EDMOND DE PRESSENSSE (1824-1891)
Notice
Edmond Dehault de Pressensé est né à Paris le 7 janvier 1824 et mort dans cette ville le 8 avril 4891. Élevé dans l'atmosphère du réveil religieux dont la chapelle Taitbout était un des centres, il étudia la théologie à Lausanne où il subit l'influence décisive de Vinet. Après une visite aux Universités de Halle et de Berlin, il fut nommé, en 1847, pasteur de l'Église Taitbout, indépendante de l'État, où sa prédication eut un vif succès. Il prit part à la fondation de l'Union des Églises évangéliques libres en 1849.
Menant de front les travaux les plus divers, il plaidait devant les tribunaux pour la liberté religieuse entravée, entamait des études de patristique et de dogmatique, fondait en 1854 la Revue chrétienne qui devait être jusqu'à la fin de sa vie sa tribune familière et dont l'influence ne saurait être exagérée, vulgarisait dans des ouvrages entraînants, avec une originalité souvent réelle, mais parfois aussi avec les inconvénients d'un labeur trop hâtif, toujours avec une foi large et vibrante, ce qu'il considérait comme acquis pour l'histoire des commencements du christianisme. Il fut mêlé de bonne heure à la politique par ses interventions en faveur de la liberté de conscience, par ses campagnes dans la Revue chrétienne, par ses conférences de 1869 et surtout par celles qu'il donna pendant le siège de Paris. Le 2 juillet 1871, il fut nommé député à l'Assemblée nationale par le département de la Seine. Il demanda l'amnistie pour les gardes nationaux condamnés ou poursuivis à la suite de l'insurrection du 48 mars, intervint dans la discussion de diverses lois, surtout quand la liberté de conscience était en jeu. Il ne fut pas réélu en 1876, se consacra plus que jamais à tous les efforts d'évangélisation par la parole ou par la plume et, en 1883, fut élu sénateur inamovible. En 1890, il entra à l'Académie des sciences morales et politiques.
Ses dernières années furent remplies par la terrible épreuve d'une maladie qui condamnait peu à peu an silence un homme en qui l'éloquence était un don primordial. C'était une âme toute de tendresse, de générosité, de dévouement, et en qui la fidélité au devoir était inflexible. « Il laisse des livres de haute valeur, a dit Auguste Sabatier. Sans doute il écrit l'histoire en orateur. L'apologète prime toujours l'érudit et le critique. Mais ses récits ont aussi les qualités de leurs défauts. Ils sont singulièrement vivants. Ils ont, de plus, une vérité essentielle, j'entends la vérité morale. Ils rendent admirablement l'esprit héroïque du christianisme dans les temps de trouble et de persécution, parce que quelque chose de cet esprit revivait en leur auteur. »
On trouvera une bibliographie complète dans le grand ouvrage d'Henri Cordey: Edmond de Pressensé et son temps (in-8, Paris, 1916). Mentionnons ici dans cette oeuvre immense: Conférences sur le christianisme dans son application aux questions sociales (1849); - la Famille chrétienne (1856); - Discours religieux (1859) ; - Histoire des trois premiers siècles de l'Église chrétienne (4 vol., 1858-1877; 2e éd., 7 vol., 1887-1889); - l'Ecole critique et Jésus-Christ (1863) ; - Jésus-Christ, son temps, sa vie, son oeuvre (1866; 6 éd.); - Etudes évangéliques (1867); - le Concile du Vatican (1872); - l'Eglise et la Révolution française (4864; 3e éd., 1890); - les Origines (1883).
LE CINQUIÈME ÉVANGILE (1)
Après nos quatre Évangiles, il en est un cinquième qui s'écrit depuis dix-huit siècles : c'est l'oeuvre du Christ dans l'humanité moderne. Nous y retrouvons des miracles aussi grands que ceux de nos récits canoniques. La trace de ses pas est imprimée partout où s'est réalisé quelque progrès dans le bien, dans la charité, dans le droit, dans l'élévation morale des hommes. Aucune révolution dans l'histoire des sociétés n'approche de celle qui a posé la croix comme la limite entre deux âges entièrement différents et qui, du rocher du Calvaire, a fait jaillir une source de vie dont le cours a pu être parfois troublé, mais pour s'épurer bientôt et féconder le sol le plus aride. A la base de notre civilisation, se trouve la pensée de Jésus. C'est elle et elle seule qui a fait notre Occident moderne avec sa supériorité universelle et soit mouvement irrésistible de progrès. Aussi trouvons-nous étrange la tentative de ceux de nos contemporains qui, sous prétexte de rénovation, veulent nous ramener aux doctrines matérialistes, sous le poids desquelles l'Orient dort encore son pesant sommeil, traversé de rêves impurs et interrompu par des crises sanglantes.
