SECTION II - Difficultés scripturaires. (Suite)

.

§ 150. Difficultés d'interprétation et contradictions résultant des termes employés pour l'expression de certaines vérités. - Il semble quelquefois y avoir opposition et contradiction dans la manière dont certaines doctrines sont énoncées et certains devoirs prescrits ; dans ce cas, il importe de bien distinguer le sens littéral du sens figuré, et d'expliquer ou de compléter le sens d'un passage par les indications de l'autre.

a. Quelquefois les mots d'un seul des passages doivent être pris dans un sens figuré. - Vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie (Jean, V, 40) semble contradictoire avec : Nul ne peut venir à moi si le Père ne le tire (VI, 44). D'après le premier de ces passages, l'homme serait obligé de croire ; il pourrait croire, mais il ne le veut pas; d'après le second au contraire, il semblerait que l'homme ne puisse pas croire. Est-ce le manque de pouvoir ou le manque de volonté qui doit être pris au figuré? S'agit-il de la puissance matérielle ou de la puissance morale ; l'un et l'autre sens serait fondé sur l'Ecriture. Abija ne pouvait point voir à cause de sa vieillesse (1 Rois, XIV, 4). Les matelots ne pouvaient gagner la terre (Jonas, I, 13). Les frères de Joseph ne pouvaient lui parler avec douceur (Gen. , XXXVII , 4). Comment pouvez-vous dire de bonnes choses étant méchants (Matth. , XII , 34.) ? Dans ces deux derniers passages il s'agit , non d'une impuissance physique , mais d'une forte propension , d'un penchant ; et c'est aussi dans ce sens que notre Seigneur emploie le mot pouvoir; la grâce du Seigneur peut seule subjuguer le penchant de l'homme vers le mal ; mais ce penchant , résidant dans la volonté, est un péché. Il en est de même de tous les passages où il est parlé de Dieu en termes appropriés à la faiblesse des conceptions humaines. - Voyez aussi Matth. , XI, 14, et Jean, I, 21.

D'autres fois ce sont les mots des deux passages qui doivent être pris au figuré.

b. Les assertions générales d'un passage doivent être limitées par les expressions plus restreintes d'un autre passage. - Luc, XVI, 18. Marc, X , 11 , 12 , le divorce est défendu d'une manière absolue; mais, Matth., V, 32; XIX, 9, il est permis pour le cas de l'adultère; et, 1 Cor. , VII, 15, l'époux fidèle est autorisé à se séparer de son conjoint infidèle, si celui-ci le désire et le demande. - Voyez de même Gen. , XIII, 17; XXIII , 17, 18. Actes, VII, 5.

c. Quelquefois les mêmes mots ont, en différents passages, un sens différent; il est difficile dans ce cas de trouver le moyen de les déterminer l'un par l'autre. - Matth. , XVIII , 21 , 22, le pardon des offenses est commandé d'une manière absolue; Luc, XVII, 3 , 4, il ne l'est que si le frère se repent. On peut croire que dans ce dernier passage le mot pardon a une signification plus étendue , plus large (Gérard), ou bien que, dans le premier, la repentance est sous-entendue. - L'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la loi (Rom,, III, 27 ). L'homme est justifié par les oeuvres, et non par la foi seulement ( Jacq., II, 24). D'après Fuller, Paul parle de la justification des impies qui ne peuvent être reçus de Dieu que par la foi , Jacques parle des croyants qui ne peuvent être approuvés de Dieu que s'ils ont les oeuvres. D'après Hoadley et Taylor, Paul parle de la justification aux yeux de Dieu, et Jacques de la justification aux yeux des hommes. Grotius et Macknight pensent que Paul parle de la foi réelle avec ses effets, et Jacques d'un simple assentiment de l'esprit. Les commentateurs proposent diverses solutions , mais tous sont d'accord que le sens absolu des mots, dans l'un et l'autre passage, doit être restreint et limité. - Voyez aussi 1 Cor., X, 33. Gal. , I, 10. Prov. , XXVI, 1, 5. - D'après Exode, XX, 5 , Dieu punit l'iniquité des pères sur les enfants; d'après Ezéch. , XVIII, 20 , le fils ne portera point l'iniquité du père.

