LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UNE LARME DE JÉSUS

C’est dans un petit village perdu du Pas-de-Calais, à A..., que se trouve cette précieuse relique offerte à l’adoration des fidèles. Cette larme, qui a traversé 18 siècles sans tarir, est actuellement déposée dans un lacrymatoire, sorte de petite urne de la forme et de la grosseur d'un dé à jouer, le tout enfermé dans une châsse en verre d’une exécution merveilleuse.

D’après une version malheureusement incomplète qui nous a été donnée, cette larme, tombée du haut de la croix sur un linge que portait la mère de Jésus, fut miraculeusement conservée jusqu’au jour où des Croisés la recueillirent et la transportèrent en France pour devenir enfin, on ne sait trop comment, l’égide de la commune d’A...

L’authenticité de cette larme divine, son odyssée sont naturellement sujettes à caution et, pour dire franchement notre pensée, nous la plaçons volontiers dans la catégorie des morceaux de la vraie croix, des épines, des clous, des manteaux et autres reliques, toutes d’une origine plus que problématique.

CETTE IDOLÂTRIE GROSSIÈRE constitue évidemment un véritable anachronisme puisqu'elle nous reporte aux plus beaux jours du Paganisme antique; de plus, il nous serait bien difficile de découvrir, dans ce culte matériel, la moindre affinité avec le Culte en esprit et en vérité, le seul qui soit agréé par Dieu.

Par contre, il est facile de railler la crédulité des fidèles adorateurs de la sainte larme, la partie est vraiment trop belle, mais c'est une arme inutile et dangereuse que la charité n’emploie jamais.

À quoi bon blesser des âmes dont la sincérité et la bonne foi ne sont pas douteuses?

Si la vérité doit être dite, elle est assez forte par elle-même sans qu’il soit nécessaire de l'étayer par l'ironie mordante dont les effets désastreux sont parfois irréparables.

Ni la raillerie, ni la controverse systématique ne convaincront les âmes faibles et timorées.

LE MEILLEUR ANTIDOTE SERA TOUJOURS

LA PRÉDICATION PURE ET SIMPLE DE LA BONNE NOUVELLE DU SALUT.

C'est ainsi que l’a compris notre compagnon d'œuvre, M. Rafinesque, qui, depuis notre dernière visite en commun, a planté dans la commune d'A... le glorieux drapeau de l'Évangile.

À ces mêmes âmes se prosternant devant la soi-disant larme divine, nous montrons le Christ versant des larmes de sympathie, de compassion, de souffrance; pleurant avec nous et pour nous, vivant dans le ciel et dans nos cœurs en attendant le jour béni qui nous introduira dans les demeures éternelles où «Dieu essuiera toute larme de nos yeux».

C. Vautrin.

La pioche et la truelle N° 36 (1891?)