi d'orgueil à l'endroit de son garçon, si éveillé et si adroit aux travaux des champs et à ceux de la ferme. Pourtant, quand par impossible, il apprenait les vilains 
coups de son fils, il le battait sans mesure, ni raison.

«Votre Jean tournera mal», disait la vieille tante qui remplaçait auprès de lui sa mère morte, chaque fois qu’on lui rapportait un nouveau méfait de son neveu.


Le père acheta une belle forme à l’entrée du village. Quelque temps après, le jeune homme y amena sa fiancée, une des plus riches héritières des alentours.

«A-t-il du bonheur, ce fléau disaient en le vexant passer, tous les hommes et toutes les femmes de l’endroit: il n’est pas juste qu’il en soit ainsi» — Et lui, tenant au bras sa future, s’approcha de la tante en lui disant:

«Tu m’avais toujours prédit du malheur. Regarde maintenant, mon bonheur n'est-il pas complet? Et cela vient tout bonnement de ce que, pendant que tu lisais ta Bible et priais, je pensais à tout autre chose.»

Blessée de ces paroles, la vieille femme se détourna de lui répondant:

«Je n’y serai plus pour le voir, mais certainement tu cours vers le malheur.»

Le père, lui, se mit à calculer la dot de sa belle-fille et fut content.


Mais voici: CE MARIAGE FUT EMPÊCHÉ PAR LA JUSTICE. Peu de temps s'écoula... voici Jean fiancé à une autre fille riche. Cette fois la noce suivit de près. Cette union dura quatre années.

L’«heureux homme» vint souvent au village et chaque fois, il vantait sa fortune et exhibait même des poignées d'or devant ses parents et les jeunes gens de son âge. Ses propos étaient pleins de dédains et de blasphèmes:

«C'est dommage, dit-il une fois à la fille de son ancien instituteur, que votre père ne vive plus. J’aurais aimé lui prouver que le Bon Dieu était plus content de moi qu'il ne le pensait.»

CE MARIAGE FUT ROMPU DE PAR LA LOI. La petite-fille échut à la mère, et lui-même retourna travailler chez son père et faire de nouveaux projets.


Une année était à peine écoulée, qu'il se maria de nouveau. Le pasteur, renseigné plus exactement sur le caractère du jeune homme, et se rappelant lui-même un cas d'explosion de sa cynique impiété, choisit pour texte de la cérémonie nuptiale ces paroles:


«Ce que l'homme aura semé, il le moissonnera aussi.

Celui qui sème pour la chair, moissonnera de la chair la corruption.»

(Gal. 6, 8.)


* * *


Six mois après, Jean ramassa la petite fortune, bien diminuée, de sa femme et partit pour l'Amérique, tout seul. Là, il s'engagea dans l'armée au moment de la Grande Guerre, comme trompette. La paix faite, il obtint pour récompense de ses services vingt hectares de terre.

En 1886, il fit soudainement une réapparition à la maison paternelle. Le père ne se contenait plus de joie en voyant de ses yeux le monceau de pièces d or que son fils avait rapporté.

Un soir, au goûter, jetant une poignée de souverains sur la table, il s’écria:

«Quel malheur que la tante soit morte. Je lui aurais fait voir qu’elle avait tort et moi raison.»

Bientôt les plus jeunes frères et sœurs arrivèrent chez moi pour me prier d’user de mon influence auprès du père, afin que celui-ci ne vendit pas la plus grande partie de ses terres au profit de leur frère aîné:

«Notre père est prêt à tout, dirent ces pauvres enfants; depuis que notre frère lui a exposé ses plans les plus grandioses, il est tout hors de lui.»

J'allai trouver le père pour lui exposer l'injustice qu'il commettrait en frustrant ses enfants dans leurs intérêts à l’avantage de l’aîné. Je ne fis d’abord que des observations bien timides à ce dernier; mais bientôt je montrai au père de Jean la femme de celui-ci trahie et ruinée par son fils.

