Farel plaignait les
pauvres
pécheurs ; il priait pour eux et il les
aimait. Voici une lettre qu'il écrivit
à ce sujet à un catholique genevois,
probablement un membre de la famille Bernard
:
« Mon
très cher frère, grâce et salut
vous soient donnés de Jésus. J''ai lu
la réponse que vous faites à ce que
j'ai écrit, et je suis grandement
ébahi de ce que vous expliquez comme vous le
faites ces paroles de Notre Seigneur
Jésus-Christ : "Je suis le cep et vous
êtes les sarments. " Comment avez-vous pu
penser que le Seigneur a voulu rappeler par
là les deux préceptes desquels
dépendaient "la loi et les
prophètes", à savoir l'amour de Dieu
et du prochain? je vous prie pour l'honneur.de
Jésus, qui pour nous est mort, d'avoir sa
gloire à coeur en
écoutant ce que je vous réponds. Vous
savez que la sainte Loi de Dieu régnait
avant que Jésus vînt ; cette loi
repose sur le commandement d'aimer Dieu et son
prochain, par lequel vous dites que nous sommes
justifiés, Ceux qui sont justifiés
ont le salut, car ils sont agréables
à Dieu ; ils deviennent ses enfants et ses
héritiers, puisque par leur justification
ils sont rendus purs de coeur et par
conséquent fils de Dieu. Si donc, en
observant la Loi, nous obtenons ce grand bien,
pourquoi a-t-il fallu que Jésus vînt,?
Ne serait-il pas mort en vain ? (Gal. II.)
En
vérité, tout ce que le saint
apôtre cite aux Romains et aux Galates, pour
montrer que nous sommée sauvés par la
foi en Jésus 'et non par la loi, serait
condamné par ce que vous dites. Relisez, je
vous prie, les chapitres III et IV aux Romains et
pensez-y en priant notre Seigneur qu'il vous donne
la pleine intelligence, et vous verrez combien vous
vous êtes fourvoyé. De sages et
savants zélateurs de la Loi l'ont comprise
et enseignée comme vous, mais saint Paul,
parlant par le Saint-Esprit, leur a
résisté énergiquement,
montrant comment le plus excellent des
Pères, Abraham, a été
justifié par la foi et non par la Loi.
C'est
aussi ce que
David affirme en disant que " bienheureux est
l'homme dont les péchés sont couverts
et auquel Dieu n'impute pas ses iniquités. "
Autrement, si la Loi nous donnait
l'héritage, la foi serait anéantie et
la promesse abolie. Il faut venir à Dieu par
la foi, sans laquelle nul ne peut Lui plaire
(Hébreux XI), et par la foi nous obtenons
tout, car toutes choses sont possibles à
celui qui croit (Marc IX). Par la foi, les
apôtres et tous les justes ont reçu le
Saint-Esprit, par lequel ils ont parlé des
choses de Dieu, et il faut que les rameaux
demeurent attachés au cep par la foi.
Personne ne doit parler d'aimer Dieu et son
prochain comme lui-même si ce n'est par la
foi. Car c'est par la foi que nous. avons le
Saint-Esprit répandu dans
nos coeurs, et alors nous aimons Dieu pour
Lui-même parce qu'il est digne d'être
aimé et qu'il nous a aimés le premier
(1 Jean IV). Ensuite pour l'amour de Dieu nous
aimons notre prochain, non seulement nos amis, nos
frères, mais encore ceux qui nous font du
mai (Matthieu V). Ce sont là les fruits du
bon arbre, nul autre ne les produira ; ils viennent
du Saint-Esprit que nous recevons par la foi. Car
le mauvais arbre ne peut porter de bon fruit, si
belle apparence qu'il ait (Matthieu VII, 12).
Ceux-là peuvent dire Seigneur, Seigneur,
mais jamais ils n'entreront dans la vie, la
colère de Dieu demeurera sur eux. Et la
haine, l'iniquité et d'autres mauvaises
racines remplissent le coeur de tels hommes,
même à l'égard de ceux qui ne
leur ont fait aucun mal, et ainsi le pauvre
infidèle va de mal en pis, comme Dieu l'a
bien montré dans le cas des pauvres juifs...