Mais nous pouvons invoquer un témoignage plus décisif que les applications sociales du christianisme. L'Évangile lui-même s'écrit dans le coeur des chrétiens, car il n'est pas à leurs yeux le parchemin sacré qui conserve les annales d'un passé mort; il renouvelle pour eux ce passé qui appartient au présent comme à tous les temps, parce qu'il est éternel. Ce Jésus des, Évangiles, chaque chrétien le connaît aujourd'hui par une relation personnelle et directe, comme les malades qu'il a guéris et les pêcheurs qu'il a pardonnés en Galilée et en Judée. Chacun d'eux, s'il possède autre chose qu'une religion de forme ou d'habitude, a le droit de se lever comme l'aveugle de Jérusalem et de dire : « J'étais aveugle et maintenant je vois ! » Lui aussi comme le disciple un moment infidèle s'est senti transpercé par le regard qui atteint le coeur et la conscience; il s'est relevé sous cette parole : « Va en paix, les péchés te sont pardonnés ! »
Les scènes de la chambre haute, lors du repas d'adieu, se renouvellent tous les jours. Le culte chrétien n'est pas autre chose qu'un mystique entretien de l'âme qui adore son Dieu et du Sauveur qui la relève. Jésus se penche sur tous les lits de maladie ou de mort où gémissent les siens ; il franchit le seuil de la maison du pauvre pour lui rompre le pain de sa journée. Ces expériences durent depuis la fondation de l'Église; le coeur chrétien au dix-neuvième siècle répond à celui des saint Pierre et des saint Jean. Une même vie divine circule dans ce vaste corps comme le sang dans les veines, et tous ceux qui y ont participé et y participent encore la rapportent à ce Jésus mort en l'an 783 de Rome ! Pour lui ont souffert et ont péri les confesseurs des siècles de persécution, s'écriant tous comme le premier d'entre eux, qu'ils le voyaient par l'oeil de la foi. Pour lui ont battu, dans tous les temps et dans tous les pays, des milliers de coeurs héroïques qui ont su lui faire les grands sacrifices et les sacrifices obscurs. Dans tous les rangs de la société, à tous les degrés de culture et de civilisation, depuis les sables brûlants de l'Afrique jusqu'au centre de nos brillantes cités, les mêmes faits se sont reproduits. un même chant d'adoration retentit à l'honneur du Crucifié.
Aux négations les, plus audacieuses, ces confesseurs de toute époque et de toute condition opposent ce mot triomphant de Jean : « Ce que nous avons vu, c'est ce que nous annonçons. » Certes, quoi qu'on en dise, nous avons le droit d'invoquer ce cinquième Évangile ; il apporte aux quatre récits canoniques une puissante confirmation. Vaine mysticité, si l'on veut ! Pour nous qui admettons d'autres réalités que celles qui se touchent de la main, ce grand accord des âmes chrétiennes ne saurait reposer sur le mythe ou la légende.
ADORATION ET SACRIFICE (2)
Adorer Dieu en esprit et en vérité, ce n'est pas seulement louer Dieu en sincérité des lèvres et du coeur. L'adoration implique que l'on reconnaisse la souveraineté de Dieu; mais ce qui importe, c'est de la reconnaître en fait. Dieu n'est vraiment reconnu souverain que quand nous avons soumis notre volonté à la sienne par une obéissance sans réserve. Serait-ce adorer que de proclamer sa grandeur, sa puissance, et de ne pas subordonner nos pensées à ses pensées, nos desseins à ses desseins? Quiconque ne s'abandonne pas sans restriction au souverain de nos coeurs, et ne se place pas sous son absolue dépendance en s'écriant : Parle, ton serviteur écoute, ne sait pas ce que c'est qu'adorer. Il est facile d'être ému, touché, et de se livrer à l'enthousiasme; il est facile d'éclater en louanges; courber le front n'est rien.
