Au mois de mai 1910, Miriam devint
cadette; elle entra à l'École
Militaire Internationale, pour être
préparée à sa mission
d'officière. Cinq ans plus tôt, elle
avait vu sa soeur Catherine s'en aller, puis Marie
avait suivi, et maintenant ses propres
désirs allaient être
réalisés. Depuis sa plus tendre
enfance, elle s'était préparée
pour ce jour et l'avait souhaité.
Quelques semaines avant sa mort, parlant
des multiples et grandes occasions que
l'Armée du Salut offre aux jeunes gens,
Miriam disait:
Je ne sais pas ce qu'ils
attendent,
ou pourquoi ils attendent des
révélations particulières, ou
des voix dans la nuit, pour les appeler à
offrir leur vie au service de
Dieu. Il y a le besoin, le terrible, terrible
besoin des peuples de tous les pays, et
certainement pour les personnes réellement
sauvées du péché, en
possession de leur santé et de leurs
facultés, ce besoin est, par lui-même,
un appel suffisant. Quand les gens dorment dans une
maison en flammes, qui donc attend un appel
Spécial pour les avertir du danger qu'ils
courent, et pour les conduire en un lieu
sûr?
Aussitôt donc que son âge et
sa santé lui permirent de faire le pas
décisif, elle quitta joyeusement la maison
paternelle pour devenir une des milliers
d'officières de l'Armée du Salut, que
son père a si bien nommées : «
les servantes de tous ». Miriam passa deux ans
à l'École des Officiers, la
première année comme cadette, la
seconde comme sergente d'École
Militaire.
Il y eut une certaine émotion
parmi les autres cadettes, quand elles apprirent
que la petite-fille du Général
fondateur serait de leur « volée
», comme s'appelle le groupe de cadettes d'une
session. Parmi toutes les réflexions
échangées dominaient surtout celles
au sujet de la position qu'occuperait cette cadette
particulière; mais ses camarades
découvrirent bientôt que ce qui
distinguait la cadette Miriam,
c'étaient ses qualités spirituelles,
plutôt que des privilèges
exceptionnels.
Elle prit part aux travaux du
ménage accomplis par les cadettes, dormit
dans le dortoir, elle s'assit à la
même table que les autres, étudia avec
elles et se joignit à elles dans toutes les
activités du dehors, prenant, lorsqu'elle
avait la liberté de choisir, les postes les
plus difficiles et les moins désirables.
Officières et cadettes, qui furent
associées à cette période de
sa vie, conservent précieusement un
trésor de pieux souvenirs, parmi lesquels il
est difficile de choisir.
Certaines personnalités,
brillantes et attirantes en public, perdent
à être connues dans la vie
privée; mais la douceur de Miriam, sa
patience et sa bonne humeur dans la vie commune, la
firent particulièrement aimer de celles qui
vinrent en contact avec elle. Une officière,
jadis sa compagne comme cadette à
l'École des Officiers, déclare
:
Elle ne fit jamais partie d'un
petit
clan, à l'École, mais elle se donnait
à tous et particulièrement aux jeunes
filles isolées. Si une cadette avait
reçu de mauvaises nouvelles de la maison, et
que l'on eût besoin de la cadette Miriam, on
était sûr de la trouver dans la chambre de
l'affligée.
Je me souviens d'un retour de vacances où je
souffris réellement d'une crise de
nostalgie. Mais Miriam mit sa tête à
la porte et, me jetant quelques fleurs
printanières qu'elle avait cueillies chez
elle, elle me dit joyeusement :
- J'ai pensé que vous
aimeriez ces fleurs.
Ces petites attentions
changent
complètement le ciel d'une
journée.
Son bonheur nous
touchait toutes.
Elle grimpait les escaliers de pierre de
l'École, deux marches à la fois, et,
elle donnait une gentille tape amicale sur
l'épaule d'une jeune fille timide, et lui
disait :
- Vous avez été
merveilleuse ce matin.
Vous n'avez pas idée de
ce
que cette tape pouvait donner de courage.
