PIERRE CORTEIZ (1684-1767)
Notice
Pierre Carrière, dit Corteiz, est né à Nozaret, paroisse de Yialas, diocèse d'Uzès, en 1684 et mort à Zurich en 1767. Dès l'âge de treize ans, fortifié dans sa foi protestante par les livres de controverse qui circulaient parmi les persécutés, il fréquenta les assemblées secrètes et, à dix-sept ans, il y prenait lui-même la parole. Pendant l'explosion de ce qu'on a appelé le « prophétisme des Cévennes » et pendant la guerre des Camisards, il prit position contre les illuminés. A la fin de 1701, il se réfugia à Lausanne où il obtint une place de régent. Vers 1709, il revint dans le Languedoc, afin d'évangéliser les fidèles sous la Croix et, pendant trois ans, courut toutes sortes de dangers et subit toutes les privations.
En 1712, épuisé de fatigue, il retourna à Genève et s'y maria; mais ne pouvant se résigner à vivre loin de ses coreligionnaires, il revint dans les Cévennes, où il associa ses efforts avec ceux d'Antoine Court. Doué d'un grand esprit de suite, d'une grande austérité de moeurs, de rares qualités de tendresse et d'une énergie à toute épreuve, il fut, après le départ de Court pour Lausanne en 1729, le chef vénéré des Églises sous la Croix dans le Languedoc. Après trente-six ans de travaux et de périls sans cesse renaissants - il fut pendu deux fois en effigie, - il se retira à Zurich et y resta jusqu'à sa mort, On a de lui une Relation historique des principaux événements qui sont arrivés à la religion protestante depuis la Révocation jusqu'en 1728 (publiée par J. G. Baum, Mémoires de Pierre Carrière dit Cortez, en 4871 et par E. Hugues en appendice au premier volume de son ouvrage sur Antoine Court).
DÉFENSE DES ASSEMBLÉES DU DÉSERT (1)
Du Désert, ce premier avril 1716.
... Je n'ignore pas que plusieurs disent que nous avons un zèle inconsidéré, que des personnes plus versées dans la parole de Dieu, plus versées dans les sciences, plus zélées pour l'Évangile ne sont pas de notre sentiment. Pour nous; nous ne disons rien à l'égard de science; je le sais qu'il y en a d'infiniment plus habiles, plus versés dans les Écritures que nous, en comparaison desquels ne sommes rien. Il peut même y en avoir de plus sages que nous, si par la sagesse on entend la sagesse du monde. Car nous renonçons entièrement à la sagesse humaine, afin qu'étant devenus fous, nous n'ayons autre sagesse que celle de Jésus-Christ, qui nous est donnée de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et rédemption ...
Oui, Monsieur, ceux qui fréquentent nos assemblées, leur zèle, leur affection est singulière pour notre sainte religion. Nous n'ignorons pas qu'il n'y ait quelquefois quelque profane, la malice duquel ne pourra empêcher le parfum de nos prières, et incontinent connu, vomi de nos assemblées... La parole de Dieu est seule tenue pour règle; et plût à Dieu que vous vissiez l'ordre et règle que nous y tenons. Vous savez bien que les premiers chrétiens, cent cinquante ans, furent réduits dans les mêmes extrémités que nous sommes dès longtemps en France. Cependant a-t-on jamais vu l'Église plus pure qu'alors?...
Ne pensez pas amener de raison humaine; car la gloire de Dieu et le salut des âmes doit avoir en nous plus de force que toutes les considérations du monde. Vous en devez connaître une partie, si vous faites attention que depuis que nos chers et légitimes pasteurs se sont retirés de la France, le grand Dieu, selon les richesses de sa grâce et la gloire de ses miséricordes, a toujours suscité quelques fidèles, qui n'ont fait cas de rien; leur vie ne leur a point été précieuse, et ils ont glorieusement achevé leur course et glorifié Dieu jusqu'au dernier soupir de leur vie...
Mais de grâce, avant de nous condamner, qu'on nous examine, qu'on juge si ces témoins sont dignes de foi... Il y en a un à Nîmes, qui travaille de ses mains et va de quinze en quinze, à la dérobée, dans les déserts exposer quelque prédication. Mais les roues, les potences, les gibets ne seraient-ils pas capables de détourner qui marcherait dans des vues ,qu'on vous voudrait persuader ? Pourrait-on dire que nous n'ayons des exemples effroyables où nos pauvres frères ont été réduits? Mais, à la vérité, ces exemples ne nous effrayent pas. Ils servent à nous encourager car le Dieu qui a soutenu nos frères est immortel son bras n'est pas raccourci, ni ses affections paternelles refroidies. Il a plus de puissance pour nous conserver, même à l'heure de la mort, que le démon n'en a pour nous attaquer; car Dieu sait délivrer ceux qui le craignent, dit saint Pierre.
Vous me dîtes sans doute que si Adam, tout juste qu'il était, est tombé à la première tentation, comment oserons-nous promettre de demeurer fermer, au milieu des tentations si rudes, si fréquentes, comme sont présentement en France. A Dieu ne plaise que nous soyons surpris par nos ennemis, appuyés sur nos forces ; nous savons avec saint Paul que nous ne sommes pas capables, comme de nous-mêmes, de former une bonne pensée ; mais que toute capacité vient de Dieu... Puisqu'on ne peut ôter une chose sans ôter son effet, permettez que je vous dise avec un profond respect qu'on ne peut condamner les assemblées secrètes en France, sans vouloir ôter le salut qu'elles produisent. -Nous nous mettons dans les déserts, dans les lieux les plus cachés.
Mais encore une fois vous me direz que ce sont personnes éclairées, qui ont plus d'instruction que nous, ceux qui vous écrivent que les assemblées sont inutiles. Je veux croire qu'ils ont plus de connaissance, de science que nous ; mais permettez qu'on vous dise que l'Écriture ne daigne pas honorer du nom de connaissance celle qui n'est pas animée de la charité, et qui n'est ri vive ni efficace. Le Royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en vertu... Bref, quand notre vie serait une continuelle affliction comme celle de Jésus-Christ durant les jours de sa chair, nous avons cette consolation que, si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui ; si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui.
UNE ASSEMBLEE (2)
Pour faire mieux sentir la misère des Églises persécutées... il faut rapporter ici ce qui arriva le 14e mars de l'année 1728. Je fis convoquer une assemblée à la haute montagne de la Lusette, lieu qui favorise divers fidèles, où il se fait des assemblées de deux mille âmes. Le samedi au soir, la veille de l'assemblée, il se leva un vent si fort et si froid que l'eau glaçait sous les pieds, ce qui fit que dans cette haute montagne, où il se fait des assemblées si considérables, il ne se rendit qu'environ mille âmes qui forcèrent contre le vent impétueux. Je leur exposai la méditation que j'avais méditée, mais, hélas! à tous moments le vent me fermait la bouche et me coupait la parole. Ah! qu'on est malheureux de se trouver dans un lieu où l'on ne peut prier Dieu qu'au risque des galères et de la mort même, - ce qui jette les réformés des Églises qui sont sous la croix dans la terreur et dans la crainte.
1. Lettre inédite publiée par E. JACCARD, Trois hommes du grand refuge. Lausanne, Zurich, 1900, pp. 66 à 69.
2. Relation historique des principaux événements qui sont arrivés à la religion protestante depuis la Révocation des Edits de Nantes, l'an 1685, jusques à l'an présent 1728. HUGUES, Histoire de la restauration du protestantisme en France au XVIIIe siècle, 1872, t. 1, p. 438.