UNE fois l'excitation du retour
apaisée, on crut que Miriam allait glisser
insensiblement dans l'éternité,
à la suite des fatigues du voyage. Mais les
mois passèrent et elle était toujours
là. Elle avait envisagé, en Suisse,
l'éventualité de la mort. Peu de
personnes aimèrent la vie aussi
intensément qu'elle, ou la
désirèrent davantage dans un but
désintéressé; mais elle ne se
révolta point; si Dieu voulait qu'elle
l'abandonne, que sa volonté soit faite! Au
lieu d'un prompt départ pour le ciel, une
épreuve plus grande l'attendait.
Espérant que cette histoire pourra aider
ceux qui passent par le feu de l'épreuve, nous
insistons sur certains
détails négligeables aux autres
points de vue.
Peu a peu, Miriam comprit qu'elle
pourrait bien être condamnée à
rester couchée pendant des années.
Avec sa promptitude de jugement, elle en vit
immédiatement les conséquences.
Premièrement en rangeant les choses selon un
ordre croissant de leurs valeurs, commençant
par les moins importantes, elle comprit qu'elle
serait la cause de grandes et continuelles
dépenses. Déjà, dans ses
efforts pour guérir sa fille, MME Booth
avait pris sur ses ressources personnelles plus
qu'elle ne le pouvait raisonnablement. Puis, la vie
de souffrances de Miriam serait une
perpétuelle douleur pour sa famille. Mais,
conséquence la plus triste, sa maladie
entraînait l'abandon des espérances
caressées par elle et par son
bien-aimé. Ils s'étaient écrit
quotidiennement, et leurs lettres respiraient la
plus tendre affection. Maintenant, son âme
désintéressée la poussait
à bander toutes ses énergies pour
consommer le sacrifice que le devoir demandait.
Dieu seul sait ce qu'il lui en coûta pour
écrire à son Adjudant et lui dire,
très tendrement, mais très fermement
que, puisqu'il n'y avait pour elle aucun espoir de
guérison
immédiate, elle sentait que, par amour, pour
son avenir dans l'Armée, elle devait lui
rendre sa parole.
Quiconque a pu lire, si peu que ce soit,
de leur correspondance, ne saurait entretenir le
moindre doute sur la réponse de l'Adjudant.
Se détourner d'elle, abandonner son amour et
cette amitié si précieuse, parce
qu'elle souffrait, il ne saurait y penser. Dans les
termes les plus affectueux, il lui répondit
que son choix ne saurait changer. Lorsqu'un peu
plus tard, il visita Miriam, elle revint sur ce
sujet, le pressant de considérer sa
proposition de tous les points de vue. Cependant,
en découvrant la ferme décision de
l'Adjudant de partager ses joies et ses tristesses
jusqu'à ce que la mort les sépare,
l'amour de Miriam s'exprima plus librement et mieux
qu'auparavant.
Quelques jours avant sa dernière
opération, Miriam, une fois de plus, insista
auprès de l'Adjudant pour qu'il
réfléchisse à nouveau. Sa
maladie pouvait être pour lui une
épreuve qui serait au-dessus de ses forces,
et nul ne pouvait dire si l'avenir apporterait la
moindre amélioration. N'était-ce pas
son devoir de reprendre sa
parole ? L'Adjudant répondit que, si
l'avenir ne lui appartenait pas, le présent
était à lui et qu'il
considérait comme une joie et un
privilège de partager ses tristesses, tout
en espérant que leur patience serait
récompensée.
L'avenir semblait s'assombrir, mais
Miriam n'étouffa jamais l'espoir dans son
coeur, ne permit à aucun nuage terrestre de
ternir sa vision spirituelle. Son esprit vif et
alerte se tenait continuellement en présence
du Seigneur et, dans la plus complète
soumission, demandait : « Que veux-tu que je
fasse, ou que je souffre? » Comme le dit
très bien la Colonelle Lawrance : «
Elle était toujours prête à
s'incliner devant le Seigneur et à
obéir à toute nouvelle
révélation. »
Elle marchait au milieu de la fournaise,
mais, c'était pour elle comme pour les trois
jeunes Hébreux : elle ne portait sur elle
« aucune odeur de feu », et plusieurs
adorèrent, conscients de la présence
à ses côtes, du Fils de Dieu.
