Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

----------

LE NAUFRAGE DE L’«ELBE»


Elbe

Images et liens


Le soleil s’est couché depuis longtemps sur l’horizon. Malgré le froid rigoureux des nuits d'hiver, les passagers s'attardent sur le pont: les cabines sont si exiguës, l’air y est si lourd et d’autre part on suit avec tant d'intérêt le passage lumineux d’un steamer ou d’un voilier. Puis l’on descend quelques heures au salon. Les uns lisent, d’autres font de la musique: on s’ingénie à charmer les loisirs d’une longue traversée.

Des groupes se forment, la connaissance est vite faite dans un espace aussi restreint. Il y a là des émigrants qui ont quitté, après bien des hésitations, le sol de la patrie et vont demander aux terres d’exil la fortune ou au moins l’aisance; des commerçants en voyage d’affaires; des époux, des fiancés qui ont hâte de revoir ceux qu'ils aiment.

Qui saura jamais ce qu'emporte d’espérances et de rêves un navire comme l'Elbe? Puis les causeries s’éteignent et l’on va se livrer au sommeil avec la sécurité que donne un grand transatlantique, un équipage d'élite et un capitaine expérimenté.


* * *


Tout à coup un choc formidable secoue le navire: dans l’épaisse brume une collision vient de se produire avec un vapeur inconnu. On entend des cris de détresse; le vapeur abordeur disparaît au milieu du brouillard, laissant dans les flancs de l'Elbe une épouvantable voie d’eau, où les vagues s’engouffrent bruyamment


TOUT EST PERDU!


Le transatlantique coule rapidement. Quelques passagers affolés, à demi vêtus, courent à tâtons sur le pont, couvert de verglas, se heurtent, au milieu de l’obscurité, du brouillard et de la neige glacée qui leur fouette le visage.

On crie: «Les embarcations à la mer!»

L’eau a déjà envahi le pont. Elle atteint les entreponts, on crie: «SAUVE-QUI-PEUT!» Un bateau de pêche qui passe et qui a entendu les cris de détresse recueille cinq passagers dont une femme, sept matelots, un mécanicien, deux pilotes, quatre commis aux vivres et le troisième officier du bord, soit vingt naufragés. Ces malheureux, à peine vêtus, à demi morts de froid, sont ramenés à Lowestoft...... Le nombre des victimes serait de 380... .


* * *


Des incidents recueillis de la bouche d’un témoin viennent encore ajouter à l’horreur du naufrage. Dès qu’on eut l'intuition que le navire allait sombrer, une lutte affreuse, paraît-il, s’engagea entre les passagers pour arriver sur le pont, les escaliers et les échelles n’étant pas assez larges pour laisser passer la foule, la lutte recommença plus affreuse autour des embarcations que tous se disputaient.

On raconte la même chose de l’incendie de l'Opéra-Comique, les spectateurs s'écrasant, se piétinant, se battant pour atteindre les portes.


QUAND LA MORT EST LA

ET QU’IL EN SENT PASSER LE SOUFFLE SUR SON VISAGE

L’HOMME DONT L’ÂME N’EST PAS PRÊTE

SE DÉBAT DANS LE DÉSESPOIR.


La terreur étreint ses entrailles et ses yeux s’agrandissent d'épouvante devant le tribunal de Dieu qui se dresse.


* * *


À côté des horribles détails de la catastrophe de l’Elbe, avec quelle émotion nouvelle, avec quelle admiration croissante pour la puissance de l’Évangile, je me mis à relire le récit du naufrage d’Étienne Serre.

Il avait été condamné par Louis IV à la déportation à la Martinique, avec un grand nombre d’autres huguenots, hommes et femmes pour crime de religion. Le vaisseau qui les portait toucha contre un écueil et s’ouvrit subitement.


«Les femmes captives dans l'entrepont, raconte-t-il, périrent à peu près toutes. Étant enfermées dans leurs chambres, et y voyant monter l'eau de divers côtés, elles se préparèrent à mourir:

Chacune d’elles fit sa prière en particulier, elles chantèrent ensuite un psaume et prièrent Dieu toutes ensemble. Elles s’embrassèrent ensuite les unes les autres, puis disant adieu toutes de concert au monde et à la vie, elles allèrent ainsi au-devant de la mort et montèrent vers Dieu.»


Je ne vois pas qu’il y a dans toute l’histoire de spectacle plus sublime, que celui de ces huguenotes chantant un psaume pendant que leur navire s’enfonce lentement dans la mer.

S. Vincent.


* * *


À celui qui est ferme dans ses sentiments

Tu assures la paix, la paix,

Parce qu’il se confie en toi.

(Ésaïe 26, 3)


La pioche et la truelle N° 32 (1891?)


Table des matières