Sur la réponse pleine d'amères railleries de Jean, je lui fis observer, ce que son père ne savait pas encore, qu'il s'était REMARIÉ EN AMÉRIQUE POUR LA TROISIÈME FOIS et qu'l avait subi UN JUGEMENT POUR BIGAMIE. — Furieux, il sortit un revolver, le premier que je voyais, me mit en joue mais ne fit pas feu». Je m’en allai. Le domestique de la maison me poursuivit en courant:

«Fuvez, me cria-t-il, prenez un autre chemin: Jean est sur vos traces. Il veut vous tuer.» Je changeai de route. Le père, lui, alla le soir même chez l’aubergiste du village — toujours prêt à rendre service quand il y a un bon coup à faire — et lui emprunta la somme importante demandée par «l'Américain». Le lendemain matin, celui-ci était déjà reparti.



* * *


Dix années se sont écoulées.

Voilà que je reçois une lettre datée de Pittsburgh dans laquelle Jean Muller, entre autres choses me disait:

«J’ai maintenant une belle et habile femme, un grand hôtel et une brillante entreprise. Vous n’êtes que des ânes avec votre Bible. Aussi n'arrivez-vous à rien du tout. Moi, qui m'en moque, je fais mon chemin mieux que vous, etc.. etc.»

Je lui répondis tout simplement:

«Si tu as beaucoup d'argent, et si d'après ton idée tu es heureux, envoies-en au moins un peu à ta pauvre femme que tu as trahie. Rends ce que tu lui as volé. Elle est très pauvre. À peine a-t-elle du pain à manger. Je sais que le Dieu qui nous gouverne ici, gouverne aussi en Amérique. Le même soleil qui t'éclaire, se lève et se couche aussi sur ta pauvre femme. Toutes les fois que tu regardes ce soleil, puisse-t-il te dire: «Il y a cinq heures, j'ai éclairé le rouet de ta pauvre et digne femme abandonnée.»


Le 16 novembre 1881, une nouvelle lettre m'arriva de Pittsburgh. J‘y lisais:

«Le malheur me poursuit partout. Je ne possédais pas un hôtel, comme je te l'avais dit, mais simplement une auberge louée à bail. L'hôtel que j'avais eu auparavant et toute ma fortune ont été perdus dans de mauvaises affaires. Mais le pire de tout, c'est que ma femme m'est, je crois, infidèle. Depuis que tu m'as parlé du soleil, je n’ai plus de repos.»

«Toutes choses concourent à notre bien, lui répondis-je. Garde-toi d'accuser la femme trop légèrement, et de la soupçonner par le simple désir de tranquilliser ta propre conscience.

Ce malheur te serait-il arrivé, considère-le comme un motif pour te repentir sincèrement, en te souvenant que tu as été infidèle. Porte ce fardeau et témoigne à ta femme actuelle l'affection que tu avais refusée aux précédentes.

Peut-être que la conduite de ta femme est la conséquence de ta conduite envers elle. Si tu es de plus ou plus fidèle sous ce rapport. Ta conscience s'apaisera et un plus grand bonheur que celui que tu as perdu deviendra ton partage, quand tu auras compris et saisi le pardon qui est en Jésus-Christ.»

Je ne reçus plus aucune lettre.

Mais juste deux années après, les journaux américains et les nôtres publiaient la description d'un drame horrible où Jean Muller s'était coupé la gorge avoir coupé celle de sa femme.

On disait à la fin comment la colonie suisse de Pittsburgh et plusieurs autres sociétés, avec bannière et musique funèbre, avaient rendu les derniers honneurs à l'ancien aubergiste et a l'ancien compagnon d'armes.

En lisant ce récit, ce qui retentit à mes oreilles, ce ne fut pas le son lugubre des trompettes, mais le dernier cri de désespoir de mon ancien camarade d'école:

«LE MALHEUR ME POURSUIT PARTOUT, JE N’AI PLUS DE REPOS»


* * *


Voici, ceux qui s’éloignent de toi périssent;

Tu anéantis tous ceux qui te sont infidèles.


Pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien:

Je place mon refuge dans le Seigneur, l’Éternel

Afin de raconter toutes tes oeuvres.

(Ps. 73, 27-28)


La pioche et la truelle N° 19 (1891?)


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