ATHANASE COQUEREL fils (1820-1875)
Notice
Athanase-Josué Coquerel est né le 16 juin 1820 à Amsterdam et mort à Fismes (Marne), le 24 juillet 1875. Il était l'aîné des cinq enfants d'Athanase-Laurent-Charles Coquerel, qui fut successivement ministre de l'Eglise wallonne et l'un des pasteurs les plus en vue de Paris. Élève des Facultés de théologie de Genève et de Strasbourg, il termina ses études par une thèse remarquée. d'une érudition à la fois patiente et enthousiaste : Topographie de Jérusalem (1843). Il débuta dans le pastorat par une suffragance dans l'Église réformée de Nîmes. Le 8 février 1848, il fut appelé à Paris comme aumônier du lycée Henri IV; et, deux ans après, le 15 novembre 1850, il était pris par le pasteur Martin-Paschoud comme suffragant. Le conflit entre les deux tendances qui se partageaient le protestantisme entrait alors dans sa période aiguë. Athanase Coquerel fils devint rapidement un des chefs du parti dit libéral. Le consistoire de Paris, où la majorité appartenait au parti dit orthodoxe, refusa, le 24 février 1864, de renouveler sa nomination de pasteur suffragant. C'était l'équivalent d'une destitution.
Exclu des chaires officielles, il continua de prêcher dans des salles mises à sa disposition, en particulier dans la salle Saint-André, près de la Chaussée d'Antin. Les discours et conférences qu'il prononça pendant le siège de Paris ont été publiés en un volume : Libres paroles d'un assiégé (1871). Il a été sûrement un des maîtres de l'éloquence de la chaire, possédant une langue d'une rare pureté, sachant allier le naturel et l'humour à une fougue entraînante. La liste de ses sermons publiés est trop longue pour être donnée ici. Il en a publié deux recueils en 1855 et 1858 : Serinons et homélies. Il est à regretter que la plupart de ses prédications imprimées n'existent qu'en brochures séparées. Citons : Élan vers Dieu (1862), la Charité sans peur (1866). Quelle était la religion de Jésus ? (7 discours, 1873). On lui doit, en dehors de ses oeuvres oratoires, plusieurs livres importants : Des Beaux-Arts en Italie au point de vue religieux (1857); - Rembrandt et l'individualisme dans l'art (1869) ; - Henri Regnault et soit oeuvre (1872); - Précis de l'Histoire de l'Église réformée de Paris (1862); - Jean Calas et sa famille (1858 ; 2e éd . augmentée, 1865 ; 31 éd. refondue, 1869), qui est peut-être le travail définitif sur ce drame du dix-huitième siècle. Des articles dispersés ici ou là ont été réunis en un volume: Libres éludes (1868). - Consulter : Athanase Coquerel fils; étude biographique par Ernest Stroehlin.
UNE SAINTE FAMILLE (1)
Aux yeux de Rembrandt, tout ce qui est conventionnel ou factice manque de sérieux. Il prend les choses divines par le côté le plus naturel et le plus humain. Quand il veut représenter un patriarche, un apôtre, où va-t-il chercher des modèles ? Il se rappelait alors que ces personnages de la Bible étaient des Israélites, il lui arrivait souvent de parcourir les plus tristes, les plus étroites rues du quartier juif qu'il habitait, et quand, dans quelque coin, il rencontrait une figure israélite, bien caractéristique, bien énergique, immédiatement il la prenait pour modèle de son patriarche ou de son apôtre, sans chercher à lui donner un caractère officiel ou sacerdotal.
Qu'étaient-ce en effet que les apôtres ? Des pécheurs comme on en voyait partout sur les rives du Zuyderzée ou sur le port d'Amsterdam. Ce n'étaient pas de hauts personnages, mais des gens du peuple, des hommes simples, et voilà pourquoi Rembrandt fuyait avec un mépris souverain l'affectation d'élégance et de noblesse avec laquelle on les représentait souvent.
