ADOLPHE MONOD (1802-1856)
Notice
Adolphe Monod est né à Copenhague le 21 janvier 1802 et mort à Paris le 6, avril 1856. De 1820 à 1824 il fit ses études de théologie à Genève. Croyant n'avoir aucune aptitude pour la chaire, il fut sur le point de renoncer à la carrière pastorale et de quitter la Faculté. Un nouvel essai le rassura. Vers la fin de ses études commença pour lui une crise spirituelle dont il sortit, à Naples, en 1826, par une conversion radicale. C'est dans cette première ferveur de sa foi qu'à la fin de l'année 1897, il fut nommé pasteur de l'Église réformée de Lyon, où il devint, peu de mois après, le président du Consistoire. A la suite d'un conflit avec une partie de l'Église, il fut destitué en 1831. Il se résigna à célébrer le culte et à prêcher dans une chapelle, modeste qu'il fonda sous le nom d' « Église évangélique de Lyon ».
En 1836, il fut appelé comme professeur de morale à la Faculté de théologie de Montauban. Quoiqu'il fût eu préparé à l'enseignement, il exerça une influence profonde sur les générations d'étudiants qui se succédèrent de 1836 à 1847. En 1839, il avait changé sa chaire de morale et d'éloquence sacrée pour celle d'hébreu qu'il occupa jusqu'en 1845 et, à cette époque, il passa dans la chaire d'exégèse et de critique sacrée. En même temps qu'il enseignait, il prêchait, et toujours avec un succès grandissant. Il fut appelé, en 1847, comme pasteur, par le consistoire de l'Église réformée de Paris. Très mêlé aux conflits théologiques et ecclésiastiques, il lutta, au synode officieux de 1848, pour décider les Églises réformées à se donner une confession de foi ; mais, après le refus du synode, il ne voulut pas suivre Frédéric Monod et le comte A. de Gasparin qui fondèrent alors l'Union des Églises libres.
Ses dernières années furent rendues douloureuses par la maladie héroïquement supportée. Au mois de juin 1855, au dimanche de Pentecôte, il prêcha son dernier sermon. Sur son lit de souffrance, de dimanche en dimanche, au moment de prendre la communion avec sa famille et quelques amis rassemblés dans sa chambre, il prononça ces allocutions émouvantes qui ont été imprimées plus tard sous le titre d'Adieux d'Adolphe Monod à ses amis et à l'Église, octobre 1855 à mars 1856.
L'impression produite par ses prédications était prodigieuse. Amiel écrivait dans son journal le 9 novembre 1851, après avoir entendu un de ses discours sur saint Paul : « J'ai ressenti les chaînes d'or de l'éloquence ; j'étais suspendu aux lèvres de l'orateur et ravi de son audace et de sa grâce, de son élan et de son art, de sa sincérité et de son talent. J'ai reconnu que pour les puissants, les difficultés sont une source d'inspiration, et ce qui ferait broncher les autres, l'occasion de leurs plus hauts triomphes... Quelle étude que celle d'une prédication pareille ! Diction, composition, images, tout est instructif et précieux à recueillir. J'ai été émerveillé, remué, saisi. » Ed. de Pressensé, dans ses Études contemporaines, page 163, écrit de son côté : « J'ai toujours devant les yeux la figure d'Adolphe Monod si noblement expressive... Elle portait le cachet d'une haute distinction morale, relevée par une mélancolie propre aux âmes profondes; son sourire était admirable, c'était une lumière. La parole le transfigurait, comme elle fait pour tous les grands maîtres de l'éloquence. Son geste était parfait. Je n'ai entendu que Berryer qui eût une voix d'un timbre aussi harmonieux et pénétrant. »
La plupart de ses sermons ont paru d'abord séparément en brochures. Ils comprennent trois séries: Lyon (1828-1836); Montauban (1836-1847) ; Paris Chacune des deux premières sériés a été réunie en un volume et le troisième l'a été en deux. Parmi ses autres écrits, citons : Discours d'installation à la Faculté de Montauban (1836); - Lucile ou la lecture de la Bible (1841); - Pourquoi je demeure dans l'Église établie (1849); - Les Adieux (1856).