Sa tante, la Commandeur Eva Booth,
écrit avec raison :
Sa religion ne lui manqua point
dans
cette lutte quotidienne; mise
à l'épreuve, sa foi ne
révéla aucun défaut. Ce
n'était pas à une épave
qu'elle s'était fiée aux jours des
grandes vagues, mais à un immuable rocher.
Sa religion était pour elle un port
sûr. Pendant de longues années de
souffrances, elle semblait portée sur des
ailes puissantes qui l'élevèrent
au-dessus des petites et des grandes afflictions,
et enfin la portèrent dans le sein de
Dieu.
La maladie de Miriam était excessivement
pénible. Au début, un abcès se
forma dans la région de l'appendice.
Après l'opération, il fallut garder
la plaie ouverte par un système de drains.
Puis une espèce d'empoisonnement du sang
confondit la science et l'habileté des plus
célèbres docteurs; une série
d'abcès se forma, qu'il fallut à leur
tour ouvrir et drainer. Les médecins se
décidaient-ils à laisser la plaie se
refermer et enlevaient-ils les drains,
immédiatement le poison s'accumulait
à nouveau, causant une
élévation de la température et
d'autres symptômes dangereux et
désespérants. À la fin, elle
avait cinq plaies profondes toujours ouvertes,
horribles et douloureuses à l'excès.
Il fallait les sonder et les nettoyer deux fois par
jour. Outre cela, elle dut subir plus de trente
ponctions dans le but de soulager l'organisme.
J'ai demandé à Mme Booth
la permission de donner ces détails, car le
lecteur, sans une idée de ses souffrances,
ne peut comprendre ce miracle de la grâce,
qui lui permit pendant six longues années de
peines et de fatigues, coupées de
fréquentes heures d'intense agonie, de
conserver un esprit calme, confiant et joyeux. Une
de ses infirmières, qui n'était pas
salutiste, déclare :
Mon expérience me permet
d'affirmer que, pendant des années, elle
n'avait jamais été un moment, sans
souffrir. Sa douceur, sa patience, son oubli
d'elle-même étaient vraiment
merveilleux. Je n'ai jamais vu personne qui
atteigne ainsi mon idéal du parfait
chrétien.
Personne, connaissant la nature et
l'étendue, de ses souffrances, ne pouvait
vivre avec elle sans s'étonner de la
puissance de Dieu révélée dans
ce corps fragile. Une amie lui écrit
:
Je pourrais être une malade
patiente et affectueuse, si j'étais
condamnée à ne jamais m'asseoir
à cause de mon dos, ou si mes jambes se
refusaient à me porter; mais souffrir, et
souffrir constamment comme vous,
et néanmoins triompher constamment de
l'impatience et des récriminations,
m'obligent à adorer la grâce divine.
Ne pensez jamais que vous ne faites rien : vous
témoignez devant toute l'Armée du
pouvoir de Dieu pour sauver et garder au travers
des plus rudes épreuves.
Souventes fois, la douleur était
si forte que les docteurs voulaient la soulager par
une piqûre à la morphine. Miriam les
pria de n'en rien faire. Elle savait que bien des
femmes, dans la bataille de la maladie ou de la
solitude, sombrèrent victimes de la drogue.
Bien que ne craignant pas pour elle rien de pareil,
elle se refusait à chercher le soulagement
à la source où tant d'âmes
faibles trouvent leur mine.
Une preuve de la patience, avec laquelle
elle considérait les symptômes qui lui
présageaient une période de
souffrances extraordinaires, nous est fournie par
le bref extrait suivant :
Un nouvel abcès se forme,
température très élevée
et grande faiblesse. Je jouis cependant de la paix
intérieure. Je crois que le Seigneur
m'enseigne plus que jamais ce que c'est que «
la paix qui surpasse toute intelligence ».