Ce qui est difficile, ce qui coûte et réclame un énergique effort, c'est de courber sa volonté, de la briser même quand elle s'insurge ou s'exalte; mais aussi, à ce prix seulement, la souveraineté de Dieu a été maintenue et l'adoration a été sincère. C'est vous dire, mes frères, que l'essence de l'adoration est le sacrifice; car pour nous, chrétiens toujours incomplets, qui sentons l'égoïsme et l'orgueil se mêler au sang de nos veines, l'accomplissement de la volonté divine ne petit être un entraînement; il y a des conflits continuels entre nos désirs et cette volonté sainte, et le conflit ne peut cesser que quand nous avons triomphé de nous-mêmes; c'est une lutte incessante, douloureuse, et qui réclame l'effort le plus énergique.
Qui dira combien de combats intérieurs, combien de larmes, coûte un abandon complet à ce que Dieu demande de nous? Voilà pourquoi, au centre de notre culte comme du culte antique, nous trouvons encore le sacrifice. Ce sacrifice spirituel, dont l'autel est invisible, est bien plus réel que celui qu'il a remplacé. L'homme aime mieux immoler une hécatombe qu'une seule de ses volontés; il aime mieux verser à flots le sang des taureaux et des génisses, que de sacrifier une seule de ses convoitises; il donnera ses biens les plus précieux pourvu qu'il ne se donne pas lui-même. Dans le culte en esprit et en vérité, nulle substitution matérielle n'est acceptée; l'adorateur est lui-même la victime, victime volontaire de l'amour, et si son sang ne coule pas, ceux qui liraient dans son coeur verraient à ses déchirements intimes que le sacrifice chrétien est plus douloureux, plus tragique qu'aucun autre. Ainsi donc, aujourd'hui comme autrefois, l'immolation est la base de tout culte sérieux. Cette immolation est complètement désintéressée, puisque c'est tout couvert d'un pardon gratuit et comme entraîné par la charité du Christ, que l'adorateur du Dieu qui est esprit, s'offre en volontaire offrande. « Si un est mort, s'écrie-t-il, tous donc sont morts. » Il reçoit des mains de son Sauveur la coupe d'amertume, et redit après lui : « Mon Père, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. » Cette austère parole est plus agréable à Dieu que les plus magnifiques cantiques; c'est le pur encens d'un coeur immolé, le parfum de l'obéissance. Puisse-t-il s'élever de nos Églises avec nos prières et nos chants! Alors, mes frères, nous aurons adoré en esprit et en vérité.
LE PLUS GRAND DES FILS DES HOMMES (3)
Aujourd'hui même, du milieu de tant d'inimitiés et de révoltes contre Dieu et contre son oint, n'entendez-vous pas retentir plus haut que toutes les voix ennemies l'hommage de l'humanité à Jésus de Nazareth? Si Jésus nous demandait encore, comme à ses premiers disciples - « Qui disent les hommes que je suis? » nous serions en droit de lui répondre: « Ils disent que tu es le plus grand parmi eux, qu'aucun nom n'a remplacé le tien, bien qu'il ait été ballotté depuis tant de siècles de l'insulte à l'adoration. tes foules qui te connaissent fi peu savent pourtant que nul ne t'a égalé pour les aimer et les relever, si bien que ceux-là mêmes qui veulent les entraîner doivent au moins essayer de couvrir de ta pure mémoire leurs plans aventureux. Il n'y a pas jusqu'à la haine de tes adversaires qui ne proclame La puissance, car on ne s'attaque pas à nu mort avec cet acharnement, S'il était vrai que tu reposasses sous la pierre de ton tombeau, il y a longtemps que tu serais retiré de la mêlée des luttes humaines. Si tu es encore le drapeau de nos contradictions, comme on l'a dit avec raison, c'est que tu es ce qu'il y a de plus vivant dans le monde de la pensée.
