BOISSY D'ANGLAS (1756-1826) Notice.
François-Antoine Boissy d'Anglas est né à Saint-Jean-Chambre (près d'Annonay) le 8 décembre 1756 et mort à Paris le 20 octobre 1826. D'une vieille famille protestante, il fut avocat, puis député d'Annonay aux États-Généraux, puis à la Constituante. En 1791, il remplit brillamment le poste de procureur général-syndic de l'Ardèche (il y exposa sa vie pour sauve quelques prêtres), et, en 1792, fut député à la Convention. Il y devint membre du Comité de Salut public comme ministre du Ravitaillement. Il présidait l'Assemblée au moment de l'émeute du 20 mai 1795 et s'y immortalisa par son attitude noble et héroïque, saluant la tête de son collègue Féraud que les révoltés lui montraient au bout d'une pique. Sa conduite courageuse, qui sauva l'autorité et la Convention, lui valut une popularité immense dans tout le pays : les assemblées électorales de soixante-douze départements l'envoyèrent au Conseil des Cinq-Cents.
Déporté un moment, après le 18 fructidor, il fut président du Tribunal, comte et sénateur de l'Empire, puis, sous la Restauration, membre de la Chambre des pairs où il défendit énergiquement les principes libéraux. Toute, sa vie, il fut un protestant zélé, et il rendit souvent de très grands services à ses coreligionnaires par ses interventions à la tribune. Il était membre du Consistoire de l'Église de Paris et l'un des vice-présidents de la Société biblique. Outre un grand nombre de brochures politiques et de discours, on lui doit une édition des oeuvres de Rabaut Saint-Étienne et six volumes intitulés : Études littéraires et politiques d'un vieillard (Paris, 1825).
LIBERTÉ DES CULTES (1)
La religion est cette foi intime qui attache l'homme à l'Être suprême ; elle est aussi l'ensemble des relations particulières établies entre chaque homme et lui. Le culte est le mode de ces relations ; nulle autorité civile ne peut en régler l'exercice, en déterminer les pratiques, en ordonnancer les formes : il résulte nécessairement et exclusivement de l'opinion de celui qui l'adopte; son but devant être d'établir entre lui et l'Être auquel il s'adresse, les rapports les plus intimes, il doit sans doute être le seul juge des formes qu'il lui convient d'employer. Son opinion, sa foi, deux choses qui n'appartiennent qu'à lui, sont les seules règles de sa conduite à cet égard ; et comme il doit vouloir offrir à l'Être qu'il invoque, l'hommage qu'il croit pouvoir lui plaire le plus , lui seul doit en déterminer le mode; nul ne peut lui en prescrire un autre, sans lui avoir auparavant persuadé que celui-là serait plus parfait: c'est donc à la persuasion seule qu'il doit céder, et non à l'autorité. Et la persuasion même, mise en oeuvre pour le diriger, est un hommage rendu à la souveraineté de ses opinions: ainsi, son opinion seule doit être consultée. Mais quel en sera le juge? nul autre que Dieu ou lui : car elle n'établit des rapports qu'entre eux, elle n'existe que pour eux, elle est étrangère an reste de l'univers...
Il y a donc usurpation de la part de la société représentée par l'autorité civile, toutes les fois que celle-ci veut s'immiscer dans ce qui y tient : il y a donc violation du pacte social, quel qu'il soit, quelles qu'en soient les conditions politiques et civiles, expresses ou tacites, leurs modifications, leurs principes, la forme de gouvernement établie par elles. Il y a donc oppression, puisqu'alors l'autorité civile veut s'arroger un pouvoir que la société ne lui avait point délégué, parce qu'elle-même ne l'avait pas. Il y a donc guerre intérieure, puisque le corps politique est en opposition, soit avec l'autorité qui le représente et émane de lui, soit avec les membres qui le composent. Il y a donc trouble et anarchie, et conséquemment cause immédiate de dissolution et de mort, il y a donc tyrannie. Mais si la tyrannie, lors même qu'elle ne veut s'arroger qu'une portion de l'autorité publique émanant du pacte social ou autrement déléguée, est insupportable, combien ne doit-elle pas l'être davantage, lorsqu'elle veut, comme dans ce cas-ci, étendre son domaine hors de celui de l'association même qu'elle veut régir, en changeant ainsi jusqu'à la nature de ses attributions ! C'est alors que la résistance qu'elle provoque est terrible et redoutable pour elle, que son empire est douteux, que son autorité est mal affermie, que sa puissance est audacieusement bravée ou facilement éludée, qu'il faut qu'elle réclame l'appui de tout ce qui peut accroître sa force, neutraliser les obstacles qu'on lui oppose, et lui vendre, à quelque prix que ce soit, une assistance indispensable. Veut-elle donner des lois aux consciences, et imposer des obligations à la foi, il faut qu'elle persécute...
Le gouvernement, en prohibant un ou plusieurs cultes, ou seulement en en favorisant un plus que les autres, établirait par cette supériorité une sorte de domination religieuse ; il serait bientôt forcé de s'associer à cette nouvelle puissance, de s'incorporer à elle, d'emprunter son appui, en devenant d'une autre part son tributaire, et en préparant ainsi le retour de cette confusion de deux pouvoirs, qui, pour le bonheur et la liberté des hommes, ne peuvent exister que séparés. De là à la persécution des religions non favorisées, il n'y a qu'un pas, et, par suite, à tous les maux dont l'histoire a consacré le souvenir.
1. conseil des Cinq-Cents. Opinion de M. Boissy d'Anglas sur la liberté et la police des cultes. Séance du 23 messidor an V, Paris, Imprimerie Nationale, messidor an V, pp. 3 à 8.