PELET DE LA LOZERE (1785-1871)
Notice
Le comte Claramont Pelet de la Lozère est né le 12 juillet 1785 à Saint-Jean-du-Gard et mort à Villers-Cotterets, le 6 février 1871. Il fit ses études à Paris, Lyon et Genève En 1806, en dépit de sa jeunesse, il fut nommé auditeur au Conseil d'État et peu après administrateur des forêts de la Couronne. Nommé maître des requêtes en 1811, il fut préfet du Loir-et-Cher de 1819 à 1823, puis député de ce département de 1827 à 1834. En 1836, il devint ministre de l'instruction publique et, en 1837, membre de la Chambre des pairs. Après la révolution de 1848 et le coup d'État de 1851, il se retira de la vie publique. Mêlé au mouvement religieux du commencement du siècle, il ne cessa de s'occuper des affaires et des oeuvres du protestantisme. Il était passionné de liberté politique. Son ouvrage le plus important est celui qu'il a rédigé lorsqu'il assistait aux séances du Conseil d'Etat présidé par Napoléon 1er: Opinions de Napoléon sur divers sujets de politique et d'administration recueillies par un membre de son Conseil d'État (1833). On lui doit aussi un Précis de l'histoire des États-Unis d'Amérique depuis leur colonisation... (1845) et un recueil de Pensées morales et politiques (1873). -Ce recueil est précédé d'une notice sur sa vie et ses oeuvres par Ernest Dhombres.
LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT (1)
On ne peut se dissimuler que l'idée de la séparation de l'Église et de l'État fait des progrès dans le monde, et qu'elle a pour elle des exemples propres à séduire...
Malgré le succès de la séparation en Amérique et en Angleterre, malgré les pernicieux effets qu'a eus, dans tant de pays, un système contraire, on hésitera longtemps encore à se résoudre, dans le pays de l'inquisition, à ce divorce, et la théorie, aussi bien que la possibilité, en seront contestées.
En théorie, dira-t-on, est-il vrai que l'État puisse se désintéresser des choses de la religion au point de les abandonner à elles-mêmes, et de n'intervenir ni par le salaire ni par les nominations ? La religion et le gouvernement sont-ils, de leur nature, deux choses tellement distinctes qu'elles puissent vivre séparées ? Ne coopèrent-elles pas à la même tâche, le bien des hommes, et n'a-t-on pas appelé les rois, dans l'antiquité, les pasteurs des peuples; dans le langage moderne, les évêques du dehors ? Ces deux pouvoirs ne sont-ils pas aussi unis, aussi inséparables que le corps et l'âme, et ne faut-il pas qu'ils agissent de concert ? Ne peut-il pas arriver, si on les sépare, qu'ils agissent l'un contre l'autre et se paralysent réciproquement? L'Église n'aurait-elle pas à craindre que l'État l'opprime, et l'État que l'Église trop indépendante se rende redoutable et emploie sa puissance contre lui ?
Ce raisonnement conduirait plus loin qu'on ne veut; il n'irait pas seulement à maintenir l'union de l'Église et de l'État telle qu'elle existe, mais a les réunir sous un même chef...
Mais l'exemple des États-Unis répond à ces appréhensions; eux aussi tiennent au concours de la religion pour faciliter indirectement le gouvernement de l'État : ils l'honorent et lui demandent, dans les temps de crise, ses prières; ils savent que la religion rend un peuple moral et qu'un peuple moral est plus facile à gouverner. Ils n'ont aucune appréhension que la religion séparée de l'État tourne contre lui son indépendance, parce que, dégagée de toute ambition politique, elle n'a aucun intérêt de le troubler.
La séparation, donc, est plutôt un gage de paix entre l'État et l'Église, et entre les diverses parties de la population, qu'un danger de discorde...
L'égalité des cultes établie par la loi ne serait qu'un vain mot, si l'État ne témoignait un respect égal pour Fun et pour l'autre, s'il agissait envers celui de la minorité comme il n'oserait agir envers celui de la majorité, et ne montrait, au contraire, que le nombre ne fait rien là où il s'agit d'un droit et d'un principe. Une âme élevée sera même portée à avoir plus d'égards pour le faible que pour le fort...
Quiconque a un sentiment religieux véritable, à quelque religion qu'il appartienne, respectera celle des autres comme un hommage rendu au Créateur. Il n'y a de tolérance certaine que celle-là...
La séparation, donc, le jour où elle s'opérera, devra être complète et s'appliquera à toutes les religions professées en France ; fille d'un principe qui est la distinction du spirituel et du temporel, elle est indivisible, comme lui, et n'admet pas d'exception.'
C'est dire qu'elle ne peut naître que d'un mouvement général des esprits, comme a été celui du seizième siècle qui a amené la Réforme. Celle-ci ne serait pas une division dans le sein de l'Église qui a eu pour résultat d'en détruire l'unité, après de longs, déchirements, et. d'en créer plusieurs, mais au contraire un concert entre celles-ci, pour secouer pacifiquement le joug de l'Etat, vivre de leur propre vie, - comme elles vivent dans d'autres pays au grand profit de la religion et des moeurs, qui en reçoivent une heureuse influence, - au profit même de l'Etat qui n'aura pas à s'occuper de choses étrangères à sa nature et gouvernera plus facilement un peuple plus sincèrement religieux...
L'union peut se maintenir jusqu'à ce que les temps soient mûrs pour la séparation, dans toute l'Europe, et pour tous les cultes, et qu'elle soit regardée comme un accompagnement nécessaire de la liberté politique.
1. De la séparation de l'Église et de l'Etat au point de vue protestant. Revue chrétienne, 1870, pp. 458 à 476.