Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'HISTOIRE DE JOSEPH

Nul récit de l'Ecriture ne trouve plus de confirmations données par l'archéologie que celui de la vie de Joseph. Les arguments que la critique rationaliste faisait valoir autrefois pour attaquer l'authenticité de ces admirables pages, ont été, les uns après les autres, contredits par les découvertes. Mais ce n'est pas seulement la véracité du récit dans son ensemble que l'égyptologie a mise en lumière ; c'est aussi son évidente unité et l'extraordinaire précision, l'extraordinaire exactitude de tous ses détails.

Voici ce qu'écrit à ce propos le célèbre égyptologue Edouard Naville, l'une des gloires de l'archéologie moderne, l'homme qui a peut-être le plus contribué à faire connaître l'Egypte des Pharaons : « Plus on lit l'histoire de Joseph et mieux on se rend compte qu'elle a dû être écrite par quelqu'un qui connaissait très bien l'Egypte, qui avait été témoin de ses coutumes, et qui avait eu aussi des relations avec les officiers de la cour et avec le roi lui-même. Peu de parties de la Genèse montrent d'une manière plus frappante l'étrangeté de la théorie critique. Tout le récit est d'une remarquable unité. Il n'y a pas de répétitions superflues chaque partie suit la précédente, tout à fait logiquement le ton général est le même. Malgré cela, on nous dit qu'il ne faut pas attribuer toute cette histoire à un seul écrivain, mais à quatre auteurs qui vivaient en différents endroits de la Palestine et à plusieurs siècles d'intervalle (1). » « Si nous étudions les détails de l'histoire de Joseph, nous serons frappés par la couleur locale et convaincus qu'elle fut écrite dans le pays même où l'auteur avait sous les yeux quelques-unes des coutumes qu'il décrit, et à une époque où il entendait encore prononcer quelques-uns des noms dont il parle. » « Lorsque l'histoire de Joseph fut écrite, la tradition était très vivante parmi les Hébreux; ils savaient qu'ils étaient redevables à Joseph de leur arrivée en Egypte, de leur établissement dans le pays de Gosen et de leur situation actuelle. Son corps avait été conservé, embaumé, dans un cercueil. Ainsi ils savaient certainement qui il était, et à quelle cause était due son élévation merveilleuse. Son histoire présentait pour eux un intérêt tout spécial, je devrais même dire vital. » « Les noms égyptiens mentionnés dans le récit indiquent aussi un auteur écrivant en Egypte, possédant une connaissance parfaite des Egyptiens comme des Hébreux, telle qu'on pouvait la supposer dans le cas de Moïse (2). »

M. Edouard Naville pense que Moïse a eu à sa disposition, pour rédiger la partie de la Genèse qui a trait à Joseph, une vie de Joseph qui aurait été composée du temps du fils de Jacob et sous ses ordres. Cette supposition est fort plausible. Citons, à ce propos, M. Emile Doumergue: « Remarquons qu'en écrivant, ou plus probablement en faisant écrire sa biographie par l'un des nombreux scribes qu'il avait à sa disposition, Joseph imitait, au moins en une certaine mesure, les usages des grands personnages égyptiens. Ceux-ci se faisaient bâtir un tombeau, et sur les murs de ce tombeau, ils faisaient graver une inscription plus ou moins longue disant leur vie, et surtout les faveurs dont ils avaient été l'objet de la part du souverain. Pas très longtemps après la mort de Joseph, Ahmès le nautonier, qui vivait sous le règne du roi de même nom, a laissé sur les murs de son tombeau des inscriptions qui sont de véritables mémoires (3). »

Le caractère égyptien du récit de Moïse relativement à Joseph a été aussi pleinement reconnu par l'archéologue Sayce: « Il n'y a rien dans le témoignage des monuments qui puisse provoquer le moindre doute sur la crédibilité de la narration biblique. Bien au contraire, le tableau que la Bible nous donne s'accorde admirablement dans ses traits généraux mais aussi dans ses détails, avec le tableau présenté par les monuments. L'histoire de Joseph est essentiellement égyptienne de coloris et en pleine conformité avec l'archéologie égyptienne... En même temps cet élément égyptien est revêtu d'un caractère manifestement hébraïque. Non seulement le langage est hébraïque, mais les idées et le point de vue qui inspirent le récit sont hébraïques aussi. La scène égyptienne qui nous est ici décrite est contemplée par des yeux d'Hébreu (4). »

