Les enseignements de Farel avaient-ils donc
été multipliés en pure perte ?
Le vaillant ouvrier paraissait avoir semé
sur le bord du chemin et les oiseaux avoir mange la
semence.
Cependant Dieu avait un but d'amour, Il
allait le manifester. Parmi les
blasphémateurs, pauvres gens morts dans
leurs fautes et leurs péchés, il y en
avait qui seraient des témoins vivants de
cet amour que beaucoup d'eau ne peut
éteindre et que des flots de
rébellions et de méchanceté ne
sauraient étouffer.
Au commencement de ce mois de mai, il y
eut de la oie parmi les anges de Dieu au sujet de
la dame Elisabeth et d'Hugonin
d'Arnex son mari. Nous ne connaissons pas les
détails de leur conversion. Le seigneur
d'Arnex, comme chef de famille, fut un de ceux qui
furent forcés d'aller entendre Farel;
peut-être sa femme l'accompagna-t-elle
à ce culte forcé; nous l'ignorons,
mais il est certain que leur conversion fit l'effet
d'un coup de foudre dans la ville. Bientôt
chacun sut que la dame d'Arnex était devenue
la pire luthérienne de l'endroit, et
même, chose inouïe, le jour de la
fête de Notre-Dame, elle avait fait la
lessive!
Quoi qu'il en soit, cette transformation
était l'oeuvre de Celui qui avait
aimé dame Elisabeth et s'était
donné pour elle. Le souverain Pasteur
cherchait en tous lieux ses brebis, jusque dans les
déserts. où le vent d'orage des jours
fâcheux les avait chassées.
«Contraignez-les d'entrer afin que ma maison
soit remplie,» dit le Sauveur de toutes les
pauvres âmes. Il vous invite aussi, chers
lecteurs, si vous n'êtes pas encore
sauvés. Ce n'est point par la volonté
de la chair, ni par la volonté de l'homme
que les pécheurs viennent au Sauveur. Si
vous n'êtes point encore passés des
ténèbres à la merveilleuse
lumière, l'amour qui sauva Elisabeth d'Arnex
et son mari pourra seul vous chercher et vous
trouver.
A peine la nouvelle que ces deux lions
avaient été changés en agneaux
eut-elle fait le tour de la ville, qu'un autre
événement à sensation se
produisit. Quatre jours après le premier
sermon de Pierre Viret, Georges Grivat, le chantre,
parut dans la chaire, non plus pour chanter les
antiennes latines comme il l'avait fait
jusqu'à ce jour, mais pour annoncer la bonne
nouvelle qu'il avait apprise de Farel. Ainsi le
meilleur chanteur de l'église, celui dont
tous admiraient la belle voix, était devenu
un prédicant hérétique ! Son
père, ses frères, ses amis furent au
désespoir.
A cette époque, Farel prêchait
à Saint-Blaise, près de
Neuchâtel; il y fut assailli par la populace
en furie et fort maltraité. Il arriva
à Morat si malade et si
épuisé, qu'il fut obligé de
garder le lit pendant plusieurs jours; des frissons
parcouraient tout son corps et il crachait le sang.
Évidemment il serait hors d'état de
prêcher pendant quelque temps, mais Dieu lui
réservait une autre tâche. Pendant
qu'il était sur son lit de maladie, un jeune
homme à l'expression douce entra dans sa
chambre et s'assit à son chevet.
« Je m'appelle Christophe Fabri,
dit le jeune visiteur; j'arrive du Dauphiné,
j'ai étudié la médecine
à Montpellier et j'allais compléter
mes études à Paris, lorsqu'en passant
je m'arrêtai à Lyon. Le Seigneur
m'avait déjà fait connaître
quelque chose de son Evangile à Montpellier,
mais à Lyon je rencontrai à ma grande
joie des enfants de Dieu qui achevèrent de
m'éclairer. Ils m'ont aussi raconté
les grandes choses que le Seigneur fait à
Neuchâtel et ailleurs. En entendant leurs
récits, j'ai pensé: Eh bien, je
n'irai pas à Paris, mais en Suisse; peu
importe si je dois abandonner ma famille, ma patrie
et mes études. Il faut que j'aille combattre
pour Jésus-Christ aux côtés de
Guillaume Farel ! Et maintenant, me voici, faites
de moi ce qu'il vous semblera bon. »
Farel se sentit attiré vers ce
jeune homme comme vers un fils envoyé par
Dieu dans son isolement et sa souffrance. Ils
passèrent les jours suivants dans la
méditation et la prière; ce fut un
temps de tranquillité et
de repos comme Farel en goûtait rarement. Il
aurait aimé à garder Fabri
auprès de lui, mais si ce nouvel ami lui
était cher, la gloire de Christ lui tenait
encore plus à coeur.
