DESUBAS (1720-1746) Notice
Mathieu Majal, dit Désubas, du nom de son village natal des Ubas, près Vernoux), est né le 28 février 1720 et a été exécuté le 1er février 1746. A l'âge de vingt-quatre ans, il assista, comme pasteur du Vivarais, au « synode du désert » qui se tint à Lédignan (Bas-Languedoc) en 1744. L'aimée suivante, les persécutions reprirent avec une violence inouïe, et dans la nuit du Il au 12 décembre 1745, Désubas fut arrêté et conduit à Vernoux, A cieux reprises, les fidèles vinrent, sans armes, intercéder en faveur de leur ministre, mais ils furent arrêtés à coups de fusils; la seconde fois, il y en( trente tués et deux cents blessés, dont beaucoup moururent : c'est le « massacre de Vernoux ». Une révolte allant éclater, Désubas, qui savait pourtant le sort qui l'attendait, dut calmer lui-même les esprits. Transféré à Nîmes et, de là, à Montpellier (Paul Rabaut dut supplier les paysans de ne pas tenter nu coup de force durant le trajet), il fut jugé et, bien que sa noblesse de caractère eut imposé le respect à ses juges, il fut condamné à mort et pendu le 1er février 1746 arrachant des larmes à ses ennemis eux-mêmes. Il n'avait que vingt-six ans. Il n'a laissé aucune oeuvre imprimée; on a retrouvé quelques lettres de lui qui révèlent bien l'âme de ce qu'on a appelé « l'Église sous la Croix » - Consulter: Daniel Benoit, Désubas, son ministère, son martyre (1883).
LETTRE AU CURÉ DU GUÂ (1)
24 juillet 1744.
Nous avons eu la copie d'une lettre, ou plutôt d'un libellé séditieux que vous eûtes la complaisance de communiquer à un protestant de la paroisse d'Issamoulens. Nous aurions cru que vous deviez vous contenter de regarder avec mépris un écrit si mal conçu, sans daigner y faire la moindre attention.
Mais quelle n'a pas été notre surprise et notre douleur d'apprendre que cet écrit vous alarme et, surtout que vous vous soyez mis dans l'esprit que les ministres en sont les auteurs. Le titre de séditieux et de rebelles est si odieux, que nous avons cru que notre devoir nous engageait indispensablement à vous écrire, pour vous protester que de semblables écrits ne partiront jamais de notre part et que nous dirons toujours anathème à ceux qui auront l'audace d'en écrire de tels...
Nous déclarons d'abord, sincèrement devant Dieu, que nous regardons la lettre en question comme impertinente, téméraire, impie et séditieuse. Nous ignorons absolument qui en est l'auteur; mais, qui qu'Il puisse être, nous le regardons comme un brouillon, un perturbateur du repos public, digne d'être recherché et puni comme un véritable séditieux.
Après la protestation que nous venons de faire, que nous sommes persuadés que tous les ministres du Royaume feraient comme nous, nous pouvons nous dispenser d'ajouter d'autres raisons. Cependant, Monsieur, nous voulons bien n'en demeurer pas là, ,et vous faire toucher comme au doigt, s'il est possible, que ni les Ministres du Dauphiné ni ceux du Vivarais ne sont point les auteurs du libelle qu'on leur attribue, sans la moindre raison...
Y en a-t-il quelqu'un de signé? Y reconnaissez-vous leur caractère? Quelque personne digne de foi vous a-t-elle assuré, l'avoir vu écrire par des Ministres? Bien de tout cela. Devez-vous donc soutenir si affirmativement qu'elle vient de leur part? Ne craignez-vous point de blesser les lois de la justice et de la charité? Mettez-vous, pour un moment, à la place des autres, supposez qu'il se débite un écrit rempli d'hérésies et d'impiétés contraires à vos véritables sentiments, supposez qu'on trouve à la tête de cet écrit: Lettre des curés du Vivarais, et qu'en conséquence vous soyez tous poursuivis comme des hérétiques. Faut-il mettre en question de quelle manière vous vous défendriez ? N'est-il pas plus qu'évident que vous demanderiez des preuves, des témoins, et que vous regarderiez comme une injustice qu'on vous condamnât sur de simples préjugés, sans écouter vos raisons ? Vous ne devez donc pas trouver mauvais que nous nous récriions sur le tort que vous nous faites de nous attribuer un écrit sans seing, sans date, rempli d'impertinences et de contrariétés.
Si la religion que nous professons autorisait la révolte et la rébellion, vous auriez quelque raison de vous défier et de nous attribuer des écrits et des démarches tendant à la sédition. Mais avons-nous jamais rien cru ou enseigné de semblable? Ne faisons-nous pas profession de croire qu'il faut obéir aux puissances supérieures et leur être soumis dans tout ce qui n'intéresse point la conscience? Depuis qu'il y a des Ministres dans le Vivarais, avez-vous vu des révoltes et des soulèvements? N'avons-nous pas supporté tous les mauvais traitements... avec une grande patience? D'où peuvent donc venir les soupçons que vous formez contre nous? D'où vient que, depuis qu'il n'y a point des troupes dans le pays, vous êtes tous en alarmes? Vous direz peut-être, Monsieur, que les Assemblées que nous faisons contre les édits de notre Souverain sont des rébellions; mais nous vous demandons : les Rois ont-ils droit sur la conscience de leurs sujets? Nous ne croyons pas que vous ayez de tels sentiments. Croyez-vous encore que les premiers Chrétiens, qui faisaient des Assemblées, contre les édits des Empereurs, même jusque dans la capitale de l'Empire, fassent des rebelles? Vous n'oseriez le dire, et, si vous le faisiez, vous condamneriez des personnes que vous regardez comme des martyrs et des saints. Sommes-nous donc coupables de nous assembler pour professer publiquement une religion qui n'a rien de contraire aux lois de l'État? Quelques-uns de ceux qui ont assisté à nos assemblées nous ont-ils vus armés? ...