N'oublions pas que le médecin est pour les
malades et non pour ceux qui sont en santé.
Ne soyons pas comme les pauvres pharisiens, qui
demeurent en leur péché sans qu'il
leur soit pardonné, bien qu'ils disent : "
Nous voyons. " Mais plutôt confessons que
nous sommes malades et pécheurs, comme c'est
le cas de nous tous, et que le vrai Médecin
nous donne guérison et rémission,
afin qu'étant affamés. nous soyons
rassasiés, et abattus nous soyons
relevés. Ne nous déclarons pas
riches, de peur d'être renvoyés
à vide ; ne nous élevons pas, de peur
d'être abaissés.
La Parole
de Dieu,
étant la vraie lumière, n'a point
d'ombre, et si nous la suivons, il ne peut en
résulter que du bien. Mais les choses
inventées par les hommes ne sont que
ténèbres ; il n'en résulte que
du mal... la nourriture divine ne peut jamais
être nuisible, mais toute autre nourriture
fera du mal.
Quelle
répréhension Dieu adressera à
ceux qui vont où ils trouvent la bonne
chère et les aises de leur corps, mais qui,
s'il s'agit de leur pauvre âme, ne veulent pas
prendre la
peine de
s'enquérir de la vérité
auprès des messagers de Dieu. Ils ne veulent
pas éprouver les esprits afin de savoir
s'ils sont de Dieu, et afin de les suivre s'ils ont
raison et' de les blâmer s'ils ont
tort.
Comme
Moïse
(Nombres XI) et saint Paul (l Cor. XIV), le
voudrais que tous. prêchassent en tenant leur
mission non des hommes, mais de Dieu. Car s'il
'envoie pas les prédicateurs, ils ne peuvent
prêcher, ce qui signifie édifier la
congrégation, et s'ils ne prêchent, le
peuple n'entendra point ; et s'il n'entend point,
il ne croira pas au Seigneur et ainsi il ne
l'invoquera point et il demeurera sans
salut.
Jésus ne
faisait jamais rien de Lui-même, mais
seulement ce que le Père lui commandait, et
les apôtres ont suivi ses traces ; quoique
les autorités soient ordonnées de
Dieu, les apôtres n'ont demandé de
licence ni à Pilate ni à
Hérode, ni aux scribes, ni aux pharisiens.
Mais ayant reçu le talent de Dieu et la
grâce de Dieu, ils ont fait valoir le talent
et prêché par la grâce de Dieu,
comme le font tous ceux qui annoncent la Parole
divine purement. Ceux-là sont envoyés
de Dieu , ce qui vient ainsi de sa part ne peut
qu'être en bon ordre et que produire du bien,
quoi que le monde en dise ou en pense. Mais ce qui
vient de l'homme ne peut faire que du mal, comme le
prouve ce qui est arrivé aux juifs et
maintenant au pape, qui es tout à fait
opposé à
Jésus...
Si nos
consciences
sont entre nos mains, comme ,c'était le cas
pour Adam et Eve, elles sont bien mal logées
et bientôt perdues. L'homme tombé est
dans le péché, il n'a pas la foi, il
est séparé de Jésus et esclave
du péché. Il n'est pas en son pouvoir
de se relever, pas plus qu'un mort ne peut se
ressusciter. Et si Dieu, dans sa grande
miséricorde, ne retire le pauvre
pécheur, il est perdu pour toujours
(Hébreux X). Celui qui est en Jésus et qui a la
vraie
foi ne s'appartient plus ; il est à
Jésus et sous sa sauvegarde. Jésus a
donné la vie à ses brebis, Il les a
sauvées et c'est Lui qui les protège.
Ce ne sont pas les brebis qui se gardent, qui se
sont sauvées et donné la vie. Nous
serions tous perdus si Jésus ne nous gardait
pas, puisqu'avant que le péché
fût, nous n'avons pu subsister (Genèse
III).