Fuller pense que le plan de Dieu fut modifié vers la fin de la dispensation juive; les pères étaient d'abord épargnés, mais à la fin ils furent frappés aussi , et les fils ne furent plus seuls à porter le fardeau de la colère divine. Ou bien , les paroles de l'Exode ne se rapportent qu'à ceux qui le haïssent. Si Juda , aux jours d'Ezéchiel , eût été un peuple juste, il n'eût pas été emmené en captivité pour les péchés de Manassé. Dans les deux passages les hommes sont considérés, non comme individus , mais comme membres d'un même corps, et solidaires les uns des autres; les deux passages ne se rapportent du reste qu'à la vie présente.

d. Un même acte est quelquefois attribué à différents agents , ou bien des descriptions différentes et presque contradictoires sont faites d'un même objet ; dans ce cas les mêmes mots doivent être pris dans des sens différents, ou bien il y a un sens dans lequel les deux choses doivent être vraies. - Christ intercède (Rom., VIII, 34. Héb., VII, 25 ). Le Saint-Esprit aussi intercède (Rom., VIII , 26, 27). L'un est dans le ciel et l'autre dans nos coeurs. Christ est appelé le consolateur ou l'avocat (1 Jean , Il , 1) , de même que le Saint-Esprit ( Jean, XVI , 7). L'un est en haut, l'autre est dans le coeur.

Les enseignements de l'Ecriture sur le second avènement de Christ renferment presque tous les genres de difficultés dont nous venons de parler.

.

§ 151. Difficultés dans le fond même des choses révélées. - Lorsqu'on a réussi à triompher de tous les obstacles matériels, de mots ou d'interprétation, qui ont été énumérés, ou rencontre des difficultés plus sérieuses, celles contre lesquelles l'incrédulité élève le plus d'objections réelles , les difficultés qui proviennent du fond même des choses révélées ou ordonnées dans l'Ecriture.

a. Une première catégorie de passages, qui peut-être devrait trouver sa place ailleurs, renferme des difficultés de fond qui se rattachent proprement à des difficultés d'interprétation. - L'arc-en-ciel existait-il avant le déluge? le soleil et les étoiles, avant le quatrième jour de la création? Ont-ils commencé d'être auparavant, et, la mention qui en est faite ne se rapporte-t-elle qu'à la circonstance accessoire que l'arc-en-ciel est devenu le signe de l'alliance de Noé, que le soleil et les étoiles, créés auparavant, n'ont été destinés qu'au quatrième jour à l'usage auquel ils sont maintenant consacrés. - Lév. , XXVII, 28 , 29, a été cité comme sanctionnant les sacrifices humains, de même que le sacrifice de la fille de Jephté (Juges, XI, 34). Mais les sacrifices humains sont expressément défendus Deut., XII, 30, 31. Ps. LXVI, 3; CVI, 37, 38. Tous ceux qui touchaient un mort étaient souillés, et d'ailleurs aucune chose consacrée ne pouvait être offerte en sacrifice. Quant à Jephté, peut-être voua-t-il sa fille à une virginité perpétuelle , et si même il la sacrifia, ce qu'il fit n'était point ordonné de Dieu. - Diverses prophéties ont pu être considérées comme fausses, par suite d'une simple erreur de copiste : ainsi 2 Rois, VIII, 10 (en hébreu, il faut lire au lieu de la promesse faite à Josias 2 Chron. , XXXIV, 28; XXXV, 23; l'histoire de Jonas, etc., quelques mots faisant considérer les derniers temps comme étant proches. - L'Ancien-Testament renferme des expressions qui semblent respirer un esprit de vengeance, mais quelques-unes sont figurées (Ps. X, 15), d'autres sont de simples prédictions (Ps. XXVIII, 4, 5), le futur étant employé et non l'impératif; d'autres enfin sont la dénonciation des jugements de Dieu (Deut. , XXVIII). - Quelques actions faites par les prophètes ont pu être considérées comme ridicules ou immorales; mais les unes sont symboliques, d'autres n'ont eu lieu qu'en vision, les autres sont seulement racontées par le prophète ; la nudité d'Esaïe, XX, 3, n'a eu lieu qu'en vision d'après Rosenmuller; selon Lowth, ce n'était qu'une demi-nudité, un déshabillé, le prophète n'ayant ôté que son vêtement de dessus. Jér., XIII, 4, 6 , ne serait, d'après Lowth, qu'une vision. - Voyez encore Ezéch., IV. Osée, I, 2. - Certains préceptes sont donnés sans explications ni restrictions, probablement parce que ce n'était pas nécessaire; ainsi manger la chair de Christ (Jean , VI, 51-58); parole oiseuse (Matth., XII, 36), c'est-à-dire mauvaise ou calomniatrice ; les riches de Marc, X , 24 sont ceux qui se confient en leurs richesses; Matth., V, 30 et 39 doivent se prendre dans un sens large et figuré; plutôt couper le bras, plutôt tendre la joue que de faire le mal. Dans tous ces passages, il y a de grandes vérités voilées de quelques difficultés; mais les difficultés, nous le répétons, sont plutôt dans l'interprétation.

