FRANCOIS GUIZOT (1787-1874)
Notice
François Guizot est né à Nîmes le 4 octobre 1787 et mort au Val-Richer (Calvados) le 42 septembre 1814. D'une vieille famille protestante, il se destinait au barreau, mais il orienta bientôt sa prodigieuse activité vers l'histoire et, dès 1811, publiait une Edition annotée de l'histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain de Gibbon. L'année suivante il fut nommé professeur d'histoire à la Sorbonne et donnait aussitôt le signal de la renaissance des études historiques, par son esprit scientifique, par sa compréhension de la signification profonde des événements, par son art de mise en oeuvre.
Après un premier passage dans la politique (1814-1820), il revint occuper sa chaire à la Faculté des Lettres et rédigea plusieurs des grands ouvrages historiques qui devaient le placer parmi les premiers écrivains du dix-neuvième siècle. M. Lanson écrit (Histoire de la Littérature française, p. 1018 : « Guizot élimine les faits, les hommes, la vie. Il connaît les sources : il établit solidement sur les documents originaux les bases de son travail. Mais il ne s'intéresse qu'aux idées, aux idées générales, qu'il fait sortir avec une rare puissance. Il discipline les faits, pour qu'ils montrent leurs lois, et pour qu'ils donnent un enseignement par ces lois; mais entendez qu'ils donnent un enseignement orthodoxe, c'est-à-dire selon l'orthodoxie doctrinaire L'Histoire de la révolution d'Angleterre (1827-1828, 2 vol.) - l'Histoire de la Civilisation en Europe et l'Histoire de la Civilisation en t'rance (1828-1830, 6 vol.), ces grandes oeuvres froides et fortes sont la démonstration, impartiale et scientifique en apparence, systématique et passionnée au fond, de ces deux vérités : qu'une royauté même légitime n'a pas de droits contre les représentants de la nation, et que le gouvernement doit appartenir aux classes moyennes qui ont la richesse et les lumières, qui, par intérêt et par capacité, assureront la prospérité du corps social ». En 1830, il retourna à la politique et passa des libéraux aux conservateurs.
Plusieurs fois ministre, il a eu la gloire d'organiser en entier le système de l'instruction primaire, améliorant sensiblement l'instruction secondaire et enrichissant de créations utiles notre enseignement supérieur. Président du Conseil des ministres en 1840, il contribua, par sa politique conservatrice, à provoquer la révolution de 1848. Dès ce moment, il ne s'occupa plus de politique, et se consacra uniquement aux études historiques et religieuses. Toute sa vie, il lut un huguenot zélé ; il pensait que la religion était la sanction de l'ordre et de l'esprit d'autorité; aussi, quoiqu'il fût toujours resté protestant convaincu, il rêvait non pas la fusion qu'il estimait impossible, mais une association d'un catholicisme converti à la liberté et d'un protestantisme réconcilié avec l'autorité dans l'intérêt des idées spiritualistes et chrétiennes pour lesquelles la menace du scepticisme et de l'indifférence l'inquiétait. Il prit une part active au synode de 1872.
Tout en se mêlant aux polémiques religieuses, il ne cessa de s'occuper des intérêts généraux du protestantisme français et fut parmi les fondateurs de la Société biblique (1818), de la Société d'instruction primaire protestante (1833), de la Société d'histoire du protestantisme français (1857). Il publia en 1861 : l'Église et la société chrétienne et, en 1864, ses Méditations sur l'essence de, la religion chrétienne : ce dernier livre n'était que le premier volume d'un grand ouvrage qu'il voulait consacrer à l'apologie de la religion chrétienne, qu'il n'a pas ou le temps d'écrire et dont on ne connaît que le plan. Aux ouvrages déjà cités, il convient d'ajouter : Du gouvernement représentatif et de l'état actuel de la France (1816) ; - Essai sur l'histoire et l'état actuel de l'instruction publique en France (1816) ; - Histoire et origine du gouvernement représentatif (1821-1822, 2 vol. in-8); - Méditations et études morales (1851) ; - Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps (4858-1868, 9 vol. in-8) ; - Histoire parlementaire de la France, ou recueil complet de ses discours dans la Chambre de 1819 à 18148 (1863, 4 vol. in-8) ; - Mélanges politiques et historiques (1869) ; - Histoire de France racontée à rites petits-enfants, entreprise à l'àge de quatre-vingt-trois ans et dont il n'a pu écrire que les quatre premiers volumes. Consulter le livre de M. Bardoux : Guizot (1894).