Jamais d'exigences comme certains
malades qui se plaignent, s'ils ne reçoivent
pas les attentions qu'ils se croient dues. Miriam
s'intéressait de tout coeur ci tout ce qui
se passait autour d'elle et saisissait avec
empressement la plus petite occasion de rendre
service.
Elle n'avait rien de la nature de
l'anachorète. Certaines personnes sont
écrasées par les foules; elles
inspiraient Miriam. La compagnie de personnes de
conditions diverses, fatigue les gens
habituellement repliés sur eux-mêmes;
pour elle, cela constituait le vin de la vie. Les
gens aimables, adroits, contrefaits, stupides,
supérieurs et inférieurs, riches ou
pauvres, tous l'intéressaient. Comme son
grand-père, elle aimait le monde entier.
Chaque type national était un nouveau sujet
d'études. Cependant, la vaillante petite
guerrière, meurtrie, reposait dans sa
chambre à Hadley Wood dans la peine et la
fatigue, sans un murmure, tandis que le
Congrès des Nations de l'Armée du
Salut se réunissait jour après jour,
pendant l'été de 1914, au Strand
Hall, à l'Albert Hall, ou au Crystal Palace,
pour les assemblées solennelles, les
festivals de musique, les réunions missionnaires,
les services d'actions de grâces, ou les
Conseils d'officiers.
L'infirmière Davis, qui ne la
quitta que pour se marier, nous dit :
Parfois, elle était
très calme; et parfois, très
rarement, je m'apercevais qu'une larme coulait le
long de son cher visage; mais, même devant
moi, elle ne proféra jamais une parole de
regrets ou une plainte. Et le soir, quand la
famille rentrait, vous auriez pensé,
à l'accueil qu'elle leur réservait,
à son intérêt aux faits du
jour, à sa crainte que ses bien-aimés
ne soient trop fatigués par les longues
réunions, que c'était elle qui avait
eu tout le plaisir.
Miriam était très heureuse
d'avoir, à cette occasion, les visites de
ses tantes qu'elle aimait tendrement : la
Commandeur Eva Booth, des Etats-Unis
d'Amérique, et la Commissaire Lucie
Booth-Hellberg, du Danemark, et aussi de voir le
Commissaire et Mme Booth-Tucker et quelques autres
amis de l'étranger.
Sa description de l'oeuvre de
l'Armée, au moment de l'explosion de
Silvertown (dans les premiers jours de 1917), nous
montre le vif intérêt qu'elle
prenait à toutes les activités de
l'Armée :
Ne vous alarmez pas à la vue
du papier; mais je me propose de vous écrire
une longue lettre, et mon autre bloc n'a plus que
quelques feuillets. Vendredi soir,
l'infirmière était avec moi quand on
entendit la terrible explosion. Mon lit trembla
littéralement, et le bruit fut semblable
à un roulement de tonnerre. Je compris tout
de suite que c'était une explosion, et mes
premières paroles furent: « Maintenant,
nurse, nous devons être prêtes pour la
suite. » Je me souviens que Bernard nous avait
dit : « Si Enfield saute, il ne restera plus
rien de Hadley Wood. »
Je pensais que c'était
probablement le commencement. Le facteur qui
faisait la levée de la boîte, dit,
qu'il avait vu une grande langue de feu dans la
direction d'Enfield. Un peu plus tard, on nous dit,
que c'était North Woolwich, mais nous
pensâmes que ce n'était que
l'écho d'une vague rumeur et rien de
certain. Alors, de l'École Militaire, on
nous dit que c'était Silvertown. Ils en
avaient été informés par la
police, et la Capitaine d'Etat-Major Colbourne et
quelques sergentes étaient
déjà en route.