L'abbé Vigouroux a su exprimer avec force la valeur historique de notre récit - « En Egypte nous ne rencontrerons aucune preuve directe des faits racontés par Moïse dans son histoire de Joseph, mais les preuves indirectes y abondent et ont de quoi satisfaire les plus difficiles. Il n'y a pas un détail de sa biographie qui ne soit confirmé par les monuments et les documents indigènes: tout y est exact, on peut dire, jusqu'à la minutie, et la narration ne peut avoir été racontée, par conséquent, que sur les lieux, à une époque peu éloignée des événements. Un écrivain israélite, qui aurait écrit longtemps après la sortie d'Egypte, et sans y avoir vécu, n'aurait jamais pu réussir à parler avec cette exactitude irréprochable, et n'aurait pas donné à ses tableaux une telle couleur locale, à une époque où il était impossible d'acquérir ces connaissances autrement que dans le milieu même où elles étaient, pour ainsi dire, vivantes. La couleur égyptienne de l'histoire de Joseph est, si frappante, que ceux mêmes qui nient l'authenticité du récit sont obligés de la reconnaître. « La peinture des moeurs égyptiennes par cet écrivain est généralement très exacte, dit le critique Ewald, » Tous les exégètes et historiens libres penseurs sont contraints de faire le même aveu (5). »

Nous allons maintenant rapidement passer en revue les traits du récit sur lesquels l'archéologie est venue projeter une éclatante lumière. Il est impossible de ne pas être impressionné par leur nombre et leur précision. Nous suivrons l'ordre même de la narration biblique:

1° « Jacob fit à Joseph une tunique de plusieurs couleurs. » (XXXVII, 1). Nous savons que les Sémites avaient et ont encore une prédilection marquée pour les vêtements bigarrés. Ils aimaient à les porter à l'occasion de certaines cérémonies ou comme un signe de prééminence. « On fait encore la même chose en Orient pour les enfants préférés. Des étoffes pourpres, écarlates et autres sont souvent cousues ensemble avec beaucoup. de goût. Quelquefois les enfants des Musulmans ont des vestes brodées d'or et de soie de diverses couleurs (6). »

Cet usage existait avant l'époque de Joseph. On voit sur les murs de la tombe de Hassein une peinture représentant l'arrivée en Egypte de chefs amorrites sous Aménophis II ; ces ambassadeurs apparaissent en habits de plusieurs couleurs, signe de puissance.

Cette signification de la robe bigarrée explique l'intensité de la jalousie des frères de Joseph. Ils voyaient en elle comme un symbole de l'autorité spéciale accordée par Jacob au fils de Rachel.

2°« Joseph alla après ses frères, et il les trouva à Dothan... Ruben dit : Jetez-les dans cette citerne qui est au désert. » (XXXVII, 17 et 22). On a pu identifier Dothan, qui se trouve au-delà de Djenin, située dans le défilé par lequel passe, au sortir de la plaine d'Esdrelon, la route de Damas en Egypte. C'était un excellent pâturage, d'une admirable fertilité. Les puits y étaient nombreux. Voici ce que dit de cette contrée l'explorateur Anderson : « Les nombreuses citernes taillées dans le roc, qu'on trouve partout à Dothan, devaient fournir (aux frères de Joseph) une fosse commode, pour l'y descendre, et comme ces citernes ont la forme d'une bouteille, avec un orifice étroit, il était impossible, à celui qui y était emprisonné, d'en sortir à moins qu'on ne lui portât secours (7). » L'une des citernes actuelles est encore appelée par les indigènes : « Khan Jubb Yûsuf » ou « Khan de la fosse de Joseph ». En été, un grand nombre de puits de la Palestine sont à sec.