LA SOURCE DE LA CHARITÉ CHRÉTIENNE (1)
On a beaucoup dit que la charité est le grand précepte de Jésus-Christ, la vertu chrétienne par excellence. Je ne sais si l'on a assez vu et dit d'où viennent à la charité chrétienne son caractère et sa grandeur.
Dans les diverses religions païennes, grossières ou savantes, ce sont les forces de la nature ou les hommes qui deviennent Dieu. Et même dans celles de ces religions où les dieux à leur tour se font hommes, c'est l'homme surtout qui parait et vit dans cette in,carnation de Dieu. Dans le christianisme, au contraire, ce n'est pas un Dieu d'origine naturelle ou humaine qui se fait homme, mais le Dieu qui existe par lui-même, avant comme au-dessus de tous les ares, le Dieu unique et éternel. Seule entre toutes les croyances religieuses, la foi hébraïque montre Dieu essentiellement et éternellement distinct de la nature et de l'homme qu'il a créés et qu'il gouverne. Seule, la foi chrétienne montre le Dieu. unique et éternel, le Dieu d'Abraham et de Moïse se faisant homme, et la nature divine s'unissant à la nature humaine dans la personne de Jésus-Christ. Et dans cette union, c'est la nature divine qui éclate, parle et agit. Et cette incarnation est unique comme le Dieu qui l'accomplit.
Et pourquoi Dieu se fait-il homme? Quel est le but de cette incarnation unique et mystérieuse? Dieu veut sauver les hommes du mal et du péril qui pèsent sur eux depuis la faute de leur premier auteur. Il veut racheter le genre humain du péché d'Adam, devenu celui de tous les enfants d'Adam, et les ramener dans les voies de la vie éternelle. C'est là le dessein hautement proclamé de l'incarnation divine dans Jésus-Christ et le prix de toutes les douleurs par lesquelles Jésus-Christ doit passer pour l'accomplir.
Il n'est pas besoin de longues paroles. Qui ne voit combien ce fait sublime relève la dignité de l'homme et met en lumière sa valeur? Par cela seul que Dieu s'est fait homme, la nature humaine est glorifiée, et tout homme a, pour ainsi dire, sa part de l'honneur que Dieu a fait à l'humanité en s'unissant à elle et en acceptant, pour un moment, les conditions de sa vie. Mais il y a ici, pour les hommes, bien plus qu'un honneur, bien plus qu'une glorification; il y a la manifestation éclatante du prix qu'ils ont tous aux yeux de Dieu. Car ce n'est pas pour quelques-uns d'entre-eux, ce n'est pas pour telle ou telle portion de l'humanité, c'est pour l'humanité tout entière que Dieu s'est incarné dans Jésus-Christ, et que Jésus-Christ a subi toutes les douleurs humaines. Toute âme humaine est l'objet de ce divin sacrifice et appelée à en recueillir le fruit.
Là est la source, et aussi le privilège de la charité chrétienne. C'est le dogme qui fait la puissance du précepte. Jésus-Christ crucifié, c'est la charité de Dieu envers les hommes. Comment les hommes ne se devraient-ils pas entre eux ce que Dieu a fait pour eux, et à quel homme la charité ne serait-elle pas due? Otez la divinité et le sacrifice de Jésus-Christ ; le prix de l'âme humaine s'abaisse, s'il est permis de parler ainsi ; ce n'est plus de son salut, ni de l'exemple de son Sauveur qu'il s'agit ; la charité n'est plus que la bonté humaine, beau et utile sentiment, mais limité dans sa force d'impulsion comme dans son efficacité, car il vient de l'homme seul, et il ne peut que soulager incomplètement les misères inégalement distribuées. Ce n'est pas assez pour inspirer les longs efforts et les grands sacrifices; ce n'est pas assez pour que le désir de la guérison morale, comme du soulagement matériel des hommes, devienne cette sympathie inépuisable et cette passion infatigable qui sont vraiment la charité, et que, dans le cours de l'histoire du monde, la foi chrétienne seule a su inspirer.