Cependant, elle n'était pas coulante sur les
défauts de ses amies. Si vous lui demandiez
son opinion, vous étiez sûre
d'entendre la vérité, même si
cette vérité ne constituait pas
précisément un compliment, mais ses
franches paroles ne cachaient aucun
aiguillon.
Miriam réussissait dans ses
études, bien qu'elle ne trouvât pas
toujours les sujets très faciles. Elle
voyait approcher les examens avec la même
inquiétude que les autres cadettes. Se
rappelant les avantages de son éducation,
elle sympathisait avec les jeunes filles qui, avant
leur venue à l'École des Officiers,
n'avaient pu se consacrer à l'étude.
Quelques-unes de ces cadettes
souffraient d'une telle appréhension des
examens, que Miriam comprit que leur crainte leur
nuirait et leur enlèverait tous leurs moyens
devant les examinateurs. Elle s'offrit à les
aider. Si vous aviez jeté un coup d'oeil
dans sa chambre, pendant les heures de
liberté, vous auriez trouvé Miriam
accroupie à la mode indienne sur le tapis,
un cercle de jeunes filles l'entourant, l'attention
fixée sur les sujets les plus difficiles.
Quelques semaines avant l'examen, elle s'arrangea
avec une cadette qui s'éveillait toujours de
bonne heure pour qu'elle l'appelle à la
pointe du jour, et, avec sa petite classe, elle se
faufilait dans la lingerie, où elles
étudiaient jusqu'à ce que la cloche
du réveil les oblige à retourner au
dortoir pour se préparer aux travaux de la
journée. Ne nous étonnons pas si,
sortie la première, elle fut portée
en triomphe sur les épaules des autres
jeunes filles à travers les couloirs, et
elle jouit de cette démonstration
d'amitié, comme elle avait joui de sa classe
matinale.
La verve humoristique de Miriam
apportait une heureuse diversion aux ennuis des
jours sombres et des situations difficiles. La composition
de plans
d'allocutions était peut-être le sujet
le moins aimé de tout le programme
d'études de l'École. Pour combattre
les conséquences déprimantes de cette
classe, Miriam gardait une provision de biscuits,
brioches et sandwiches. Lorsque la cloche sonnait
pour annoncer la fin de ce cours, elle s'exclamait
:
- Enfin, les plans sont terminés;
j'ai une faim de loup! Passons maintenant aux
réalisations (1).
Et elle se précipitait pour aller
chercher ses provisions et les partager entre
toutes ses camarades. Pour les sergentes de sa
promotion, une collation fut toujours une
réalisation.
Pour préparer les cadettes au
travail du champ de bataille, elles sont
attachées à des postes proches de
l'École des Officiers. Elles consacrent
à ces postes un certain nombre
d'après-midi et de soirées par
semaine. Sous la direction d'une officière
expérimentée, elles s'emploient au
travail pratique qu'elles devront accomplir plus
tard dans leur poste : visites de maison en maison,
vente de Cri de Guerre dans les cabarets,
réunions en plein air et réunions dans la salle.
La Cadette Miriam travailla à son tour dans
quelques-uns des plus pauvres quartiers de Londres.
Les taudis de Shoreditch et de Hackney Wick
étaient ses champs de travail favoris, elle
y déversait son infatigable amour.
Plusieurs personnes s'étonnent que
l'Armée du Salut exige de ses
officières et de ses soldats du sexe
féminin d'entrer dans les cabarets pour y
offrir le Cri de Guerre. Le but poursuivi n'est
nullement mercantile, mais spirituel; car cette
activité leur permet de prendre contact avec
des hommes et des femmes des plus
irréligieux. Une officière se
souvient que, pendant le séjour de Miriam
à Shoreditch, elle sut parler d'une telle
façon à un ivrogne, qu'il quitta le
bar avec elle et la suivit à la salle de
l'Armée du Salut. Elle le reconduisit
ensuite chez lui, et veilla à ce qu'à
donne sa paie à sa femme. Un peu plus tard,
cette famille se rattacha au poste de
l'Armée du Salut.
