SECTION VII. - De l'interprétation de la prophétie. (Suite 1)

 

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§ 122. Des règles à suivre pour l'interprétation des prophéties.Telle étant, ainsi qu'on vient de le voir, la nature de la prophétie, sa structure, si l'on peut ainsi parler, il est facile de comprendre que ce qu'il y a de plus important à faire, quand on veut expliquer un prophète en général , ou un oracle en particulier, c'est de déterminer tout ce qui concerne la vie du prophète, les circonstances où il a vécu, les habitudes du langage figuré en général, les prophéties parallèles, les accomplissements partiels, et spécialement les indications que peuvent fournir les exemples et les citations du Nouveau -Testament.

Première règle. Il faut d'abord se rendre compte de tout ce qui concerne la personne du prophète.

A. Quant à son époque. Chaque prophète a été l'homme de son temps, un messager de Dieu pour son siècle. Il emprunte ses images aux circonstances extérieures du pays qu'il habite , et il adapte son message aux conditions morales, aux besoins reconnus, politiques ou religieux, de ses concitoyens, tels qu'il les voit au présent, ou dans l'avenir. S'il annonce des calamités prochaines, l'avenir le plus éloigné est représenté sous des couleurs analogues. S'il annonce un bien immédiat, l'avenir est le complément des biens qu'il décrit. Et même quand l'avenir est encore très-éloigné, il est toujours rattaché au présent par des phrases adaptées aux intelligences et aux besoins des contemporains.

B. Quant à ses oracles. Il faut autant que possible se placer au point de vue du prophète lui-même, dans ses rapports avec le passé, le présent et l'avenir ; étudier les sentiments qui doivent l'animer et le remplir, les scènes qui l'entourent, de deuil et de désolation peut-être , de superstitions et d'idolâtrie , d'espérance ou de découragement; s'il est transporté en vision au milieu des scènes de l'Evangile, il faut assister avec lui en esprit à la naissance, à la mort, au triomphe du Messie.

Pour comprendre Esaïe, par exemple, il faut lire avec soin 2 Rois, XIV à XXI ; 2 Chron., XVI à XXII, fixer les rapports, et, si possible, le centre prophétique de chaque oracle. Pour comprendre les six derniers chapitres de Zacharie, il est essentiel de savoir quand, par qui et où ils ont été écrits. S'ils sont de Zacharie, et, non comme quelques-uns le supposent, de Jérémie, ils doivent se rapporter au temps de notre Seigneur, à la seconde destruction de Jérusalem et aux événements qui suivirent (XIV, 2 ). S'ils ont été écrits après le retour d'Esdras et de ceux qui, avec lui, revinrent les derniers de la captivité, les prophéties du chapitre X n'ont pas encore reçu un commencement d'accomplissement , même partiel ( voyez les introductions aux différents livres).

Deuxième règle. Il faut se familiariser avec le langage prophétique ; les figures et les symboles y abondent plus que dans les simples récits de l'histoire. Le style en est plus poétique, les pensées plus grandioses, les perspectives plus vivantes. Si , pour la première fois , ces figures offrent peut-être quelques difficultés , elles sont en général d'une interprétation facile pour ceux qui ont l'habitude de lire la Parole de Dieu et qui la connaissent.

Comparez , par exemple, les descriptions suivantes

- Détresse et afflictions - Ps. XLII, 7. Esaïe, XIII, 13 ; XXIX, 6; XXXIV, 4. Jér. , IV, 23-26. Ezéch. , XXXII, 7, 8; XXXVIII, 20. Joël, II, 10 , 30 , 31. Amos, VIII, 8, 9.

- Intervention de la Providence et délivrance de grands dangers : Ps. XVIII, 7-17. Nahum, I, 4, 5. Habac. , III, 5-11. Zach., XIV, 4.

- La joie de la délivrance : Esaïe, XXXIII, 17; XXXV, 1-7. LV, 12, 13; LX, 13; LXV, 25. Joël, IV, 18.

Voyez encore l'énumération des différents symboles à la fin de cette section.

Souvent il importe de bien déterminer si , dans un cas particulier, les mots sont pris au propre ou au figuré; on y arrive :

a. Par les mots eux-mêmes. - Les nombreux exemples tirés du caractère typique du peuple juif appartiennent à cette catégorie ainsi le royaume de David est annoncé, lorsque déjà il avait paru des faits nombreux de l'histoire juive la plus ancienne sont annoncés comme s'ils devaient se reproduire (Esaïe , XI, 15 , 16. Zach. , X, 11. Esaïe , IV, 5). Evidemment ici les mois portent en eux-mêmes la preuve qu'ils doivent être pris au sens figuré.