Lorsque
Adam eut la
connaissance du bien et du mal, lui et sa femme,
ayant conscience de leur nudité, se
couvrirent de feuilles et s'enfuirent de devant
Dieu. Tous leurs descendants, dès qu'ils ont
connaissance de leur état, agissent de
même ; c 9 est tout ce qu'ils savent faire et
ainsi ils sont chassés du paradis. Mais
celui qui a une foi parfaite en Jésus laisse
tout ce qui est de la sagesse et la force de
l'homme, et il vient par la foi à
Jésus, lequel illumine de sa grâce les
aveugles, nettoie les lépreux, vivifie les
morts ; bref, Il fait toutes choses en nous. Car
notre salut ne vient ni de noirs ni par nous, mais
de Jésus et par Jésus, je le
répète, Jésus n'aurait pas eu
besoin de venir, si Adam avait pu se sauver par la
connaissance du bien et du mal. je suis
ébahi que . vous ne sondiez pas mieux les
Écritures afin de donner gloire à
Dieu en reconnaissant que le salut ne vient pas de
celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu
qui fait miséricorde. Le salut vient de la
semence sainte qui. brise la tête du serpent,
et non point par Adam ni Eve, qui ne sont que cause
de mort et de damnation à tous. Mais
Jésus seul est la cause et l'auteur de la
vie et du salut à tous ceux qui le
reçoivent. Nous n'avons aucune excuse devant
Dieu et nous ne devons point chercher à nous
justifier par dès raisonnements. Nous sommes
nés dans le péché,
conçus dans l'iniquité, enfants de
colère et de mort (Ephésiens II). Si
Jésus ne - nous sauve, nous sommes tous
perdus; mais par la foi en Jésus nous sommes
faits enfants de Dieu, et venant à
Jésus, chargés et
travaillés, nous sommes
soulagés; ceux qui ne vont pas à Lui
sont abîmés sous leur
fardeau.
Il est
sévèrement maudit celui qui
empêche son prochain de venir à Dieu
(Matthieu XVIII); celui qui, ayant oui l'Evangile,
ne le met pas en pratique. .donnant ainsi le
mauvais exemple aux pauvres ignorants. Dieu maudit
de même ceux qui méprisent la sainte
doctrine de Jésus, refusant d'obéir
à ce que disent les petits de ce monde, que
Notre Seigneur a choisis dans sa sagesse. C'est
ainsi que Jésus fut rejeté parce
qu'il ne marchait pas selon la tradition des
Pères ni selon les usages établis,
parce qu'il mangeait et buvait avec les
pécheurs et que les pécheurs le
suivaient. Ainsi ces pauvres idiots, n'entendant
rien à la doctrine de Jésus,
rejettent ce qu'ils ne comprennent
pas.
C'est
parce que j'ai
compris, par la grâce qu'il m'a
donnée, la volonté de ce bon
Maître, le Seigneur Jésus, que je
tâche de confesser ouvertement -Jésus
et son Evangile, étant assuré que la
sainte Parole de Dieu subsiste et que les hommes
n'y peuvent rien ; le pape et ses cardinaux ne sont
que des hommes et ils tomberont devant la Parole de
Dieu... La perdition vient de nous et le salut de
Dieu... Puisque vous terminez votre lettre au nom
de Dieu et en invoquant son secours, cela me donne
grand espoir que Celui qui vous a fait
écrire de la sorte achèvera de vous
éclairer dans tout ce qui concerne son nom,
sa gloire et sa puissance. Car nul autre que Lui ne
peut aider ou secourir, puisqu'un seul nom a
été donné aux hommes pour
être sauvés, à savoir le nom de
Jésus.
Quelle
sainte
prière que la vôtre ! Que vous avez
raison d'invoquer le secours de Dieu ! Puisse-t-il,
dans sa grande bonté, vous exaucer et vous
donner ce dont nous avons si grand besoin,
c'est-à-dire sa grâce, afin que vous
puissiez faire la confession que sa grâce
vous suffit ! Vous ne pouviez mieux conclure selon
la vraie foi et la Parole divine
pour détruire tout ce que vous avez dit en
défendant la justification par les oeuvres.