Pendant le séjour de Miriam
à l'École des Officiers,
l'Armée du Salut souffrait de violentes
attaques d'une partie de la presse. Miriam
était affligée d'entendre le nom de
son grand-père et celui
de son père tournés en moquerie par
des badauds; mais son tact, souvent, transforma
l'hostilité ignorante en bienveillance. Son
visage si pur, ses traits si fins, contrastaient
étrangement avec son sordide entourage
:
- Écoutez, camarades, disait-elle
gaiement, croyez-vous que ce soit très
courageux d'attaquer les absents? Dites-moi, y en
a-t-il un parmi vous qui connaisse le
Général Booth? Non. Eh bien ! je
connais quelqu'un qui vit en ce moment chez le
Général, c'est une brave et
honnête femme; elle m'a dit que le
Général Booth est un homme droit
juste, et bon, et je la crois.
Ainsi elle réussit à faire
changer d'opinion à plus d'un groupe. Puis,
les laissant, elle se glissait dans une rue
écartée, elle essuyait sur son visage
de chaudes larmes et murmurait
- Que la calomnie est terrible!
Mais, elle ne s'attardait pas à
ces pensées; la vue d'un visage sombre, d'un
enfant, ou d'une personne dans le besoin,
réclamait son attention et amenait quelques
nouvelles manifestations de cet amour qui
brûlait dans son coeur.
Dans un journal fragmentaire qu'elle
tenait à ce moment-là, nous trouvons
quelques brèves mentions de ses visites aux
cabarets :
Le Cri de Guerre se vendit
difficilement cette après-midi, mais j'ai eu
néanmoins des moments bénis. Dans un
bar, j'ai pu parler avec deux hommes à
l'aspect respectable, et aussi avec le tenancier;
j'ai prié avec eux.
Les cabarets sont
pleins. Comme
ces gens émeuvent mon coeur ! Terrible
bataille à la porte d'un « bistro
». Je me sentis poussée à me
jeter dans la mêlée et à me
saisir d'un des antagonistes. Sa femme était
surexcitée et elle criait
- Tenez-le bien, ma
soeur!
À nous deux, nous le
tirâmes de la mêlée. Un monsieur
vint nous aider et, à la fin, nous
parvînmes à reconduire le pauvre homme
chez lui! Toute la rue était en émoi.
Je lui ai préparé une tasse de
thé et j'ai prié avec lui. Il m'a
promis de venir à notre réunion
demain.
J'ai dû m'occuper de
deux
ivrognes ce soir à la réunion en
plein air. Après la réunion du soir,
je me suis jointe à une expédition (2)
pour sauver
les ivrognes à Islington. Expédition
réussie malgré la pluie. Je suis
rentrée à une heure. C'est magnifique
de s'emparer des buveurs.
Cette expédition avait
rassemblé dans la salle une foule de gens
aux différents degrés de l'ivresse;
dix d'entre eux cherchèrent le salut.
Miriam, en l'absence de tout autre musique,
conduisit l'expédition avec sa concertina (3).
Faire du bien dans les visites,
entrer dans la maison où l'on ne vous invite
pas, et, où même l'on ne désire
pas votre présence, cela demande du tact et
de la grâce. Mais, quoiqu'il en
coûtât d'abord à Miriam
d'accomplir ce travail, elle apprit à
l'aimer, et elle était une messagère
de paix dans toutes les maisons.
Elle ne se contentait pas d'une
aide
superficielle et d'une action toute sentimentale.
Elle visait à obtenir des résultats
bénis et permanents. La promesse du Sauveur
s'accomplit pour elle : « Votre fruit
demeurera. »
Le journal de Miriam nous
fournit
quelques aperçus de ses expériences
comme visiteuse :
Très bonnes visites.
J'ai
entendu quelques histoires bien tristes; une pauvre
vieille femme me parle du passé. Je lui ai
fait son lit et je lui ai donné une pommade
pour son fils malade.