« Il faut partir, mon fils, dit-il
enfin, et aller pré cher à
Neuchâtel à ma place, car je ne puis
m'y rendre maintenant. » Christophe
répondit avec larmes: «O ! maître
Farel, ma douleur est plus grande aujourd'hui que
lorsque j'ai quitté père et
mère, tant le commerce que j'avais avec vous
était rempli de douceur. »
Mais Christ occupait la première
place dans le coeur de Fabri et il partit pour
Neuchâtel, quoiqu'il lui en contât de
se séparer de son maître.
Sur ces entrefaites, les convertis
d'Orbe envoyèrent un message à Farel
pour lui faire savoir qu'ils désiraient
rompre le pain en mémoire de Christ. Farel
était à peu près remis, il se
rendit tout de suite à Orbe Le jour de la
Pentecôte, 8 mai 1531, il monta en chaire
à six heures du matin; cette fois il n'avait
que des auditeurs volontaires, et pourtant ils
étaient nombreux. Farel parla sur le corps
de Christ rompu pour nous sur la croix, et sur le
parfait pardon acquis par sa mort précieuse.
Quand le sermon fut fini, huit des nouveaux
convertis se réunirent pour rompre le pain
avec Farel. Il y avait le seigneur d'Arnex et sa
femme, Christophe Hollard et sa vieille
mère, Guillaume Viret le tailleur, Georges
Grivat et deux autres personnes. Pierre Viret
était alors absent. Deux mois ne
s'étaient pas écoulés depuis
que, dans cette même église,
Christophe Hollard et Marc Romain avaient failli
être tués par la dame d'Arnex, et
maintenant ces deux mortels ennemis avaient
été réconciliés par le
sang de Jésus et se trouvaient réunis
comme membres du corps de Christ, un avec Lui,
membres les uns avec les autres.
« Vous pardonnez-vous les uns aux
autres ? » leur demanda Farel. Ils
répondirent cordialement: « Oui ». Ensuite deux
d'entre eux
étendirent une nappe blanche sur un banc et
y placèrent un pain et une coupe de vin. Ils
ne voulurent pas se servir de l'autel, trouvant
qu'il était souillé par
l'idolâtrie.
Farel pria, puis ils mangèrent le
pain ensemble et burent à la coupe comme le
firent les croyants de la chambre haute à
Troas, bien des siècles auparavant.
C'était ce culte en esprit et en
vérité après lequel Fard
soupirait depuis si longtemps; il n'y avait plus
que Christ, Christ seul occupait enfin la place
à laquelle Il a droit.
Mais à peine le culte
était-il fini que les prêtres furieux
s'élancèrent dans l'église;
ils pensaient que ce qui venait de se faire
était un crime abominable et ils en
étaient remplis d'indignation. Hélas
! Il n'y a-t-il pas des gens, dans les pays
protestants, qui partageraient en quelque mesure
l'opinion des prêtres ? N'y a-t-il point
parmi nous des usages et des rites qu'on aurait
autant de peine à trouver dans le Nouveau
Testament que le culte des saints ou l'eau
bénite ? Tout en condamnant les
incrédules qui mettent de côté
certaines parties de la Bible, n'oublions pas que
c'est un aussi grand péché aux yeux
de Dieu que d'ajouter quoi que ce soit à sa
Parole qui est parfaite.
Cette simple fraction du pain vous
scandalise-t-elle parce qu'elle est en opposition
avec les coutumes établies par l'homme ?
Cherchez dans les Ecritures, et voyez si vous
pouvez trouver quelque chose qu'il aurait fallu
ajouter à la touchante
cérémonie que je viens de
décrire,, pour en faire le souper du
Seigneur tel qu'Il l'a ordonné.
Les prêtres, qui craignaient
Messieurs de Berne, durent se borner à
manifester leur déplaisir en chantant la
messe encore plus fort que d'habitude lorsque les
hérétiques furent partis. Le
lendemain, lundi de la Pentecôte, Guillaume Viret
fit des habits, Christophe Hollard tint sa boutique
ouverte, en un mot tous étaient à
l'ouvrage. « Comment ! dirent les
prêtres, ces gens n'observent plus aucune
fête. sauf le dimanche! »
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