Les nouvelles, que nous
reçûmes depuis, sont
désespérées. Cinq rues
complètement démolies, des familles
entières ont péri, les amis et les
parents se cherchent au milieu des ruines. Des
parents ont perdu leurs enfants, et des enfants
leurs parents. Un officier de l'Armée du
Salut, célibataire, tout jeune, est seul dans ce
poste,
et Cath dit qu'il a été magnifique.
Il fut sur les lieux immédiatement, et il
aida à sauver, des édifices en
flammes, les trois premières personnes.
Notre salle, juste au milieu de la ville, est peu
endommagée. On dit que les gens adorent cet
officier : il resta debout la nuit de vendredi et
de samedi, travaillant autant qu'il put. Notre
salle de Silvertown est transformée en
restaurant où l'on sert le thé et des
repas aux pauvres gens qui viennent identifier les
cadavres. Cath dit que les gens sont si
reconnaissants; c'est touchant de voir combien ils
sont heureux d'avoir l'Armée du Salut pour
les aider.
Le chef de l'ambulance
de Londres
(j'oublie le nom), sonna ce matin au Quartier
Général pour dire qu'il avait
été à Silvertown. Il
était saisi par la tristesse de ce
spectacle, mais en même temps il se
réjouissait de voir « les femmes de
l'Armée du Salut » déjà
sur les lieux, bien organisées et
accomplissant une oeuvre magnifique. Il envoyait
dix livres sterlings pour sa part, et une dame,
à qui il avait parlé de sa visite,
voulait envoyer une automobile pleine de vivres, et
elle demandait à qui l'envoyer. Le Brigadier
Freeman lui dit que la fille aînée du
Général était à la
tête de la brigade de secours. Ainsi tout
cela fut envoyé à Cath à
Silvertown, aujourd'hui. Cath dit que l'officier de
Silvertown doit recevoir une médaille
spéciale. Je ne sais pas qui c'est. Vingt
des grands carreaux plats du toit du «
Congress Hall » furent brisés en
morceaux. Heureusement il n'y avait personne dans
la salle.
La fidélité au drapeau
et le sens de l'honneur de sa profession, chez
Miriam, étaient vraiment pathétiques
et magnifiques. En plusieurs occasions, elle eut
près d'elle une infirmière de notre
Maternité. Une fois que l'infirmière
Mann était venue remplacer son
infirmière habituelle partie en vacances,
elle lui dit :
O ma chère
infirmière, je suis heureuse que vous soyez
venue. Vous comprendrez, maintenant, je puis
prendre mes vacances et pousser un vrai
gémissement quand j'en aurai envie. Il ne
convient pas de se laisser aller devant les gens
qui ne connaissent pas l'Armée. Ils
penseraient que je ne suis nullement
soldat.
L'infirmière Mann continue
:
Elle était si habile et
intelligente, elle aurait brillé en public;
mais plusieurs de ceux qui brillent aux
lumières de la scène se ratatinent et
disparaissent dans la fournaise; mais elle, elle
croissait en grâce et en gentillesse. Elle
exprimait sa reconnaissance si gracieusement pour
ces légers services que la plupart des gens
accueillent d'un merci prononcé du bout des
lèvres.
Sa maladie fit hésiter ses
jeunes soeurs, Olive et Dora, à entrer
à l'École Militaire.
- Nous ne pouvons pas quitter la
maison, tant que Miriam est malade, disaient-elles
à leur mère.
Mais Miriam devina leur
pensée, et elle se montra très
énergique sur ce point.
- Si vous ne voulez pas me faire
de
la peine, vous devez entrer à
l'École. C'est déjà bien assez
que je sois inutile, tandis qu'il y a tant à
faire; si j'allais encore entraver votre
consécration, je serais réellement
triste. Allez, chéries,
plaida-t-elle.
Ainsi, un par un, elle vit
Bernard,
puis les deux soeurs qui restaient, et le dernier
de tous, Wycliffe, le plus jeune de la famille,
quitter la maison pour la carrière
d'officier dans son Armée bien-aimée.