" Ma grâce te suffit ". c'est ce que le
Seigneur dit à saint, Paul Relisez
maintenant les passages qui traitent de la
grâce et méditez-les. Par exemple
celui-ci : " Celui qui est justifié par la
grâce ne l'est pas par les oeuvres. " Et cet
autre " Celui qui est sauvé par la
grâce ne l'est point par les oeuvres. " Sans
cela la grâce ne serait plus une grâce.
Cette grâce de Dieu, connue et comprise,
goûtée et savourée par la foi
et l'Esprit qui nous en rendent assurés,
fait que nous aimons Dieu d'un grand amour, que
nous l'adorons et l'apprécions, enfin que
nous aimons notre prochain comme
nous-mêmes.
Sans la
grâce
de Jésus, nous pouvons bien avoir la loi,
les ombres, l'apparence de servir Dieu comme
Moïse l'a enseigné, mais Moïse ne
peut rien nous donner pour passer de l'ombre
à la réalité. Pour servir Dieu
en vérité, il faut aller à
Jésus, par lequel la grâce et la
vérité sont venues. Cela est ainsi
afin que nul ne se glorifie, mais que toute la
gloire revienne à Dieu, qui, pour l'amour de
Lui-même, pardonne et fait grâce. Il
nous fait ce don afin d'être trouvé
seul Juste et justifiant, Sauveur et sauvant. Cela
vient de sa grâce et non pas de nos oeuvres.
Qu'il nous donne la plénitude de cette
grâce par laquelle aussi Il nous fera marcher
comme ses vrais enfants, droitement, saintement,
montrant par nos oeuvres notre sainte vocation. Et
ainsi étant tous à Lui, faisons tout
d'un même coeur, d'un même esprit, dans
la véritable paix et unité
chrétienne, non pas celle du monde, mais
celle de Jésus. Vivons ensemble, ici-bas,
comme des, pèlerins qui marchent dans la
vraie foi agissante par là charité,
afin que quand Jésus viendra pour juger les
vivants et les morts, nous allions à sa
rencontre pour être éternellement avec
Lui dans le royaume qui est préparé
pour les fils de Dieu ! "
Pendant
l'hiver, on
remarqua une étrangère suivant
assidûment les réunions
évangéliques. Les chrétiens
s'intéressèrent à elle, entre
autres Claude Bernard, auquel cette femme raconta
qu'ayant dû quitter la France pour la foi,
elle avait perdu sa place et se trouvait sans
ressources à Genève.
Claude fut
touché de sa détresse et de son grand
désir d'entendre l'Evangile. Il la prit chez
lui et la chargea de servir les trois
évangélistes logés dans sa
maison (mars 1535).
Un jour,
cette femme,
nommée Antoina Vax, à l'heure
habituelle du repas, posa sur la table une soupe
aux épinards très épaisse ;
Farel la regarda et dit qu'il
préférait la soupe maigre du
ménage. Froment et Viret se servirent du
potage épais qu'Antoina avait
préparée, disait-elle, exprès
pour Viret, qui était encore malade. A ce
moment, on vint annoncer à Froment
l'arrivée de sa femme et de ses enfants. Il
se leva précipitamment pour aller à
leur rencontré, sans avoir eu le temps de
goûter le potage. Viret seul en mangea sa
part. A peine avait-il fini qu'Antoina, l'air
bouleversée, entra dans la chambre en lui
apportant un verre d'eau fraîche, le
suppliant de le boire, sans vouloir lui dire
pourquoi. Pierre Viret but l'eau, mais cela ne
l'empêcha point de tomber gravement
malade.
Claude
Bernard fut
désolé ; son ami semblait mourant ;
que pouvait-il lui être arrivé? Sur
ces entrefaites, on s'aperçut que plusieurs
objets disparus dans la maison avaient
été volés par Antoina, et
Claude Bernard commença
à soupçonner cette femme d'avoir
empoisonné Viret. Il voulut l'interroger,
mais elle avait disparu et emmené ses
enfants de la maison où ils logeaient. On
sut qu'elle avait pris un bateau en demandant au
batelier de s'éloigner de
Genève.