L'ESSENCE DU CALVINISME (2)
Un principe, je devrais dire, une passion régnait... dans l'âme de Calvin, et a présidé à l'organisation permanente de l'Eglise qu'il a fondée, comme à sa conduite personnelle pendant sa vie. Ce principe est la distinction profonde de la société religieuse et de la société civile. Je dis la distinction et nullement la séparation : Calvin voulait, au contraire, l'alliance des deux sociétés et des deux pouvoirs, mais indépendants chacun dans son domaine, combinant leur action, se portant un respect mutuel et se prêtant un mutuel appui. C'était de cette alliance qu'il se promettait la réforme et la discipline morale des membres de l'Église placée sous l'autorité de ses propres magistrats religieux et soutenue par l'influence indirecte du pouvoir civil.
Dans ce principe et ce travail fondamental de Calvin, il y avait deux réformes nouvelles et hardies tentées au sein même dé la grande réforme européenne et par delà l'oeuvre de ses premiers auteurs. Henri VIII, en enlevant l'Église d'Angleterre à la domination de la papauté, s'en était proclamé le chef, et l'Église d'Angleterre avait accepté ce royal empire. Zwingle, en provoquant, dans la Suisse allemande, la rupture avec l'Église romaine, avait approuvé que l'autorité souveraine, en matière religieuse, passât aux mains des pouvoirs civils. Luther même, tout en réservant à la nouvelle Église allemande une certaine mesure de spontanéité et de liberté, l'avait placée sous la protection et la prépondérance des souverains laïques.
Dans cette grande question des rapports de l'Église avec l'État, Calvin voulut et fit plus que ses devanciers ; même avant de jouer, dans la Réforme européenne, un rôle considérable, dès qu'il avait appris la suprématie religieuse d'Henri VIII en Angleterre, il s'était fortement élevé contre un tel régime; avec une équité d'esprit rare de son temps, et malgré sa lutte contre l'Église romaine, il était frappé de la force et de la dignité que donnaient à cette Église son existence distincte de la société civile et l'indépendance de son chef. Quand il devint lui-même un grand réformateur, il ne voulut pas que l'Église réformée perdit ce grand caractère; en la proclamant évangélique, il réclama pour elle, en matière de foi et de discipline religieuse, l'indépendance et l'autorité propre qu'avait possédées l'Église primitive; et, malgré la résistance que lui opposèrent souvent les magistrats civils, malgré les concessions qu'il fut quelquefois obligé de leur faire, il maintint fermement ce principe, et il assura à l'Église réformée de Genève, dans les questions et les affaires purement religieuses, le droit de se gouverner elle-même, selon la foi et la loi écrites dans les Livres saints.
Il fit prévaloir en même temps dans cette Église un second principe non moins considérable. Dans le cours des siècles et par une série de modifications successives, les unes naturelles, les autres factices et illégitimes, l'Église chrétienne s'était, pour ainsi dire, coupée en deux parts, la société ecclésiastique et la société religieuse, le clergé et les fidèles. Dans l'Église catholique, le pouvoir était tout entier entre les mains du clergé ; la société ecclésiastique gouvernait pleinement la société religieuse ; et tandis que la seconde avançait de plus en plus dans les idées et les sentiments laïques, la première restait de plus en plus distincte et souveraine. Les réformes allemande et anglaise avaient déjà modifié cet état de choses, et donné à la société laïque, dans les questions et les affaires religieuses, une certaine part d'influence. Calvin y pourvut d'une façon encore plus directe et plus efficace, non seulement pour les affaires générales, mais pour le choix même des pasteurs ; il fit entrer les laïques, même en nombre supérieur à celui des ecclésiastiques, dans les consistoires et les synodes, autorités gouvernantes dans l'Église réformée. Il fit ainsi disparaître la séparation du clergé et des fidèles, il les appela à délibérer et à agir ensemble; il garantit à la société religieuse tout entière sa part d'autorité dans les affaires et les destinées de l'Eglise.