Je ne citerai à ce propos qu'un seul exemple. J'ai encore admiré aujourd'hui même un petit tableau du Salon carré qui se trouve indiqué, dans le catalogue du musée du Louvre, sous le titre de Ménage du menuisier. Par un temps chaud, une large fenêtre est ouverte. à travers laquelle le soleil entre à flots et fait briller d'une lumière particulièrement éclatante et vive une chambre d'ouvriers hollandais; le ménage est des plus simples. Au fond le menuisier travaille, les manches de chemise retroussées ; il rabote une planche. La jeune mère assise sur un siège bas, tout à côté du berceau, donne le sein à son enfant; la grand'mère, à demi agenouillée devant sa fille, interrompt la lecture d'un gros livre qu'elle tient, et admire l'enfant en écartant un peu un voile qui le lui cachait. Qu'est-ce que cela ? Une peinture tout individuelle, l'intérieur d'une pauvre famille. heureuse de son travail, la mère tout occupée de son petit enfant, la grand'mère quittant pour le contempler la lecture de sa Bible, car c'est évidemment dans la pensée de l'auteur ce livre qu'elle lit...
Ce ménage de menuisier, c'est la question qui vient naturellement à l'esprit, - ne serait-ce pas une Sainte Famille? Eh ! sans doute c'est une Sainte Famille. L'ouvrier, c'est Joseph; la mère, c'est Marie ; la grand'mère, c'est Anne, et le petit enfant, c'est Jésus. Mais il n'y a là rien d'extraordinaire, rien d'exceptionnel. Il y a la vie d'une famille pauvre, d'une famille simple; ce qu'il y a de divin en tout cela, c'est la tendresse de la mère, c'est le travail du père, c'est le livre pieux que lisait la grand'mère; c'est le beau soleil de Dieu qui brille par la fenêtre, et illumine cet intérieur. Tout est profondément religieux dans ce tableau, mais en même temps profondément humain. Qui ne connaît ces peintures du moyen âge où Marie et son petit enfant, dans un splendide édifice gothique, sont servis par des anges aux auréoles d'or, revêtus d'amples robes de pourpre ou d'outremer, agenouillés devant le petit Jésus, et lui offrant des friandises sur un plat d'argent? Rembrandt aurait pu ouvrir les cieux sur la chaumière et suspendre une nuée de chérubins au-dessus du groupe sacré; il l'a fait en d'autres endroits. Mais un pareil tableau eût moins touché et ému que ne le fait ce ménage du menuisier. C'est bien une Sainte Famille, puisqu'il y a là tout ce qui fait la sainteté de la famille, la tendresse, le travail, la piété, et c'est ce que Rembrandt a voulu représenter.
L'ÉGOÎSME DEVANT LA CROIX (2)
Reconnaissons-le, mes frères : ceux qui ont crucifié notre Maître, ceux qui l'ont abreuvé d'ignominie pendant les longues heures de son affreux supplice, n'étaient pourtant. pas des monstres. Ces sacrificateurs et ces scribes, ces habitants de Jérusalem, cette soldatesque romaine étaient des hommes, des hommes passionnés, intéressés, des égoïstes qui ne voulaient pas croire au dévouement, qui niaient le sacrifice ; et ils étaient sincères quand ils proclamaient naïvement que, si on ne se sauve pas soi-même, c'est qu'on ne peut sauver personne. Le monde depuis eux a changé de face sous bien des rapports, mais le fond est toujours le même, l'égoïsme règne toujours dans le plus grand nombre des âmes, et, aujourd'hui comme alors, sauve-toi toi-même. c'est le conseil que donneraient la plupart d'entre nous à quiconque voudrait se sacrifier pour autrui. Aussi, mes Frères, de toute notre méditation de ce jour chacun peut tirer à son choix deux conclusions toutes contraires.
Regardez au Calvaire, contemplez Jésus-Christ mourant sur la croix, et ne faites pas comme lui. Gardez-vous de lui ressembler; voyez, par son exemple, où mène le dévouement ; ne prenez jamais la défense des opprimés contre les oppresseurs, des faibles contre les forts : il vous en arriverait malheur; pliez bien bas devant toutes les grandeurs humaines, quelque indignes que soient d'ailleurs ceux que le monde en a revêtus. Pliez bien bas devant les dominateurs de l'esprit publié, fussent-ils hypocrites et pervers comme les scribes et les pharisiens ; devant le prêtre, fût-il un Caïphe; devant le pouvoir, s'appelât-il Hérode ou Pilate. Respectez scrupuleusement les abus; tout abus qu'on dénonce ou qu'on attaque, trouve des défenseurs intéressés, des vengeurs sans pitié; si, enfin, vous avez la main pleine de vérités, gardez-vous de l'ouvrir ; le conseil est bon : il est d'un homme qui a toujours réussi. En un mot, qui que tu sois, résiste aux impulsions chimériques qui pourraient te porter à la générosité, à l'abnégation, au dévouement. Les autres ne songeront pas à toi, fais de même ; ne songe pas à eux, mais à toi seul, et quand sonne l'heure du danger, ne prétends pas sauver les autres, sauve-toi toi-même.
