Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LA PROPRE JUSTICE


La propre justice est l'erreur ou le péché de tous ceux qui s’imaginent que pour aller au ciel il suffit de renoncer au mal.

Certes, nous devons sacrifier sans rémission tout ce que nous avons de mauvais:

les passions charnelles,

les mauvaises convoitises,

l'égoïsme,

l’orgueil,

le mensonge,

l'intempérance,

la rancune,

l’avarice et tout le reste.

Nul ne peut, encombré de ces broussailles pour entrer par la porte étroite. Prenons donc la serpe sans pitié, et élaguons à grands coups ce faux bois.

«Si ta main droite, a dit Jésus, te fait tomber dans le péché, coupe-là et jette-là loin de toi, car il vaut mieux pour toi qu’un de tes membres périsse que si tout ton corps était jeté dans la géhenne.» (Math. V, 30)

Ce début déjà est l’écueil: de tous les hypocrites, de tous les chrétiens de parole.....


Cependant n’allons pas croire que le renoncement n'est exigé que des méchants.

Il y a un renoncement exigé de l'homme de bien.


Ceux-là ont dû crucifier la chair, ses passions et ses convoitises; celui-ci à son tour doit RENONCER À SE PRÉVALOIR DEVANT DIEU DE SES VERTUS ET DE SES MÉRITES.

Ce sacrifice, dirai-je, est plus coûteux et plus pénible que le précédent. Passe encore de se débarrasser de passions qui même pendant cette vie ne peuvent faire que notre malheur!

Mais renoncer à tout mérite devant Dieu!

Avoir vécu toute la vie dans l'honnêteté,

Avoir mis là toute sa joie et toute sa fierté, et renoncer à s’en faire un titre de gloire!

S’être dévoué, s’être ruiné peut-être pour les autres, et n’en point réclamer la récompense!

Il semble que les exigences de l'Évangile soient injustes.


Si elles ne sont pas injustes, elles sont au moins bien contraires à l’orgueil universel; car partout on trouve des personnes qui prétendent mériter le ciel:

le païen apporte son offrande, et réclame en échange la faveur durable de son idole;

le dévot s’astreint aux cérémonies religieuses, et pense bien que tout lui sera compté pour l’autre vie;

l'honnête homme fait remarquer à Dieu qu’il est meilleur que la plupart de ses contemporains, qu’il est doux, patient, charitable, et porté à rendre service;

le chrétien déchu offre aussi à Dieu des œuvres misérables qu’il s’astreint à accomplir pour ne pas être châtié, ou pour être béni.

TOUS CEUX-LÀ VEULENT MÉRITER; tous ceux-là veulent acheter le ciel, ou la faveur de Dieu; tous ceux-là pèsent ce qu'ils donnent, comme si on pouvait peser le néant, et pèsent ce qu'ils demandent, comme si on pouvait peser l’infini.


Allons, mercenaires et trafiquants, du courage aujourd’hui!

Il s’agit de détruire, de vos propres mains, le fragile appui de vos vaines espérances;

il s’agit de sacrifier aujourd’hui et votre propre justice, et vos titres de gloire, et vos nombreux mérites.

Et surtout, n’ayez pas peur d’être trop énergiques, car il vous faut opérer radicalement, extirper à jamais de votre esprit et de votre cœur toute confiance en vos bonnes œuvres, et vous jeter, comme des perdus, dans les bras de Jésus-Christ.

Saint Paul aussi avait fait de bonnes œuvres: il s’était fait remarquer entre tous par son zèle et sa conduite irréprochable; mais que dit-il dans son épître aux Philippiens: «Je regarde tous ces mérites comme des ordures, je les perds et j’y renonce, pourvu que je gagne Christ, et que je sois trouvé en lui ayant non ma propre justice, MAIS LA JUSTICE QUI VIENT DE JÉSUS-CHRIST.»


Apporter à Dieu vos bonnes œuvres comme prix de son ciel, c’est le prendre pour un marchand. Alors Dieu, comme un bon marchand, regardera si le compte y est, c’est-à-dire si vous avez observé en tout temps tous ses commandements sans en oublier un seul, si toutes vos paroles ont toujours été véridiques, si tous les mouvements de votre cœur ont été des mouvements d’amour pour lui, de confiance en lui, de dévouement pour le prochain, d’humilité, de patience, de chasteté.

Et si le compte n’y est pas, c’est-à-dire si la totalité de vos actions, de vos paroles, de vos pensées n’a pas été absolument sainte et parfaite, prenez garde qu’il ne vous punisse non seulement pour les péchés commis, mais encore pour avoir voulu le tromper.

Cette monnaie insuffisante que vous lui offrez, il la fera sonner, et il reconnaîtra bien que: – Dans votre argent il y a beaucoup de plomb.

Dans vos aumônes, il verra votre orgueil et votre désir de soutenir votre réputation de charité;

Dans votre honnête pauvreté, il découvrira l’envie que vous avez portée a de plus riches;

Dans vos souffrances endurées, il entendra vos murmures contre sa providence;

Dans vos cérémonies religieuses, il fera la part de votre formalisme;

et dans votre obéissance, il remarquera plus de contraintes pénibles que de joie chrétienne.

Le prophète Ésaïe, parlant au nom de son peuple, disait: «Nos justices sont devant Dieu comme un linge souillé.»

Quelqu’un voudra-t-il se draper de ce linge souillé, et, couvert de ces sales oripeaux comme d'un habit de festin, prétendra-t-il être admis au festin des noces de l'Agneau?


Mais pourquoi hésiterions-nous à sacrifier notre justice?

Est-il donc plus sûr de se confier en soi-même qu’en Jésus Christ?

Pour moi, quand je serais mille et dix mille fois plus juste que je ne suis, et quand même je serais mille et dix mille fois plus juste que le plus juste de mes lecteurs, je trouverais encore qu'il serait PLUS SUR POUR MOI DE ME CONFIER EN LA SEULE JUSTICE DE JÉSUS-CHRIST. Car la justice de Jésus est parfaite, et son sacrifice expiatoire est parfait, tandis que dix mille justices humaines seraient encore imparfaites et misérables.


«II n'y a de salut en aucun autre;

car sous le ciel il n'y a pas un autre nom qui ait été donné aux hommes,

par lequel nous devions être sauvés.»

(Act, IV, 12)


Ph. Vincent.

La pioche et la truelle N° 33 (1891?)


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