PAUL RABAUT (1718-1794)
Notice.
Paul Rabaut est né à Bédarieux le 29 janvier 1718 et mort à Nîmes le 25 septembre 1794. D'humble origine, il se fit remarquer très jeune par son sérieux et son courage, et on le poussa à se vouer au saint ministère. A vingt ans, le synode du Bas-Languedoc le nomma à Nîmes comme proposant », c'est-à-dire comme disciple et aide du pasteur (1738). Après son mariage avec une jeune fille qui devait montrer une piété (A titi courage extraordinaires, il alla à Lausanne étudier la théologie au séminaire dirigé par Antoine Court. Quand il revint à Nîmes, un an et demi après, il y fut nommé pasteur (1741).
Agé seulement de 26 ans, il fut vice-président du synode national de Lédignan (1744). Malheureusement, les persécutions reprirent l'année suivante avec une violence redoublée et Rabaut fut particulièrement traqué. Sous des vêtements et des noms d'emprunt, au milieu des plus grands périls, avec une audace et un calme incroyables, réunissant parfois des auditoires de 12.000 personnes, il continua son ministère sans jamais faiblir. Ce, proscrit, dont la tête était mise à prix à 20.000 livres, ne voulut jamais résister par les armes. Sa popularité était telle que, s'il avait pu êtrepris, le gouvernement craignait un soulèvement en masse de tout le Languedoc.
Après plus de quinze ans de cette vie, Rabaut vit les persécutions s'arrêter grâce à un nouveau gouverneur (1763), et il put s'établir à Nîmes pour y exercer tranquillement son ministère. Fatigué, il démissionna en 1785 et fut nommé pasteur honoraire ; il était vénéré comme un héros et un saint. Il fut emprisonné sous la Terreur. An 9 thermidor il fut relâché, mais, accablé, il ne tarda pas à mourir. Ses oeuvres, dont aucune d'ailleurs n'est considérable, ne sont pas d'un très grand orateur.
Si l'on voit dans Rabaut le plus grand pasteur du dix-huitième siècle, c'est surtout à cause de son extraordinaire hauteur d'âme, qui est restée légendaire dans les populations du Midi. - Parmi ses écrits principaux, citons : Lettre pastorale sur l'aumône (1758) ; ~ Exhortation à la repentance et à la profession de la vérité (1761). - M. Picheral-Dardier a fait paraître, en 1884 : Paul Rabaut, Lettres à Antoine Court (1739-1155) ; et NI. Ch. Dardier en 1892 : Paul Rabaut, ses lettres à divers (1744-1794). Pour la liste des oeuvres complètes et des ouvrages relatifs à Rabaut, voir les Sermons de Paul Rabaut, par Albert Monod (1911).
PENDANT UNE ACCALMIE DE LA PERSÉCUTION (1)
16 décembre 1743.
On ne nous laisse presque pas un moment de repos, il faut être en campagne et la nuit et le jour, soit pour visiter des malades, soit pour bénir des mariages, soit pour baptiser des enfants. La prédication est ce qui nous occupe le moins, bien qu'il faille prêcher très souvent. Les baptêmes seuls nous emportent la plus grande partie du temps ; il faut aller souvent cinq ou six lieues pour baptiser des enfants et à peine a-t-on baptisé ceux-là, que voilà des exprès qui viennent nous chercher Pour en baptiser d'autres...
Je voudrais de tout mon coeur que vous fussiez le dimanche matin au chemin de Montpellier, près de la ville de Nîmes, lorsque nous faisons quelque assemblée pour cette dernière église, à la place nommée vulgairement le Fon-de-Langlade, où vous avez prêché si souvent. Vous verriez autant que votre vue pourrait s'étendre le long du grand chemin, une multitude étonnante de nos pauvres frères, la joie peinte sur le visage, marchant avec allégresse pour se rendre à la maison du Seigneur. Vous verriez des vieillards, courbés sous le faix des années, et qui peuvent à peine se soutenir, à qui le zèle donne du courage et des forces, et qui marchent d'un pas presque aussi assuré que s'ils étaient à la fleur de leur âge. Vous verriez des calèches, et des charrettes pleines d'impotents, d'estropiés et d'infirmes qui, ne pouvant se délivrer des maux de leur corps, vont chercher les remèdes nécessaires à ceux de leurs âmes. J'ai été témoin de ce spectacle et je vous avoue que je n'ai pu le voir sans ,en répandre des larmes de joie.
