GEORGES CUVIER (1769-1832) Notice
Georges Cuvier est né à Montbéliard le 23 août 1769 et mort à Paris le 13 mai 1832 Ses parents le destinaient à la théologie, mais son penchant irrésistible pour les sciences naturelles l'entraîna vers ces études qui devaient lui valoir sa vraie gloire. Ce qui le mit hors de pair, ce sont certainement ses travaux d'anatomie comparée. C'est lui qui a établi la loi de la corrélation des organes, qui lui donna des résultats si considérables, surtout en paléontologie. Avant lui, on croyait assez généralement que les restes fossiles animaux appartenaient à des espèces vivantes. Si quelques naturalistes avaient entrevu la fausseté de cette opinion et soupçonné la différence entre les animaux vivants et les fossiles, c'est à Cuvier que revient l'honneur d'avoir prouve, par ses recherches et par des comparaisons anatomiques approfondies, que cette différence est réelle. La loi de corrélation des organes lui a permis de reconstituer un grand nombre d'animaux disparus. Mais il serait anti-scientifique de vouloir pousser trop loin les conséquences des principes généraux qu'il a posés, et ses panégyristes se sont laissé entraîner à des exagérations qui ont nui à la réputation des travaux les plus sérieux del'éminent zoologiste. L'avenir a montré qu'il a eu tort de combattre les idées de Geoffroy Saint-Hilaire sur l'unité des types et des compositions organiques.
Il faut signaler, ici surtout, les rapports de Georges Cuvier avec ses coreligionnaires. Chargé d'honneurs, anobli, membre de l'Académie française (1818), il fut fait plus lard pair de France (1831). En 1824 lorsque l'évêque Fraissinous fut nommé grand maître de l'Université, Cuvier fut chargé des fonctions de grand-maître à l'égard des Facultés de théologie protestante. Cette même année, il fut nommé membre de la commission royale chargée de réviser et coordonner les lois et règlements concernant les Églises protestantes.
En 1828, il devint directeur pour les cultes non catholiques au Ministère de ]'Intérieur. Il sut, dans ces fonctions, augmenter l'indépendance des Églises protestantes et créa cinquante postes nouveaux de pasteurs. Rappelons qu'on lui doit l'établissement des comités cantonaux pour l'instruction primaire (1816), des concours d'agrégation pour le recrutement des corps enseignants et l'introduction dans l'enseignement secondaire classique des cours d'histoire, de langues vivantes et d'histoire naturelle. On trouvera la liste complète de ses travaux dans les ouvrages spéciaux ; voir notamment : Carus, Histoire de la Zoologie, trad. franç. par P.-O. Hagenmuller (1880). Voir aussi: Ducrotay de Blainville, Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire (1890), et Haag, la France protestante, 2e éd ., t. IV, pp. 989 à 1017 . Quelques papiers relatifs à ses fonctions de directeur du culte protestant sont à la Bibliothèque de la Société de l'Histoire du Protestantisme.
SCIENCE ET POÉSIE (1)
Combien, en effet, ne reste-t-il pas de sujets dignes de ces efforts communs des lettres et des sciences ? Quel admirable spectacle, et qu'il est plein de leçons ! Et ces mondes infinis remplissant l'espace de leurs harmonies, et ces formes innombrables, toutes enchanteresses, sous lesquelles la vie se diversifie, et ,cette multitude effrayante de ressorts qui dans la moindre de ces vies exercent chacun leur action, et une action constamment nécessaire ! Chaque secours que notre vue acquiert pour se porter au loin, centuple l'étendue; chaque secours qu'elle obtient pour distinguer de près, centuple la diversité ; ni le grand ni le petit n'ont de bornes ; et que dis-je? Il n'y en a pas même dans la succession. Chaque recherche dans les profondeurs de la terre, centuple les révolutions qu'elle a subies. La vie y couvre des ruines; ces ruines reposent sur d'autres ; les formes si variées et si riches de cet univers ont été précédées par une infinité, d'autres formes qui avaient toutes aussi leurs variétés et leurs richesses.
Ne me suis-je point trompé ? Parmi tant de grandeurs, l'homme ne paraîtra-t-il pas bien petit? Entraînées par toutes ces magnificences, les lettres ne vont-elles pas l'oublier? Non, elles ne le peuvent. De toutes ces merveilles, l'homme est la plus grande. La science lui a soumis cet univers. Ces êtres, que le voyageur cherche encore, la classe, la famille qui doivent les recevoir sont déjà prêtes. Ces mondes, que le télescope n'a point encore montrés, la science a déjà écrit les lois de leurs mouvements ; rien ne les y soustraira. C'est à cette hauteur que la science a élevé ,l'homme; c'est là que l'éloquence, la poésie doivent le suivre, qu'elles doivent s'emparer de lui avec toute la puissance que leur donnent ces contemplations sublimes.
Ainsi fussent-elles arrivées au comble de leur perfection, les sciences et les lettres se réuniraient encore pour faire de l'homme l'objet de leurs plus hautes méditations ; elles étaient nées ensemble ; souvent elles ont marché ensemble ; il leur reste une longue ,carrière a parcourir ensemble ; au terme de cette carrière, elles ne se sépareront pas.
