Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LA PRIÈRE

(Luc XI, 1)


Lorsque vous priez, dit Jésus, n'usez pas de vaines redites comme 
font les païens qui s'imaginent être exaucés en priant beaucoup; ne les imitez pas, car votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez. (Matth, VI, 7-8.)

Puis il leur donne, non une formule, mais Un MODÈLE DE PRIÈRE répondant dans chacune de ses demandes aux besoins les plus impérieux de toute créature humaine.

Cette prière, admirable par sa simplicité autant que par sa profondeur, est devenue, pour la chrétienté tout entière, une source de consolations, d'espérance, de vie.

Répétée de génération en génération, elle a rapproché les cœurs; dès les premiers mots elle proclame l’unité et la fraternité entre tous les hommes, lorsque d’une MÊME voix et d’un MÊME cœur nous nous écrions: «NOTRE PÈRE!»

Accessible à tous, elle répond aux besoins de tous, aux faibles comme aux forts, aux ignorants comme aux savants, aux pauvres comme aux riches, et il n’est pas jusqu’au faible enfant joignant ses mains, levant ses yeux si purs vers le ciel, qui ne trouve dans cette prière le langage approprié de sa piété candide.

La prière répond à un besoin instinctif de l'âme humaine; le nier serait nier l'histoire de l’humanité. Dans toutes les religions, le croyant implore la divinité dans des supplications souvent brûlantes et passionnées. Depuis le sauvage qui se prosterne devant son grossier fétiche jusqu'au chrétien le plus distingué par sa science, tous ploient les genoux et prient.


La prière est le mode naturel de l'adoration; c’est, pour employer une expression classique, LA RESPIRATION DE L'ÂME.

Considérée sous cet aspect, elle s’élève au-dessus des formes imparfaites qu'elle a revêtues par suite de la superstition et du formalisme qui fleurissaient si bien chez les peuples idolâtres, même chez les représentants autorisés de la religion juive qui y ajoutaient encore des sentiments d’orgueil et de vanité eu se composant un visage de circonstance et en se tenant au coin des rues afin d’être vus des hommes (Matth., VI, 5.)

Comparée à «ces vaines redites» selon l'expression de Jésus, la vraie prière s’en distingue autant que la fleur parfumée et fraîche éclose diffère d'une peinture maladroite et ternie.


Prier, ce n’est donc pas faire des prières.

C'est se rapprocher de Dieu;

C'est élever l'âme humaine vers ces sphères où règnent les réalités invisibles promises au fidèle, c’est rendre au cœur de l’homme ses aspirations légitimes en lui;

C’est se jeter dans ses bras paternels;

C’est lui exposer ses peines, ses soucis, ses tristesses comme ses joies;

C'est lui manifester sa reconnaissance, son amour;

C’est l'adorer.

Voilà la prière dans sa noblesse et sa vraie grandeur.


* * *


D'après ces considérations, il va sans dire que nos prières ne doivent pas revêtir une forme spéciale, conventionnelle, qu'elles doivent nécessairement se confiner dans un cercle étroit d’idées abstraites et générales, ne jamais sortir d’un plan conçu d’avance et embrassant la généralité des besoins de l’homme.

Ce lien invisible qui nous rattache à Dieu a des manifestations multiples selon les besoins, les situations, les époques et les nécessités de la vie.

QUE L’ON NE S'IMAGINE PAS QUE LA PRIÈRE EST D'AUTANT PLUS BELLE QU'ELLE APPORTE AVEC ELLE UNE RICHESSE D’EXPRESSIONS, une certaine originalité, une délicatesse de langage frappant agréablement nos oreilles, MAIS LAISSANT LE CŒUR VIDE ET SEC!

Si elle est belle, bien souvent elle est loin d’être efficace, car la perfection de la prière et ses effets salutaires, loin de se mesurer aux règles de rhétorique, ignore les artifices du langage:


DIEU JUGE LE FOND ET NON LA FORME


Tandis que celle-ci (la forme) est presque toujours le fruit de l’orgueil, celui-là (le fond), au contraire, est l’expression d’une âme humble et sincère.

(Lire la Parabole du pharisien et du péager, Luc, XVIII, 9-14.)

IL N’Y A RIEN, À NOTRE AVIS, DE PLUS DANGEREUX QUE LA RECHERCHE DE L’EFFET DANS LA PRIÈRE.

Que de fois n’en avons-nous pas entendues qui étaient de véritables sermons adressés a Dieu dans lesquels on s'élançait dans des dissertations à perte de vue sur la misère morale de l’homme et sur l'infinie miséricorde de Dieu par un amalgame de phrases très bien agencées, mais ayant le grave défaut de n’avoir aucune portée pratique.

Ces prières irréprochables, correctes quant à la forme, ressemblent assez à la cymbale qui retentit, produit un son agréable, mais s’évanouit aussitôt après dans l’air!

Dieu est-il donc si ignorant des choses de la terre qu’il ait besoin qu’on les lui révèle par un langage choisi enfanté par notre hypocrisie et notre orgueil?

Et quel désastre pour les réunions de prières?

On est au moment le plus pathétique:

des appels véhéments viennent d'être adressés aux pécheurs,

des prières ardentes, pressées, montent à Dieu pour la conversion des âmes;

encore un instant et elles vont fléchir.

Tout à coup une voix s’élève:

Tous la reconnaissent, tous gémissent, on sait que le robinet va verser dix minutes de suite des douches glaciales...


HÉLAS! ENCORE UNE RÉUNION DE PERDUE.

Dieu nous garde des «vaines redites.»


C. Vautrin

La pioche et la truelle N° 33 (1891?)


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