En visite toute la
journée. Très bonne journée.
Toutes sortes de gens malades, rétrogrades,
riches et pauvres. Témoin de bien des
querelles. Je commence à connaître ce
qui m'attend comme officière dans un
poste.
Nous avions déjà
visité deux familles dans une petite maison
:
- Personne d'autre ne
demeure
ici? demandai-je
- Il y a encore Mme
Smith, en
haut, me répondit-on, mais je ne sais pas si
elle aimerait vous voir.
La réponse n'était
pas très encourageante, néanmoins, je
m'aventurai jusqu'à l'étage
au-dessus. Je frappai timidement à la porte.
Un faible
« Entrez! », et j'ouvre
la porte.
- Oh! ma soeur, vous
êtes
réellement venue, dit la femme qui
m'aperçoit.
Elle se laisse tomber
sur une
caisse et me montre la seule chaise de la
chambre.
Je jette un regard sur
la
pièce; la chambre con, tient un lit, une
table, une caisse et une chaise, rien de plus. Tout
est propre, le plancher est encore humide du
dernier nettoyage. La femme était
pâle, le visage émacié, et
l'aspect profondément triste.
- Oh! vous êtes
réellement venue, reprenait-elle, en
berçant un bel enfant dans ses
bras.
- Oui, vous m'attendiez
donc?
demandai-je étonnée.
- Je suis à bout de
ressources, s'écria-t-elle, et malade, et je
crains de l'avouer à mon mari; il est
déjà fou d'inquiétude de me
voir affamée; nous n'avons pas une bouchée
de pain à la maison. Alors j'ai pensé
aux soeurs de l'Armée du Salut; elles ne
sont jamais venues ici; mais je me suis mise a
genoux et j'ai dit tout simplement : « 0 Dieu,
envoie deux soeurs aujourd'hui! » Et vous
êtes vraiment venues!
Je lui fais conter son
histoire.
Bientôt dite, cette histoire : son mari avait
une bonne place dans une fabrique de jouets, mais
il la perdit sans qu'il y eût de sa faute. Il
fabriquait maintenant de petits fouets pour enfants
qu'on lui payait un prix de famine. Elle avait
lutté bravement contre une maladie mortelle.
Le loyer de la chambre, qu'elle occupait depuis six
ans, n'avait plus été payé
à temps, et le bébé et les
autres enfants souffriraient bientôt de la
faim. Elle avait prié pour recevoir la
visite de deux soeurs, et sa prière avait
été exaucée.
Nous discutâmes de la
meilleure manière de lui venir en aide, et
j'ai pu la réconforter. Oui, elle prierait,
elle apporterait toutes ses difficultés
à Dieu, et il l'exaucerait sans doute
à nouveau.
J'ai promis de revenir
avec le
nécessaire, pour subvenir à leurs
besoins immédiats. J'ai laissé la
mère, le visage baigné de larmes de
reconnaissance et le gentil bébé, aux
abondantes boucles dorées, m'a
gratifiée du plus charmant sourire qu'un
bébé puisse donner, et il agita sa
menotte en guise de salutation.
J'ai pu, plus tard, les
aider
d'une manière efficace. Nous avons
payé le loyer, nous lui avons procuré
des vêtements pour elle et pour ses enfants.
Quelques semaines plus tard, nous les avions
complètement remis sur pieds.
Comme les multitudes de l'East
End
de Londres avaient conquis son grand-père,
elles conquirent aussi le coeur de Miriam. Avec sa
brigade de cadettes, elle s'arrêtait au coin
des rues populeuses, montait sur une chaise et de
là commençait à chanter et
à parler aux gens. Un officier raconte
:
C'était vraiment
intéressant de voir la façon dont
elle groupait les foules qui restaient suspendues
à ses lèvres, écoutant ses
appels jusqu'à ce que la brigade se
transporte ailleurs. Le plus souvent, elle restait
en arrière pour aider quelqu'un à qui
elle s'était particulièrement
intéressée.