J.-F. OBERLIN ET LOUISE SCHEPPLER (2)
Dans la partie la plus âpre des Vosges, un vallon ,presque séparé du monde nourrissait chétivement, il y a soixante ans, une population restée à demi sauvage ; quatre-vingts familles réparties dans cinq villages en composaient la totalité, leur misère et leur ignorance étaient également profondes ; elles n'entendaient ni l'allemand ni le français; un patois inintelligible pour tout autre qu'elles, faisait leur seul langage, et ce que dans une assemblée comme la nôtre on n'aura pas de peine à croire, ni leur pauvreté ni leur ignorance n'avaient adouci leurs moeurs; ces paysans se gouvernaient par le droit du plus Tort, presque comme les seigneurs du moyen âge; des haines héréditaires divisaient les familles, et plus d'une fois il en était né des violences coupables.
Un pieux pasteur, Jean-Frédéric Oberlin, devenu depuis si célèbre, entreprit de les civiliser; et, pour cet effet, en habile connaisseur des hommes, il s'attaqua d'abord à leur misère ; de ses propres mains, il leur donna l'exemple de tous les travaux utiles; armé lui-même d'une pioche, il les guida dans la construction d'une route ; bêchant, labourant avec eux, il leur enseigna la culture de la pomme de terre ; il leur fit connaître les bons légumes, les bons fruits; il leur montra à greffer ; il leur donna de bonnes races de bestiaux et de volailles. Leur agriculture une fois perfectionnée, il introduisit différentes industries pour occuper les bras superflus; il leur créa une caisse d'épargne, eu les mit eu rapport avec des maisons de commerce des villes voisines. Leur confiance croissant avec leur bien-être, des leçons d'un ordre plus élevé se mêlèrent par degrés à celles-là. Dès l'origine, il s'était fait leur maître d'école, en attendant qu'il en fût formé pour le seconder. Une fois qu'ils aimèrent à lire, tout devint facile; des ouvrages choisis vinrent à l'appui des discours et des exemples du pasteur, les sentiments religieux et avec eux la bienveillance mutuelle s'insinuèrent dans leur coeur; les querelles, les délits, les procès même disparurent; ou s'il naissait quelque contestation, d'un commun accord on venait prier Oberlin d'y mettre un terme; en un mot, lorsqu'il fut près de sa fin, cet homme vénérable put se dire que, dans ce canton autrefois pauvre et dépeuplé, il laissait trois cents familles réglées dans leurs moeurs, pieuses et éclairées dans leurs sentiments, jouissant d'une aisance remarquable et pourvues de tous les moyens de la perpétuer.
Une jeune paysanne de l'un de ces villages, Louise Scheppler, à peine âgée de quinze ans, fut si vivement frappée des vertus de cet homme de Dieu, que, bien qu'elle jouît d'un petit patrimoine, elle lui demanda d'entrer à son service et de prendre part aux oeuvres de sa charité. Dès lors, sans. jamais accepter de salaire, elle ne le quitta plus. Devenue son aide, son messager, l'ange de toutes ces cabanes, elle y porta sans cesse tous les genres de consolation. Dans aucune circonstance, on n'a mieux vu à quel point le sentiment peut exalter l'intelligence : cette simple villageoise avait compris son maître et tout ce que ses pensées avaient de plus élevé ; souvent même elle l'étonnait par des idées heureuses auxquelles il n'avait point songé, et qu'il s'empressait de faire entrer dans l'ensemble de ses opérations. C'est ainsi que, remarquant la difficulté que ces cultivateurs éprouvaient à se livrer à la fois à leurs travaux champêtres et au soin de veiller sur leurs petits enfants, elle imagina de rassembler ces enfants dès le bas âge dans des salles spacieuses, où, pendant que les parents vaquaient à leur ouvrage, des conductrices intelligentes les gardaient, les amusaient, et commençaient à leur montrer les lettres et à les exercer à de petits travaux. C'est de là qu'est venue en Angleterre et en France l'institution de ces salles d'asile où l'on reçoit et où l'on garde les enfants des ouvriers, si souvent abandonnés dans les villes au vice et aux accidents. L'honneur d'une idée qui a déjà tant fructifié, et qui, bientôt, sera adoptée partout, est entièrement dû à Louise Scheppler, à cette pauvre paysanne de Bellefosse. Elle y a consacré le peu qu'elle possédait, et, de plus, sa jeunesse et sa vieillesse. Encore aujourd'hui, quoique avancée en âge, elle réunit autour d'elle, sans rétribution, une centaine d'enfants de trois à sept ans, et leur donne une instruction appropriée à leur âge.
1. Discours prononcé dans la séance publique tenue par l'Académie française pour la réception de 11. Cuvier, le 27 août 1818, Paris, 1818, pp. 16 et 17.
2. Discours sur los prix de vertu prononcé à l'Académie française le 25 août 1829.