Les efforts que l'on doit multiplier pour altérer ta sainte figure, quand on n'ose plus la souffleter, attestent à quel point tu parais redoutable à la philosophie qui ne veut plus de toi parce qu'elle ne veut plus de Dieu. Non, ta gloire n'est point morte, ô Christ, et il n'est pas vrai que nous n'ayons plus qu'à baiser ta poussière. Le dix-neuvième siècle te retrouvera sur son déclin comme à son aurore, survivant a tous ceux qui avaient sonné le glas de ta religion, il a beau faire, il dit encore par toutes ses voix, aussi bien par celles qui blasphèment que par celles qui t'honorent, que parmi les fils des hommes il n'en est pas de semblable à toi! »
QU'AVONS-NOUS FAIT POUR LES MULTITUDES? (4)
Il est certain que les réunions publiques ont offert souvent de tristes spectacles, que des applaudissements frénétiques ont acclamé des thèses insensées d'irréligion et de socialisme effréné. On en peut conclure que, à ce double point de vue, une fraction *plus ou moins considérable de nos classes ouvrières, à Paris, est sous l'empire de tendances que nous déplorons. Je chercherai tout à l'heure à qui incombe la responsabilité d'un tel état de choses, et j'espère le faire avec équité, Mais auparavant je dois déclarer que jamais, en assistant à ces scènes tristement tumultueuses, je n'ai éprouvé ni colère ni indignation, mais au contraire une profonde et douloureuse sympathie qui ne saurait blesser personne. Oui, quand j'ai vu, surtout dans les quartiers populaires, ces immenses assemblées, composées en grande partie d'ouvriers en costume de travail, où la mère venait avec son enfant prendre place auprès de son mari, oui, j'étais remué jusqu'au fond des entrailles et saisi d'un grand amour pour ces multitudes entraînées à tout vent, et vibrant trop souvent aux paroles les plus violentes dirigées contre Dieu et les bases sociales. je m'élevais bien haut au-dessus des considérations du moment et des divisions des partis.
Je me demandais : Ce peuple si intelligent, si courageux, si généreux, avons-nous fait tout ce que nous pouvions pour l'éclairer, pour lui apporter l'appui fraternel dont il a besoin? N'aurions-nous pas négligé ce grand et saint devoir qui doit passer désormais avant tous les autres? Il faut à tout prix abaisser toutes les barrières de convention. On se scandalise de le trouver parfois ouvertement athée, mais est-il étonnant qu'il traduise à sa manière et avec sa rude franchise les élégants euphémismes qui recouvrent de métaphores onctueuses la même notion dans une portion des classes cultivées? Et puis, quelle est la religion qu'on lui a présentée ? Ce qu'il a vu, ce qui l'a frappé, c'est trop souvent une religion officielle, qui bénissait les triomphes de la force sur le droit, qui réclamait pour elle-même l'emploi du glaive. Parle temps qui court, la moindre manifestation d'absolutisme religieux fait plus d'effet que tous les prônes et tous les prêches.
Ah! s'il avait entendu plus fréquemment les voix qui savent protester au nom de Dieu contre les violations réussies de l'ordre moral, qui savent dire au lendemain de leur triomphe, au citoyen courbé sous le sabre : Esto vir! l'athéisme n'aurait pas pour lui le flot montant. Voilà les amères et poignantes pensées qui m'ont saisi devant ces manifestations populaires, avec un ardent désir de faire connaître à ces foules abusées le Christ véritable qu'elles n'ont jamais connu et qui seul leur donnerait la vraie liberté, à commencer par celle de l'âme.
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE (5)
Tout compte fait d'ailleurs, même au point de vue social, la compression favorise beaucoup plus le mal que le bien. « Éteignez le gaz, disait un homme d'esprit, et les voleurs circuleront à leur aise. Rallumez-le, ils s'enfuiront. » Nous pouvons appliquer ce mot original et profond à tous les abus. La compression de la publicité profite toujours aux oppresseurs. La plainte des opprimés est sacrée; il faut qu'elle monte comme. les grosses eaux pour être entendue. Les pouvoirs humains ne sont pas semblables à cette miséricorde infinie qui incline l'oreille pour recueillir le gémissement de la veuve et de l'orphelin. Il faut les forcer d'écouter ce qu'ils se plaisent trop souvent à oublier. Il y a des iniquités que la publicité rend impossibles, et des réparations qu'elle obtient à coup sûr de ce grand tribunal de cassation qui s'appelle l'opinion publique...
Combien n'est-il pas nécessaire pour les solutions raisonnables de la question sociale qui intéresse si directement le christianisme, que dans ce grand procès toutes les voix soient entendues ! Gardons-nous de fermer la bouche aux témoins à charge qui déposent contre les défectuosités de notre société qu'un optimisme frivole pourrait seul nier. La même liberté est nécessaire à tous les problèmes qui occupent la pensée contemporaine. Cette époque-ci est grande plutôt par ce qu'elle prépare que par ce qu'elle produit. Elle ressemble à bien des égards à cette période si féconde dans ses obscurs pressentiments et ses ardentes aspirations qui précéda le siècle de la Renaissance et de la Réformation. Nous avons un grand intérêt à ce que toutes les idées qui fermentent au sein de notre génération se dégagent, se manifestent, se précisent, Rien ne serait plus propre à retarder les solutions désirées dans tous les domaines qu'un ordre de choses qui les contraindrait à s'atténuer, à se diminuer, à se dérober. La pleine liberté de la pensée est la condition nécessaire du développement normal de l'esprit public...
