DANIEL ENCONTRE (1762-1818)
Notice
Daniel Encontre est né le 30 juillet 1762 dans la Vannage (Bas-Languedoc) et mort à Montpellier le 16 septembre 1818. il était le troisième fils d'un pasteur du Désert. Son instruction fut fort négligée, les ressources paternelles ayant été épuisées par l'éducation de ses deux aînés. Mais, enfant de génie, il apprit presque tout par ses propres moyens, se passionna pour les mathématiques qu'il devina comme Pascal, et sans guides, parvint, avant d'avoir atteint sa dix-neuvième année, jusqu'au calcul infinitésimal. Destiné an ministère pastoral, il alla, en 1782, étudier en Suisse, à Lausanne et à Genève où il donna l'impression d'un élève extraordinairement brillant. Revenu en France (1785), il fut d'abord « proposant » dans le Bas-Languedoc et le Vivarais et, en 1790, fut consacré solennellement au ministère par son père à Lédignan. Une extinction de voix le força de renoncer à la prédication et, en 1792, il dut se tourner vers une autre carrière.
Pendant la Terreur, il mena une existence pauvre, difficile, fut plusieurs fois mis en péril par sa foi, et prit part, en 1795, aux démarches pour le rétablissement de la liberté religieuse. Il travailla à la formation de l'École centrale de Montpellier, où il concourut pour les deux chaires de mathématiques et de belles-lettres, obtint les deux, et opta pour la seconde. En 1804, Il était nommé à la chaire de mathématiques du lycée de Montpellier, puis à celle de la Faculté des Sciences, dont il devint doyen en 1808. Il est tenu par Auguste Comte pour un des plus grands mathématiciens de l'époque. Mais il ne consacrait pas tout son temps aux sciences pures. Chrétien fervent et protestant zélé, il collaborait à la reconstitution des Églises réformées et prenait part à toutes les discussions d'ordre religieux.
En 1814, il accepta une, chaire à la Faculté de théologie de Montauban dont il devint doyen l'année suivante. Sa pensée se ment presque toujours dans les cadres traditionnels. Très intellectualiste, elle a quelque chose de la raideur géométrique. Pourtant, la recherche des formules précises n'empêche pas cette âme mystique de manifester une ferveur qui va jusqu'aux effusions et une charité poussée jusqu'à la tendresse. Parmi ses ouvrages, nous citerons : Dissertation sur le vrai système du monde comparé avec le récit que Moïse fait de la création (1807) ; - Lettres à M. Combes-Dounous sur Platon et Jésus-Christ (1811). - Consulter : P.-D. Bourchenin, Daniel Encontre, son rôle dans l'Eglise, sa théologie (Montauban, 1877).
SOUVENIRS D'ENFANCE: FRÈRE PINET (1)
Il y a une cinquantaine d'années que vivait encore dans la Gardonenque un être singulièrement remarquable par sa piété et par la protection singulière dont la Providence ne cessa pas de l'honorer pendant le cours de sa longue carrière. Cet homme, convaincu par son propre coeur que tous les hommes étaient ses frères, les aimait tous comme tels. Et réciproquement toutes les personnes de sa connaissance, ne doutant pas d'avoir en lui un véritable frère, il en résulta que savants et ignorants, riches et pauvres, protestants et catholiques s'accordèrent à l'appeler frère Pinet.
Frère Pinet n'a jamais connu ni son père ni sa mère; on le trouva tout petit, égaré dans les champs, et il ne sut dire autre chose sinon qu'il s'appelait Pinet. Les perquisitions probablement très inexactes faites par le Bailli n'en apprirent pas davantage. Quelques personnes charitables eurent soin du pauvre petit malheureux. Mais il eut bientôt la consolation de se rendre utile à ses bienfaiteurs, il demanda qu'on lui permît d'aller garder les dindons, et s'acquitta de cet office avec tant de diligence et de bonheur, que jamais on n'eut occasion de lui faire le moindre reproche. Il fut bientôt assez fort pour garder les moutons, et tandis que les autres bergers étaient assaillis par les loups, ou faisaient aux propriétaires fonciers des dommages qui occasionnaient à leurs maîtres des procès souvent ruineux, le frère Pinet menait et ramenait son troupeau sans éprouver jamais la moindre mésaventure...