3° « Ayant levé les yeux, ils virent une caravane d'Ismaélites venant de Galaad ; leurs chameaux étaient chargés d'aromates, de baume et de myrrhe, qu'ils transportaient en Egypte. » (XXXVII, 25). Ces Ismaélites sont appelés aussi au chapitre XXVII (25, 28, 36) des « marchands madianites ». Il n'y a là aucune contradiction: Les Madianites habitaient le territoire occupé par les descendants d'Ismaël. Tous les détails qui se rapportent à ces marchands et à leur caravane sont rigoureusement exacts. Ce tableau si pittoresque, si vivant est en pleine harmonie avec tout ce que nous savons de ces caravanes de commerçants qui allaient sans cesse de Palestine, et spécialement de Galaad, en Egypte. Ces voyageurs portaient, en effet, diverses marchandises fort appréciées en Egypte, notamment des aromates. On retrouve dans les inscriptions égyptiennes des allusions au « nek'ot », au « sôri » et au « lot » mentionnés dans notre verset. Le « nek'ot » désignait la résine qui découle du tragacanthe, arbre qui croît sur le Liban, en Perse et en Arménie. Le « sôri » est le baume, résine d'un arbre qui était alors très répandu en Palestine. Le « lot » (en arabe « ladan ») est la gomme qui découle des branches du ladanum, d'où vient le nom de « laudanum ». Les trois espèces de parfums que les Madianites transportaient en Egypte sont encore un objet de commerce entre l'Orient et l'Egypte.

« Il est certain, écrit l'égyptologue Ebers, que la civilisation égyptienne, telle qu'elle nous est connue par les monuments pharaoniques, ne pouvait se passer d'une multitude d'objets qu'il ne lui était possible de tirer que de l'Orient. De ce nombre sont les substances résineuses et les aromates qui étaient indispensables pour la momification des cadavres ; le bois de cèdre, que nous voyons sous le nom de « as », employé à toutes sortes d'usages et spécialement à la construction des barques ; le bitume, et enfin l'encens et les parfums, nécessaires dès les temps les plus reculés, non seulement pour le culte mais aussi dans la vie privée, où l'on s'en servait avec raison dans les maladies contagieuses, en brûlant, pour purifier l'air, des bois odorants apportés de la Palestine orientale et de l'Arabie. C'est ce qu'attestent des milliers de passages des inscriptions. >

Les marchands qui faisaient le trafic de Palestine en Egypte n'hésitaient pas, quand ils le pouvaient, à acheter des esclaves qu'ils revendaient ensuite à un bon prix en Egypte, où les esclaves sémites étaient fort appréciés.

4° « Potiphar, officier de Pharaon, chef des gardes, Egyptien, l'acheta des Ismaélites qui l'y avaient fait descendre. » (XXXIX, 1). Le nom de Potiphar était commun en Egypte. Il s'écrit en égyptien « P.hotep.Har », c'est-à-dire le don ou l'offrande d'Horus. Il ne faut pas le confondre avec le nom de « Poti-phera », nom du prêtre d'On (ou Héliopolis) qui donna sa fille Asnath à Joseph. Potiphera s'écrit en égyptien « P.hotep.Ra », le don ou l'offrande de Ra (XLI, 50).

L'homme qui acheta Joseph était « officier de Pharaon ». Il est remarquable de constater que cette expression « Pharaon », qui désigne, dans le Pentateuque, les divers rois d'Egypte, n'est jamais accompagnée de l'indication du nom propre. Il y a là une manifestation frappante, du peu d'intérêt que l'écrivain sacré porte à l'histoire égyptienne proprement dite. Il se place exclusivement au point de vue israélite et ne fait allusion à l'Egypte que dans la mesure où Israël est en rapport étroit avec ce pays. Ce détachement des choses égyptiennes donne encore plus de valeur à la rigoureuse exactitude des informations égyptiennes dans le Pentateuque. L'auteur ne cherche pas à raconter l'histoire de l'Egypte, mais comme il est toujours poussé par l'Esprit de vérité, tout ce qu'il dit de ce pays est rigoureusement exact.