Une cadette, sa compagne, nous
parle
de sa grande capacité d'adaptation aux
circonstances. Elle raconte :
J'avais songé à une
démonstration spéciale en plein air.
Il devait y avoir plusieurs cloches en carton :
rouge pour le danger, verte pour l'avertissement,
blanche pour le salut, noire pour la mort. Ces
cloches, attachées à une corde,
devaient être mises en branle pendant la
réunion, tandis que nous chanterions ou
parlerions sur les thèmes qu'elles
suggéraient. Je demandai l'avis de Miriam.
Elle se montra pleine
d'enthousiasme.
- Splendide, dit-elle.
Exécutez votre projet, puis prêtez-moi
vos notes et vos cloches, et j'essayerai aussi.
Son succès dépassa
le mien et de beaucoup. Une rue pleine de gens qui
l'écoutaient, et elle, montée sur une
chaise, parlait avec puissance, tandis que les
cadettes agitaient les cloches.
Son journal nous donne quelques
impressions sur son activité en plein air
:
Bonne réunion en plein
air. Une femme m'insulta un peu, mais cela
rassembla une plus grande foule. Les cadettes
réussirent bien.
Très bonne réunion
en plein air. Un ivrogne à conduire, une
femme s'évanouit dans la rue. Un homme
suivit le défilé jusqu'à la
salle; pendant la réunion, il s'approcha du
banc des pénitents; il semble
sincère.
Parfois, elle quittait la
réunion en plein air pour aller parler aux
mères debout sur le seuil de leur maison.
Son amour des enfants était si grand, que
même les plus mal soignés ne la
répugnaient pas. Elle prenait les petits
barbouillés dans ses bras et elle les
embrassait, gagnant ainsi le coeur des enfants et
celui de leur mère. Plus d'une âme fut
conquise par ces conversations rapides au seuil des
maisons.
Entre les activités de
l'après-midi et la réunion du soir,
les cadettes se reposaient dans la salle de
l'Armée. Elles y prenaient leur
goûter, qu'elles apportaient de
l'École Militaire.
Après le thé, une
réunion sans façon avait lieu,
pendant laquelle la sergente avait l'occasion de
traiter de quelques sujets pratiques concernant le
travail des cadettes. Miriam considérait ces
réunions comme les plus importantes, et elle
s'y préparait comme si elle devait parler a
un nombreux auditoire, et non à une
poignée de jeunes filles. Le thé
achevé, les cadettes repartaient vers les
diverses activités qui leur étaient
assignées. Le journal de Miriam nous permet
de comprendre le sérieux avec lequel elle
envisageait ces diverses responsabilités
:
Ce soir, bon auditoire.
Dieu m'a
aidée à traiter mon sujet, car je ne
me sentais pas très bien
préparée. Nous avons eu sept
âmes. Continué pendant une heure
jusqu'à la victoire.
Lu : « Le
péché est comme un feu
dévorant. » J'ai senti que Dieu
m'aidait. J'étais émue à la
pensée de ces gens. Comment pouvons-nous les
secourir?
Une expérience que les
cadettes envisagent à l'avance avec un
mélange de sentiments les plus divers, c'est
le stage à Hackney dans l'oeuvre pour la
jeunesse. Dans ce quartier pauvre et
surpeuplé, nous possédons une salle
pouvant contenir environ deux cents personnes, et
consacrée aux
réunions d'enfants. Le quartier fournit les
plus rares spécimens de gavroches, et, si
une cadette réussit maîtriser ces
gamins, elle ne sera jamais embarrassée dans
l'oeuvre parmi les enfants, quel que soit le poste
qui lui échoie plus tard. Miriam jouit de
cette occasion, bien qu'elle dût, pour faire
face aux diverses éventualités de
cette oeuvre, faire appel à toutes les
ressources de son esprit fertile.