Voilà une première conclusion qu'on peut tirer de tout ce qui précède, mais il y en a une autre.
Regardez au Calvaire, contemplez Jésus-Christ mourant sur la croix, et efforcez-vous de lui ressembler en quelque chose. Apprenez de lui à vous oublier vous-mêmes, à mettre l'amour et le devoir, Dieu et vos frères bien avant votre intérêt, votre sécurité, votre vie. Sacrifiez-vous tout entier, s'il le faut, à votre conscience, à la grande cause de Dieu, au salut de tous. N'écoutons jamais, au milieu même des luttes les plus ardentes, au moment de prendre les résolutions les plus délicates ou les plus douloureuses, n'écoutons jamais ces mille voix du monde qui s'élèvent de toute part pour nous crier sans relâche - Sauve-toi toi-même. Comme Jésus, au contraire, écoutons avec vénération, avec amour, la voix intérieure, la voix d'en haut qui lui disait : Non, ne te sauve pas toi-même, n'épargne pas ta vie, donne-toi pour les autres ; meurs et bois jusqu'à la lie le calice d'amertume, meurs et achève toute l'oeuvre. que le Père t'a donnée à faire, meurs et qu'il ne manque rien à ton exemple, à ton sacrifice, à ton abaissement; meurs et sauve les autres ; meurs, et ensuite règne pour jamais dans la paix et la gloire ; règne sur l'humanité régénérée par ton esprit, règne dans la communion des bienheureux et des saints avec le Père, afin qu'en eux comme en toi, Dieu soit tout en tous.
Chrétiens, ce nom seul de disciples de Christ, que vous portez, doit vous rappeler sans cesse que si tout péché n'est qu'égoïsme, le christianisme n'est que sacrifice, et que le dernier mot de la religion chrétienne' , le dernier mot de l'obéissance et de la résignation, du courage et de l'amour, de l'entière immolation de soi-même à la sainteté, à la charité, à Dieu, c'est la dernière prière que prononça Jésus en Gethsémané, lorsque, baigné d'une sueur sanglante, accablé sous le poids d'une mortelle tristesse, à genoux sous les lugubres ombrages des oliviers, il disait à Dieu avec une soumission. plus qu'héroïque et un amour ineffable : Père, s'il n'est pas possible que cette coupe passe loin de moi sans que je la boive, que la volonté soit faite, et non la mienne !
SOLIDARITÉ CHRÉTIENNE (3)
Au nom de 130.000 ouvriers sans travail, ou plutôt au nom de 300.000 de nos frères qui manquent de tout, au nom du Dieu de charité, votre Père et le leur, au nom de Jésus leur Sauveur et le vôtre, de Jésus et de tout ce qu'il y a de sacrifice et d'amour dans sa vie et dans sa mort, vous tous ici rassemblés, grands et petits, opulents ou indigents, quels que soient ou votre âge ou votre sexe, votre situation ou même votre culte, protestants ou catholiques, mais chrétiens, mais Français, mais humains, je vous charge, missionnaires de la charité, de faire connaître partout autour de vous les besoins de nos frères infortunés. Allez et joignez votre propre voix à toutes celles qui font retentir à nos oreilles ce cri : solidarité ! solidarité ! Allez et demandez ! Tendez la main pour les ouvriers affamés de la Seine-Inférieure, et ainsi au moins, si ces membres du corps du Christ sont dans la souffrance, vous prendrez quelque part à leurs maux.
Dites sans crainte que leurs souffrances méritent plus que de la commisération, dites qu'elles sont dignes de respect et d'honneur. Ils ne sont pas seulement des pauvres; ils ne sont pas des indigents ordinaires, ils sont les victimes momentanées du progrès. Tous, nous vénérons les invalides de la guerre, qui ont perdu quelque membre au champ du péril où les a envoyés la patrie; honorons aussi, lorsqu'un grand progrès s'accomplit dans le monde, honorons ceux que l'inévitable crise froisse en passant. Le mal est une force qui résiste; le bien est une victoire qui coûte des vies humaines, des souffrances et des larmes. Ces souffrances sont glorieuses et bénies. L'esclavage, ce monstre immonde et odieux, va être aboli, l'émancipation pour trois millions d'esclaves est enfin proclamée, elle ne peut tarder de se réaliser pour ceux-là et pour tous. Mais pour en arriver là, pour acheter ce progrès si nécessaire, des milliers d'Américains seront morts sur le champ de bataille, des milliers d'Anglais auront souffert dans leurs fabriques immobiles, des milliers de Français auront eu faim et nous auront demandé du pain.
