Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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QUARANTE ANS D’EXPÉRIENCES CHRÉTIENNES


Fils de parents catholiques, je suis resté pendant toute ma jeunesse indifférent aux choses de la religion. À vingt et un ans je quittais mon village pour aller chercher du travail à Turin, et là, sous la seule influence mystérieuse de Dieu, ma conscience s’éveilla et je cherchai instinctivement la paix de l'âme. Je crus la trouver dans la dévotion catholique.

Un dimanche matin j'allai à trois messes successives, mais j'étais plus troublé que jamais. Un jour je me rendis à l'église protestante de Turin, mais la prédication se faisait en français et je ne comprenais pas cette langue à cette époque.

Plus tard mes intérêts m’amenèrent à Alexandrie, j'appris bientôt que dans telle rue, tel numéro, on prêchait l’Évangile tous les soirs à sept heures. Je courus à cette adresse: je vois une lanterne éclairée portant cette inscription: CONFÉRENCES SUR L'ÉVANGILE.

J’attendis un instant pour voir si l’on payait en entrant, puis voyant que non, j’entrai et je fus bien accueilli.

Je ne saurais dire avec quelle émotion j'entendis la prière et le commencement de la prédication. Je pensais: si la vérité n’est pas là, elle n’est nulle part au monde.

Dieu commençait son œuvre en moi.

Quelques instants plus tard j’étais sauvé.


Je passai cette nuit sans sommeil, tant mon cœur battait de joie. Au matin, en allant à mon travail, j’étais si léger que mes pieds ne touchaient pas terre. JÉSUS AVAIT ENLEVÉ MON FARDEAU.


En 1850 mon père mourut, je dus retourner à Piverone, mais j’eus soin d’emporter une ample provision de bibles et d'évangiles, y compris la traduction de l'archevêque Martini.

Tous les soirs je lisais l’évangile de chaumière en chaumière jusqu'après minuit. Un grand nombre de personnes m’écoutaient attentivement, et c'est là que ma femme s’éprit de moi, non pour moi, mais pour ce que je lisais.

La nouvelle de mes lectures se répandit dans le pays, cela ne faisait pas le compte de monsieur le curé et la chose est naturelle. Portez la lumière dans une pièce noire et les ténèbres disparaissent; retirez la lumière et les ténèbres s’avancent, les deux ne peuvent pas rester ensemble.

Le dimanche suivant le curé monte dans sa chaire et dit:

«Mes chers paroissiens, mettez-vous sur vos gardes. Il est venu dans votre pays un grand oiseau, il a son nid à tel endroit (indiquant ma maison) et il est venu apporter du venin, non pour le corps, mais pour l'âme.»

Au confessionnal, il disait aux gens de détourner la tête à mon passage et de n’avoir aucune relation avec moi.


Quinze jours plus tard, un prêtre en interdit, ayant appris que notre pays était tout troublé, vint prêcher en face de l’église, au sortir de vêpres, et débita tout un mélange de politique et de religion. Il répéta plusieurs fois:

«Ne méprisez point celui qui vous a apporté l’évangile, c'est un trésor qu’il vous a apporté

Les prêtres et les autorités étaient au coin de la rue, mais on ne put rien faire contre lui parce que la multitude l'aurait protégé et on le savait protégé aussi par le gouvernement italien.

Le dimanche suivant (février 1858), un évangéliste ayant entendu tout ce bruit, vint pour se rendre compte de ce mouvement religieux, de quatre heures de distance de Piverone, amenant avec lui quelques chrétiens.

On lui dit qu'un habitant du pays arrivant d’Alexandrie avait apporté des bibles, mais que le curé prétendait que c’étaient des livres hérétiques, excommuniés et faux. L’évangéliste demande mon adresse, nous eûmes vite fait de faire connaissance.

Séance tenante nous louâmes une salle et le soir même l'évangéliste fit une prédication. Tout le village en avait été averti, tellement que non seulement la salle était remplie, mais la cour et la rue.


