JEAN CAVALIER (1681-1740)
Notice
Jean Cavalier est né à Ribaute, près d'Anduze, en Languedoc, le 28 novembre 1681 et mort à Chelsea (Londres) le 17 mai 1740. Il appartenait à une famille très humble, et, après avoir été valet de ferme, devint boulanger. En 1701, pour fuir les persécutions, il passa à Genève. Mais il ne put se résoudre à vivre hors de France et revint à Ribaute. C'était le moment où la persécution de l'abbé du Chayla provoqua la révolte dite des Camisards. Cavalier, devint très vite l'un des chefs des insurgés. Au cours de cette guerre civile, il lui arriva, malgré sa jeunesse, de se comporter, selon les termes du maréchal de Villars, « comme l'aurait pu faire un grand général ».
Les Camisards ne réclamaient autre chose que la liberté de conscience. « Je vous envoie en original une lettre qu'il a plu à Cavalier de m'écrire, » manda Montrevel à Chamillart, « par laquelle vous verrez que ces coquins ont l'insolence de dire qu'ils ne mettront jamais armes bas qu'on ne leur ait accordé le rétablissement de leurs temples. » Lorsque Villars arriva en Languedoc, Cavalier crut qu'il obtiendrait par des négociations avec lui ce qui lui avait été refusé Jusque-là. Lorsqu'il traita, il croyait toujours que cette liberté allait leur être concédée. Un brevet de colonel et une pension de douze cents livres lui étaient attribués ; il renonça à ]'une et à l'autre dès qu'il vit que ses espérances étaient déçues. Surveillé de près, il fut envoyé successivement à Lyon, à Mâcon, et en dernier lieu à Neuf Brisach, d'où il gagna la Suisse le 1er Septembre 1704. Il ne tarda pas à passer en Angleterre, où il prit du service dans l'armée anglaise. Il mourut major général et gouverneur de Jersey. «
J'avoue, a écrit Malesherbes, que ce guerrier qui, sans avoir jamais servi, se trouva un grand général par le (loti de la nature ; que ce paysan grossier admis dans la société des gens bien élevés et qui en prit les moeurs et s'en fit aimer et estimer, me parait un des plus rares caractères que l'histoire nous ait transmis. » Il a laissé des Mémoires qui, dictés de souvenir, contiennent quelques menues erreurs, mais qui, dans l'ensemble, et pour bien des détails, sont un document d'une exactitude remarquable. lis ont été publiés en anglais en 17,26. M. Frank-Puaux, à l'aide d'un manuscrit de La Haye, a reconstitué le texte primitif de l'ouvrage et l'a publié avec des notes critiques : Mémoires sur la guerre des Cévennes (Paris, 1918).
LETTRE AU MARÉCHAL DE VILLARS (1)
Du désert, ce dernier avril 1704.
MONSEIGNEUR,
Ayant appris que vous n'étiez pas informé de notre demande, quoique plusieurs fois nous en avons donné avis à la Cour, mais nous craignons que ces avis ont été cachés à Sa Majesté et à Votre Grandeur, j'ai voulu mettre derechef la main à la plume pour vous supplier d'accepter cette demande, pour le bien et la prospérité du Royaume, qui est la liberté de notre conscience et la délivrance des prisonniers et de tant de galériens qui souffrent injustement pour avoir voulu soutenir la vérité.
Aussi nous sommes massacrés pour prier -Dieu, comme si c'était une chose mauvaise de servir Dieu selon la pureté de son Évangile, ou comme si nous eussions voulu contredire à l'État, mais au contraire nous avons exécuté toutes les commissions que de fidèles sujets puissent faire. Après cela, nous avons toujours imploré sa bonté; mais les ministres de l'Église romaine ont toujours imploré sa colère à l'encontre de nous, afin de détruire la vérité, quoique souvent nous avons supplié Sa Majesté ou ses sujets, de nous laisser sortir du Royaume ou de nous laisser assembler dans le désert, mais on ne nous l'a jamais voulu accorder, bien au contraire. On a pillé nos biens, démoli nos maisons, on nous a exposés aux souffrances les plus cruelles du monde et, Noyant cela, nous nous sommes assemblés, non point pour résister à Sa Majesté, mais pour nous défendre contre ceux qui ont 'voulu nous empêcher de prier Dieu.
Sa Majesté nous permettra de dire que, si on ne nous accorde cette demande, nous souffrirons plutôt toutes les souffrances qu'il plaira à Sa Majesté de ,verser sur nous, plutôt que d'abandonner notre foi. Et, si Sa Majesté nous permet cette liberté, nous promettons de vaquer à son service, car ce n'est pas que nous ayons pris les armes pour acquérir un royaume ou quelques richesses, mais c'est notre conscience et notre propre salut qui nous y a portés à faire cette défense contre ceux qui nous ont voulu détourner de la vérité. Il est vrai qu'on a fait entendre à notre Roi que nous étions des rebelles et des meurtriers, mais plusieurs mauvaises choses ont été faites disant que c'étaient les rebelles qui faisaient ce désordre, qu'ils étaient commandés par Cavalier.
Il est vrai que, dans toutes les attaques qu'on nous a faites, j'ai donné mon avis, mais pour le désordre, je l'ai toujours défendu, mais particulièrement de tuer ni de piller aucun endroit du monde. Quelque méchanceté qu'on nous a faite, j'ai toujours laissé à Dieu la vengeance qui la rendra à un chacun selon ses oeuvres; mais, pour vrai, je n'abandonnerai jamais mes armes qu'on ne m'ait accordé cette demande qui est la liberté de tout le royaume.
Si cela est, je me viendrai remettre très volontiers à la soumission de Sa Majesté avec tous ceux qui veulent soutenir la vérité et y finir nos jours pour son service. Outre cela, nous chercherons d'autres repos et d'autres défenses pour résister à ceux qui nous persécutent et qui veulent nous détruire, quoiqu'on dise qu'on nous a tous détruits; nous le témoignerons avec le secours de Dieu et nous emploierons d'autres forces, non point contre Sa Majesté, mais contre ceux qui voudront nous défendre la vérité.
Je prie la Grandeur de votre personne de vouloir jeter les yeux sur la désolation du Pays et donner vos ordres pour le repos du monde et la prospérité du royaume, car tout royaume divisé ne peut subsister; ainsi le royaume ne peut subsister si la paix n'y est, et suis d'un grand attachement, Monseigneur, votre très affectionné serviteur
J. CAVALIER.
1. Archives historiques du ministère de la Guerre. Vol., 1796, p. 104. Mémoires... (éd. Puaux), pp. 302 à 303.