ATHANASE COQUEREL (1795-1868)
Notice
Athanase Coquerel est né à Paris le 25 août 4795 et mort à Paris le 10 janvier 1968. Appartenant à une famille très cultivée, où il prit très jeune le goût des choses littéraires et religieuses, il fit ses études théologiques à Montauban. A vingt-deux ans, il se fit remarquer en prononçant un beau sermon à l'Oratoire au tricentenaire de la Réformation (1817). Envoyé comme pasteur intérimaire à Amsterdam, il s'y fit tant apprécier que, malgré plusieurs offres de postes en France, il y resta douze ans (1818-1830). En 1830. il revint enfin en France comme pasteur-adjoint, et bientôt comme pasteur titulaire de l'Oratoire et de Sainte-Marie, qui étaient alors les deux seuls temples de l'Église réformée de Paris. En 1835, il créa un troisième temple, qui fut celui des Batignolles. Il se fit bientôt un grand renom, surtout comme prédicateur. Sa parole était brillante, mais toujours très châtiée. Surveillant de très près sa facilité naturelle, il soignait ses sermons dans le plus menu détail. Sa réputation d'orateur et l'estime inspirée par son caractère étaient telles que Paris l'envoya à la Constituante de 1848, puis à la Législative de 4849. Sa carrière politique prit fin au Deux-Décembre.
Très mêlé aux débats théologiques et ecclésiastiques de son temps, il a été un des chefs les plus en vue du protestantisme libéral. En 1835, il prit part à la fondation de l' « Alliance chrétienne universelle ». Parmi ses nombreux écrits, nous citerons en outre de plusieurs volumes de sermons : Réponse à la Vie de Jésus du docteur Strauss (1841) ; - L'orthodoxie moderne (1841) ; - Le christianisme expérimental (1847) ; - Christologie (1858); - Observations pratiques sur la prédication (1860) Projet de discipline pour les Eglises réformées de France (1861).
DE TOUTE NOTRE ÂME (1)
Lorsque vous n'employez qu'une de vos facultés à cultiver votre sentiment religieux et à revêtir la foi chrétienne, celles de vos facultés que vous laissez en dehors, oubliées ou oisives, sont mécontentes, se soulèvent et se déclarent contre cette piété qu'on exploite sans elles, la dénaturent et la rejettent. Vous donc, en vous appropriant la religion chrétienne, mettez en activité toutes vos facultés à la fois; mettez-vous à l'oeuvre tout entiers; unissez, unissez toutes vos facultés, pour croire à l'aide d'elles toutes. Ne laissez, s'il se peut, aucune de ces puissances de votre âme prédominer dans votre profession du christianisme; s'il faut que l'une ou l'autre prévale, s'il est dans notre nature d'être plus raisonneur ou plus poète, plus moraliste ou plus sensible, au moins ne sacrifiez jamais les plus faibles à la plus active; aiguillonnez celles-ci pour mieux contenir celle-là, et comme vous devez aimer Dieu de toutes vos forces, de toutes vos forces aussi cherchez sa vérité.
Que votre raison s'éclaire et médite; que votre imagination s'exalte et représente; que votre conscience se sanctifie; et que votre sensibilité s'épure et s'anime, dans une féconde et salutaire harmonie. C'est beaucoup vous demander, il le semble; mais ce n'est rien de trop. Dieu n'a pas mis ces admirables facultés dans notre âme pour qu'elles y soient en guerre ; il a établi la paix entre elles, et c'est nous qui dans notre ambitieuse partialité pour l'une ou l'autre, allumons cette discorde intestine. Efforcez-vous de maintenir ou de retrouver le divin équilibre de ces pouvoirs intérieurs, et alors votre raison dans ses recherches, votre imagination dans ses essors, votre conscience dans ses avertissements, votre sensibilité dans. ses ardeurs, vous feront découvrir, croire, professer , chérir une seule et même religion. Études, poésie, morale et amour. tout vous ramènera sans cesse aux délicieuses certitudes d'un seul Dieu notre Père commun, d'un seul Christ notre universel Sauveur, d'une seule révélation pour complément de, nos facultés, d'une seule Église pour la terre et d'une immortalité pour les cieux; tout vous ramènera vers cette douce pensée que le christianisme nous suffit, puisqu'il nous a été donné par ce Dieu souverainement bon, qui sait de quoi nous sommes faits, et qui le saura encore à l'heure de notre mort pour. nous confirmer notre salut, et sur le seuil de l'éternité pour nous recevoir dans son sein paternel.
LES LARMES DE JESUS (2).
... Dans les récits des actes du Christ ici-bas, de ses merveilles et de ses émotions, ce qui peut-être cause le plus de surprise, ce sont ses larmes. Des larmes! Ce signe de douleur et de pitié, qui en est souvent un de faiblesse ... au point que l'homme se cache pour en répandre et n'aime pas qu'on le voie pleurant... Des larmes! La vraie fermeté sait les retenir ou au moins les dissimuler, et le Fils de Dieu pleure au tombeau d'un mortel; le Prince de la vie, au moment d'une résurrection!