Le curé ne trouva pas cela de son goût et quelques semaines après, il donna à boire à cinq ou six garçons et les envoya chanter devant la salle de réunion. Mal lui en prit, les carabiniers les arrêtèrent et ils durent passer la nuit à l’abri.

Le matin, après interrogatoire, ils furent remis en liberté, mais le curé, cause unique du désordre, dut payer 500 francs d'amende. Loin de le calmer, cette amende l’exaspéra; le dimanche, dans sa chaire, il disait toutes sortes d’horreurs contre les protestants, mais nous avions soin de lui rappeler le texte du décret de Victor-Emmanuel en 1848:

«La religion apostolique et romaine est la religion de l'État, mais tous les autres cultes sont tolérés et protégés.»

À force d'intrigues il finit pourtant par réussir à nous prendre notre salle de réunions, croyant qu’une fois privés de notre lieu de culte, nous nous disperserions, mais un mois plus tard nous en avions une autre. Nous nous étions mis à l’œuvre pour en bâtir une nous-mêmes.

Un frère avait donné la moitié de son jardin, les autres des matériaux, d’autres la main-d’œuvre, et un certain Jean Borghesio recouvrit le tout de bitume. La nouvelle salle fut prête en un rien de temps et le curé eut son loyer à payer pendant quelques années, selon la prophétie: Qui creuse une fosse y tombe. De cette façon le curé, au lieu de nous priver de salle, nous mit chez nous.

Avec cette salle à nous, nous nous croyons à l’abri des persécutions, mais le diable sut encore mettre son nez dans nos affaires et ses agents réussirent à monter la tête au propriétaire voisin pour nous faire interdire de chanter aux réunions du soir.

De fait, il arriva un ordre du sous-préfet nous interdisant de chanter après le coucher du soleil, mais faisant la même interdiction au curé. Nous fûmes réduits à continuer nos réunions sans chanter et M. le curé qui donne sa bénédiction le vendredi soir et qui avait à chanter le Tantum ergo dut le faire avant le coucher du soleil quand tout le monde était aux champs.

Un dimanche nous eûmes la visite de M. le pasteur Desantis, le plus grand prédicateur de l'évangile en Italie. Ancien prêtre à Rome pendant quinze ans, sa visite fit accourir tout le pays.


Mais retournons en arrière de quelques années. En 1858, quand je me mariai, tous les registres étaient entre les mains des curés et personne n'était enregistré avant d’avoir passé par le confessionnal. Cela ne faisait pas mon compte et je m’adressai au préfet qui me promit d’y pourvoir.

Bref, le gouvernement envoya au curé provisoirement trois registres pour les naissances, mariages et morts, et il fut obligé de nous enregistrer sans opposition, sauf ses éternelles diatribes contre Luther, Calvin, etc.

Enfin, en 1859, l’unité de l’Italie fut accomplie et le 1er janvier 1860 la loi établissant l’état civil entrait en vigueur et les registres étaient confiés aux mains des syndics des communes.

J'ai fait l’expérience que tant qu'une église doit soutenir des persécutions elle est vivante. Une fois les persécutions finies, cette église devient plus ou moins somnolente.

Exemple: on donne un coup de fouet à un cheval et ce cheval traîne sa charge plus vite.

Est-ce que le coup de fouet lui donne de la force?

Non, mais il l’oblige à faire usage de la force qu’il a.


Maintenant il y a treize ans que moi et ma famille sommes à Paris. C’est en fréquentant les réunions d’évangélisation que nous avons compris le devoir et senti la nécessité d’être baptisés du baptême des croyants.

Nous sommes devenus membres de l’église de la rue de Lille, moi et ma femme, qui est entrée dans son repos au mois d’août dernier, mais j'ai son adresse et je sais le chemin pour aller la rejoindre.


«JE SUIS, a dit Jésus, LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE.»


Borghesio père.

La pioche et la truelle N° 34 (1891?)


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