Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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ÉTERNITÉ


Des gens gais se trouvaient réunis. On s’ingéniait à découvrir avec quoi tuer le temps; résolvons des énigmes, dit l'un; et tout le monde fut d’accord. Chacun avança la sienne. Il y en avait de subtiles, beaucoup étaient banales.

Un vieillard fut amené là par occasion. Son tour vint de piquer la curiosité et d’aiguillonner le savoir de la jeune compagnie.

Quel est, dit-il, le mot le plus long?

Les réponses sont multiples, mais aucune n’est juste.

Amis, fit-il, le mot le plus long, c’est ÉTERNITÉ.


Et maintenant, pourriez-vous me dire quel est le mot le plus court?

Chacun de dire sa pensée. Pour mettre fin à tout bavardage, il reprit:

Le mot le plus court, c’est MAINTENANT, car maintenant ne dure qu’une seconde.


Pensons-y, amis, c’est maintenant — moment rapide comme l’éclair — qu’il faut nous préparer pour l'éternité.


* * *


Un jour, un jeune homme fut enfermé par mégarde dans un caveau de cimetière. On venait d’y descendre la dépouille mortelle d’un membre de sa famille, et il y était tombé évanoui. Quand il revint à lui, il était seul et dans l’obscurité.

Le jeune homme acquit alors l’effrayante certitude qu’il avait été oublié dans le souterrain et enfermé avec le cadavre. Il se lève, tâtonne, mais ne rencontre que des murs humides. Il finit cependant par retrouver la porte; mais aucune lueur n’apparaît. Il croit que la nuit est venue. Découragé, il s’assied sur une marche et réfiéchit.

Voilà déjà de longues heures que je suis ici; pourrai-je jamais en sortir?... J’ai faim. La nuit doit être passée... On n’entend rien... Enfermé avec les morts !... Il faut que je sorte... Si je frappais à la porte!

Il frappa des pieds et des mains jusqu’à se fatiguer; mais l’épaisse porte ne rendait qu’un son sourd, personne ne vint.

J’ai un petit couteau, s’écria-t-il soudain. Si j’essayais de percer celte porte.

Il le tira de sa poche, et se mit à l'oeuvre avec une ardeur fébrile; mais les trois petites lames se brisèrent l’une après l’autre contre le chêne et le fer réunis.

Que faire maintenant?

Il lui semble que l’obscurité devient plus profonde, et le désespoir commence à le gagner. Il croit de nouveau avoir faim; car dans sa pensée, il y a bien vingt-quatre heures que la porte s’est fermée sur lui.

Le sang coule de ses doigts meurtris, et la sueur inonde son visage. La fatigue et l’abattement l’accablent; mais il lutte contre le sommeil et s’agite pour ne pas dormir de peur de ne plus s’éveiller. Sa raison se trouble. Cependant, il croit entendre des pas au dehors; mais ses oreilles bourdonnent et il ne distingue pas les sons. Il lui semble que l’on introduit une clef dans la serrure, mais sa tête et sa poitrine se serrent davantage. Enfin la porte s’ouvre, et il tombe évanoui dans les bras de son père.

Pendant toute sa vie, ses traits et son caractère se ressentirent de ces pénibles émotions. Mais savez-vous combien de temps il était resté enfermé dans le caveau?

Non pas vingt ou trente heures, comme il le croyait, mais une heure dix-sept minutes.


Ô éternité, comme tu seras longue!


* * *


Je m’entretenais un jour avec un Alsacien distingué, dont la mère avait été très pieuse. Dieu l’avait rappelée auprès de lui depuis quelque temps, mais le souvenir de cette mère restait gravé dans l’esprit du fils, le seul de la famille encore inconverti. Cependant, il me parlait du bonheur, de la sérénité et de la joie chrétienne de sa mère comme s’il avait regretté de ne pas les posséder lui-même.

La piété de cette sainte femme, ses exhortations, ses prières, ses larmes, sa mort triomphante, tout cela se représentait à lui et le rendait sérieux et pensif.

Tenez, me dit-il, ce qui surtout me fait frémir de temps à autre, c’est la pensée de l’éternité. Il y a un cantique, parmi ceux que ma vénérée mère chantait, que je ne puis jamais entendre ou me rappeler sans être comme saisi d'effroi. C’est:

Ô Ewigkeit, du Donnerword

Ô Eternité, parole de tonnerre!

Ce mot qui trouble encore son repos et empoisonne ses jours, finira-t-il par l’amener à la repentance?


Et toi, lecteur, toi-même,

OÙ PASSERAS-TU L’ÉTERNITÉ?

M. Meyer.

La pioche et la truelle N° 37 (1891?)


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