Potiphar était c chef des gardes ». « Les dignités étaient très multipliées à la cour des rois d'Egypte, et les Hyksos, qui l'avaient envahie et la gouvernaient à l'époque où nous sommes, avaient adopté les usages et l'étiquette des anciens monarques indigènes. Les peintures et les bas-reliefs nous montrent toujours le Pharaon entouré d'une multitude d'officiers, portant le flabellum et toute espèce d'insignes ou d'ornements (8). » Il est difficile de définir exactement l'emploi de Potiphar. Etait-il simplement chef des gardes du palais ou, comme certains le pensent, comme le traduit la Vulgate, le chef de l'armée (princeps exercitus) ? Il est certain, du moins, qu'il occupait un poste très important et qu'il était très riche et très puissant.

Potiphar était « Egyptien ». Cette désignation est d'une grande valeur. Elle montre tout d'abord que l'écrivain n'est pas un Egyptien et qu'il n'écrit pas pour des Egyptiens. Un autre indigène n'aurait pas relevé ce fait que Potiphar était « Egyptien » car cette désignation évoquait l'une des plus grandes humiliations de l'Egypte : la présence, sur le trône, d'un roi qui n'était pas Egyptien et, à la cour, de fonctionnaires qui étaient aussi d'origine étrangère. De plus cette mention explique que ces fonctionnaires étrangers étaient très nombreux, et formaient peut-être la majorité.

Pendant de longues années, les critiques ont souri de cette indication relative à Potiphar, prétendant qu'elle était absurde et certainement inauthentique.

Mais les découvertes de l'archéologie ont montré toute sa valeur en révélant ce fait, ignoré jusque là, que l'Egypte avait été envahie par des Sémites, bergers nomades venus du désert d'Arabie et qui avaient réussi à régner sur le pays pendant au moins trois siècles. On appelle leurs rois Hyksos, c'est-à-dire rois bergers. Ces rois avaient eu la sagesse de se conformer le plus possible aux habitudes des vaincus, et ils avaient avec eux, comme ministres et officiers, un certain nombre d'Egyptiens de race. Mais ils n'avaient jamais oublié leur origine et recherchaient sans doute de préférence la collaboration d'hommes étrangers comme eux. Ainsi s'explique cette remarque étrange au premier abord, que Potiphar était « Egyptien ».

5° « Potiphar établit Joseph sur sa maison, et lui confia tout ce qu'il possédait » (XXXIX, 4). Ce détail est aussi confirmé par ce que nous savons des habitudes égyptiennes. Les familles riches avaient toutes un esclave intendant, chargé de diriger tous les autres esclaves. L'intendant joue un grand rôle dans la maison égyptienne. On le voit souvent représenté sur les bas-reliefs ou peintures murales. Sa puissance et ses responsabilités étaient souvent très étendues. Joseph lui-même, en possession de sa gloire, établit un intendant sur ses biens comme l'indiquent deux passages de la Genèse : XLIII, 16, 19 et XLIV, 1, 4.

6° « Il arriva que la femme de son maître porta les yeux sur Joseph. » (XXXIX, 7). Les rationalistes ont souvent prétendu que tout ce récit était invraisemblable. « Le narrateur, dit Tuch, donne une idée fausse des grands Egyptiens. Dans leurs maisons, les femmes ont des appartements séparés. » Ici encore, l'archéologie a justifié le texte sacré. La femme égyptienne, surtout celle de l'aristocratie, jouissait d'une réelle liberté et même d'une sorte de prééminence. Cette liberté n'allait pas sans dangers et nous avons des preuves nombreuses de la dissolution de plusieurs femmes de la haute société. Au reste, on a découvert au cours du siècle passé un manuscrit sur papyrus qui contient 19 pages de texte et auquel on a donné le titre de « Roman des deux frères ». Ce roman a été composé vers le XVe siècle avant Jésus-Christ sous le règne de Ménephtah, fils de Ramsès II, le Sésostris des Grecs.