Ainsi commença à Genève, sous l'inspiration et par l'influence de Calvin, l'organisation ecclésiastique qui, en se développant, se complétant et se modifiant selon les nécessités des lieux et des temps, devint, sous le nom de régime presbytérien, le régime des Églises réformées en France, dans la Suisse française, en Hollande, en Écosse et dans une portion considérable de la population protestante en Angleterre et aux États-Unis d'Amérique. Régime d'origine et de caractère évangélique, républicain dans quelques-unes de ses maximes et de ses institutions, mais point étranger au principe d'autorité, capable de discipline et de durée, et qui a maintenu depuis trois siècles, chez les peuples les plus civilisés, une large mesure de foi chrétienne, d'ordre ecclésiastique et de liberté civile. Ce fut un réfugié français qui fonda, dans une ville étrangère, et légua ce régime à la Réforme française, et aux nombreuses sociétés chrétiennes qui s'empressèrent de l'adopter. C'est à ce titre que Calvin prend place dans l'histoire de France, et compte à bon droit parmi les hommes éminents qui ont porté au loin l'influence, la langue et la gloire de la patrie au sein de laquelle il ne leur avait pas été permis de vivre et de travailler.
LA GRANDE MISSION DE L'INSTITUTEUR (3)
Ne vous y trompez pas, Monsieur, bien que la carrière de l'instituteur primaire soit sans éclat, bien que ses soins et ses jours doivent le plus souvent se consumer dans l'enceinte d'une commune, ses travaux intéressent la société tout entière, et, sa profession participe de l'importance, des fonctions publiques. Ce n'est pas pour la commune seulement, et dans un intérêt purement local, que la loi veut que tous les Français acquièrent, s'il est possible, les connaissances indispensables à la vie sociale, et sans lesquelles l'intelligence languit, et quelquefois s'abrutit; c'est aussi pour l'État lui-même, et dans l'intérêt public; c'est parce que la liberté n'est assurée et régulière que chez un peuple assez éclairé pour écouter, en toute circonstance, la voix de la raison. L'instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l'ordre et de la stabilité sociale...
Toutefois, Monsieur, je ne l'ignore point: la prévoyance de la loi, les ressources dont le pouvoir dispose ne réussiront jamais à rendre la simple profession d'instituteur communal aussi attrayante qu'elle est utile. La société ne saurait rendre, à celui qui s'y consacre, tout ce qu'il fait pour elle. Il n'y a point de fortune à faire, il n'y a guère de renommée à acquérir dans les obligations pénibles qu'il accomplit.
Destiné a voir sa vie s'écouler dans un travail monotone, quelquefois même à rencontrer autour de lui l'injustice ou l'ingratitude de l'ignorance, il s'attristerait souvent et succomberait peut-être s'il ne puisait sa force et son courage ailleurs que dans les perspectives d'un intérêt immédiat et purement personnel. Il faut qu'un sentiment profond de l'importance morale de ses travaux le soutienne et l'anime; que l'austère plaisir d'avoir servi les hommes et secrètement contribué au bien public, devienne le digne salaire que lui donne sa conscience seule.
C'est sa gloire de ne prétendre à rien au delà de son obscure et laborieuse condition, de s'épuiser en sacrifices à peine, comptés de ceux qui en profitent, de travailler enfin pour les hommes et de n'attendre sa récompense que de Dieu...
Les premiers de vos devoirs, Monsieur, sont envers les enfants confiés à, vos soins. L'instituteur est appelé par le père de famille au partage de son autorité naturelle, il doit l'exercer avec la même vigilance et presque avec la même tendresse. Non seulement la vie et la santé des enfants sont remises à sa garde, mais l'éducation de leur coeur et de leur intelligence dépend de lui presque tout entière. En ce qui concerne l'enseignement proprement dit, rien ne vous manquera de ce qui peut vous guider...
Mais quant à l'éducation morale, c'est en vous surtout, Monsieur, que je me fie. Rien ne peut suppléer en vous la volonté de bien faire. Vous n'ignorez pas que c'est là, sans aucun doute, la plus importante et la plus difficile partie de votre mission. Vous n'ignorez pas qu'en vous confiant un enfant, chaque famille vous demande de lui rendre un honnête homme, et le pays un bon citoyen. Vous le savez : les vertus ne suivent pas toujours les lumières, et les leçons que reçoit l'enfance pourraient lui devenir funestes si elles ne s'adressaient qu'à son intelligence. Que l'instituteur ne craigne donc pas d'entreprendre sur les droits des familles en donnant ses premiers soins à la culture intérieure de l'âme de ses élèves.