... C'est surtout en ce qui concerne la discussion philosophique et religieuse que nous devons repousser le dangereux secours de la compression, si nous ne 'voulons pas donner à penser que la cause chrétienne ne se suffit pas à elle-même. Il serait digne du spiritualisme chrétien de réclamer partout l'abrogation des lois qui prétendent protéger la vérité religieuse contre les attaques de l'antichristianisme contemporain. « Malheur, disait Vinet, à celui qui n'aime que sa liberté. » Repoussons de toute notre énergie cette fameuse liberté du bien. Reconnaissons sans détour que la liberté de l'erreur est la dignité du bien et du vrai, qui s'affaiblissent et se déshonorent dans la mesure où ils réclament des privilèges. Il y a un vrai sacrilège à faire soutenir l'arche sainte par des mains profanes; or rien n'est plus profane que la force au service de la vérité.
CONTRE LA LITTÉRATURE IMMONDE (6)
Peu importe qu'on nous accuse d'un puritanisme ridicule! Peu importent les injures qui nous attendent! Nous en avons déjà eu l'avant-goût, car on ne touche pas à de pareilles questions, disons mieux, à -un si lucratif métier, sans soulever bien des colères inspirées par la cupidité. Mais ces injures-là, je les savoure d'avance. S'il y a quelque chose qui vaille les marques de sympathie venues de haut, ce sont les injures venues de si bas!
Vous ne vous résignerez pas à un pareil désordre, vous comprendrez que les pouvoirs publics ont des devoirs sérieux à remplir à cet égard. Ils sont d'autant plus impérieux que la République a décrété - et je l'en félicite de tout mon coeur - l'instruction obligatoire. C'est une de ses grandes oeuvres, une de ses grandes conquêtes. Mais cette instruction obligatoire impose une grave responsabilité aux pouvoirs publics. Bientôt il n'y aura pas un adolescent qui ne sache lire. Vous ne pourrez lâcher la bride à la presse corruptrice sans qu'elle n'empoisonne toutes nos jeunes générations. Raison de plus pour que les pouvoirs publics, dans la limite de leur compétence, en empêchent le débordement, conformément aux lois.
L'impunité tolérée en face de pareils désordres deviendrait de la complicité.
Veuillez remarquer, Messieurs, que l'honneur du pays devant le monde moderne est engagé dans cette grave question. Ne craignez pas que je sois disposé à humilier la France devant l'étranger.
Elle a. toujours conservé une générosité inaliénable; ce n'est pas elle qui écrasera jamais sous un despotisme tracassier et implacable de malheureuses populations victimes de la conquête.
J'ajoute qu'il y a beaucoup d'hypocrisie dans l'indignation bruyante que manifestent certains de nos voisins à notre égard. L'excessive tolérance qui a régné chez nous a permis au mal de se manifester sans empêchement et d'arriver en pleine lumière. Ailleurs il est aussi réel en se cachant mieux. On ne saurait nier que la famille française, quand elle est dans sa condition normale, se fait remarquer par sa tendresse et son intimité. Ceux qui se plaignent de l'immoralité de nos grandes villes devraient se rappeler quelle place y occupe la grande bohême européenne qui nous vient de toutes les contrées du monde.
Constatons enfin que ce qu'il y a de pire dans notre presse corruptrice trouve un large débit hors de nos frontières.
Ce n'est pourtant pas une raison pour nous faire les fournisseurs de cette détestable marchandise.
Il y a là, je le répète, un grand devoir à remplir pour les pouvoirs publics, pour l'honneur du pays.
1. Jésus-Christ, son temps, sa vie, soit oeuvre. Conclusion. Éd. 1866, pp. 672 à 675.
2. Discours religieux, 1re série, 1859, pp. 131 à 133. Les moyens de grâce de l'Église, le culte, l'adoration (Jean IV, 23).
3. Études évangéliques, 2, éd., 1868, pp. 186 à 187. Discours prononcé à la Conférence évangélique de valence le 23 octobre 1866.
4. Les Réunions publiques à Paris et les élections prochaines, 1869, pp. 12 à 14.
5. Discours sur l'influence de la presse chrétienne sur la nation, prononcé à la 8e conférence oecuménique de l'Alliance évangélique, à Bâle, le 4 septembre 1879.
6. Discours prononcé au Sénat le 15 juin 1888. Paris, 1888, pp. 26 à 28.