C'est l'histoire de deux frères dont le plus jeune est tenté au mal par sa belle-soeur. A la suite d'aventures fort étranges, l'innocence de l'accusé est reconnue. L'intérêt de ce récit réside dans le fait qu'il met en pleine lumière la vraisemblance du récit biblique. Mais c'est bien en vain qu'on a essayé de présenter la page Mosaïque comme une sorte d'imitation du document païen. Ainsi que le dit M. Edouard Naville « le Roman des deux frères est essentiellement différent de l'histoire de Joseph. Les hommes, dans ce récit, se meuvent dans une toute autre sphère. Le merveilleux, l'un des traits caractéristiques du conte égyptien, est totalement absent du récit de la Genèse, alors qu'il remplit l'autre en entier ; je ne puis donc voir aucun rapport entre les deux. D'ailleurs, l'épisode lui-même, par sa nature, peut si facilement survenir, surtout chez les Orientaux, que je ne vois pas de raison pour que deux récits, écrits dans deux langues différentes et se rapportant à des gens de nation différentes, ne puissent contenir tous deux un incident analogue, sans être pour cela de même origine » (9).

7° « Nous avons eu un songe et il n'y a personne pour l'expliquer. » (XL, 8). L'antiquité a toujours fait une grande place aux songes, mais, à cet égard, l'Egypte est sans rivale. L'astrologie, la divination fleurissait dans la vallée du Nil. La « Stèle du songe », découverte à Napata, nous montre le pharaon Nouat Maïamoun ayant un songe. Il voit deux serpents, l'un à sa gauche l'autre à sa droite.

« Qu'on m'explique cela sur-le-champ », dit-il, exactement comme le Pharaon de Joseph. Il y a aussi un récit de songe dans l'inscription de la Stèle de Ramsès XII, à la Bibliothèque nationale de Paris. Le prince de Bachtan, en Asie, apprend, par un songe, qu'il doit renvoyer, en Egypte, un dieu qui a guéri sa fille (10).

8° « Pharaon fut irrité contre ses deux officiers, le chef des échansons et le chef des panetiers. » (XL, 2). Le grand échanson et le grand panetier occupaient des situations considérables à la cour du roi. Leurs songes s'harmonisent admirablement avec leurs fonctions. Tous les traits de ces songes, tels que le récit biblique nous les rapporte, sont confirmés par les peintures ou sculptures que les familles ont révélées.

On a prétendu bien à tort que les Egyptiens ignoraient le vin et que le récit relatif à l'échanson était sans valeur. il est vrai qu'Hérodote dit, dans son histoire, « qu'il n'y avait pas de vignes en Egypte ». Mais Hérodote se contredit en parlant à plusieurs reprises de l'usage du vin en Egypte. Diodore, Strabon, Pline, Athénée, Horace, Plutarque font tous allusion à la culture de la vigne en Egypte. Ainsi tombe une autre accusation d'inexactitude portée contre la Genèse. Au reste les papyrus égyptiens et les inscriptions des monuments décrivent souvent l'emploi du vin, la manière de le préparer et de l'offrir soit aux rois, soit aux dieux. M. Edouard Naville a publié en 1870 les textes du Temple d'Edfou qui contiennent une planche (XX) confirmant le seul détail qui n'ait pas encore été identifié par les monuments. Dans son songe, l'échanson « avait la coupe de Pharaon dans les mains ; il prit les raisins et les pressa dans la coupe de Pharaon et mit la coupe dans la main de Pharaon ». (Genèse XI, 11). Or la planche XX des textes d'Edfou représente une scène absolument identique avec cette inscription : « On a exprimé des raisins dans l'eau; le roi le boit. » Sur la planche XXIII on retrouve une phrase du même genre: « Tu exprimes des raisins dans l'eau, et, quand ils paraissent, tu en es joyeux. »

Le songe du grand panetier est aussi tout à fait égyptien. La scène décrite par le panetier est aussi reproduite sur les bas-reliefs. Le Musée du Louvre possède des corbeilles identiques à celles dont il est ici question.

9° « Au bout de deux ans, Pharaon eut un songe. » (XLI, 1). Le songe qui nous est ici rapporté est nettement égyptien, jusque dans les moindres détails. Tout d'abord, l'expression « le fleuve ». (En hébreu: yé or; en égyptien : aur). Ce terme est employé 66 fois dans l'Ancien Testament et, chaque fois, sauf pour Daniel XII, 5-7, il désigne exclusivement les eaux d'Egypte. Les Egyptiens aimaient à appeler le Nil « le fleuve », le fleuve par excellence. Ils vouaient un culte au Nil qu'ils considéraient comme une divinité fertile, source de vie. Les Egyptiens ont toujours compris que leur pays était « un don du Nil ». M. Maspéro a traduit un magnifique « Hymne au Nil » qui fait partie du papyrus Sallier et qui exprime avec beaucoup de poésie tous les bienfaits du grand fleuve.