Autant il doit se garder d'ouvrir son école à l'esprit de secte ou de parti, et de nourrir les enfants dans des doctrines religieuses ou politiques qui les mettent pour ainsi dire en révolte contre l'autorité des conseils domestiques,. autant il doit s'élever au-dessus des querelles passagères qui agitent la société, pour s'appliquer sans cesse à propager, à affermir ces principes impérissables de morale et de raison sans lesquels l'ordre universel est en péril, et à jeter profondément dans de jeunes coeurs ces semences de vertu et d'honneur que l'âge et les passions n'étoufferont point. La foi dans la Providence, la sainteté du devoir, la soumission à l'autorité paternelle, le respect dû aux lois, au prince, aux droits de tous, tels sont les sentiments qu'il s'attachera à développer. Jamais; par sa conversation ou son exemple, il ne risquera d'ébranler chez les enfants la vénération due au bien; jamais, par des paroles de haine ou de vengeance, il ne les disposera à ces préventions aveugles qui créent, pour ainsi dire, des nations ennemies au sein de la même nation. La paix et la concorde qu'il maintiendra dans son école doivent, s'il est possible, préparer le calme et l'union des générations à venir.
A UNE MÈRE EN DEUIL (1)
Quand de cruelles images vous assiègent, quand vous n'êtes entourée que de morts, prenez votre élan, sortez de ces tombeaux. Ils en sont sortis, ils sont ailleurs. Nous serons où ils sont. Je me suis longtemps épuisé à chercher où ils sont. Je ne recueillais de mon travail que ténèbres et anxiétés. C'est qu'il ne nous est pas donné, il ne nous est pas permis de voir clair d'une rive à l'autre. Si nous y voyions clair, s'ils étaient là devant nos yeux, nous appelant, nous attendant, supporterions-nous de rester où nous sommes aussi longtemps que Dieu l'ordonne? Irions-nous jusqu'au bout de notre tâche ? Nous nous refuserions à tout, nous abandonnerions tout; nous jetterions là notre fardeau, notre devoir, et nous nous précipiterions vers cette rive où nous 'les verrions clairement. Dieu ne le veut pas, mon amie : Dieu veut que nous restions là où il nous a mis, tant qu'il nous y laisse. C'est pourquoi il nous refuse cette lumière certaine, vive, qui nous attirerait invinciblement ailleurs; c'est pourquoi il couvre d'obscurité ce séjour inconnu où ceux qui nous sont chers emporteraient toute notre âme.
Mais l'obscurité ne détruit pas ce qu'elle cache; mais cette autre rive où ils nous ont devancés n'en existe pas moins parce qu'un nuage s'étend sur le fleuve qui nous en sépare. Il faut renoncer à comprendre. Il faut croire en Dieu. Depuis que je me suis enfermé dans la foi en Dieu, depuis que j'ai jeté à ses pieds toutes les prétentions de mon intelligence, et même les ambitions prématurées de mon âme, j'avance eu paix, quoique dans la nuit, et j'ai atteint la certitude en acceptant mon ignorance. Que je voudrais vous donner la même sécurité, la même paix! Je ne renonce pas, je ne veux pas renoncer à l'espérer
1. Méditations sur l'essence de la religion chrétienne, 1864, pp. 281 à 284.
2. L'histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, racontée à mes petits-enfants. Ed. 1874, t. III, chap. XXX, pp. 208 à 212.
3. Circulaire aux instituteurs, juillet 1833.
4. Correspondance avec la princesse de Liéven, publiée par M. ERNEST DAUDET, revue des Deux-Mondes du 15 septembre 1901. Guizot répond à une lettre de Mme de Liéven sur sa douleur. Ses enfants lui ont été enlevés : « ils n'étaient déjà plus faits pour cette horrible patrie. Ils en ont trouvé une autre. Ah! Monsieur, et je n'y suis pas avec eux ! Dites-moi que j'y serai bien sûr. »