Le Homestead devint très calme et, sauf son
infirmière et les servantes, Miriam
était souvent seule. Seule? mais non, elle
ne l'aurait jamais admis. N'avait-elle pas le Champ
de Bataille de ses bien-aimés pour
l'occuper, ne devait-elle pas prier pour eux et se
réjouir de leurs victoires ? Avec Catherine
et Dora à l'École Militaire, Marie en
France, Bernard à son poste, ou accompagnant
le Général, Olive et Wycliffe dans
leurs postes, et le « cher père »,
comme elle aimait à appeler le Général, et sa
« chérie et précieuse maman
» en voyage, elle trouvait de nombreuses
occasions de prières et de louanges. Et,
ajoutée à ses intérêts
particuliers, n'avait-elle pas la fortune
universelle de l'Armée à suivre par
l'esprit, pour se glorifier de ses succès?
Elle pouvait s'en donner ainsi à son plein
contentement.
La garde de nuit de Miriam
était une personne qui avait failli sombrer
sous les vagues du chagrin, avant de trouver un
refuge en Dieu. Elle raconte :
Je n'ai jamais vu
quelqu'un
souffrir comme elle et rester si doux. Certains
matins, je lui disais :
- Chère mademoiselle
Miriam, vous avez eu une mauvaise nuit, je ne
saurais pas être patiente comme
vous.
- Oh! si, vous le
pourriez,
répondait-elle avec un
sourire,
Elle ne pensait jamais
avoir
accompli quelque chose d'étonnant.
C'était la femme la plus oublieuse
d'elle-même que j'aie connue.
Cette garde avait une mémoire
remarquable pour apprendre les cantiques de
l'Armée. Lorsque Miriam ne pouvait pas
dormir la nuit, elles chantaient souvent à
demi-voix ensemble. La Commissaire Catherine se
rappelle s'être réveillée, une
nuit, et avoir entendu cantique
après cantique prendre son essor dans le
calme nocturne. Au matin, elle demanda à sa
soeur si elle ne se sentait pas fatiguée
:
- Oh! non, répliqua-t-elle
joyeusement, je ne pouvais pas dormir, aussi X. et
moi, nous avons eu une bonne réunion de
prières.
La Capitaine Mason et la soeur
Butt,
les aides de Mme Booth à la maison, gardent
de doux souvenirs de la patience joyeuse de Miriam
et de son intérêt continuel à
l'oeuvre du poste de Barnet. La Capitaine
était la Sergente-Major du Poste des Oeuvres
de jeunesse, et Miriam s'enquérait
auprès d'elle des progrès de l'oeuvre
parmi les enfants. La soeur Butt était
membre de la chorale.
- Quand nous avions appris un
nouveau chant, dit-elle, je devais toujours le
chanter à Mlle Miriam, et après, elle
le chantait avec moi.
Le chant des oiseaux causait une
grande joie à Miriam. Elle écrivit
pendant le dernier printemps qu'elle passa sur la
terre :
Les alouettes ont
chanté
merveilleusement bien aujourd'hui; l'une
après l'autre elles montèrent dans le
ciel, leurs notes tombaient sur la terre comme une
pluie étincelante. Je crois que du chant de
tous les oiseaux, c'est celui de
l'alouette que je préfère. Il sonne
des notes débordantes d'espoir,
d'émerveillement et de joyeuse
liberté et, le dirai-je, pleines de la
saveur de la vie, de louanges et d'adoration. En
vérité, je l'avoue,
l'interprétation de leur chant dépend
de l'humeur de l'auditeur. Les alouettes sont une
des joies de mes mauvais printemps et de mes
étés de souffrance. Après une
nuit fatigante, vient l'aube grise et froide qui
amène ce sentiment d'exténuement, que
connaissent si bien les malades, et alors
l'alouette s'élève.
Plus tard dans l'année, elle
écrit dans un mouvement d'indignation
:
Je suis profondément
attristée d'apprendre que j'ai mangé
des alouettes. Quelqu'un me les envoya et je crus
que c'étaient des cailles. Cela paraît
si méchant! Je croyais que la loi anglaise
défendait de tuer et de manger les oiseaux
chanteurs.