La vache, mentionnée dans le songe, était vénérée parmi les Egyptiens. « Les Egyptiens, dit Plutarque, considèrent la vache comme l'image d'Isis et de la terre (11). » Le chiffre sept indiqué pour le nombre de vaches et d'épis avait une valeur sacrée aux yeux des Egyptiens. Il apparaît souvent dans les documents, dans les rituels. M. de Rougé écrit dans ses « Etudes sur le rituel funéraire des Anciens Egyptiens » : « Les sept vaches du songe de Joseph sont un singulier trait de couleur locale qui a rapport au mythe de ce chapitre. » L'égyptologue Hengstenberg dit avec raison : « Il n'est pas croyable qu'un étranger eût pu imaginer et inventer des détails si intimement liés à la symbolique égyptienne. »

Notons aussi l'emploi dans le texte hébreu d'un mot manifestement égyptien: « Akhu » que nos versions traduisent par « prairie ». Les Hébreux avaient cinq mots pour exprimer l'idée de prairie ; mais ici l'auteur se sert du mot égyptien puisqu'il s'agit du songe d'un Egyptien. Nulle part ailleurs dans la Bible, sauf dans le livre de Job, ce mot « akhu » ne se trouve. Il désigne spécialement les gras pâturages des terrains marécageux qui avoisinent le Nil et les canaux.

10° « Le matin, Pharaon eut l'esprit agité, et il fit appeler tous les magiciens et tous les sages de l'Égypte. Il leur raconta ses songes. Mais personne ne put les expliquer 4 Pharaon. » (XI, 8).

Nous avons ici deux catégories de personnages dont le rôle était prépondérant en Egypte: les « magiciens » ou interprètes de songes et les « sages » c'est-à-dire les savants, ceux qui pratiquaient « la science divine ». M. F. Vigouroux écrit à ce sujet : « Les « interprètes des songes » et les « sages » étaient toujours sous la main du roi, comme ses conseillers attitrés. Leurs plus célèbres collèges étaient à Thèbes, à Memphis et à Héliopolis. Ils ne parlaient point d'eux-mêmes et comme d'inspiration, mais, pour donner leurs réponses, ils consultaient leurs livres sacrés. C'est par là que la manière dont Joseph explique les songes, par révélation d'en-haut, diffère complètement, même aux yeux des Egyptiens, de la manière ordinaire de connaître l'avenir, quelque mystérieuse qu'elle fût pour les non initiés (12). »

11° « Pharaon fit appeler Joseph. On le fit sortir en hâte de prison. Il se rasa, changea de vêtements et se rendit vers Pharaon. » (XL, 14). Nul ne pouvait paraître devant le roi sans être pur, c'est-à-dire rasé. Les prêtres se rasaient la tête aussi bien que la barbe. « Négliger, dit Wilkinson, cette partie essentielle de l'étiquette (se raser), eût été un sujet de blâme et de ridicule. Quand l'artiste voulait représenter quelqu'un de basse condition ou de moeurs déréglées, il le figurait avec une barbe... Les étrangers, dès qu'ils entraient au service de ce peuple civilisé, étaient forcés de se soumettre aux règles de purification de leurs maîtres, de faire couper leur barbe et leur chevelure et de porter une étroite coiffure (13). »

En ce qui concerne les vêtements de rigueur pour se présenter devant le roi, nous savons que les prêtres réglaient tous les détails avec beaucoup de minutie et d'autorité. Le roi lui-même devait se conformer à leurs règles.