Néanmoins, s'il est un mystère à notre portée, c'est bien celui-là, et Lazare aurait pu être notre frère, comme celui de Marthe et de Marie. Efforçons-nous d'approfondir et de partager les sentiments de Jésus en ce moment.
La surprise qui peut, au premier moment, nous saisir en voyant Jésus verser des larmes, n'a rien de raisonnable, et l'extrême simplicité du récit montre combien peu l'Évangéliste l'a partagée. Il était réservé à ce disciple que le Seigneur aimait, à un ami de Jésus, de nous rendre compte des pleurs répandus sur la tombe d'un autre; il nous le montre arrêté sur le bord du sépulcre, et il ajoute : Jésus pleura. Voilà tout son récit . C'est qu'il savait que la première explication de cette émotion est dans ce fait fondamental du salut du monde, que Jésus a été semblable à nous en toutes choses, excepté le péché (Héb., 11, 17). Ce qui nous émeut, l'a ému.
Mais ces larmes ne sont point de faiblesse ou de regret. De faiblesse : à celui qui oserait accuser le Christ de s'être trop facilement laissé attendrir, il suffirait de donner pour réfutation la nuit de Gethsémané et la journée du Calvaire; Jésus y déploie une véritable constance religieuse qu'il est impossible de surpasser. De regret: on ne peut s'affliger d'une perte quand on vient la réparer, et déplorer un trépas à l'instant même d'une résurrection.
Ce sont des larmes de tendresse que Jésus répand; il ne pleure point sur Lazare; il pleure sur Marthe et Marie, et, par ce mémorable exemple. il nous apprend que ce n'est pas celui qui part, mais ceux qui restent qu'on doit plaindre. L'ordre des circonstances et des paroles rapportées dans le récit le démontre clairement. Le Seigneur a sondé l'angoisse déchirante des deux soeurs; il a lu dans leur coeur; il a entendu leurs gémissements; il les a vues percées de cette épée douloureuse dont un prophète avait dit à sa propre mère : Une épée percera ton âme (Luc, 11, 35). Peut-être en ce moment Jésus a-t-il pensé à l'affliction réservée à sa mère... Il aimait et Marthe, et Marie sa soeur, et Lazare (Jean, XI, 5), et en voyant toute l'amertume de leur tristesse, Jésus pleura.
Cependant ces larmes sont des larmes de compassion générale, en ce sens que Jésus, dont l'amour s'étend toujours sur tous les hommes, en voyant de si près leur plus triste ennemie, la mort, gémit des maux sans nombre que de génération en génération elle cause. Toutes les morts sont comme présentes à sa pensée en celle de Lazare; tous les sépulcres sont comme figurés par celui-là; toutes les séparations par celle qui est près de finir. Jésus devant qui la mort n'a point de secret et qui n'y voit que le moyen actuel donné aux hommes pour passer dans leur véritable patrie, voit ce que ce passage aurait été, si les hommes avaient gardé leur innocence et leur gloire première, si leur fin était un triomphe et non une épreuve, et, résumant dans sa science parfaite tout ce que la mort, telle qu'elle est entrée dans le monde par le péché (Rom., v, 12), nous a coulé de douleurs, Jésus pleura.
Mais par lui cette mort sera vaincue, et ces larmes sont des larmes de piété. Oui, la piété pleure quelquefois, parce qu'elle est un attendrissement, un amour, un enthousiasme; ce qu'il y a de plus touchant et ce qu'il y a de plus solennel peut se mêler; et quoi de plus solennel qu'une résurrection? Quoi de plus touchant que le ravissement des deux soeurs retrouvant tout à coup, dans un moment, ce frère si cher et si regretté? Jésus contemple d'avance cette tombe ouverte; dans ce deuil, il voit cette joie; dans ce trépas, il voit cette résurrection, et même ses fruits; elle servira de prémices et de préparatif à la sienne; elle disposera ses disciples à croire, malgré la croix, à son propre triomphe; et dans le saisissement profond que lui causent ces saintetés réunies, Jésus pleura.
Il doit nous être doux de savoir que Jésus a pleuré en traversant notre vallée de larmes, qu'il y a eu cela encore de commun entre nous et lui, et dans une circonstance où chacun de nous s'est trouvé ou se trouvera. Nos larmes sont justifiées par les siennes, qui doivent servir d'exemple et de mesure aux nôtres. Si nous avions assez de confiance et de résignation pour n'en verser que de pareilles, Dieu lui-même viendrait toujours les essuyer, et nous serions mieux soutenus par le droit de dire comme Thomas : Von Seigneur et mon Dieu! à ce Jésus qui s'est montré semblable à nous en toutes choses, même en ses pleurs.