AUX PERSÉCUTÉS (2)
Il est vrai qu'un orage formidable semble s'être formé sur vos têtes. Vos fortunes, voire liberté sont menacées ; vos femmes, vos enfants sont devenus pour vous des objets d'alarmes et d'effroi ; il semble que le Seigneur veuille vous appeler au sacrifice douloureux de vos affections les plus chères ; et ce qui est mille fois plus redoutable pour de vrais Chrétiens, vos consciences sont exposées aux combats les plus violents. Elles seront peut-être réduites à la cruelle extrémité d'opter entre obéir à votre Dieu et obéir à votre Roi.
Si la crainte de succomber à la violence des tentations étouffe en vous le courage chrétien ; si vos âmes énervées par le péché et trop longtemps courbées vers la terre, se troublent à la vue du péril, et affaiblissent votre confiance, vous avez le précepte de Jésus-Christ et l'exemple De ses Disciples : « Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre (Matth., x, 23). » Nous n'avons que cette voix à vous faire entendre : fuyez, abandonnez vos biens, votre patrie, père, mère, enfants ; emportez votre âme pour butin, et ne vous exposez pas à faire naufrage quant à la foi ; c'est le devoir le plus indispensable du Chrétien.
Mais pourquoi vous livreriez-vous à l'abattement, nos très chers Frères ? C'est au milieu des calamités que l'espérance chrétienne doit vous soutenir. Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au delà de vos forces ; Dieu est bon, il fera tourner toutes choses à la gloire et à la félicité de ses enfants. Sa grâce vous soutiendra, et « sa vertu s'accomplira dans vos infirmités » (Il Corinth., XII, 9). Vos prières, vos larmes, et surtout votre repentance le toucheront. « Les coeurs des Rois sont dans ses mains, il les fléchit à son gré , (Prov., XXI, 1). Il saura réveiller en notre faveur les sentiments de clémence et d'humanité qu'il a gravés dans celui de notre Roi bienfaisant, et qui forment les plus beaux traits de ressemblance avec l'Ètre Suprême dont il est l'image sur la terre. « Veuille l'Auteur de toute grâce, Dieu qui nous a appelés par Jésus-Christ à jouir de sa gloire éternelle après que nous aurons un peu souffert, vous perfectionner, vous affermir, vous fortifier et vous rendre inébranlables » (I Pierre. v, 10).
A Nîmes, ce 20 février 1764.
LA NOURRITURE DE L'ÂME (3)
L'on demande d'où vient que la religion chrétienne qui fut autrefois si efficace pour changer les coeurs ne produit plus les mêmes effets. Car il faut convenir que la plupart des chrétiens ne sont pas moins corrompus que les païens et que les autres infidèles. En voici la raison, mes chers frères. Les chrétiens qui se sont distingués par la pureté de leurs moeurs, avaient un vif attachement pour Jésus-Christ. Ils s'attachaient à lui par une foi vive et un amour ardent, fréquemment occupés de ses souffrances et de sa mort, pénétrés de la grandeur de sa charité, pleins de joie d'avoir trouvé un si puissant libérateur ; toutes les autres choses leur étaient à peu près indifférentes. Les chrétiens corrompus suivent une tout autre route. Ils n'ont avec Jésus-Christ qu'une communion extérieure. Leur foi, s'ils en ont quelqu'une, ne réside que dans l'entendement, au lieu que la vraie foi va jusqu'au coeur pour l'humilier, pour en fondre la glace, et pour l'attacher à Jésus-Christ de manière que rien ne puisse l'en séparer. Les chrétiens corrompus peuvent éprouver quelque émotion quand on leur met devant les yeux les merveilles de notre rédemption par Jésus-Christ, mais ce sont des mouvements passagers qui finissent avec les exercices de piété.
Voici donc, mes frères, la vraie route qui conduit à la sanctification et au bonheur qui en est la suite et la compagne inséparable. Je ne vous dirai point, commencez par faire des aumônes ou d'autres bonnes oeuvres, ce serait comme si l'on voulait faire porter du fruit à un arbre qui n'aurait point de racines. Réfléchissez, je vous prie, sur ces paroles de notre Sauveur : « Comme la branche de la vigne ne peut d'elle-même porter du fruit si elle ne demeure attachée au cep, de même vous ne pouvez produire aucun si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, et vous en êtes les branches ; celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits, mais vous ne pouvez rien produire étant séparés de moi. »
Ainsi pendant qu'on n'est pas intimement uni à Jésus-Christ par une foi vive, on est spirituellement mort, incapable de toute bonne oeuvre; et pour m'exprimer avec l'Écriture, on est pauvre, misérable, aveugle et nu. Il faut donc commencer par reconnaître son état de misère, d'incapacité et de condamnation, et dans le vif sentiment de son indignité, s'approcher de Jésus-Christ avec une entière confiance qu'il nous recevra tels que nous sommes, comme de misérables qui n'ont rien, qui ne peuvent rien, et qui espèrent tout de sa clémence et de son secours. Quand on en est venu là, la délivrance n'est pas loin. Jésus parle de paix à cette âme, il la revêt de sa justice, il la régénère par son Esprit, il la dégoûte du péché et de tous les objets de ses passions, il lui donne des inclinations célestes et divines et lui fait goûter dans sa communion des douceurs ineffables. C'est ainsi qu'on éprouve que Jésus est le pain de vie, que celui qui vient à lui n'aura point de faim, que celui qui croit en lui n'aura jamais soif.