b. Quant au sens proprement dit et aux difficultés de fond, nous citerons comme exemples les suivantes :

1° Il y a des contradictions entre l'Ancien et le Nouveau-Testament; il y en a entre les enseignements de notre Seigneur et ceux de ses apôtres;

2° Il y a des impossibilités dans le récit de la création, et dans la prétention de ramener la race humaine à un seul couple primitif;

3° Quelques-uns des miracles, l'histoire de la chute , celle de Balaam , les histoires des possédés dans le Nouveau-Testament sont incroyables.;

4° Il y a bien des choses mauvaises dans les caractères les plus distingués des saints de l'Ancien-Testament;

5° Des commandements extraordinaires leur ont été donnés, ainsi qu'à Abraham et aux Israélites,

6° La peine de mort infligée à l'idolâtrie semble sanctionner la persécution, et plusieurs détails de la loi sont inadmissibles ou injustifiables;

7° Des passages de l'Ancien -Testament sont cités dans le Nouveau dans un sens qui n'est pas naturel;

8° Quelques-unes des doctrines morales et spirituelles de l'Evangile, présentées comme salutaires, sont incompréhensibles et mystérieuses;

9° Enfin et surtout, le fait qu'il y a des difficultés dans la Bible est inconciliable avec le caractère d'une révélation universelle et absolue.

.

§ 152. Valeur des objections tirées des difficultés. - Commençons par l'examen de la dernière des objections indiquées. Il y a, en effet, des difficultés dans la Bible; mais sont-elles incompatibles avec son inspiration et son authenticité? Sont-elles préjudiciables à la clarté de son enseignement comme doctrine ou comme sainteté?

Il est évident d'abord que la Bible révèle , dans des passages innombrables et d'une clarté incontestable , les principes essentiels de la vérité et du devoir. Nous n'avons qu'à ouvrir le Nouveau-Testament, et à chacune de ses pages, pour ainsi dire , nous trouverons un complet système de sainteté. La spiritualité de la nature de Dieu , la spiritualité du culte (Jean , IV , 24) , la repentance et la rémission des péchés au nom de Jésus-Christ (Luc, XXIV, 47), le salut en son nom seul (Actes, IV, 12), le devoir de tous les hommes de se repentir et de croire (Actes, XVII , 30. Marc, I, 15), la vie éternelle par la foi au Fils, la mort éternelle comme conséquence de l'incrédulité (Jean, III) , le devoir de la sainteté (Matth., VII , 21), l'assurance du secours du Saint-Esprit pour aider l'homme à combattre sa corruption naturelle: toutes ces vérités sont écrites comme avec un rayon du soleil, et ne sauraient échapper à la lecture même la plus superficielle ou la plus indifférente. Bien plus, à toutes les époques, la Bible a été justifiée par les faits : elle a répondu au grand objet qu'elle se propose; elle a montré qu'elle était le livre de la vérité religieuse, le dépositaire de la vérité qui sauve.