Une des angoisses de Mme Booth
au
sujet de Miriam, pendant les deux dernières
années de sa vie, ce furent les raids
aériens, souvent particulièrement
graves dans les environs du Homestead. Une fois,
alors que le Général et Mme Booth
étaient absents, Miriam permit qu'on la
transporte en bas, parce que, quand le danger
semblait imminent, elle ne pouvait pas persuader
à son infirmière
de l'abandonner. Après
cela, d'un commun accord, toute la maison
s'assemblait dans la chambre de Miriam pendant les
raids nocturnes. Miriam était
peut-être la moins affectée par ces
événements :
Les canons de la
défense
ont tonné magnifiquement, écrit-elle
à une amie; j'étais heureuse que le
Général et maman ne fussent pas
à la maison. Je suis toujours anxieuse
à leur sujet, mais réellement il
n'importe guère que quelque chose arrive
à mon pauvre corps déjà
abîmé.
Miriam écrivit à sa
mère, en décembre 1916, cette
description d'un raid de zeppelins :
Mère
chérie,
Nous avons eu, la nuit
dernière, la plus palpitante
expérience de zeppelins. Nous
entendîmes le bruit des machines du zep,
juste avant deux heures, la nuit était
brumeuse, nous ne pouvions rien voir; mais le
ronflement des machines retentissait au-dessus de
nous, cela dura au moins vingt minutes. Je pense
qu'il y avait deux ou trois zeppelins. À un
moment, pendant quelques secondes, nous
entendîmes un étrange crissement, un
pétillement suivi du bruit semblable
à un battement d'ailes ou le bruit d'une
voile qui claque contre le mât, je ne puis
mieux le comparer qu'au bruit d'un bateau qui se
met en route. Le son était parfaitement
distinct; nous nous dîmes : qu'est-ce que
cela ? Je commençais à me demander
s'ils ne tombaient pas. Cependant, cela passa,
et il y eut quelques
minutes de silence complet.
Nous pensions le danger
passé, et nous étions très
soulagés, après la fatigue
d'écouter le bruit des machines, pendant ces
minutes qui nous semblaient avoir duré une
éternité. Nous allions manger quelque
chose, quand un terrible bombardement
commença. Nous attendions, la respiration
suspendue et, séparés par des
intervalles de quelques secondes, retentissaient de
terribles « boums », très nets et
très distincts. Chaque boum se rapprochait,
je compris que c'était des bombes que les
zeppelins laissaient tomber.
Ils se rapprochèrent de
plus en plus, jusqu'à ce que nous entendions
à nouveau l'effrayant ronflement des
machines; toutes les cinq secondes, j'ose dire, une
bombe tombait. Alors nous entendîmes, ce que
je trouve le plus effrayant de tout,
l'étrange bourdonnement ou sifflement des
bombes avec, à la fin, le terrible
bou-ou-oum. J'avais lu des descriptions de ces
bombardements, mais je ne pensais pas devoir les
entendre. Cela ressemble à un
gémissement commençant par les notes
les plus élevées et descendant toute
la gamme, le boum de la fin devenant de plus en
plus fort a chaque fois. Je pense que ce fut mon
pire moment. On pouvait entendre les machines qui
s'approchaient de plus en plus, il semblait que
nous devions nous préparer à
être touchés.
Nous mimes nos masques
contre les
gaz, je demandai aux autres de descendre,
parfaitement prête
à rester seule, mais ils ne voulurent point
en entendre parler. Je priais tout le temps et, une
fois ou deux, je prononçai une phrase
à haute voix. Je pensai que je devais vous
laisser un message d'une manière quelconque,
au cas où nous serions broyée, et
alors, juste après un de ces sauvages
gémissements, une lueur formidable
éclaira la chambre. Tout le ciel visible de
la fenêtre du pignon de ma chambre semblait
en feu. Zazzie regardait à la fenêtre.