Il ne me reste plus qu'à faire jaillir de mon texte le dernier appel; il ne me reste plus qu'à vous dire : Souffrez volontairement, vous aussi, pour que vos frères souffrent moins. Lorsqu'un membre souffre, privé de ce qui entretient la vie, il faut que tous se privent pour lui et qu'ainsi ils diminuent ses douleurs en en prenant une part. Portez, est-il écrit, les fardeaux les uns des autres. Si la solidarité du malheur vous a épargnés, la solidarité de l'amour vous commande le dévouement. Imposez-vous à vous-mêmes courageusement, virilement, un sacrifice pour vos frères.
Riches, si le don que vous allez faire ne vous coûte pas, si vous ne souffrez en le cédant, c'est que vous aurez donné trop peu, et la pite qu'une pauvre veuve donnera de son indigence pèsera plus devant Dieu que le tas d'or qui ne vous ferait pas défaut.
Ouvriers présents dans ce temple, apportez ton# votre aumône en témoignage de fraternel respect, d'intime sympathie. Aux riches, je suis obligé d'expliquer ce que signifie cet horrible mot : chômage, et tout ce qu'il entraîne; vous qui le savez, faites vous honneur à vous-mêmes et à vos frères, faites honneur à votre profession en donnant, à défaut d'argent, quelques heures de votre travail, quelques efforts de vos bras courageux, quelques nobles élans de vos coeurs. Le pain de vos enfants, partagé avec l'enfant de l'ouvrier sans travail, n'en sera que plus savoureux et plus dignement gagné.
Riches ou pauvres, sachons-le bien tous : le sacri fice est la pierre de touche du chrétien, Savez-vous ou ne savez-vous pas souffrir pour les autres ? Voilà la question; sans cela, eussiez-vous la science de tous les mystères, eussiez-vous toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, vous n'êtes pas chrétiens, vous n'êtes rien.
QUE FERAIT JÉSUS? (4)
Au milieu de tant d'anxiétés et de périls, je me suis surpris souvent à me demander : si celui qu'on appelait le charpentier de Nazareth était au milieu de nous, que ferait-il, où irait-il, quels seraient son langage et ses conseils ? Et je me suis répondu : Aujourd'hui, comme alors, il serait lui-même; il ne se montrerait nullement exclusif., Il ne refuserait point de paraître à la table d'un opulent pharisien, sauf à protester avec une dignité pleine de tact, contre les fautes de courtoisie orgueilleusement calculées de son hôte. Il ferait plus; toujours ami des calomniés, il réhabiliterait hardiment le riche Zachée, que l'opinion contemporaine enveloppait injustement dans la haine et le mépris trop mérité par les publicains ses collègues. Mais en même temps, Jésus flétrirait, foudroierait encore de ses sarcasmes enflammés ceux « qui font, peser sur les épaules d'autrui des fardeaux auxquels ils ne voudraient pas toucher du bout du doigt »; et il flagellerait tes hypocrites de ces invectives immortelles, écrasantes, qui remplissent le vingt-troisième chapitre de saint Matthieu, un de ceux qu'on lit et que l'on commente le plus rarement dans les églises.
Puis Jésus, je n'en puis douter, irait trouver réunis dans leurs lieux ordinaires d'assemblée, les hommes que l'on redoute le plus, ceux qui sont les plus violents, souvent peut-être parce qu'ils sont d'entre les plus malheureux. Jésus prendrait place au milieu d'eux, les écouterait, leur parlerait à son tour. Et il le ferait sans manifester, sans éprouver à leur égard aucune trace ni de dédain ni de peur. Le dédain, à ses yeux, est une coupable folie et une petitesse ; il voulait tout sauver et ne dédaignait ni la pécheresse repentante, ni le péager pénitent. Quant à la peur, il n'en était pas capable; il était dès longtemps résolu à périr pour la cause de la justice et de Dieu. Il montrerait à ses auditeurs la sympathie la plus profonde et la plus vraie pour leurs douleurs; il leur ferait sentir leurs misères et leurs justes griefs pleinement compris de lui, et leur haine contre l'injustice, l'oppression, l'hypocrisie, plus que partagée par lui; car on les méprise et on les déteste d'autant plus, qu'on a le coeur plus haut, l'âme plus sainte, qu'on est plus rapproché de Dieu.