CONTRE LES TENTATIONS (3)
Dire à Dieu : Ne nous laisse point tomber en tentation, c'est lui dire : Occupe ma vie et remplis-la de travail, de telle sorte que les tentations ne puissent se glisser dans les intervalles d'occupation, de fatigue, de repos. Mes Frères, on dit communément : celui qui travaille, prie : cela n'est pas vrai; le travail est une chose et la prière en est une autre. Mais on peut dire avec vérité : Celui qui travaille combat, et, de toutes nos luttes, c'est celle où la victoire est le plus assurée. Oui, le travail est la meilleure sauvegarde de la vertu ; on n'a pas le temps de cultiver les séductions et d'écouter les séducteurs quand on sait être assidu à sa tâche, quelle qu'elle soit, dans la vie, et la noble fatigue que ces labeurs nous causent ne donne que plus. de force pour s'écrier assez tôt : Retire-toi, Satan !
Dire à Dieu: Ne nous laisse point tomber en tentation, c'est lui demander la sagesse de puiser sa force de résistance où Jésus lui-même cherchait la sienne, dans la Parole. Il est écrit ! répondait-il au tentateur. Ah ! si nous subissions les séductions du monde et celles de nos propres coeurs, la main appuyée sur notre Bible de famille, toujours prête à nous fournir l'encouragement, l'espérance, la force nécessaire ; toujours prête à réveiller devant nous l'image chérie des parents, des amis, des bienfaiteurs qui nous l'ont donnée en priant Dieu qu'elle nous servît de divin préservatif contre le mal, mes Frères, que les tentations seraient plus faibles ! que nous serions plus forts et que tous nos devoirs et nos sacrifices, toutes nos privations et nos larmes nous deviendraient plus faciles et plus doux !
Dire à Dieu : Ne nous laisse point tomber en tentation, c'est lui demander de nous environner partout du sentiment de sa présence. Pendant le cours d'une tentation que vous accueillez, vous oubliez Dieu; vous l'éloignez de vous; la tentation y est, parce que Dieu n'y est plus, et si vous rappelez Dieu, si vous recourez à lui par la prière, si vous vous réfugiez dans son sein paternel et sous son infaillible regard, si "us rapprochez Dieu de vous, la tentation s'éloigne aussitôt, affaiblie, décolorée, vaincue, et se perd dans la distance incommensurable qui sépare le mal et Dieu.
LE DEVOIR D'UNE MINORITÉ (4)
Mes Frères, je vous conjure par tout ce que vous avez de plus cher, par l'amour de Dieu, par la charité de Christ, par la puissance de son précepte : Laissez venir à moi les petits enfants ; par les souffrances de nos ancêtres et par l'avenir de nos familles, je vous conjure d'y songer : vous êtes la minorité !... Eh bien ! quand on est la minorité, il faut s'en souvenir pour tout et à tout moment.
La minorité religieuse qui oublie un jour qu'elle est la minorité est perdue ; elle trace elle-même le chemin de sa perte ; elle se verra peu à peu circonvenue, divisée, envahie, décimée, emportée, avant d'avoir le temps de se reconnaître et de se rallier ; on lui ravira un à un ses membres, ses familles, ses écoles, ses temples et ses troupeaux, sans qu'elle assiste même à l'oeuvre de destruction; elle croira exister encore, et n'existera plus; elle mourra sans se sentir mourir; elle expirera, sans se sentir expirer.
Ah ! quand le Seigneur appelle çà et là soit Église à remplir dans le laps des siècles cette position difficile, mais glorieuse, il faut, plus que jamais, il faut que les puissants se souviennent des faibles, et les riches des pauvres, et les sages des simples; il faut que, dans tous les rangs de la communauté, on sache souffrir pour ceux qui souffrent et pleurer avec -ceux qui pleurent, il faut que tout cri de douleur, tout appel au secours, retentisse au loin du fond de l'indigente maison de prière d'un village jusque sous les voûtes de tous les sanctuaires, et trouve partout un écho qui le répète, de sorte qu'il n'y ait pas une oreille qui ne l'entende ; il faut mettre en commun toute la piété, la force, la joie, la science, la charité que l'on possède... et dans un saint accord de vues, de travail et de zèle, se tenir fortement par la main et s'entredire, comme Ruth à Noémi, tous citoyens de la même patrie et tous membres de la même Église : Ton peuple est mon peuple, ton Dieu est mon Dieu !... Entendez-le bien, et que ce mot sonne à votre oreille comme un avertissement du ciel : vous êtes la minorité ; vous devez agir, donner, prier, communier dans cette pensée!...
... Vous n'avez rien à espérer que de vous-mêmes l'Etat ne peut vous donner que de l'impartialité, et l'impartialité ne peut suffire à notre situation. Minorité, soutenez-vous vous-même, car nul ne vous soutiendra. Aidez-nous à conduire vers Christ tant de pauvres enfants que leurs parents ne peuvent conduire vers lui, et dont l'avenir religieux dépend de votre charité.
1. Sermons, éd. 1843, pp. 181 à 183. Le Christianisme en harmonie avec nos facultés.
2. Méditations sur des textes choisis de l'Ancien et du Nouveau Testament. Éd. 1859, pp. 308 à 311.
3. L'Oraison dominicale, 1850, pp. 201 à 203. Les tentations.
4. L'École et l'Église, sermon prononcé le 31 janvier 1841, pp. 17 à 18.