Bernard la
poursuivit
et là ramena ; mais pendant qu'il aidait
à ses enfants à débarquer,
Antoina s'échappa et courut se
réfugier chez un chanoine dans le haut de la
ville. On apprit le lieu de sa retraite par des
personnes qui l'avaient vue passer en courant; la
police fouilla la maison du prêtre et trouva
la misérable femme blottie dans le recoin le
plus obscur de la cave. Conduite en prison et
jugée le 15 avril, elle confessa
immédiatement son crime en déclarant
qu'elle avait été poussée
à le commettre par les " bonnets ronds ",
C'est-à-dire les prêtres. - Ceux
qu'elle nomma furent arrêtés; des
prêtres arrêtés et
emprisonnés par des laïques! Quelle
audace C'était la première fois
qu'à Genève on voyait des gens
d'église jugés selon la loi commune.
Antoina Vax fut condamnée à
être décapitée. Quand on la fit
monter sur l'échafaud, elle parut ne faire
aucune attention à la foule immense qui
l'entourait. Les yeux fixés sur des choses
invisibles, elle agitait ses mains en criant : -"
Otez-les! ôtez-les! " Les gardes lui
demandèrent ce qu'elle voulait dire. " Ces
bonnets ronds, répondit-elle, ces bonnets
ronds-là; voyez, ôtez-les, ils sont
cause de ma mort. " Au moment où la hache du
bourreau se levait sur elle, la malheureuse criait
encore : " Otez-les "
Plus tard,
le bruit
se répandit en ville que l'attentat de cette
femme faisait partie d'un vaste complot
tramé par les prêtres, qui voulaient
aussi empoisonner le pain et le vin de la
Cène pour se défaire des
réformés en masse. Dès lors,
même les catholiques honnêtes
s'éloignèrent avec horreur de ces
misérables ; mais la soeur Jeanne et ses
compagnes refusèrent de croire à la culpabilité
d'Antoina. Malgré l'aveu de celle-ci, elles
persistèrent à regarder la maladie de
Viret comme accidentelle. Après avoir
été longtemps entre la vie et la
mort, il finit par se remettre, mais
incomplètement, car il se ressentit toute sa
vie des effets du poison.
Au
printemps de cette
même année, Jacques Bernard proposa
une conférence publique dans laquelle il
maintiendrait sa foi contre lés
prêtres ou les moines qui voudraient discuter
avec lui. Il ne fut pas facile d'en trouver qui
fussent disposés à accepter la
dispute. Tous refusaient malgré l'insistance
du Conseil ; ils voulaient bien assister à
la conférence, mais ils prétendaient
n'être pas assez instruits pour discuter, ce
qui était probablement vrai.
La soeur
Jeanne et
ses compagnes furent aussi invitées à
assister à la discussion, mais elles s'y
refusèrent absolument. " Si l'on nous force
à y aller, dit la mère vicaire, nous
ferons un tel tapage que vous serez obligés
d'abandonner le champ de bataille. " Le conseil
décida qu'on se passerait des nonnes, mais
le débat ne pouvait avoir lieu sans
antagonistes. N'y avait-il donc personne qui
voulût répondre à Jacques
Bernard ?
Enfin
parut un
docteur de la Sorbonne nommé Caroli ; il
s'annonça comme arrivant de Paris et
prêt à accepter la discussion.
Seulement on ne pouvait pas très bien
discerner s'il était avec les
réformés ou avec les prêtres.
Il raconta qu'il avait été
évêque et qu'il avait disputé
à Paris en faveur de l'Evangile contre
Bédier, notre ancienne connaissance. Caroli
racontait aussi que la princesse Marguerite lui
avait donné un bénéfice ;
bref, on ne sut trop que penser de ce personnage.
Farel, qui avait entendu parler de lui, se rendit
à l'auberge où il logeait et le
trouva à déjeuner. Le
réformateur allant droit au but, dit
à Caroli : " Vous êtes chassé
de France pour la foi, dites-vous ? Certes, vous ne
l'avez pas mérité, car vous n'avez
rien fait qui fût ni
indigne du pape, ni digne de Jésus-Christ. "
Le docteur Caroli, offensé de ces paroles,
ne répondit pas tout de suite et continua
à déjeuner en silence. Pourtant il
finit par essayer de gagner la confiance de Farel
en lui offrant de l'argent pour ses pauvres . . "
Dieu, répondit Farel, ne fera défaut
ni aux pauvres ni à nous. Donnons maintenant
aux âmes le pain de vie."