Comparez le symbole du Juif le plus humble et le moins développé, son Credo quant à Dieu et à la loi , avec les erreurs, les doutes, les incertitudes des plus sages d'entre les païens sur les mêmes objets; comparez la première Tusculane de Cicéron avec le moindre traité des chrétiens sur l'immortalité de l'âme et sur la résurrection , la distance qui les sépare est immense. Tandis que le philosophe païen bronche à chaque pas et finit par reculer devant ses propres conclusions, le chrétien avance d'un pas décidé; sa foi est nette, ferme , claire; il n'éprouve d'autre difficulté que de bien pénétrer son coeur et sa conscience des vérités révélées à son intelligence. Par les directions et les préceptes de conduite de l'Ecriture, l'homme le plus corrompu peut être ( parfaitement instruit pour toute bonne oeuvre; » et par ses doctrines tout homme peut être rendu « sage à salut. »

Mais ces difficultés ne compromettent-elles pas l'autorité de la Bible et n'affaiblissent-elles pas l'évidence de son inspiration? Une révélation que tous ne peuvent comprendre peut-elle revendiquer une autorité universelle? Un livre qui renferme tant d'obscurités mérite-t-il bien le nom de révélation?

Avant de répondre à cette question , nous ferons observer d'abord que toutes les oeuvres de Dieu dans la nature sont sujettes à la même objection. L'évêque Butler a prouvé (le la manière la plus concluante que la religion naturelle, la religion révélée et la providence de Dieu dans ses rapports avec tous les devoirs reconnus de la morale humaine, sont soumises aux mêmes difficultés. Partout on rencontre des mystères, des choses qu'on ne peut expliquer, des preuves qui échappent quand on croit les saisir, un ensemble dont l'ordonnance étonne, des détails dont la relation peut être constatée mais ne peut se comprendre; et tout nous rappelle que l'état présent de notre existence est un état de travail, de recherches et d'humilité. En réalité, d'ailleurs , l'objection porte moins sur l'Ecriture que sur notre vie et nos habitudes de chaque jour, et le raisonnement par lequel on essaie d'enlever à l'Ecriture son caractère, ôterait à Dieu son autorité et à l'homme tous les motifs qui sont de nature à le porter au bien. - Ajoutons que puisque les coutumes et les langues changent avec les pays et avec les siècles, la révélation, à moins d'avoir été donnée en particulier à chaque peuple et à chaque siècle, ne saurait être exempte de difficultés. Des expressions sont aujourd'hui vieillies, et par conséquent obscures, qui un jour étaient faciles à comprendre ; des faits, jadis connus, sont maintenant oubliés , et le rapport qui les unissait à d'autres est maintenant perdu. Il en résulte naturellement à plusieurs égards une ignorance qui ne saurait surprendre et qui, dans l'état actuel des connaissances humaines, est peut-être sous plusieurs rapports sans espérance de remède.

Mais nous allons plus loin. Ces difficultés de l'Ecriture, philologiques, historiques ou autres fournissent une des meilleures preuves de l'intégrité et de l'authenticité de la Bible. Personne ne doute et ne peut douter que ce livre ait été écrit dans des langues anciennes et à diverses époques. La solution de ses difficultés a de même été graduelle et successive, et cela pour beaucoup de raisons. Chaque siècle a ses motifs particuliers d'incrédulité, et à chaque siècle il faut des preuves nouvelles et d'un autre genre. Qu'on lise le traité de Lardner (Credibility) , les Horae paulinae de Paley, les Horae apostolicae ou les Horae evangelicae de Birks , on verra d'abord que le point de vue de leur apologétique n'est pas le même que celui de apostolique ; ils répondent à des objections qui ne se sont produites que plus tard; ils s'occupent de concilier des contradictions apparentes qui existent soit entre les données de l'histoire sacrée et celles de l'histoire profane , soit entre les Epîtres et les Actes, soit dans les récits des Evangiles. L'étude attentive de ces ouvrages prouvera que les difficultés elles-mêmes deviennent, par leur solution , l'un des arguments les plus puissants en faveur de l'inspiration divine des saints livres; elles établissent qu'il n'y a pas eu accord préalable entre les écrivains inspirés, et que cependant il n'y a eu ni erreur ni contradiction réelle. Nous ne pouvons nous passer de rien dans la Bible, pas même de ses difficultés; chacun des éléments qui la composent, même ses contradictions apparentes, sont nécessaires à la force de l'ensemble. - Et si l'on dit que ces difficultés sont trop nombreuses , que les solutions ont été trop lentes à venir, nous répondrons que là encore on peut reconnaître la sagesse d'en haut, qui a voulu réserver à chaque siècle des preuves nouvelles et stimuler sans cesse l'intérêt pour l'étude des Ecritures.