En 1885, l'on a publié en deux volumes des Souvenirs de sa vie avec des extraits de sa correspondance. - A l'occasion du centenaire de sa naissance, un recueil de Sermons choisis a été publié en 1902. On trouvera à la suite de ce recueil une table bibliographique de ses ouvrages. Consulter Paul Stapfer: Bossuet et Adolphe Monod (4898).
LES TROIS CONVOITISES (1)
Où vit-on jamais la soif du plaisir et celle du sang plus étroitement unies que dans le festin de Machéronte ? Meurtriers de Jean-Baptiste, Hérode, Salomé, Hérodias ; le premier, qui exécute le meurtre; la seconde, qui le demande ; la troisième qui l'inspire, venez nous dire, chacun de vous, la part de son crime qui appartient à l'amour du monde ; et puisque l'amour du monde vit de ces trois convoitises : « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie ». approchez, que je les partage entre vous, avec le sang de ce juste qu'elles vous ont fait répandre.
A toi, Hérode, « la convoitise de la chair ». Ton premier pas, le pas décisif, c'est l'enivrement charnel, c'est l'impureté. Le démon a pu compter sur ta main pour le meurtre de Jean-Baptiste, dit jour que tu la donnas à Hérodias. C'est elle qui t'a fait porter le deuil et l'opprobre dans la maison de ton frère et dans le coeur de ta femme; elle qui t'a recommandé de jeter dans une indigne prison le fidèle censeur de tes infidèles plaisirs ; elle enfin qui commet aujourd'hui par toi, malgré toi, un crime trop noir même Pour toi.
A toi, Salomé, « la convoitise des Yeux ». Tu ne partages ni le voluptueux asservissement d'Hérode, ni les profonds ressentiments de ta mère. Jusqu'ici aucune tache n'a sali ta vie, aucun sang n'a souillé ta main. Seulement, et qui pourrait t'en blâmer à ton âge ? tu marches, tu cours, tu voltiges, « comme ton coeur te mène et selon le regard de tes yeux », avec une légèreté étourdissante qui n'est pour le monde qu'une grâce de plus. Tu vis, tu t'agites, tu tournoies dans un tourbillon de plaisirs ; et taudis que tes pieds rasent à peine la terre, tes mains la sèment tout autour de toi des plus agréables fleurs. Type accompli de la jeune fille mondaine, tu séduis tous les regards, tu gagnes tous les coeurs ; ta louange remplit toute, les bouches ; qui ne t'aimerait ? Mais, que portes-tu, fille charmante, dans ce plat que tu reçois des mains d'un soldat farouche, pour en faire hommage à ta mère ? 0 spectacle d'horreur ! ô danse ! ô martyre! 6 pieds légers pour battre la terre en cadence, devenus « légers pour répandre le sang » !
A toi, Hérodias, « l'orgueil de la vie ». Tout ceci a été fait par toi et pour toi. Le voilà, ce sang dont tu étais altérée. D'où vient que ta main, à la fois empressée et tremblante, avance et recule tour à tour ?
J'ai vu passer comme une ombre, sur ton beau visage, un sourire de Satan avec une terreur de Dieu. Prends cette tête, garde-la dans ta chambre nuptiale, dont ta victime a osé te reprocher la honte. Mais que vois-je ? où vas-tu la cacher à tous les yeux ? Crains-tu qu'elle n'aille rejoindre le corps dont tu l'as séparée, pour conspirer encore une fois contre ton repos avec ta conscience et avec Dieu (2) ? Eh ! qui peut démêler l'enfer qui est dans ton coeur ? mais parle : qui t'a poussée au meurtre ? L'orgueil. Ton orgueil n'a pu se contenter d'un hymen sans éclat et sans diadème. l'on orgueil a donné la main à la concupiscence d'un tétrarque. Ton orgueil n'a pu souffrir la liberté d'un saint prophète, ni lui pardonner de t'avoir fait rougir. Mais encore, qu'est-ce qui a nourri en toi cet orgueil effréné ? Le monde avec ses vanités. Ta fille est une image si fidèle de sa mère, qu'il nous est permis de conclure que, si elle finit comme toi, c'est que tu as commencé comme elle. Tu n'étais autrefois qu'une idole du monde, l'enivrant de tes grâces et t'enivrant de ses louanges. La vanité te conduisit à l'orgueil, l'orgueil à l'ambition et à la vengeance, l'ambition et la vengeance au meurtre d'un saint homme de Dieu.