Quelques
jours
après eut lieu la discussion ; il y avait
d'un côté Bernard et les trois
prédicateurs ; de l'autre Caroli et un moine
dominicain. Ce dernier abandonna bientôt la
lutte. Le docteur de Paris, resté seul, fut
complètement réduit au silence par
les arguments de Viret, qui sortait à peine
de son lit. Les catholiques durent avouer leur
défaite et quelques-uns d'entre eux parurent
convaincus à salut.
C'est
ainsi que la
parole de Dieu avait libre cours et qu'elle
était glorifiée, bien que la foi des
évangéliques fût mise à
l'épreuve plus que jamais.
L'évêque,
non content
d'interdire l'entrée des denrées
à Genève, joignit à cette
défense celle de vendre des provisions aux
Genevois en dehors de la ville. Il ne fut plus
possible de se procurer ni beurre, ni oeufs, ni
fromage, ni viande. Les pauvres affamés se
rendaient de nuit dans les villages où ils
avaient des amis et en rapportaient en secret du
pain ou du blé.
En même
temps
plusieurs martyrs souffrirent courageusement la
mort pour l'amour de Christ. La bande de brigands
installée par l'évêque au
château de Peney attaquait et maltraitait
sans cesse tous les passants allant à
Genève. Plusieurs voyageurs furent
jetés dans les cachots du château,
torturés, pendus, écartelés
par des chevaux rétifs, auxquels on les
attacha dans la cour du château. Il serait
impossible, écrivait le Conseil de
Genève à son ambassadeur à
Berne, de raconter toutes les misères que
nous font réfugiés de Peney. Ils nous
tourmentent toujours plus, saisissant nos gens
et nos biens ; ils
volent
nos vaches sur les montagnes, prennent nos chevaux,
attaquent et battent nos femmes. A Signy, ils ont
arrêté une pauvre femme qui revenait
du marché de Gex et après lui avoir
ôté son argent et sa marchandise, ils
lui ont coupé une main. Puis comme elle se
plaignait d'un tel traitement, ils lui ont
planté un couteau dans la gorge et l'ont
laissée morte au milieu du chemin. »
Le pieux
chevalier
Gaudet fut saisi par les mêmes brigands et
conduit dans leur repaire. On se souvient qu'il
prêchait l'Evangile à Genève
depuis quelques mois. Ce fidèle serviteur de
Christ fut torturé pendant cinq jours ; on
lui offrait la vie s'il voulait renier l'Evangile.
Mais Gaudet possédait la force qui rend
capable de résister à tous les
efforts des hommes et des démons. Le
Seigneur se tint près de lui et le fortifia
comme Paul autrefois. On le condamna à
être brûlé à petit feu
pour s'être établi à
Genève, avoir suivi les prédications
évangéliques et avoir
prêché lui-même. Tous les
paysans des environs furent invités à
venir voir son supplice dans la cour du
château. On l'attacha d'abord à un
poteau en lui mettant des charbons ardents sous les
pieds, puis on promena le feu sur diverses parties
de son corps et on le transperça avec des
lances et des hallebardes. Caudet priait pour ses
ennemis ; il leur disait que Christ lui donnait la
force de supporter toutes ses souffrances et qu'il
était heureux d'endurer des tourments pour
l'amour de Lui. Les paysans s'en
retournèrent chez eux frappés
d'horreur et pleurant de compassion ; aussi les
prêtres dirent-ils que le martyre de Gaudet
leur ferait plus de mal que vingt sermons de Farel.
