Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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EN FAVEUR DES IVROGNES!

Un homme ivre, qui s’en soucie? Lorsqu'il passe en titubant dans la rue on le méprise et on rit. Personne ne songe à l'affreuse misère de son état. Peut-on avoir vraiment pitié d’un ivrogne? On lui dit des choses bien dures et le malheureux baisse la tête sans répondre, sachant bien qu’après tout il est coupable. Et pourtant....

Et pourtant cet homme dégradé, avili, abruti, n’est pas toujours un goulu, un goinfre de la boisson, une sorte d'animal qui boit pour satisfaire sa gourmandise. Il fut peut-être un temps où il était sobre, où sa conduite était honorable. Puis un jour tout a changé.

Qu'est-il survenu?

J’interrogeai un jour un vieux récidiviste.

Un fait m’étonnait: ancien soldat, comptant d'excellents services; ensuite ouvrier travailleur et probe, estimé de ses patrons; casier judiciaire vierge jusqu’à l’âge de 36 ans. Puis, tout-à-coup, la chute: ivrognerie, misère, vol, prison, relégation.

Qu’était-il arrivé?

Je perdis alors ma femme, me dit-il simplement, et «la débine» me prit. Il ne put rester à son foyer désert; la vie lui était à charge séparé de celle qu’il avait aimée: oublions, abrutissons-nous, qu'importe le reste. À dater de ce jour, SA VIE FUT UN LENT SUICIDE.


Que de pauvres «débinés» dans le monde!

Que de déceptions, de chagrins domestiques, sont souvent enfouis au fond du cœur d'un ivrogne!

L’homme boit plus souvent qu’on ne croit pour oublier sa misère. Au fond d’une bouteille de vin, il trouve une trêve à la tristesse, aux soucis dévorants, aux angoisses du cœur. L’ivresse, c’est l’oubli.

LE VIN PRODUIT L'ANESTHÉSIE DE L’ÂME. Le poète, enfant du siècle, qui a le plus profondément sondé les plaies du cœur humain, a conté, dans une des pages les plus douloureuses que je connaisse, ce suicide affreux. Musset fut aussi un «débiné».

L’ivrognerie est bien plus une affection morale qu'une passion de la chair; c’est un affaissement de la volonté, une abdication de l’être moral.


UN IVROGNE EST UN VAINCU DE LA VIE.


Et sans doute, je sais aussi bien que personne, que tous les ivrognes ne sont pas aussi intéressants. Mais il n'en est pas moins vrai que cette passion cache en général une profonde détresse du cœur:

«Je voudrais que quelqu’un me tire un coup de fusil et me tue comme un chien», me disait, il y a peu de jours, un de ces malheureux. Pauvres «débinés»! Peines connues ou cachées, que de douleurs!

Et voilà pourquoi, malgré tout, j'aime les ivrognes. Je demande pour eux un peu de cette pitié qu'on a pour toutes les grandes infortunes. Au lieu de nous détourner d’eux, en disant comme la foule indifférente: «Qui a bu boira


Il faut leur tendre une main fraternelle et leur montrer le chemin du salut.

Ce cœur qui était bon autrefois, qui l’est encore à certaines heures, peut redevenir ce qu'il a été; il est possible de vaincre la passion de l’ivrognerie.

Comment cela peut-il se faire?

Il est évident que les bonnes paroles ne suffisent pas. Dire à un ivrogne qu’il fait, mal, que sa conduite est préjudiciable à sa famille, à lui-même, à la société, c'est peine inutile. Il le sait bien. Les bonnes intentions mêmes ne lui manquent pas. Il essaie parfois de lutter, mais hélas! tout le monde sait ce que vaut un serment d’ivrogne.

Le nerf moteur de la vie, la volonté, est incurablement malade. Le buveur se relève bien rarement ainsi. Des sociétés de tempérance se sont fondées pour le guérir par la simple persuasion; elles ont fait beaucoup de propagande et leurs efforts n’ont certainement pas été vains sous certains rapports, mais je n’ai jamais entendu dire qu'elles aient relevé un seul ivrogne.