Un soir, quelques-uns des grands
garçons étaient bruyants et'
espiègles d'une manière
extraordinaire. Ils avaient invente une
façon nouvelle et plus rapide de descendre
des galeries dans la salle, en glissant le long des
colonnes qui soutenaient ces galeries. Ils
accomplissaient ainsi toutes sortes d'acrobaties
pour le plus grand ennui des cadettes et la joie
des autres enfants. Miriam annonçait alors
le cantique :
Quand Il viendra chercher ses joyaux...
Se tournant vers son aide, elle soupira
:
- Ses joyaux? Ah! comment les
tenir?
À l'heure de la fermeture,
des sons étranges se firent entendre. Une
recherche soigneuse amena la
découverte de plusieurs garçons sous
l'estrade, qui avait une porte à chaque
extrémité. Ni flatteries ni menaces
ne parvenaient à les faire sortir. Miriam
regardait ses aides avec désespoir; tout
à coup une inspiration lui traversa l'esprit
:
- J'ai trouvé!
dit-elle.
Chiffonnant plusieurs morceaux
de
papier, elle les alluma et, tout fumants, elle les
jeta sous l'estrade, dont elle ferma au verrou une
des portes; elle courut se placer à l'autre
porte. Bientôt cinq gamins, aux yeux
farouches, enfumés comme des renards en leur
tanière, sortirent, pleins de respect pour
celle qui les avait pris à leur propre
piège. Alors, elle leur sourit et leur dit
quelques paroles aimables avant de les
renvoyer.
Un soir d'été, elle
confia à son assistante qu'elle voulait
obtenir plus d'ordre dans ces réunions
enfantines. La salle était pleine d'enfants
de toutes tailles, tous barbouillés, et,
désireuse de terminer la journée
aussi plaisamment qu'il était possible de le
faire dans une salle de l'Armée du Salut.
Miriam commença la réunion par un
cantique. Le chant, sans doute, comportait moins de
mouvement et de crescendo que
les enfants n'en mirent, pourtant, il n'y avait pas
trop d'indiscipline. Mais, tout à coup, la
porte s'ouvrit, et une troupe de gamins de huit
à treize ans
pénétrèrent dans la salle. Ils
avaient été à la pêche
aux grenouilles, et ils portaient des bâtons
et des pots à confitures, tandis que de
leurs poches s'échappaient des têtards
qui n'avaient pu trouver place dans les pots, et
dégringolaient le long de leurs pantalons en
guenilles. Les figures des gamins étaient
toutes barbouillées, et leurs cheveux en
désordre, tout humides de sueur, se
dressaient raides comme des baguettes, ou pendaient
en mèches collées sur leur
front.
Miriam saisit d'un coup d'oeil
la
situation, et la joie qui bouillonnait en son coeur
jaillit irrésistiblement. Elle se laissa
tomber sur un banc, secouée par le rire qui
fusait entre ses lèvres; les deux cents
gamins, si facilement excités, riaient aux
éclats et lançaient de sauvages
clameurs. Son accès de fou rire passe, elle
se leva et fit signe aux enfants; alors elle se mit
à chanter en français.
Lorsque le charme du cantique
les
eut calmés, elle apporta le tableau noir sur
l'estrade et se mit à
dessiner : d'abord des fleurs, puis des paysages;
les montagnes, les rivières, le ciel
naissaient sous ses doigts agiles. Elle avait
remarqué quelques fleurs sauvages à
la boutonnière des vestes sales, ou se
fanant dans les petites mains brûlantes.
Aussitôt, elle avait compris que son seul
espoir de gagner son public, ce soir-là,
c'était de faire appel au sens de la
beauté qui vit dans le coeur de chaque
enfant.
En termes fascinants, Miriam
dépeignit le ciel, jusqu'à ce que ces
gamins désirassent y aller un jour. Alors,
elle leur parla du péché, la seule
chose qui pouvait les empêcher d'entrer dans
ce lieu magnifique; elle leur indiqua comment leur
coeur pouvait être délivré du
mal, La réunion se termina avec un certain
nombre de ces gosses agenouillés avec leur
chère sergente, demandant à
Jésus de les délivrer de leurs
péchés et de les rendre bons.
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