Ces cruautés se commettaient par ordre de
l'évêque dont un historien catholique
a dit qu'on peut l'appeler : « l'apôtre
de Genève, le défenseur de ses droits
et de ses libertés. » Les meurtres se
multipliaient ; un bourgeois de la ville fut
décapité, un
pauvre brodeur d'Avignon qui s'en allait à
Genève fut arrêté. Les
séides de L'évêque lui
demandèrent ce qu'il allait faire dans cette
ville hérétique. «J'y vais pour
entendre l'Evangile, répondit-il, vous
devriez y venir avec moi. » « Non certes.
» « je vous supplie de venir,
répéta le pauvre homme, moi qui viens
de si loin pour entendre l'Evangile, je suis
étonné que vous qui êtes si
près n'en profitiez pas. Venez donc avec
moi. » «Nous allons t'apprendre, lui
répondirent les Peneysans, à aller
entendre les diables de Genève.» Puis
ils l'entraînèrent dans le
château et lui donnèrent trois coups
d'estrapade en disant : « Celui-ci est pour
Farel ; celui-ci pour Viret et celui-là pour
Froment.» Le pauvre brodeur ne leur
répondait rien, sinon qu'il les suppliait
sans cesse de venir avec lui à
Genève, tellement qu'à la fin ils
crurent avoir à faire à un idiot et
le laissèrent aller.
Quelques-uns
des
Eidguenots résolurent de venger la mort de
Gaudet et firent une expédition contre le
château de Peney. Mais leur attaque ne
réussit pas et ils rentrèrent
à Genève fort tristes, car plusieurs
d'entre eux avaient été tués,
d'autres blessés grièvement sans
avoir pu déloger l'ennemi de sa forteresse.
« Dieu, leur dit Farel, peut faire de plus
grandes choses pour vous que vous ne pouvez en
faire vous-mêmes. Il se sert de voies et de
moyens que vous ne comprenez pas, afin que tout
l'honneur lui revienne et que dans vos entreprises
vous comptiez sur Lui et non sur vos pièces
de canons. »
Oui, Dieu
enverrait
du secours quand Il le trouverait bon, mais pour le
moment les chrétiens de Genève
devaient attendre patiemment. L'ambassadeur
genevois écrivait de Berne qu'on s'y
indignait fort des persécutions
qu'enduraient ses concitoyens. Cependant les
Bernois se tenaient encore sur la réserve.
«Toutes choses sont entre les mains de Dieu,
écrivait l'ambassadeur genevois, le pieux Claude
Savoye. Il nous donnera tout ce qui sera
nécessaire pour accomplir non pas notre
volonté, mais la sienne. Et c'est à
quoi nous devons nous attendre si nous sommes
chrétiens. Jésus notre
Rédempteur ne nous laissera pas souffrir au
delà de nos forces, à Lui soit la
gloire et l'honneur, à vous la paix et la
grâce. » Dans cette même lettre
l'ambassadeur conseille aux Genevois de
détruire les repaires de voleurs qui sont au
fond tout le mal ; il voulait dire les couvents.
Il serait
trop long
de donner ici le récit de tout ce qui se
passa à Genève en 1535, ainsi que
celui des événements à la fois
tristes et glorieux qui s'accomplissaient en
d'autres pays. Nous nous bornerons à dire en
passant que durant tout l'hiver et le printemps
Farel reçut de sa bien-aimée France
des nouvelles qui le remplissaient en même
temps de joie et de chagrin. Il bénissait
Dieu en apprenant que la semence
déposée dans les coeurs pendant les
jours heureux de Meaux ou par les colporteurs de
Lyon, avait germé et produit une glorieuse
moisson. Mais il s'affligeait de la tempête
qui sévissait sur les croyants
français depuis l'automne de 1534. La
colère de François 1er avait
été excitée par des placards
affichés dans les rues de Paris, aux portes
des églises et jusque dans son propre
palais. Ces placards attaquaient l'idolâtrie
de la messe et la corruption de l'église de
Rome, en termes vrais sans doute,' mais trop
violents. Ils avaient été
imprimés à Neuchâtel et l'on a
cru pendant longtemps qu'ils étaient
l'oeuvre de Farel ; cependant des lettres
découvertes plus récemment, prouvent
qu'il n'y fut pour rien. Les placards ont
été écrits à
Neuchâtel par un réformé,
probablement par Antoine Marcourt.