Hérode, Salomé, Hérodias, instruisez-nous à associer à l'avenir l'amour du monde avec la dureté du coeur
LA SOIF (3)
J'ai soif : c'est par où il faut toujours finir, chaque fois que l'on compare les besoins du coeur avec les réalités de la vie... L'on serait tenté de croire, tant qu'on n'a pas appris de l'Évangile le secret de ce déchirement, que ce coeur a été fait pour un autre monde ou ce monde pour un autre coeur, et qu'ils n'ont été jetés ensemble que par une étrange et aveugle confusion. Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : c'est que la coupe de la vie, douce peut-être à qui ne fait que l'effleurer, garde à qui la boit jusqu'au fond une lie amère, que l'inexpérience appelle déception, et l'expérience, mélancolie.
La mélancolie n'est pas, comme l'estime le vulgaire, le songe creux d'un cerveau malade : elle est la conscience réfléchie d'une situation trop réelle ; elle n'est pas dans un homme qui s'exalte, elle est dans l'humanité qui se connaît. Présente chez tous, quoique inégalement sentie et plus inégalement comprise, croissant en tranquillité apparente à proportion qu'elle se dépouille par degrés de ce qui lui restait d'espoir, la mélancolie est le dernier mot de l'existence terrestre ; et ceux sur qui elle pèse le plus sont ces esprits et ces coeurs privilégiés, qui, en se préoccupant plus que les autres de la véritable fin de l'homme, constatent mieux aussi l'impossibilité d'y atteindre. Elle respire, cette mélancolie, dans toutes les choses humaines, à commencer parles meilleures; dans les méditations du philosophe, dans les imaginations du poète, dans les créations de l'artiste, dans les conceptions de l'homme d'État; dans les privations de l'isolement et dans les mécomptes de la vie commune, dans le mariage et dans la ramille, dans la naissance et dans l'éducation ; dans le commencement et dans la fin de toute entreprise ; dans nos peines et dans nos plaisirs, surtout dans nos plaisirs ; dans le développement de cette vie toujours mourante, quine s'entretient comme un flambeau, qu'à la condition de se consumer. Que dis-je ? elle respire dans la nature elle-même, dans l'animal qui se lasse, dans la fleur qui se penche, dans la feuille qui tombe, dans l'eau qui s'écoule, dans le jour qui décline, dans la saison qui se renouvelle, enfin, dans tout cet échange incessant dont se compose le mouvement des êtres, se déplaçant les uns les autres, se succédant les uns aux autres, se nourrissant les uns des autres...
... « Vanité des vanités », dit l'Ecclésiaste, « tout est vanité... J'ai regardé tout ce qui se fait sous le soleil : voici, tout est vanité et rongement d'esprit...
J'ai considéré toutes les oeuvres que mes mains avaient faites, et tout le travail auquel je m'étais occupé en les faisant; voici, tout est vanité et rongement d'esprit... Alors j'ai haï cette vie, et je me suis dégoûté de tout ce qui se passe sous le soleil ; car tout est vanité et rongement d'esprit. ».Nous avons demandé, et n'avons point obtenu; nous avons crié, et on ne nous a point répondu : nous avons soif. Tout ce que nous avons jeté dans le vide de notre coeur n'a fait que l'agrandir, tout ce dont nous avons essayé pour apaiser ses désirs n'a servi qu'à les irriter : nous avons soif. Non seulement la vie ne nous a point rassasiés, mais nous ne comptons plus sur elle pour nous rassasier jamais; nous avons si bien connu qu'elle n'a pas ce que nous réclamons, que nous ne le lui demandons plus; nous avons soif. Pour prix de toutes nos recherches et au bout de tous nos soupirs, nous voici, le coeur altéré et béant, devant une existence qui n'a cessé de nous faire illusion que pour cesser de nous contenter : nous avons soif, toujours soif, de plus en plus soif !