Devenu plus fort, frère Pinet entra comme valet chez un menuisier de Boucoiran qui avait la crainte de Dieu. Cet homme, touché de la piété simple et sincère de son jeune domestique, de son activité, de sa prévenance et de l'extrême douceur de son caractère, lui offrit de lui-même sa fille en mariage. Le frère Pinet ne put qu'accepter avec reconnaissance un parti qui était bien au-dessus de tout ce qu'il pouvait raisonnablement espérer. Son épouse lui apporta une dot qui s'élevait à environ cinq cents francs. Le frère Pinet crut devoir et pouvoir en faire usage pour se procurer l'aisance et la liberté.
Moyennant une petite redevance envers le seigneur, il acquit un terrain inculte qu'il défricha et où il bâtit une petite maison. Elle est située sur la route qui va de Brignon à Uzès. Le frère Pinet, après s'y être établi, ne la quitta plus et ses cendres reposent dans le terrain environnant.
Tant que vécut cet homme singulier, ses champs furent tous les ans recouverts des plus abondantes récoltes, ses arbres furent chargés des plus beaux fruits, sa volaille et son troupeau multiplièrent au delà de ses désirs, malgré les brèches énormes qu'il y faisait quelquefois lui-même. Il tenait en quelque sorte table ouverte. Tous les voyageurs de quelque condition, de quelque religion qu'ils fussent, étaient indifféremment invités à se rafraîchir chez lui. Le tonneau de bon vin était toujours en permanence. L'excellent pain ne manquait jamais, et lorsqu'il avait le bonheur de recevoir quelque ministre de l'Évangile, quelque personnage recommandable par des services importants rendus à l'Église, il n'épargnait plus rien...
J'ai été baptisé chez le frère Pinet qui, à ce qu'on m'a raconté depuis, donna dans cette circonstance une fête vraiment magnifique. Je fus nourri dans un hameau des environs. Mon père et nia mère, obligés d'aller s'établir à Montpellier, me recommandèrent tout spécialement au frère Pinet, Cet homme bienfaisant venait me voir régulièrement deux fois par semaine quoiqu'il eût déjà soixante et dix ans et que le trajet fût long et difficile. Du reste, il ne venait jamais les mains vides. Toujours quelques friandises pour moi et quelque chose d'un peu plus considérable pour ma nourrice.
... J'avais environ dix ans quand le frère Pinet mourut sans agonie ou plutôt qu'il cessa de vivre dans ce monde pour vivre dans un monde meilleur, mais je n'avais guère que, six ou sept ans la dernière fois que je le vis. Je me rappelle encore tous ses traits. Sa taille était petite, son regard extrêmement vif. La bonté semblait peinte sur son visage, jamais physionomie ne fut plus douce, plus propre à inspirer la confiance et l'amitié. Il était toujours habillé de gris, scia habit était remarquable par deux immenses poches qu'il remplissait de noix, d'amandes, de châtaignes, de raisins secs pour donner aux enfants de ses amis. Il parait avoir partagé tout soir temps entre le travail, la prière et les actes de bienfaisance. Je ne me souviens pas de lui avoir jamais entendu dire un mot de français, excepté lorsqu'il récitait les psaumes, les cantiques et les prières de l'Église qu'il savait par coeur. Je crois même qu'il n'avait jamais appris à lire. Mais il croyait avec simplicité en Notre Seigneur et trouvait dans son jargon des expressions pour engager les autres à croire comme lui.
PRIÈRE (2)
O Dieu éternellement béni! C'est avec la plus profonde humilité et en me rabaissant jusque dans la poussière, que je me prosterne aux pieds de ta majesté souveraine. Je reconnais, Seigneur, combien un coupable vermisseau de terre tel que je suis est indigne de paraître en ton adorable présence, surtout dans la vue de traiter alliance avec toi, Ô roi des rois et Seigneur des seigneurs! Mais c'est toi-même qui as daigné former le plan de cette alliance. C'est ta miséricorde qui nous l'a communiquée par l'entremise de ton propre Fils et c'est ta grâce qui a disposé mon coeur à le recevoir. Je viens donc à toi confessant que j'ai été et que je suis encore un ouvrier d'iniquité, frappant ma poitrine, te disant avec l'humble péager: 0 Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur! Je viens, invité par ton cher Fils et me confiant uniquement en sa parfaite justice, te supplier de me pardonner mes offenses pour l'amour de lui et de ne plus te souvenir de mes transgressions. Veuille recevoir en grâce ta créature rebelle qui connaît les droits sacrés que tu as sur elle et qui ne désire rien tant que de t'appartenir.