b. Par le contexte. - Si l'on veut interpréter littéralement Esaïe, LXVI, 20, il faut en faire autant des versets 21 et 23 , portant le rétablissement de la sacrificature et du culte juif, ce qui est positivement en contradiction avec le raisonnement de Héb. , X. Les huit derniers chapitres d'Ezéchiel semblent, au premier coup-d'oeil, pouvoir et devoir être pris littéralement; mais, après examen, on voit par plusieurs versets que l'interprétation littérale n'est pas possible ; aussi les eaux puissantes qui sortent du temple vont se jeter dans la mer Morte , et en assainissent les eaux (XLVII , 1-12). On reconnaît là la puissance de l'Evangile et l'effusion du Saint-Esprit; on ne peut y reconnaître un phénomène naturel. De même, Zach., XIV, 8. Le tout doit être interprété d'une manière harmonique, ou littérale, ou figurée.

c. Par des passages parallèles. - Le royaume du Messie est représenté, Esaïe, XI, comme un royaume de paix; mais au chap. IX, le prophète parle de guerres et de victoires. L'analogie d'autres passages d'Esaïe et du Nouveau-Testament montre que ce chap. IX doit être pris au sens figuré; la guerre et la paix sont réelles , mais non littérales.

Troisième règle. C'est une règle d'or qu'aucune prophétie ne dépend « d'une interprétation particulière (2 Pierre, I, 20, 21), » chaque prophétie devant être comparée aux autres relatives au même objet , et à l'histoire, soit profane, soit inspirée. Des prédictions parallèles jetteront souvent du jour l'une sur l'autre , et des accomplissements connus expliqueront des prophéties ou des portions de prophéties encore non accomplies. L'histoire et le Nouveau-Testament pourront ainsi servir à fixer le sens de certains passages, et ceux-ci, mieux compris , serviront à leur tour à en expliquer d'autres de même nature.

Comparez de cette manière les prédictions parallèles sur Babylone, Tyr, l'Egypte, Hammon, Ninive, Edom, Moab, etc. (voyez plus loin les détails sur les différents prophètes) ; sur l'homme de péché. Cf. 2 Thes., II. 1 Jean, II, 18. Dan. , VII. Apoc. , 13.

On a pu voir aux §§ 99 et 100 quelques exemples de prophéties accomplies tirés de l'histoire profane et du Nouveau-Testament.

Quatrième règle. On doit s'attacher à reconnaître quels sont les principes d'interprétation pour les prophètes sanctionnés par le Nouveau-Testament. Il nous donne de la part de Dieu la signification de l'Ancien-Testament , et en fixant le sens de certains passages , il suggère par là même les principes qui doivent être appliqués à tous.

- Voyez chap. VI, 1re section.

Au lieu d'exposer et de développer ici ces principes , nous les ferons ressortir par un exemple , le plus saillant que présente la révélation.

Le but final, le grand thème de la prophétie, c'est Christ, soit dans sa personne et son office, soit dans l''établissement de son royaume. On peut ranger presque toutes les prophéties de l'Ancien-Testament sous cette double division ; quelques-unes sont déjà accomplies, d'autres sont en voie d'accomplissement, d'autres enfin appartiennent encore à l'avenir.

C'est dans le paradis que fut faite la première promesse du Rédempteur. En Abraham , la prophétie rattache l'Evangile à l'alliance perpétuelle relative à Canaan. Dans la loi, elle annonce un autre prophète plus grand , et préfigure par des types les grandes doctrines du christianisme. A David, elle révèle le règne du plus illustre de ses descendants. Par les derniers prophètes , elle fait pressentir les changements qui seront introduits dans l'économie mosaïque; elle donne l'histoire des principaux royaumes du paganisme et complète ses révélations touchant le Messie. Après la captivité , elle annonce, avec une clarté plus grande encore, l'avènement de l'Evangile. Aux jours de notre Seigneur, elle parle tantôt en paraboles , tantôt en prophéties directes ; puis enfin, dans un langage symbolique, obscur, elle raconte l'histoire et la gloire finale de son règne. Le témoignage de Jésus , c'est l'esprit de la prophétie (Jean, V, 39. Actes, III, 18; X, 1.3. Rom. , I, 2 ; III, 21, 22. Apoc. , XIX, 10 ).

Ce fait est d'une très-haute importance ; il prouve le but direct des anciennes prophéties, et il les limite. Il nous apprend à chercher Christ partout, dans les deux économies , et il établit clairement le sens général de ces oracles eux-mêmes.

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§ 123. Différents systèmes d'interprétation. - Quoique la plupart des interprètes soient d'accord d'une manière générale sur les règles qui viennent d'être indiquées, leur application a conduit à des résultats divers, dus à l'importance plus ou moins grande que les uns ou les autres ont donné à certaines règles de détail.

Voici d'abord les points essentiels sur lesquels tous sont d'accord

L'accomplissement littéral des prophéties relatives à la première venue de notre Seigneur. Des oracles , qu'on aurait pu croire suffisamment accomplis dans un sens général par les principaux événements de sa vie, ont été néanmoins accomplis littéralement. Il est monté sur un âne, ses vêtements ont été partagés, il a été crucifié avec les malfaiteurs , on l'a mis dans le sépulcre du riche, etc. (Zach., IX, 9. Ps. XXII, 18. Esaïe, LIII, 9).