Si maintenant , des difficultés philologiques et historiques, nous passons à celles qui regardent la doctrine, aux grands mystères de la sainteté et du péché, à ces paroles qui sont « dures, » à ces choses qui sont « difficiles à comprendre, » et qui se rapportent à notre salut , aux sombres ou glorieuses profondeurs de l'avenir, nous dirons d'abord : Que de clartés dans ces mystères ! Nous ajouterons ensuite : Que de raisons pour que de si grandes doctrines soient enveloppées d'obscurités pour nous! L'homme est tombé, sa nature est dépravée , son intelligence même est obscurcie. Une révélation plus à la portée de nos goûts et plus conforme à notre volonté porterait certainement des traces d'une origine inférieure. Nous sommes finis et bornés : quoi de plus naturel qu'un être connaissant toutes choses, quand il traite des sujets qui se rapportent à nos intérêts éternels , dise quelquefois des choses que nous ne comprenons qu'en partie. On peut dire que l'absence de toutes difficultés, dans une révélation qui se donne comme inspirée par l'éternelle et infinie sagesse, ferait naître sur son origine des soupçons bien plus forts et plus légitimes que ne le fera jamais leur présence (voyez la huitième objection).

Disons encore que ces difficultés concourent à relever et à sanctifier toutes les études, tous les travaux de l'intelligence humaine, en les mettant au service de la religion. Historiquement, c'est avec l'étude de la Bible qu'a commencé dans les temps modernes l'étude de la littérature classique, et dès-lors la vraie foi et la vraie science ont été toujours indissolublement unies. C'est ainsi que la science est sanctifiée , et si quelques chrétiens ont pu mériter le reproche de dédaigner ou de proscrire tout travail tondant au développement de l'intelligence, ce reproche ne saurait tomber sur la religion chrétienne elle-même.

Sans doute il restera vrai, malgré tout ce qu'on vient de dire, que certaines difficultés pourront quelquefois ébranler ou troubler la foi des chrétiens eux-mêmes. En d'autres termes, elles peuvent devenir une épreuve de la foi. Mais n'est-ce pas là encore une évidence de plus? Toutes les dispensations de Dieu n'ont-elles pas pour objet notre éducation morale ? Qu'est-ce que vivre, sinon marcher par la foi, c'est-à-dire se laisser conduire par Celui dont les voies ne sont pas nos voies, et dans des circonstances qui réclament de notre part confiance, foi et soumission? Peut-être l'Esprit de Dieu eût-il pu donner à nos intelligences un livre sans ombres et sans obscurités , quoique nous ayons peine à comprendre comment ; mais certainement nous y aurions perdu beaucoup, et nous n'aurions pas gagné au change.

.

§ 153. Règles à suivre. Au lieu de relever en détail les objections rappelées à la fin du 151 , nous poserons quelques principes et indiquerons quelques règles dont l'observation est indispensable, non point pont, faire disparaître toutes les difficultés, mais pour aider à les résoudre d'une manière convenable.

Il faut, quand on interprète l'Ecriture , ses prophéties , ses déclarations , se rappeler toujours ce qu'elle est, un livre inspiré, destiné à développer la doctrine du salut par Jésus-Christ et à soumettre les hommes à l'autorité de Dieu. Dans tout ce qui, dans la Bible, est commun aux livres humains , elle peut être interprétée d'après les lois et les règles ordinaires : il faut tenir compte des mots, du contexte, du but de l'auteur, de l'époque, des usages du pays, etc. Mais en tant que la Bible diffère des autres livres , étant inspirée et écrite pour tous les temps , chacune de ses pages annonçant , préfigurant et montrant le sacrifice de la croix, il faut donner à chacune de ses phrases et de ses déclarations une signification pleine, large et spirituelle. - Les prescriptions de la loi touchant les sacrifices, par exemple, considérées en elles-mêmes , sont sanguinaires et cruelles; elles ne contiennent aucune allusion directe à leur sens spirituel , elles ne parlent en aucune manière de la mort de notre Seigneur. Leur signification réelle cependant est incontestée; c'est bien à Jésus-Christ que se rapporte l'institution tout entière. En même temps, elle proclamait à l'esprit de plusieurs la grande doctrine de la substitution , et remplissait leurs coeurs des mêmes sentiments qu'éveille aujourd'hui chez le chrétien la prédication de la croix. - La promesse faite à Abraham ne renferme rien non plus qui fixe directement la pensée sur la venue du Messie; une parole de ce genre, quand on la trouverait chez Homère ou Virgile, ne pourrait évidemment pas être interprétée dans un sens prophétique; mais pour le chrétien , il n'y a aucun doute possible sur la portée des promesses de Dieu à Abraham.