12° « Pharaon dit à Joseph: « Je t'établis sur ma maison et tout mon peuple obéira à tes ordres. Le trône seul « m'élèvera au-dessus de toi. » (XL, 40). L'histoire égyptienne nous offre plusieurs exemples d'élévation soudaine à de grands honneurs; mais aucune qui se puisse comparer à celle de Joseph qui d'esclave devint vice-roi. L'intérêt de certaines inscriptions, entre autres celle d'Ahmès, chef des marins, réside dans le fait que les souverains égyptiens aimaient à récompenser largement certains exploits.

Le service rendu par Joseph dépassait tout autre. « Pharaon dit à ses serviteurs: Trouverions-nous un homme comme celui-ci ayant en lui l'esprit de Dieu ? Et Pharaon dit à Joseph : Puisque Dieu t'a fait connaître toutes ces choses, il n'y a personne qui soit aussi intelligent et aussi sage que toi. » (XLI, 38-39). Pharaon comprend tout le service que Joseph peut lui rendre pour sauver le pays de la famine imminente.

Cependant, il est nécessaire d'ajouter que les circonstances étaient particulièrement propices à la gloire rapide et inouïe du fils de Jacob.

Nous avons déjà fait allusion au fait que depuis de longues années l'Egypte était gouvernée par des rois d'origine étrangère, sémites, qui avaient bien des raisons de recevoir favorablement et de faire prospérer un homme tel que Joseph, lui aussi étranger et sémite.

Nous ne pouvons mieux faire que de citer à ce propos le grand égyptologue français, M. Maspéro: « Les Hyksos se laissèrent apprivoiser assez rapidement... Leurs rois trouvèrent bientôt qu'il y avait plus de profit à exploiter le pays qu'à le piller, et, comme aucun des envahisseurs n'aurait pu se reconnaître au milieu des complications du fisc, il fallut employer des scribes égyptiens au service du Trésor et de l'administration. Une fois admis à l'école de l'Egypte, les barbares entrèrent rapidement dans la vie civilisée. La cour du Pharaon reparut autour des rois pasteurs avec toute sa pompe et tout son cortège de fonctionnaires grands et petits : le protocole des Chéops et des Amenemhat fut adapté aux noms étrangers d'Iannès et de Apapi... Si, du temps des Pharaons, les peuples de Syrie étaient accourus en foule sur cette terre d'Egypte qui les traitait en sujets, peut-être en esclaves, ce mouvement d'immigration dut être plus considérable encore du temps des rois-pasteurs. Les nouveaux venus (les Israélites) trouvaient, en effet, sur les bords du Nil, des hommes de même race qu'eux, tournés en Egyptiens, il est vrai, mais non pas au point d'avoir perdu tout souvenir de leur langue et de leur origine. Ils furent reçus avec d'autant plus d'empressement que les conquérants sentaient le besoin de se fortifier au milieu d'une population hostile (14). »

Il est certain que la présence sur le trône d'Egypte de ces rois-pasteurs fut une circonstance très favorable, non seulement pour l'extraordinaire fortune de Joseph, mais pour l'installation et la prospérité de toute la maison de Jacob en terre égyptienne.

13° « Pharaon ôta son anneau et le mit à la main de Joseph ; il le revêtit d'habits de fin lin et lui mit un collier d'or au cou. Il le fit monter sur le char qui suivait le sien, et l'on cria devant lui: Abrêk. » (XLI, 42-43). Tous ces détails sont conformes aux coutumes égyptiennes de ce temps-là. Tous les Egyptiens de haut rang avaient un anneau. Le Musée du Louvre en possède un grand nombre. Ils portaient le sceau de leur possesseur. Les vêtements de fin lin étaient obligatoires pour les prêtres ; on se servait de fin lin pour envelopper les momies ; c'est le fin lin que Moïse employa pour le culte du tabernacle. Quant au collier, il était aussi un signe de puissance et de richesse.

A qui fera-t-on croire que ces précisions remarquables ont été inventées bien des siècles après Moïse par des scribes de Judée qui n'avaient aucun moyen de connaître l'Egypte du temps de Joseph ?

Le Musée du Louvre possède une stèle qui est comme un tableau de la scène ici racontée. Elle nous montre Ramsès II remettant un collier d'honneur à un haut dignitaire qui lève les bras en signe de joie. Ce collier est à plusieurs rangs, comme l'était peut-être celui de Joseph.