TROP TARD (4)
Je me place, par la pensée, an lendemain du jugement, et je raconte ce qui vous sera arrivé, à vous qui entendez aujourd'hui la menace de mon texte, et qui vous flattez d'une vague espérance qu'elle ne sera point exécutée.
Du temps que l'épreuve de la race humaine durait encore (je parle après le Jugement), il y avait, au dix-neuvième siècle de l'ère chrétienne, sur le petit globe de la terre, dans une ville du nom de Paris, des hommes qui se glorifiaient, comme chrétiens, de posséder la parole du Seigneur, et, comme protestants, de la garder dans toute sa pureté. Ils lurent dans le Livre divin : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez » ; mais leurs yeux étaient comme retenus. Plus d'un serviteur de Jésus-Christ les pressa d'écouter ce sérieux appel; mais leur parole se perdit dans les airs. L'un d'eux, en particulier, le quinzième jour du mois de janvier mil huit cent cinquante-quatre de Jésus-Christ, les conjura de s'y rendre attentifs, mais en vain. Comme Adam, comme les contemporains de Noé, comme les concitoyens de, Loth, comme les Juifs de Jérusalem, ils prêtaient plus volontiers l'oreille à la voix perfide qui redisait de siècle en siècle : « Vous ne mourrez nullement... » Le prédicateur fit ce qu'il put; mais ils s'en allèrent en disant, les uns : « Cet homme a bien parlé » les autres : « Ceci est sérieux; il faudra y repenser » et ils demeurèrent tels qu'ils étaient, jusqu'à ce que la mort vînt les surprendre dans leur impénitence... et maintenant les voilà « dans ce lieu de tourment... »
.., Ce jour-là, il était temps encore - mais maintenant il est trop tard. Trop tard : mot amer, mot infernal, mot qui est l'enfer 1!Trop tard : c'est-à-dire le ciel devenu d'airain et tombant sur nous de tout son poids! Trop tard: c'est-à-dire le feu brûlant qui brûle, brûle encore et ne s'éteint point, le ver rongeur qui rouge, ronge encore et lui seul ne périt point ! Trop tard : c'est-à-dire la miséricorde de Dieu épuisée par sa justice, liée par sa fidélité, et ne pouvant plus se faire jour d'aucun côté sans déchirer quelqu'une de ses perfections !...
Trop tard... Mais il n'est pas trop tard pour vous qui m'écoutez... Pour vous les bras de votre Sauveur sont ouverts encore, et semblent ne s'étendre sur sa croix que pour vous recevoir. Ah ! si vous avez pu douter ailleurs, ne doutez plus devant cette croix ; malheur à qui pourrait discuter froidement la valeur d'une menace que la vérité arrache à un Sauveur crucifié ! ...
CONVERSION (5)
Un jour, c'était le 21 juillet 1827, me promenant dans les rues de Naples, accablé comme toujours par une mélancolie sans consolation, je me dis tout d'un coup : d'autres ont été tristes avant toi ; ils ont trouvé la paix dans l'Évangile. Pourquoi ne l'y trouverais-tu pas ? Sous l'impression de cette pensée, je rentrai chez moi, je me jetai à genoux, et je priai comme je n'avais encore prié de ma vie. A partir de ce jour, une vie intérieure nouvelle commença pour moi : non que ma mélancolie eût disparu ; mais elle avait perdu son aiguillon.
L'espérance était entrée dans mon coeur, et une fois engagé dans cette voie, le Dieu de Jésus-Christ, auquel je venais d'apprendre à me confier, a fait peu à peu le reste. Il ne m'est demeuré sous la croix de Jésus-Christ qu'une teinte générale de tristesse, que les douleurs que j'endure aujourd'hui et la perspective de la mort achèvent enfin de dissiper. Vous pouvez m'en croire, mon bon ami : ce ne sont pas des arguments nouveaux, ni des objections résolues, qui m'ont donné cette direction salutaire. Mais sentant au fond du coeur que j'étais malheureux sans ressource, je nie suis jeté, sans raisonnement ni réserve, entre les bras d'un Dieu d'amour, que l'Évangile me révélait, et que devinait d'ailleurs, au-dedans de moi, un sentiment intime dont j'étais aussi sûr que de mon existence. Oh! si ces quelques lignes d'un ami qui s'en va, et que votre amitié fidèle accompagne, pouvaient être pour vous ce que fut pour moi le soleil du 21 juillet 1827 !