Si les écrivains sacrés ne comprenaient pas toujours eux-mêmes la grandeur des vérités qu'ils annonçaient au monde , le Saint-Esprit de Dieu la voyait et la comprenait. Le travail de l'interprétation doit donc consister à démêler la pensée de Dieu et le but de ses révélations. « N'expliquer les Ecritures que comme on expliquerait le premier livre venu, sans égard à sa pensée spirituelle , ce serait, a dit lord Bacon, déshonorer l'Ecriture et outrager l'Eglise. » Voyez la 7e objection.

Les doctrines devant être interprétées conformément à la nature même de la Bible, aucune difficulté ne doit être résolue d'une manière qui attaque ou détruise le grand fait de l'inspiration. Plusieurs ont essayé de mettre en parallèle les miracles de Moïse avec ceux qui sont racontés par Tite-Live, les écrits d'Ezéchiel avec ceux d'Eschyle, les doctrines de notre Seigneur avec celles de Platon, et dans chaque cas on a cru pouvoir résoudre les difficultés de la même manière. Si l'on dit, par exemple , que les miracles sont incroyables, que les images sont forcées, que le raisonnement, moral est erroné ou exagéré, on tourne sans doute les difficultés, on les élude , mais d'après des principes qui mettent à néant l'autorité des Écritures. Si l'on nie l'inspiration, il est évident que l'on est en droit de rechercher les preuves, et de critiquer ou de contester les vérités morales et spirituelles de la Bible ; mais quand on l'admet, toute solution d'une difficulté doit laisser intact le grand et glorieux caractère qui fait de la Bible la Parole de Dieu. Aussi plusieurs des expressions employées dans quelques-unes des objections sus-mentionnées ( 2e, 3e, 9e) doivent-elles être rejetées comme incompatibles avec l'esprit humble et pieux d'un disciple de Jésus-Christ.

L'Ecriture doit être regardée comme formant d'un bout à l'autre un grand ensemble, un système, et les différents livres qui la composent , ses nombreuses sentences, doivent être interprétés comme parties intégrantes du tout. La lumière que la première page projette sur la dernière, ou la dernière sur la première , peut servir à éclairer tout le livre ; elle répandra du jour sur les passages les plus obscurs , non point qu'ils aient tous le même sens, mais parce qu'ils ont tous le même but et le même objet. - Cette règle est , pour les faits et les vérités bibliques, la même que celle que nous avons déjà reconnue pour l'interprétation de passages isolés , sous le nom d'analogie de la foi , ou de parallélisme des passages. Notre Seigneur a dit, par exemple : A celui qui n'a pas, le peu même qu'il a lui sera ôté.

Ces mots, séparés du contexte , du passage parallèle dans un autre évangile, et du plan général de Dieu qu'ils sont destinés à mettre en relief, n'ont plus aucune signification. Il en est de même des vérités bibliques. Le sacrifice d'Abel et sa mort, considérés en eux-mêmes, n'ont pas plus d'importance que les bonnes oeuvres et la fin violente ou prématurée de tout autre homme de Dieu ; mais si l'on voit dans cette mort les premiers résultats du péché, et dans ce sacrifice le pressentiment de ce que doit être tout sacrifice vraiment acceptable aux yeux de Dieu; si l'on y voit une preuve que la conscience religieuse eut dès l'origine le sentiment de sa profonde déchéance et de la nécessité d'une substitution pour le péché , aussitôt l'ensemble du récit revêt un caractère nouveau de grandeur et d'importance. Expliquez de la même manière toutes les ordonnances de la loi et l'histoire particulière des saints de l'ancienne alliance , aussitôt les incidents les plus vulgaires en apparence deviennent des preuves internes d'un très-grand poids et des sujets d'édification pour l'Eglise dans tous les Ages.