C'est aussi solennellement qu'il m'est possible que je me donne aujourd'hui à toi. Je renonce aux autres maîtres qui me tyrannisent. Je te consacre les facultés de mon esprit, les affections de mon coeur, les membres de mon corps, mes biens temporels, le temps que j'ai encore à passer sur la terre, tout ce que je suis, tout ce que je possède, et je ne souhaite, ou du moins je ne veux souhaiter de vivre que pour obéir à des commandements. Accepte la résolution que je forme d'être à toi dès maintenant et à jamais.
J'acquiesce à toutes les dispensations de ta miséricordieuse providence. Dispose, Seigneur, de ma personne et de tout ce que je puis appeler mien, selon que ton infinie sagesse le jugera plus convenable à l'avancement de ton règne. Je remets avec confiance mon sort entre tes mains paternelles, disant du. coeur comme de la bouche : non point ce que je veux, mais ce que tu veux, et me réjouissant d'être soumis avec tout l'univers à un empire qui doit faire la consolation et le bonheur de toutes les créatures intelligentes.
Je te supplie, ô Dieu ! de me rendre capable de te glorifier ici-bas. Regarde-moi comme faisant partie de, ton peuple particulier. Lave-moi de mes péchés dans le sang de ton Fils. Revêts-moi de sa parfaite justice. Transforme-moi de plus en plus à son image. Répands sur moi, par lui, les dons si nécessaires de son esprit de sainteté, de sagesse, de force et de joie; et comme mon Dieu et mon père, fais-moi la grâce de passer le reste de ma vie sous ta conduite et à la clarté de ta face.
Lorsque l'heure de mon départ viendra et que toutes mes espérances et mes joies terrestres s'évanouiront, puissé-je me souvenir de ton alliance bien établie et assurée comme étant mon salut et tout mon plaisir. Daigne aussi t'en souvenir, Seigneur! Jette, Ô mon Père céleste, un regard de compassion sur ton enfant abattu et expirant! Que ta droite puissante me soutienne. Remplis de force et de confiance mon âme prête à quitter sa prison! Et reçois-la dans l'heureux séjour qu'habitent ceux qui dorment en Jésus pour y attendre en paix l'accomplissement de la grande promesse que tu as faite à tous tes enfants : savoir leur résurrection glorieuse et une félicité éternelle en ton adorable présence. Enfin, si ce mémorial des engagements solennels que j'ai contractés avec toi tombe après ma mort entre les mains de mes amis, puisse-t-il les porter à l'adopter eux-mêmes et veuille leur faire part de tous les bénéfices de ton alliance par Jésus qui en est le grand médiateur : auquel comme à toi, ô Père! et à ton Saint-Esprit, louanges immortelles soient rendues par toutes les âmes que tu auras ainsi rachetées et par toutes les intelligences célestes au bonheur et aux occupations desquelles tu daigneras les associer. Amen.
Renouvelé à Montauban, en la sainte présence du Seigneur, aux pieds duquel je signe cet acte.
Ce 98 mars 1817.
Signé: D. ENCONTRE.
1. Documents inédits publiés par D. BOURCHENIN, dans son livre : Daniel Encontre, son rôle dans l'Église, sa théologie, 1877, pp. 19-21.
2. Op. cit., pp. 245 à 247. - On trouvera une ressemblance frappante entre cette prière et une autre d'Oberlin que tous les biographes de ce dernier reproduisent (Cf. C. LEENHARDT, Op. cit., pp. 7 à 9). Le texte original de celle-ci est eu allemand. Encontre n'a pas pu imiter Oberlin qui vivait encore et dont les papiers intimes n'ont commencé à être révélés qu'en 1831. Mais Oberlin et lui se sont librement inspirés d'un « acte de consécration » qui se trouve dans un livre de piété dû ait prédicateur anglais Doddridge et assez populaire jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle ; Bise and progress of religion in the soul (Londres, 1744). Cet ouvrage a eu de nombreuses éditions. Il a été traduit en français (La Haye, 1751 ; Bâle, 1754) et en allemand. L'acte de consécration se trouve au chapitre XVII, pp. 172 à 177 de l'édition anglaise (éd. 1838) et sous une forme un peu plus courte, pp. 177 à 179 (pp. 235 et suiv. et 242 et suiv. de l'édition française de 1751). Il semble qu'Oberlin ait suivi la première forme de cette prière, et Encontre la seconde. M. le pasteur C. Leenhardt et M.F r. Ritter, bibliothécaire, de l'Université de Strasbourg, nous ont grandement aidés à élucider ce petit point d'histoire religieuse.