Qui est-ce qui avait donné à une pensée qui m'était venue cent fois, une vertu nouvelle de persuasion? C'était Dieu, le bon Dieu :c'était son Esprit, parlant à mon coeur au jour qu'il avait choisi, après m'avoir laissé languir assez longtemps pour me rendre capable d'apprécier sa délivrance. Si cet Esprit vous parle à votre tour, en lisant ces lignes d'un tendre adieu, ne repoussez pas sa voix, ne vous défiez pas, confiez-vous! N'ayez pas honte de répandre devant lui votre coeur, dans le secret de votre cabinet, ou dans une promenade solitaire; je vous dis que vous le trouverez, qu'il relèvera votre esprit abattu, qu'il y répandra une force nouvelle; et qu'après avoir employé activement, utilement et heureusement, les jours qui vous sont encore comptés, vous vous en irez, quand votre heure sera venue, rempli de cette paix que je goûte aujourd'hui. Alors, après avoir donné votre première pensée à ce Sauveur qui Nous aura racheté par son sang, vous réserverez aussi une petite place à un ami qui 'vous a peu connu, mais qui vous a beaucoup aimé, et dont le bonheur s'accroîtra du vôtre. Il reste un repos pour le peuple de Dieu. C'est là que vous donne rendez-vous un pauvre pécheur sauvé par pure grâce, et qui, jusqu'au dernier souffle, ramassera ce qui lui reste de forces pour vous montrer la porte par laquelle il est entré, et qu'il vous invite à franchir à votre tour.
LE PASTEUR SOUFFRANT POUR LE BIEN DE L'ÉGLISE (6)
4 novembre 1855.
Je désire ajouter encore deux mots, que je ne dis pas dans un sentiment personnel, mais dans le sentiment où saint Paul disait : « Que personne ne se relâche à cause des souffrances que j'endure. » Certes, je n'ai garde de comparer à des afflictions si grandes et si directement endurées pour le service de Dieu, celles dont Dieu m'a fait la grâce de me visiter. Mais je désire, par l'esprit dans, lequel je les accepte, en faire une affliction endurée pour l'Evangile, et aussi, dans ma petite mesure, pour vous. Je désire que personne ne se laisse abattre. Peut-être quelques-uns de mes bons amis sont troublés Par la pensée des maux que je souffre. Eh bien, ne le soyez pas. Donnez-moi cette marque d'amour fraternel de n'être pas troublés, mais salutairement excités et réveillés. Ce n'est pas que je ne souffre pas, ou que je ne souffre pas de souffrir. Je ne suis pas stoïcien; par la grâce de Dieu, je suis chrétien, et je n'ai pas honte de dire qu'il y a des moments où je prie moins que je ne crie avec larmes : je me rappelle que mon Sauveur a jeté de grands cris avec larmes. Mais quoique ces choses soient douloureuses à la chair, elles sont accompagnées de si grandes bénédictions, que le sentiment de la reconnaissance doit dominer dans mon coeur et dans les vôtres.
Quelle grâce pour moi, mes chers amis, que Dieu voulant prendre l'un d'entre nous pour rappeler aux autres les instructions de la vie, les pensées de la mort, du péché, de la grâce, de la sanctification, ait daigné me choisir! quel privilège, qu'en me prenant il ait épargné mes frères, et quel privilège qu'il m'ait choisi pour vous donner ces leçons de vie éternelle ! Et puis, pensez combien ce qui m'arrive est propre à me faire apprécier un délogement chrétien, à quelque moment qu'il doive venir pour moi.
