EDOUARD VERNY (1803-1854)
Notice
Louis-Édouard Verny est né à Mayence le 17 mars 1803 et mort à Strasbourg le 19 octobre 1854. D'esprit ouvert et curieux, il fut attiré, dès sa jeunesse, par les questions philosophiques et religieuses. Après ses études de droit, il appartint quatre ou cinq ans au barreau de Colmar. Peu à peu, il se passionna pour les problèmes religieux et, en 1828, changeant de direction, il fit ses études de théologie.
Etant principal du collège de Mulhouse (1830), il connut Vinet, qui eut sur lui une influence extraordinaire et décisive. (Il disait : « Vinet m'a fait l'opération de la cataracte ») En 1835, il fut nommé pasteur à Paris et le resta jusqu'à la fin de sa vie. Il se fit remarquer par ses sermons, profondément pensés et remarquablement écrits. Restant volontairement hors des discussions de partis, il était très aimé pour sa bonté, son amabilité et son sérieux. Ses connaissances étaient vastes, et il s'occupait beaucoup d'études théologiques. Il mourut en chaire d'une attaque d'apoplexie, à une session du Consistoire supérieur de Strasbourg, pendant qu'il prononçait un sermon particulièrement beau. Il fut universellement regretté comme une des plus nobles figures du protestantisme contemporain.
Se méfiant de lui-même, il n'a guère laissé qu'un volume de Sermons et des articles, dont le plus beau est une étude sur le Droit de la science et la conscience chrétienne (Revue de Théologie, 1ère série, IX, 208 ss.). - Voir sur Verny, l'article de M. Ed. de Pressensé dans ses Éludes contemporaines
DOUTE, FOI, AMOUR (1)
Pourquoi tairais-je ce qui nous préoccupe tous dans ce moment, ce qui, près de cette tombe, a droit de nous préoccuper avant toute chose ? Cette foi s'était obscurcie. Vous savez les travaux, les doutes, les combats de notre époque : il serait puéril de prétendre les ignorer, il serait mensonger d'en vouloir nier l'importance. Plus d'une des colonnes historiques de la révélation chrétienne a été ébranlée, plus d'une des formules sous lesquelles le monde l'a reçue jusqu'à présent a été contestée par l'incontestable rigueur de la pensée philosophique, par l'incorruptible vérité de l'exégèse. Il faut aller au delà ; plus d'un légitime besoin, plus d'une misère s'élève et gémit dans notre temps pour lesquels il semble que nos vieux systèmes n'aient point de réponse, que nos vieux établissements soient sans secours et sans sympathie. Qui osera contre toutes ces agitations, Contre toutes ces aspirations et ces efforts, prononcer une sentence de condamnation générale et absolue; qui osera dire que, sans distinction, tous ces mouvements viennent du péché, que l'amour de la vérité, de la vérité de Dieu et de son règne n'y est pour rien? que ce ne sont pas des signes des temps, des signes précurseurs d'une nouvelle venue du Seigneur en esprit?
Ces questions, coupables amusements des caractères légers, insondables douleurs des âmes profondes. Lèbre, à Paris et dans la suite de ses études, en fut saisi. Il douta : - oui, mais son doute fut sincère : ce n'était point l'exercice d'une raison orgueilleuse et glaciale, ni le sophisme d'un coeur impatient de la sainte loi de Dieu et désireux de donner libre carrière à ses passions ; c'était le poignant besoin d'une vérité plus pure, plus énergique, plus efficace. Il douta : - oui, mais son doute était une faim et une soif de justice. Hélas! il y a eu quinze jours hier que pour la dernière fois il versait dans le sein de l'ami qui lui rend en ce moment le funèbre devoir, les troubles de son âme, et comment résumerais-je mieux le sens, dirai-je de ses confidences ou de ses gémissements, que par ces paroles du Psalmiste : Comme un cerf brame après des eaux courantes, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu! Mon âme a soif de Dieu, du Dieu fort et vivant ! Quand entrerai-je et me présenterai-je devant la face de Dieu ? Il douta : - oui, mais son doute a eu la consécration de la douleur, de la mort. Us travaux de ses nuits, les agitations de son cerveau, les tumultueuses agitations de son coeur avaient dès longtemps consumé ses forces ; il ne lui en restait point pour lutter contre sa dernière maladie, et c'est pour avoir douté qu'il est là !
Un pareil doute, est-ce du doute encore ?C'est de la foi, mes bien-aimés, c'est la foi de ceux qui prient: Je crois, Seigneur, subviens à mon incrédulité ! Aussi, permettez-moi de le dire, d'en témoigner ici pour votre consolation et pour la mienne: troublée dans quelques-unes de ses expressions, de ses formes, de ses applications, la foi de notre ami persistait dans son fond le plus intime; c'est précisément à chercher pour ce fond une forme harmonique qu'a consisté le travail de son âme. La grâce, en le prenant à elle, lui avait imprimé son sceau; ce sceau, vous le savez, ne s'efface pas et jusqu'à la fin Lèbre en a conservé la divine empreinte : il aimait, l'amour vivait dans son coeur, l'amour de Dieu, l'amour des hommes, l'amour qui s'oublie et se renonce lui-même. Or, cet amour n'est-il pas à la fois le produit et le gage de la vérité ? Si la vérité, dit saint Augustin, n'est point désirée de toutes les forces de l'âme, elle ne saurait absolument point être trouvée ; mais, quand elle est recherchée comme il est digne d'elle, elle ne peut point se soustraire ni se cacher à ceux qui l'aiment. C'est l'amour qui désire, l'amour qui cherche, l'amour qui heurte à la porte, l'amour qui révèle, l'amour enfin qui demeure dans ce qui a été révélé. Cet amour vivait dans le coeur de notre ami ; c'est par cet amour qu'il désirait et qu'il cherchait; cet amour lui aurait fait trouver s'il avait vécu; cet amour, oh! non. je n'en ai jamais exprimé l'espoir avec une plus joyeuse confiance, cet amour à présent a tiré les voiles qui lui cachaient la vérité et a apaisé la soif de son âme.
1. Sermons, 1867, pp. 357 à 360. Discours prononcé sur la tombe de M. Lèbre en mars 1844.