Je lui dis:
- Qu'y a-t-il
Mais elle était si
fascinée qu'elle ne pouvait parler. Alors je
lui dis :
- Voyez-vous le
zeppelin ?
- Oui,
répondit-elle.
Cela me soulagea, je
compris
qu'il n'était pas juste au-dessus de nous.
Alors Zazzie dit :
- Je puis le voir,
dressé
sur une extrémité; il doit être
en feu.
Je dis :
« Merci, ô mon Dieu !
»
Alors il y eut de
terribles
clameurs, des voix d'hommes auprès et au
loin. Zazzie sentit qu'elle ne pouvait continuer
à regard", et elle me dit après qu'il
lui avait semblé que nous ne pouvions
échapper à l'incendie, et elle
s'était demandé avec angoisse comment
elle me tirerait de là. Il y eut un dernier
boum, et l'arrêt des machines, et le silence
- hors le bruit de la course des gens au dehors -
nous convainquirent que c'était
tout.
Dieu m'aida
merveilleusement
à me confier à lui.
Je ne me suis pas
sentie aussi
mal que j'aurais craint de
l'être.
Parfois, la souffrance devenait
si
intense, qu'à une amie intime comme Miss
Asdell Miriam confiait:
- O Zazzie, je me sens presque
comme
si je devais lâcher pied, et je souhaite que
tout soit fini.
- Mais, Mim chérie, pensez
à la grande bénédiction que
vous êtes pour chacun de nous, lui
répondait tendrement son amie.
- Ah! parfois je suis si
fatiguée, si lasse de mes douleurs, lasse
d'essayer d'être patiente, lasse de
tout...
Alors, en un moment, elle
recouvrait
son merveilleux contrôle sur elle-même
et terminait sa phrase par :
- Mais, j'ai tant de choses pour
lesquelles je dois être
reconnaissante.
Et elle détournait
résolument la conversation d'elle-même
et de ses souffrances.
L'épreuve la plus
sévère pour la Capitaine, ce fut la
question de la guérison par la foi, et, sur
ce point, bien des malades sympathiseront avec
elle. Le sujet la préoccupait beaucoup, et
elle l'étudiait avec soin. Elle
désirait vivre pour
s'offrir à Dieu en vivant sacrifice.
Certainement, la promesse: « Tout ce que vous
demanderez à Dieu avec foi, vous sera
accordé », était écrite
dans la Bible. Elle savait qu'il est tout-puissant
et qu'il a guéri beaucoup de malades. Elle
possédait, cela restait hors de doute, la
foi sincère, brûlante d'amour. Alors,
elle demandait à Dieu de la guérir
aussi. Elle le fit, mais elle ne fut pas
guérie. Elle réétudia toute la
question très soigneusement, avec
révérence, et demanda à
nouveau, pour la gloire de Dieu, sa
guérison. Sa supplique ne fut pas
exaucée. Dans sa perplexité
spirituelle, elle se demanda si elle ne manquait
pas de lucidité spirituelle. Ne
contristait-elle pas Dieu de quelque
manière? Sinon, pourquoi refuserait-il
d'étendre vers elle sa bonne main
guérissante? Ses souffrances continuelles.
son inutilité, quand elle pourrait
être debout et travailler pour le Seigneur,
tout cela n'était-ce pas un reproche
adressé à l'Armée et à
l'Église de Dieu ? Pendant quelque temps,
Miriam endura de grands troubles à ce sujet,
mais à la fin, Celui qui parvint à la
perfection par ses souffrances, l'introduisit dans
le calme et le repos d'une parfaite
résignation.
Alors elle écrivit à
l'Adjudant Simpson:
Je sens que Dieu
m'enseigne, que
la plus haute expression de la foi est de se fier
à sa volonté et à son amour et
de se soumettre à lui. C'est le chemin qui
conduit à la vraie paix, la paix qui
surpasse toute intelligence. Je dois en rester
là, sur ce sujet.
Huit jours après avoir
écrit ces mots, elle entrait dans le pays
où tous les mystères sont
révélés.