Ne cherchons tous qu'à glorifier Dieu : s'il lui plaît de me guérir, je lui demande que ce soit pour sa gloire, s'il veut me retirer, je serai heureux d'être recueilli dans son sein. Je ne puis savoir ce qui me serait meilleur, ni pour l'Église: je m'abandonne complètement à lui. Mais quelle grâce n'est-ce pas pour moi d'avoir été préféré pour être ainsi mûri par les souffrances! Vous avez donc sujet de vous réjouir pour moi. Et pour vous-mêmes, n'est-il pas vrai que mon affliction a contribué à appeler votre pensée sur la mort, sur l'éternité, sur les vérités évangéliques ?N'est-il pas vrai que par l'amour fraternel qui nous unit, vous avez été poussés à prier? Je sens que le peuple de Dieu me porte sur ses prières, et j'en suis rempli de, joie et pénétré de reconnaissance. Eh bien, n'y a-t-il pas là un grand bien pour vous ; et ne sentez-vous pas que tout ce qui m'arrive est propre à répandre dans ma société plus immédiate, dans ma famille en particulier, un esprit de paix, de sérénité, et que notre maison est dans une mesure moins imparfaite qu'elle ne l'a été jusqu'ici, une maison de prières, où le nom de Dieu est constamment invoqué, comme il est constamment invoqué sur elle? Il y a donc là des grâces à recueillir. Et comprenez combien je trouve de douceur à cette pensée que je suis affligé pour votre bien ; parce que rien ne peut rapprocher davantage mes souffrances de celles de mon Sauveur.
Ainsi je dis dans l'esprit de ce même saint Paul que j'ai déjà cité : « Je me réjouis donc maintenant en mes souffrances pour vous, et j'accomplis le reste des afflictions de Christ en ma chair, pour son corps, qui est l'Eglise. » 0 merveille de la grâce de Dieu ! ô puissance de l'Évangile! ô amertume du péché! ô fermeté immuable de la grâce! Luttons contre le péché, mes amis, c'est le seul mal, c'est le seul mal. Et maintenant que je me trouve en présence du péché, appelé à repasser devant Dieu Lotis les péchés de ma vie et à lui en demander pardon, je sens combien cette fuite est terrible, combien le péché est profondément enraciné, et combien il serait insensé de nous plaindre des maux que Dieu nous envoie, puisque ces maux mêmes ne suffisent pas à déraciner ce malheureux orgueil, cet affreux égoïsme, et, par-dessus tout, cette détestable incrédulité. Que la paix de Dieu soit avec nous.
Mettez de côté les sentiments personnels. Ne voyez pas en moi le père, l'ami, ou du moins ne le voyez que dans une certaine mesure : mais voyez avant tout en moi le ministre de Jésus-Christ, et demandez à Dieu que jusqu'à mon dernier souffle je sois rendu fidèle dans ce ministère. Ne voyez pas en moi l'homme, mais voyez l'oeuvre que Dieu veut accomplir en moi et en nous. Prenons courage. Demandons a Dieu qu'il nous remplisse de son Esprit, qu'il nous rende capables de dominer la chair par l'esprit, en attendant qu'il nous recueille de devant le mal, et qu'il nous fasse goûter par Jésus-Christ, dans un corps spirituel et dans une âme sanctifiée, la joie, les délices et la gloire que nous a mérités, tout seul, le sang répandu de Jésus-Christ!
1. Sermons, 1844, 2e vol., pp. 402-406. Danse et martyre.
2. Comme si elle redoutait encore les reproches de Jean après sa mort, elle craignit de réunir sa tête au reste de son corps, et la fit enfouir secrètement dans un endroit retiré de la juridiction d'Hérode (Nicéph. 1, cité par Winer, Biblisches Real-Woerterbuch ; au mot Hérodias). - Note d'Adolphe Monod.
3. Sermons, 1853, 3e vol., pp. 12-16. Qui a soif?
4. Sermons, 1854, 3e vol., pp. 55-59. Trop tard, ou Dieu fidèle en ses menaces.
5. Lettre à M. Charles Bouvier du 7 octobre 1855. Ad. Monod, Souvenirs de sa vie, extraits de sa correspondance, 26 éd., 1885, t. I pp. 433 à 435.
6. Les Adieux d'Adolphe Monod à ses amis et à l'Église. Octobre 1855 à mars 1856, 2e éd., pp. 19 à 23.