Mais comme la vie corporelle cesserait si nous cessions de faire usage des aliments qui servent à l'entretenir, de même nous verrions s'éteindre et finir la vie spirituelle si notre âme ne se nourrissait fréquemment de Jésus-Christ, le vrai pain de vie. VouIons-nous donc entretenir cette précieuse vie et la rendre toujours plus heureuse? Que Jésus-Christ soit souvent présent à notre esprit ; représentons-nous souvent ce qu'il est : le fils unique de Dieu; ce que nous sommes : des créatures ingrates et rebelles, dignes de la mort éternelle ; ce qu'il fait en notre faveur : il est descendu du séjour de la gloire éternelle pour revêtir notre humanité, devenir notre frère, souffrir et mourir à notre place ; quelles ont été ses vues: de nous affranchir de nos nombreuses et accablantes misères, de nous faire devenir les enfants du Très-Haut et les possesseurs d'un bonheur infini.
Plût à Dieu, mes frères, que chacun de nous voulût s'occuper souvent de ces grands objets, bientôt le christianisme changerait de face au milieu de nous. Bientôt on verrait disparaître Ce torrent de corruption qui a fait de si étranges ravages, et l'aimable vertu exercer soit empire sur tous les coeurs. Chaque jour nous bénirions l'auteur de notre délivrance et nous nous réjouirions en sa bonté. Nous supporterions sans peine les incommodités de ce pèlerinage terrestre et nous verrions approcher la mort avec des transports d'allégresse comme nous ouvrant le chemin de notre immortelle patrie.
LA VRAIE REPENTANCE (4)
Il ne suffit pas de sentir sa misère et de souhaiter d'en être délivré, il faut encore mettre en usage les moyens qui peuvent conduire à ce but. C'est ici surtout ce qui distingue la vraie repentance de la fausse.
Un faux pénitent peut sentir quelque regret d'avoir péché et quelque désir d'en obtenir le pardon et de changer de conduite; mais le désir de se réformer est faible ; ce sont des velléités, des: Je voudrais bien ! mais il ne met pas sérieusement la main à l'oeuvre, il a encore plus d'amour pour le vice que pour la vertu.
Un vrai pénitent au contraire ne voit rien de si odieux que les péchés que sa conscience lui reproche ; rien de plus dangereux que l'état où il se trouve ; il n'a rien tant à coeur que de se réconcilier avec Dieu ; c'est pourquoi il ne néglige rien pour y réussir. Prières ferventes et réitérées, lectures et méditations pieuses, fuites des lieux et des personnes qui l'ont fait broncher; étude assidue de son propre coeur pour en munir les endroits faibles : tout est mis en oeuvre pour changer son coeur et pour devenir un homme nouveau, créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritables. L'enfant prodigue... ne se contenta pas de prendre de bonnes résolutions, il les exécuta ; il alla effectivement trouver son père ; il lui confessa ses égarements; il implora sa clémence et il lui fut désormais soumis et obéissant.
LE DEVOIR DES PRINCES (5)
Que vous demandons-nous, Princes que la Providence a placés sur nos têtes? De nous aimer. Donnez-nous les sentiments d'amour que vous ne pouvez nous refuser; nous vous avons déjà prévenus. A peine commencez-vous de voir le jour, que nous adressons au Ciel des prières pour vous, et que nous tâchons d'attirer les bénédictions du Tout-Puissant sur le berceau qui vous renferme. A mesure que vos organes délicats se développent, on étudie les progrès de votre esprit et de votre corps ; on cherche dans votre physionomie ces traits heureux qui annoncent une âme royale, la grandeur jointe à la bonté ; on écoute, avec avidité, ces paroles qui sortent de votre bouche, et qui, répétées jusqu'aux extrémités de vos États, nous font concevoir de grandes espérances.