Si quelqu'un était si insensé que d'oser le dire, il se trouverait mille et mille témoins qui le contrediraient... Direz-vous, Monsieur, qu'après l'affaire des Camisards l'on a tout lieu de se défier des Protestants? C'est là votre grand retranchement, mais ignorez-vous que les Ministres n'ont en rien contribué à cette révolte?... Ignorez-vous que nous n'avons rien négligé pour faire revenir nos peuples des visions du fanatisme? Ce serait donc sans fondement qu'on nous soupçonnerait de révolte, sous prétexte qu'un petit nombre de visionnaires, que nous avons toujours condamnés jusqu'à les priver même de la communion, ont causé autrefois quelque tumulte...
Cependant voilà plusieurs jours que ce manifeste paraît, mais pour d'armées, ou de gens armés, il n'en parait point. Ceux qui viennent du Dauphiné assurent que tout y est tranquille, qu'on n'y voit d'autre armée que celle du roi et de ses alliés, et qu'aucun curé n'a été chassé ni tué; qu'aucune communauté pillée ni brûlée pour les avoir gardés et soufferts. Cela nous fait penser aux armées qu'un certain Don Quichotte rêvait de voir et de combattre, et qui ne se trouvaient au bout du compte que des moulins à vent et. des troupeaux de moutons...
Après tout, le temps nous justifiera... En attendant, Monsieur, souffrez que nous vous priions d'être tranquille, de ne pas vous alarmer, et surtout d'être persuadé que nous n'avons d'autre dessein que de porter les peuples à la vertu, à les rendre des bons chrétiens. A l'exemple de saint Pierre, nous les exhortons à craindre Dieu et à honorer le Roi. Si, après cela, nous sommes blâmés et persécutés, nous le serons en bien faisant. Ce sera pour avoir porté les hommes à se souvenir de leur Créateur, à lui rendre les hommages qui lui sont dus, à se retirer de l'injustice et de la débauche, et à vivre en paix et en concorde les tins avec les autres.
LETTRE A SES PARENTS (2)
Mon très cher père et ma très chère mère,
Comme je ne doute point que votre tendresse pour ,,moi ne vous ait fait éprouver les chagrins les plus sensibles et les plus vifs qu'il soit possible d'imaginer, à cause de ce que la divine Providence a voulu permettre qu'il m'arrivât, je me fais violence pour vous écrire ces deux mots; ne pouvant le faire sans verser un torrent de larmes, pensant à l'amour que vous avez eu pour moi et à votre état depuis ma détention. Mais l'amour filial profondément gravé dans mon coeur, et le désir ardent que j'ai de vous consoler sur ce qui me regarde, et de vous porter à adorer avec moi les jugements de Dieu, m'y forcent malgré moi. Souffrez donc, mon très cher père et ma très chère mère, que je vous prie très instamment de ne pas vous affliger, ni de vous inquiéter au delà de ce qu'il faut sur ce qui me regarde.
Nous ne savons pas pourquoi Dieu a permis ce qui m'est arrivé, mais nous devons être persuadés qu'il a eu de bonnes raisons pour le permettre. Vous perdez un fils que vous chérissez et qui vous chérit infiniment, mais vous serez réunis avec lui un jour dans le ciel; nous devons l'espérer de la miséricorde de Dieu, pourvu que nous lui soyons fidèles jusqu'à la mort. Soyons donc soumis à sa volonté ici-bas et acquiesçons humblement à ses ordres; soyons persuadés qu'il ne fait rien que par de sages voies» Hé! quel honneur n'est-ce pas pour vous d'avoir un fils qui souffre pour avoir prêché l'Evangile de Jésus-Christ notre Sauveur, pour l'avoir suivi et pour avoir enseigné sa volonté aux hommes! C'est là tout le crime que les hommes peuvent imputer à votre fils; or, de ce qu'on lui fait un crime, il s'en fait une véritable gloire. Oui, mon cher père et ma chère mère, je me glorifie de souffrir pour le nom de Christ; je m'en réjouis, je suis heureux de ce qu'il m'a choisi pour le confesser devant les hommes, pour suivre ses traces et celles de tant d'illustres et glorieux martyrs qui ont enduré constamment, pour la même cause, toute sorte de maux et qui ont aussi obtenu la béatitude céleste, laquelle j'espère que ce bon Sauveur m'accordera aussi, après que j'aurai souffert, pour l'amour de lui, tous les mauvais traitements auxquels je puis être exposé de la part des hommes.
Mon cher père et ma chère mère, pensez sérieusement à ces choses et consolez-vous avec le Seigneur; c'est la grâce que vous demande votre fils qui vous embrasse de tout son coeur et qui portera votre souvenir jusqu'au tombeau, en priant Dieu de vous bénir, de vous conserver et de vous protéger le reste de vos jours sur la terre, et, enfin de vous mettre en possession de son ciel où nous aurons le bonheur d'être réunis, et cela, pour l'éternité. Veuille ce grand Dieu vous en faire la grâce! Amen...
...Ce 30 janvier 1746.
DESUBAS.
1. Archives de Phérault, liasse C. 219. - Collationné sur l'original.
2. Désubas, son ministère, son martyre, par Daniel Benoit, 1883, pp. 207 à 209.