François
1er
avait été profondément
blessé de cette audacieuse démarche
et dès lors il prêta l'oreille aux
prêtres qu'il n'aimait guère pourtant,
et se décida à exterminer si possible les
hérétiques. Du 10 novembre 1534 au 3
mai 1535, vingt-quatre réformés
furent brûlés à Paris, beaucoup
d'autres furent mis à mort en divers lieux.
Ce massacre avait été inauguré
par une procession solennelle dans les rues de
Paris. Entouré des trois fils du roi,
l'archevêque, nous dit-on, avançait le
premier, sous un dais soutenu par le duc de
Vendôme. Le roi tenant un cierge, marchait le
dernier, entre deux cardinaux. A chaque halte il
donnait le cierge au cardinal de Lorraine et
joignant dévotement les mains il se jetait
sur sa face en implorant la miséricorde
divine sur son peuple. Ensuite six
réformés furent brûlés
à petit feu sous les yeux du roi. Beaucoup
d'autres subirent à cette époque la
torture ou la prison.
Peu de
jours avant la
procession, ce roi, qu'on a appelé le
père des lettres, cédant aux
instances du clergé, avait promulgué
une loi ordonnant de détruire toutes les
imprimeries dans ses Etats, parce que cette
invention, disait-il, aidait la propagation de la
nouvelle doctrine. Mais Français 1er
était trop intelligent pour ne pas avoir
honte plus tard d'un pareil accès de folie,
aussi ne fit-il jamais exécuter cet absurde
décret.
Pendant
l'été et l'automne de cette triste
année, le massacre des croyants continua. Le
roi, sur les instances du pape Paul Ill,
commença contre les Vaudois une
persécution qui dura pendant dix ans. En
1545, trois villes et vingt-deux villages furent
détruits, sept cent soixante-trois maisons
de campagne, quatre Vingt-neuf étables,
trente et une granges furent brûlées,
3255 personnes furent brûlées, 700
furent envoyées aux galères, et une
quantité d'enfants furent enlevés
à leurs parents pour être
élevés dans le catholicisme.
Toutefois Gauthier Farel obtint sa liberté,
probablement grâce à la princesse
Marguerite. Mais pendant l'été de
1535 on le saisit de nouveau ; son frère
Claude et lui s'étaient aventurés
à Genève, leur but était de
voir leur frère Guillaume
et de se procurer des Nouveaux Testaments, des
Bibles de petit format, des Concordances et autres
bons livres. La Bible vaudoise était
achevée et imprimée. Robert
Olivétan en avait fait la
traduction.
Le jour où
Claude et Gauthier Farel quittèrent
Genève avec Antoine Saunier, ils avaient
accompagné Guillaume chez un ami. Celui-ci
était à dîner lorsqu'ils
arrivèrent, il avait un catholique pour
convive : Guillaume et Saunier se mirent à
discuter avec cet homme qui paraissait
s'intéresser aux questions religieuses ; il
accompagna les voyageurs à la porte et avec
amabilité aida Gauthier à se mettre
en selle. Mais à peine les voyageurs
furent-ils en route, que Rosseau, c'est son nom,
partit au galop pour Peney afin d'avertir les
brigands de l'évêque que des
luthériens allaient passer. Sept autres
voyageurs s'étaient joints à nos
trois amis ; le capitaine de Peney s'empara de
toute'la bande et l'envoya dans la prison de
Faverges, en Savoie. Saunier réussit
à s'échapper pendant le trajet et
après s'être caché dans un
champ d'avoine, il regagna Genève. Les deux
frères Farel et leurs compagnons, ayant
donné une somme d'argent à leur
geôlier, s'échappèrent aussi et
allèrent se réfugier chez les
Vaudois. Antoine Saunier les rejoignit, mais peu
après il fut saisi de nouveau et
emprisonné à Turin par ordre du
duc.de Savoie. Les Bernois demandèrent qu'on
les mît en liberté, mais le duc
répondit que Saunier était le
prisonnier du Saint-Père le pape et qu'il
n'était pas en son pouvoir de le
relâcher.
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