Le mot « Abrêk » ou « Abrok » qui exprime le cri du peuple au passage de Joseph, a fortement intrigué les commentateurs. M. Sayce y voit le mot sumérien « Abrik » qui signifierait « le voyant » (seer) ; d'autres y voient un mot égyptien qui signifierait « inclinez la tête » ou « fléchissez le genou » ou « la gauche pour toi ». Nous ne nous trompons pas en disant que cette expression désigne une attitude respectueuse que les passants devaient avoir lorsqu'un dignitaire important apparaissait. C'était sans doute le cri habituel des coureurs qui précédaient les grands personnages.

Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Moïse reproduit le terme égyptien ou le terme sumérien transformé en égyptien, sans en donner l'explication. Ceci indique manifestement qu'à l'époque où cette page a été écrite tous les Israélites comprenaient cette expression qu'ils avaient si souvent entendue avant de quitter l'Egypte. Nous avons là un indice, parmi tant d'autres, de l'époque mosaïque.

14° « Pharaon appela Joseph du nom de Tsaphnath-Paenach. » (XLI, 45). Selon la tactique habituelle des Hyksos, le roi, sans doute Apapi, se conforme autant que possible à ses sujets égyptiens. Il donne un nouveau nom à Joseph pour bien marquer sa fonction nouvelle, et il le donne en égyptien. Voilà, certes, un détail que n'aurait pu inventer un Israélite du temps de Esdras, vivant en Palestine. Quant à la signification de ce nom, les archéologues ne sont pas d'accord. Cependant ils posent en principe que ce nom doit être en rapport avec les attributions de Joseph ou avec ses capacités. L'explication de M. E. Naville nous paraît la plus plausible : « Paeneach, dit-il, est la transcription littérale d'un mot signifiant « l'école des scribes sacrés », le collège sacré (dont les divins et les magiciens faisaient partie)... Tsaphnath n'est qu'une légère altération due à la prononciation sémitique d'un mot égyptien voulant dire chef de, maître de. Tsaphnath-Panéach signifie donc le chef de l'école des hiérogrammates, du collège sacré. Ce titre se trouve dans les inscriptions égyptiennes. Ceci paraît la conséquence naturelle de ce qui est arrivé. Joseph seul a été capable d'interpréter le songe de Pharaon. Tous les hommes censés posséder ce don spécial sont restés bouche close. Aussi le roi place Joseph, à qui l'esprit de Dieu l'avait révélé, au-dessus de ces magiciens, pour être leur maître. Pharaon fait cela en leur présence et devant sa cour en appelant Joseph par ce nouveau nom (15). »


1) Edouard NAVILLE, Archéologie de l'Ancien Testament. P. 83.

2) Edouard NAVILLE, Archéologie de l'Ancien Testament, p. 83, 89 et 91.

3) Emile DOUMERGUE, Moïse et la Genèse, d'après les travaux de M. le Professeur Edouard, Naville. Paris, 1920 p. 89.

4) A.-H. SAYCE, The Higher Criticism and the verdict of the monuments, P. 225 et 226.

5) F. VIGOUROUX, La Bible et les Découvertes modernes. p. .5, vol. II.

6) ROBERTS, Oriental Illustrations of the Sacred Scriptures.

7) ANDERSON, The survey Of Palestine. dans The Recovery of Jérusalem, p. 463.

8) F. VIGOUROUX La Bible et les Découvertes modernes. 1). 26-28.

9) E. NAVILLE, Archéologie de l'Ancien Testament. p. 100 et 101.

10) Concernant le rôle des songes en Asie et en Egypte, consulter : F. LENORMANT, La Divination et la Science des présages chez les Chaldéens, en particulier le chap. VIII.

11) PLUTARQUE, De Isià et Osiride.

12) F. VIGOUROUX, La Bible et les Découvertes modernes. p. 102.

13) WILKINSON, Manners and customs of ancient Egyptians, III, P. 357 ; 11, p. 127.

14) MASPERO, Histoire ancienne des Peuples de l'Orient, p. 172 et 173.

15) Edouard NAVILLE, Archéologie de l'Ancien Testament, p. 93 et 94.

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