Puis, à tous nos contemporains sans distinction de partis ou de camps, il prêcherait l'élévation morale, le respect scrupuleux de tous les droits, la réparation de toutes les iniquités, le pardon des injures passées,, le rapprochement de tous les frères, le travail en commun pour l'oeuvre de désintéressement et de dévouement, pour la régénération de tous. Il ne se contenterait pas de paroles. Il s'exposerait à la mort, il se ferait tuer pour la concorde et le relèvement, si son sang pouvait cimenter le salut, le progrès et l'union. Enfin, si les 'saints, les sages et les grands du siècle, 'étonnés, scandalisés de le voir s'entourer de leurs ennemis, le traitaient comme jadis d'ami des péagers et des gens de mauvaise vie, il leur répondrait avec sérénité et non sans ironie : « Ce ne sont pas les personnes bien portantes, mais les malades qui ont besoin de médecin, » Je suis le Rédempteur; je viens vous sauver d'eux et les sauver de vous.
Ce que ferait notre modèle, nous devons le faire. si nous sommer, ses disciples, c'est-à-dire ses imitateurs - nous jeter entre les partis, les comprendre, les éclairer, les réconcilier, les aimer. Tout chrétien devrait être, pour son humble part et selon ses forces, un sauveur de l'humanité qui se perd; tout citoyen, un sauveur de la patrie à demi-morte. Jésus disait : « Je vous ai laissé un exemple, afin que vous fassiez comme j'ai fait pour, vous, Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et de plus grandes encore. »
LE GRAND NOVATEUR (5)
Non seulement il a été et a voulu être essentiellement, souverainement novateur, mais c'est trop peu dire. Il l'est encore; il l'est après dix-huit siècles, il l'est dans sa propre Église, parmi nous, aujourd'hui. Il y a dans l'Évangile maintes paroles de Jésus, si neuves, si fortes, si vivantes, qu'elles ébranleraient le monde s'il les écoutait. Il y a dans l'Évangile, dans ce volume si court qui est entre toutes vos mains, maintes paroles qui renouvelleront encore l'humanité, des paroles si hardies, si redoutables, que personne ne pourrait impunément les crier dans nos places publiques.
Je ne puis m'empêcher de sourire quand j'entends dire que le christianisme est fini, qu'il est mort. Lui, fini ! lui, mort! Mais c'est à peine s'il commence à vivre, à être compris et appliqué,. Qu'est-ce, dans ses destinées, qu'un laps de dix-huit siècles? Il renferme en lui-même, il porte dans ses flancs une multitude d'applications que personne n'a encore tentées, une infinité de conséquences que nul n'a déduites. C'est tout un monde de vérités à peine entrevues, dont chacune contient les germes emboîtés l'un dans l'autre d'une foule de vérités nouvelles. Les paroles de Jésus sont des glands dont chacun devient un chêne immense qui donne, année après année, des milliers et des milliers de glands, lesquels, à leur tour, contiennent chacun le germe non seulement d'un autre chêne, mais d'une forêt; et il en sera ainsi jusqu'à ce que le monde en soit couvert, comme le fond de la mer est couvert des grandes eaux. Entendez, entendez une de ces paroles du Maître, si étranges, si saisissantes, que nul, excepté lui, n'eût osé la dire, qu'on ne s'y arrête guère en lisant l'Évangile, qu'on en fait rarement le thème de ses méditations, une de ces paroles qui portent en elles tout un mystérieux, un sublime avenir : En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes ; car je m'en vais à mon Père. C'est-à-dire : à moi les douloureux et petits commencements, Nazareth et la Galilée, Gethsémané et le Calvaire ! A ceux qui croiront en moi, le monde, l'humanité, l'avenir, les développements immenses, les vastes conquêtes, les perspectives radieuses et infinies!... à moi les semailles et les sanglantes sueurs, à vous les éternelles moissons et les chants de triomphe !
1. Rembrandt et l'individualisme dans l'art, 1869, pp. 129 à 134
2. Sermon du même titre prononcé en 1864. Paris, 1864, pp. 14 à 15.
3. Sermon du même litre prononcé le 25 janvier 1863. Paris, 1863, pp. 20 à 23.
4. La Régénération d'un peuple. Discours prononcé le 12 mars 1871 ; Libres paroles d'un assiégé. Écrits et discours d'un républicain français pendant le siège de Paris. Éd. 1871, pp. 216 à 218.
5. Les Choses anciennes et les choses nouvelles. Sermon. Paris, 1864, pp, 10 à 11.