S'il est important d'étudier l'Ecriture en tenant compte de son but et du texte de chaque passage, il ne l'est pas moins , cela se comprend , de l'étudier dans son vrai texte , d'y découvrir la véritable liaison des idées et des faits ; un faux système serait plus dangereux que l'absence de tout système. - Si l'on ne voit dans les plaies d'Egypte que le moyen employé de Dieu pour délivrer une nation injustement retenue dans l'esclavage , ces plaies paraîtront excessives , et quelques-unes absurdes. Si l'on y voit au contraire des manifestations de la puissance divine, le symbole de la destinée de ceux qui persévèrent et meurent dans l'impénitence, le type de la destruction des principautés et des puissances par Celui qui les a vaincues et dépossédées sur la croix, la condamnation publique et officielle de l'idolâtrie, toutes les plaies ayant eu pour objet ou pour instrument un des faux dieux adorés par les Egyptiens; si l'on y voit enfin la confirmation de la foi des Israélites , car elles restèrent toujours dans les souvenirs du peuple, leur signification devient bien autrement grande et leur rigueur s'explique. - Si l'on ne voit dans l'idolâtrie qu'une simple erreur de l'intelligence, et dans le peuple juif qu'un peuple ordinaire, la peine de mort appliquée à l'idolâtrie est évidemment un châtiment d'une trop grande sévérité. Mais la mort n'était en réalité que le châtiment du Juif apostat qui avait d'abord , et à plusieurs reprises, accepté Jéhovah comme son roi ; et dans une théocratie, l'idolâtrie était une trahison nationale.

L'institution tout entière avait pour but suprême de racheter l'humanité de la corruption et de la dépravation dans laquelle le péché l'a plongée et perdue. - Il en est de même des vérités qui se rattachent à la personne du Sauveur; elles n'ont de valeur que par l'union en sa personne, de notre nature humaine avec sa divinité. Qu'on cherche à se rendre compte des diverses circonstances de sa vie, en ne voyant en lui que le Dieu, ou l'homme seulement , les contradictions abondent ; admettez les deux natures, et tout s'explique, tout s'harmonise. - Si l'on dit que les patriarches et les prophètes ont péché, et que le récit de leurs péchés est aussi inconciliable avec l'idée d'une révélation divine de la Bible, que leurs péchés eux-mêmes le sont avec les principes d'une vraie religion , c'est répondre à la question par la question, c'est un sophisme, une pétition de principes.

L'objection cesse du moment où l'on admet que la Bible a pour objet de nous faire connaître Dieu et de travailler à l'amélioration et à la moralisation de l'homme. Prenez, par exemple, les ruses de Jacob (Gen. , XXVII, 33-35), et voyez les leçons qui ressortent en si grand nombre du récit biblique. Dès avant sa naissance il avait été annoncé qu'il serait plus fort que son frère , et que l'héritage lui appartiendrait (XXV , 23 ). Isaac , Rébecca , et probablement Jacob lui-même , tous connaissaient cette prophétie. Néanmoins Isaac fait son favori de l'aîné , malgré l'alliance de celui-ci avec une famille païenne; Jacob a si peu de foi qu'il croit devoir, sans aucune nécessité , acheter un droit que Dieu lui a garanti ; Rébecca, avec la même absence de foi, pousse son fils à l'intrigue , et lui dicte la ruse qui le met en possession de la bénédiction paternelle. Toutes ces fautes, toutes ces folies portent leurs fruits. La faiblesse d'Isaac est punie par la dispersion de ses enfants. La profane insouciance d'Esaü lui coûte son droit d'aînesse.