Lorsque la main du Tout-Puissant, qui balance les destinées des Rois, vous place sur le Trône au pied duquel vous étiez nés, la Nation entière forme des voeux pour la gloire et le bonheur de votre règne. Vous êtes le premier objet de toutes nos prières : le premier fruit de nos travaux et de nos sueurs est pour vous. Nous hasardons notre vie dans les combats pour le soutien de l'Etat et de votre Couronne ; et il n'est aucun de vos Sujets qui ne fût prêt à verser son sang pour vos querelles particulières. Nous vous aimons, par un sentiment indéfinissable qui nous attache an Trône de nos Maîtres, comme le pieux David l'était aux pierres de Sion.
Un peuple qui sait vous aimer aussi bien mérite, sans doute, à son tour, d'être aimé de ses Rois. Et c'est ainsi, ô mon Dieu, que vos infinies gratuités récompensent le juste attachement que nous avons toujours témoigné à notre Monarque: il porte tous ses Sujets dans son coeur, tous ses enfants lui sont également chers. En effet, Chrétiens, si l'amour du Prince était partial, il serait une injustice. Il ne doit mettre, entre ses Sujets, d'autre différence que celle qu'il y a entre le vice et la vertu, et, comme le Dieu qui a créé les Rois n'a aucune acception de personnes ; qu'il aime toutes ses créatures également et que, pardonnant aux erreurs involontaires, il ne punit que les vices et les péchés, de même les Rois, qui sont les Ministres de l'autorité de Dieu sur les hommes, ne doivent haïr et poursuivre que les ennemis des moeurs et de la vertu. Ils doivent se souvenir que les Trônes sont fondés sur la justice, et que, si l'on ôte le fondement, le Trône s'écroule et se détruit. Pour avoir part à leur amour et à leur protection, il ne faut d'autre titre que celui de leurs Sujets.
Et telles sont, Réformés que la Providence a conservés dans ce Royaume, telles sont les raisons qui, sous le, meilleur des Maîtres, ont toujours soutenu vos espérances: ce sont elles qui les soutiendront encore, puisque nous nous glorifions tous de porter le titre de Français. Qu'est-ce, en effet, qui fait le Citoyen, le Français? Est-ce d'être né dans la vaste enceinte de la Monarchie ? Nous y sommes nés. Est-ce d'aimer le Prince qui nous sert de Père ? Nous disputerons toujours de zèle avec le reste des Sujets. Est-ce d'être soumis aux lois de l'État et de la Patrie? Nous les respectons; nous nous y soumettons sans réserve, lors même qu'elles nous flétrissent et nous perdent. Est-ce de respirer cet air accoutumé dès l'enfance, et que l'on ne peut perdre sans languir? Nous avons tous, pour les lieux qui nous ont vu naître, cet attachement que la nature a gravé dans tous les coeurs. Nous vous attestons ici, Français qui vivez dans les pays glacés qui vous ont servi de refuge.
Combien de fois avez-vous regretté les champs abandonnés de vos Pères, et l'heureux ciel de nos climats? Combien de fois, suspendant 'vos harpes aux saules de ces rivages, y avez-vous pleuré vous souvenant de Sion ? Terre bénite du Ciel Canaan fertile ! précieux héritage de nos Ancêtres puissions-nous ne vous quitter jamais ! Murs chéris, témoins des innocents plaisirs de notre enfance, puissions-nous achever nos jours auprès des foyers qui nous ont vu naître ! Tombeaux obscurs de nos Pères, puisse notre cendre se mêler à leur cendre ! et que nos tristes ossements n'aillent point reposer dans une terre étrangère !
Amour sacré de la patrie, serions-nous donc forcés de vous abjurer? Zèle ardent, qui nous enflammez pour la gloire de notre Monarque, viendrait-il donc un temps où vous lui seriez inutile?...
1. La persécution, un peu calmée en 1742, devait reprendre avec violence en 1745. - Lettre à Antoine Court. Paul Rabaut, ses lettres à Antoine Court, par PICHERAL-DARDIER, 1884, t. 1, pp. 100-102.
2. Exhortation à la repentance et à la profession de la vérité, ou lettre pastorale aux réformés de l'Église de Nîmes, par PAUL RABAUT et PAUL VINCENT. Amsterdam, 1761, pp. 38 à 40.
3. Conclusion d'un sermon sur saint Jean, VI, 35. - Les Sermons de Paul Rabaut, par A. MONOD, 1911, pp. 189 à 193.
4. Sermon sur La soif spirituelle, dans Lettres de Paul Rabaut à ANTOINE COURT par PICHERAL-DARDIER, t. 11, pp. .397 et 398.
5. Discours au sujet du mariage de Mgr le Dauphin. Prononcé au Désert du Bas-Languedoc, le 12 juin 1770. 3e éd., corrigée et augmentée. En Languedoc, 1770.