Je le répète, un ivrogne peut se relever. Des buveurs bien authentiques, relevés d'une façon définitive existent en grand nombre.

Les sociétés de la Croix-Bleue dont la fondation ne remonte qu’à une quinzaine d’années seulement, en comptent dans leur sein actuellement 3.500. Celui qui a bu peut ne plus boire.

J'en connais beaucoup de ces anciens ivrognes et quand je les interroge sur leur guérison, ils me répondent tous:

«J'ai signé un engagement d'abstinence totale et, AVEC L’AIDE DE DIEU, JE L'AI TENU».

Ces quelques mots: «AVEC L'AIDE DE DIEU», qui ressemblent de prime abord à une banalité empruntée au patois de Canaan, renferment une profonde vérité qui explique tout.


Il faut, pour qu'un buveur se relève, l'aide de Dieu.


Tous ceux qui n’implorent pas ce secours retombent tôt ou tard; l’expérience l’a démontré. Et cela se conçoit: si la volonté de l'ivrogne est affaiblie, si son cœur est désespéré, il faut que cette volonté soit refaite et que ce cœur soit repris d’espérance. DIEU SEUL PEUT OPÉRER CE CHANGEMENT.

Un homme a, dans une certaine mesure, la puissance d'agir sur la volonté et les sentiments d’un autre homme. On se ressent toujours de l'influence des personnes que l'on fréquente. Cette puissance se manifeste surtout dans les phénomènes d’hypnotisme. Certaines expériences de fascination ont autrefois passionné le public. Il a été démontré qu’on pouvait, dans quelques circonstances particulières, modifier la volonté d'un homme et lui inspirer même des sentiments qui ne lui étaient pas naturels.

Néanmoins, cette puissance est assez limitée. Mais si elle pouvait s'exercer entièrement et qu'un père honnête et bon eût un fils perverti, ce père n'agirait-il pas sur la volonté et le cœur de ce fils pour les transformer et leur inspirer le bien, surtout si ce fils venait l'en supplier?

Ne prendrait-il pas, si cela lui était possible, de son propre esprit pour l’infuser dans l'esprit de son fils?

Et Dieu, créateur de toutes choses, ne pourrait-il pas faire cela?

Ne pourrait-il pas prendre de son Esprit, de ce souffle qui a donné la vie au premier homme et que celui-ci a perverti par un mauvais usage de sa liberté, et lui en infuser une nouvelle mesure pour en faire un homme nouveau, un homme renouvelé dans son esprit, sa volonté et son cœur?


OUI, DIEU PEUT FAIRE CELA!


C'est ce qu’il a fait dans tous les siècles pour ceux qui ont crié à lui, sentant leur misère, et ils ont été rendus capables, eux, créatures corrompues et faibles, d'aimer le bien et de supporter toutes sortes d'épreuves ce est-ce qu’il a fait particulièrement pour ces milliers d’anciens buveurs qui sont là aujourd'hui comme le témoignage vivant de la puissance et de l’amour de Dieu.


Il faut, pour relever un ivrogne, la puissance de l'Esprit de Dieu, autrement dit du Saint-Esprit.

Il n'est pas nécessaire pour avoir part à l'influence de cet Esprit, de s'embarrasser dans le brouillard théologique, dont on l'a enveloppé pour en démontrer la nature et le mode d'action.

Il s’agit seulement de prendre le fait tel qu'il est dans sa merveilleuse simplicité, et d'implorer ce secours avec un cœur qui, sentant sa faiblesse, désire en être ardemment délivré.

Voilà comment se relève un ivrogne, comment se relève tout pécheur. L’expérience et le bon sens sont d’accord pour démontrer la réalité de cette action divine. Disons cela à tous ces malheureux et tendons-leur la main.

Albin Lafont.

La pioche et la truelle N° 36 (1891?)


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