L'incrédulité de Rébecca la met dans la dépendance exclusive du fils à qui elle a fait tort ; l'autre , son bien-aimé , elle ne le revoit plus jamais. Jacob enfin doit quitter en hâte la demeure paternelle ; il est à son tour trompé et volé par Laban; la femme qu'il aime le moins devient la mère de la tribu élue, et les douleurs que lui causent ses propres enfants lui font sentir la grandeur de son péché. Ainsi , quoique la promesse ait reçu son entier accomplissement , Jacob n'en a retiré pour lui-même aucun avantage. Bien loin que son frère se soit incliné devant lui, c'est lui qui s'est prosterné devant Esaü, et sur la fin de ses jours il fut complètement dans la dépendance de ses fils.

Le châtiment a été complet , la leçon est entière. Et cependant il reste vrai qu'il a hérité de la bénédiction , car les dons de Dieu sont sans repentance ; le choix qu'il fait de ses serviteurs n'est fondé sur aucun mérite personnel de leur part, mais presque toujours, comme dans le cas actuel, sur des motifs dont il s'est réservé à lui-même le secret. On peut dire encore que la bénédiction fut surprise par des moyens qu'un honnête homme ne saurait avouer , et cela est vrai ; mais la même objection peut s'appliquer à toutes 'les directions de la Providence divine dans ce monde : le péché de l'homme est lui-même forcé de servir à la gloire de Dieu , et ni la sainteté de Dieu , ni la responsabilité de l'homme , n'en sont altérées ou amoindries en aucune manière. Une révélation qui ne tiendrait pas compte de faits de ce genre, ne serait ni exacte quant à Dieu , ni vraie quant à l'homme.

Il faut se méfier des conclusions de la sagesse humaine , et des raisonnements de la logique , dans tous les sujets qui ne sont pas du domaine de l'expérience, et spécialement dans tout ce qui concerne les vérités religieuses. En fait de science même, on ne connaît bien que ce qu'on a pu observer. Qu'est-ce que la lumière ? Qu'est-ce que la pesanteur ? Qu'est-ce qu'une force? Voilà des questions auxquelles la philosophie n'a pas encore répondu. Nous parlons des lois de la gravitation , nous affirmons encore que c'est la force de gravitation qui retient les planètes dans leurs orbites; mais on est forcé de reconnaître qu'en parlant ainsi , l'on se borne à constater un fait général et uniforme sans l'expliquer. L'origine des maladies, indépendamment des symptômes et des causes secondaires , est entièrement inconnue, et l'on ignore comment des miasmes, ou une contagion quelconque , peuvent agir sur la constitution. La conclusion la plus simple , celle que la philosophie même semble disposée à admettre , c'est que toutes les forces de l'univers sont placées sous la direction immédiate de la divinité. Partout abondent les miracles et les mystères, et ce n'est que leur fréquence ou leur régularité qui, en créant l'habitude, détruit la surprise. Que l'on combine ce fait avec celui de la chute et de la petitesse de l'homme , et le principe de lord Bacon , qui veut qu'on interroge avec respect la nature sans dogmatiser sur son mode d'action , paraîtra deux fois vrai appliqué à la Bible.

On ne doit pas s'attendre enfin à ce que toutes les difficultés puissent être résolues. « Il y a dans l'Ecriture, a dit Warburton, deux sortes de difficultés; les unes peuvent être levées parle travail, l'étude, et de patientes recherches ; les autres sont logées à l'ombre du trône du Tout-Puissant, et il y aurait de l'impiété à tenter de lever le voile qui les couvre. » - « Le dernier progrès de la raison , a dit Pascal, consiste à reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. » Quand toutes les difficultés de détail auront été résolues , et que chaque parole de la Bible aura été expliquée, il restera toujours à résoudre les plus redoutables et les plus mystérieux problèmes. L'origine du mal, la prescience et la souveraineté de Dieu unies à la liberté de l'homme, l'oeuvre de la rédemption, continueront jusqu'à la fin d'être un exercice pour notre foi. Il nous faudra dire toujours , comme nous devons le dire aujourd'hui : 0 profondeur des richesses, et de la sagesse , et de la connaissance de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impossibles à trouver !

( Voyez sur toute cette section les ouvrages de Horne , Davidson, Gérard, Benson, Cellérier, etc. )


Table des matières

Page précédente: SECTION II - Difficultés scripturaires. (Début)

Page suivante: CHAPITRE VII. DE LA LECTURE PRATIQUE DE LA BIBLE.