L'accomplissement littéral de plusieurs prédictions relatives à l'histoire des Juifs et de quelques autres puissantes nations. Ce fait est admis par les uns pour prouver l'évidence des Ecritures; par les autres, pour le même objet, et en outre pour établir les principes d'interprétation qu'on doit appliquer aux portions non encore accomplies de la prophétie.

Tous admettent, en général, que la prophétie a deux centres principaux autour desquels viennent se grouper les autres événements annoncés, comme deux éminences du haut desquelles on doit regarder, pour les bien juger, l'histoire du monde et celle de l'Eglise. L'un, c'est la première venue du Sauveur dans la souffrance et l'abaissement; l'autre, c'est son retour en gloire qui sera suivi, après un certain intervalle, par le jugement.

Enfin la conversion des Juifs, la vérité reconnue et répandue dans le monde entier, selon les glorieuses prédictions des deux Testaments, et, après de nombreux combats, la destruction finale de tous les ennemis de la foi. Dans l'un comme dans l'autre système, quelques-uns ajoutent le rétablissement des Juifs dans leur patrie.

L'accord des différents systèmes va encore plus loin dans les détails. Tous rapportent sans scrupule à l'Eglise les promesses de bénédictions spirituelles faites à la dispensation évangélique; tous reconnaissent que le règne de la justice aura son côté visible , aussi bien que son côté spirituel, qu'il modifiera d'une manière avantageuse les relations sociales, et qu'il exercera une heureuse influence sur la société humaine.

La première classe ou école d'interprètes admet tous ces points principaux, et elle s'en tient là. Elle part de l'idée que les Juifs étaient un type, et que sous ce rapport leur mission est terminée; que la distinction entre les Juifs et les Gentils a été formellement abolie; que notre dispensation est toute spirituelle; elle ajoute, en outre, que si les prophéties devaient être prises à la lettre, elles nous ramèneraient à la restauration pure et simple du judaïsme, c'est-à-dire à un système qui appartient plus à l'enfance qu'à la majorité, de l'Eglise; elle insiste sur ce que ces prophéties, en tant qu'elles concernent le rétablissement des Juifs, ne sont pas reproduites dans le Nouveau-Testament, et que plusieurs au contraire, qui semblent se rapporter aux Juifs comme nation, sont appliquées dans le Nouveau-Testament à l'Eglise ou à la conversion des Juifs (Actes, II, 17-21. Rom., XI, 26), et elle en conclut qu'une interprétation spirituelle de tous les oracles ayant une portée de ce genre , est plus conforme à la teneur et à l'esprit des Ecritures.

La seconde classe va plus loin. Les interprètes qui la représentent le mieux admettent que ce raisonnement est vrai , mais ils ajoutent qu'il ne renferme pas toute la vérité. lis font remarquer que les promesses de bénédictions spirituelles ont été en grande partie réalisées d'une manière littérale; que, dans les deux dispensations, il est parlé des Juifs comme étant encore des objets de dilection, « à cause des pères; » que plusieurs prophéties sont encore non accomplies, celles, par exemple, qui parlent d'Israël et de Juda en termes inapplicables au premier retour de l'exil, et celles qui ont été écrites plus tard (Esaïe, XI, 12. Osée , III, 15. Zach., XIV) ; que le texte de ces prophéties, quoique souvent applicable d'une manière générale à l'Eglise chrétienne, ne saurait être considéré comme épuisé, par cette application , sans une violence manifeste faite aux règles les plus ordinaires du langage , que plusieurs prophéties ayant déjà reçu un accomplissement dans l'histoire juive ou dans l'Eglise chrétienne, comme Esaïe, XIII, 9, 10; XXV, 8. Aggée, II, 6. sont représentées dans le Nouveau-Testament comme réservées à une réalisation encore à venir (1 Cor., XV, 54. Héb., XII, 26. Matth., XXIV); et ils concluent de tous ces faits que, nonobstant le premier accomplissement partiel de plusieurs prophéties dans l'histoire des Juifs et l'accomplissement spirituel de plusieurs autres sous la dispensation évangélique, il en reste quelques-unes qui doivent être réalisées au sens littéral et dans des proportions plus considérables que par le passé. Ils maintiennent par conséquent, dans toute sa rigueur, le principe de l'interprétation littérale, soit qu'il s'agisse de la restauration des Juifs, de la seconde venue de Christ, antérieure au millénium, ou de l'établissement de son royaume.

Pour faire mieux comprendre ces deux systèmes principaux, nous résumerons le système littéral et antémillénial clans les deux tableaux suivants, dont l'un est emprunté à la Concordance de Powell (1673), l'autre au Guide des prophéties de M. Bickersteth.


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