Si Christ doit conquérir le
monde, pensaient les disciples, Il doit de toute
nécessité fonder un royaume
terrestre. Mais, au lieu du royaume attendu, ce fut
l'agonie de Géthsémané, son
Père approchant de ses lèvres la
coupe amère, qu'Il but jusqu'à la
lie. Quelques membres de l'Armée croyaient
que la gloire de Dieu se montrerait mieux dans la
guérison de Miriam, qui lui permettrait de
consacrer sa vie à une activité
bénie pour le monde; mais le Royaume de Dieu
ne vient pas avec éclat, et le Père
seul savait que sa chère enfant montrerait
mieux les merveilles de sa paix et de sa puissance,
en vidant la coupe qu'Il lui donnait.
Parmi ceux qui comprirent les
premiers cette vérité, se trouvait la
Commissaire Ouchterlony, à l'acuité
de vision spirituelle surprenante, la première
officière de l'Armée du Salut en
Scandinavie. Elle écrivit à Mme
Booth, à la mort de Miriam, les lignes
suivantes:
Je pensais que par ses
grandes
souffrances, elle était
préparée à un service
magnifique dans ce monde, mais quand je priai pour
son rétablissement, je ne reçus nulle
assurance que ma prière serait
exaucée. Maintenant, la chère
Capitaine est entrée dans la gloire de Dieu.
Ce qu'elle ne pouvait accomplir par le travail,
elle l'a accompli par sa soumission à la
révélation que Dieu lui accorda.
Certainement, il faut plus de grâce pour
suivre Jésus dans la souffrance, que pour
endurer les fatigues et les privations en
travaillant pour Jésus! Je crois que son
influence aidera beaucoup à se charger de
leur croix et à faire l'oeuvre qu'elle ne
pouvait accomplir.
Miss Sarah Robinson, dont le
travail
parmi les soldats est si connu, une vieille et
intime amie de Mme Booth et de Miriam,
écrivit en ce moment-là :
Penser à elle dans la
nuit, quand il me semble que j'approche plus
près du trône de la Grâce et que
je cite les noms de mes amis, me rend
particulièrement heureuse. Je mentionne
encore son nom avec joie et reconnaissance. Vous ne
pouvez dire la raison des actions de Dieu, mais
vous pouvez, et vous le faites, accepter sa
volonté « bonne, agréable et parfaite ». Il a
agi
envers vous sans doute pour le bien des autres, les
myriades de myriades de l'Armée du Salut. Je
me souviens combien je sentis fortement cette
vérité pendant la dernière
maladie de Mme Booth. Quelle angoisse pour tous nos
coeurs; nous nous demandions pourquoi il en
était ainsi. Il y en avait plusieurs qui
affirmaient qu'elle serait guérie en
réponse à la prière et par ce
qu'ils pensaient être de la foi. Nous
vîmes plus tard que, si le Seigneur avait
guéri cette chère sainte.
l'Armée du Salut se serait lancée
dans la guérison par la foi, elle se serait
ainsi écartée de son but réel
et son utilité aurait été
enrayée.
Dans la chambre de Miriam se
trouvait un petit écriteau : « Dans Sa
volonté se trouve notre paix. » Ces
mots parlaient à son coeur chaque jour, et
sa vie parle à toute l'Armée d'un
miracle plus grand que la guérison du corps
malade. Elle parle d'une créature où
pétillait la vie, l'énergie, les
talents, mais, contrainte de reposer, immobile et
souffrante, et se réjouissant dans le
Seigneur. Les expériences de la vie
religieuse se ressemblent à travers les
siècles. Miriam pouvait dire, avec Habacuc,
qui écrivit, il y a plus de vingt
siècles : « Toutefois... (même si
tous présages de satisfaction et de
réconfort viennent à manquer), je veux me réjouir
en
l'Éternel, je veux me réjouir dans le
Dieu de mon salut. »
Il est impossible
d'énumérer les noms des docteurs qui
apportèrent à Miriam, pendant sa
longue maladie, leurs soins et leur affection, mais
nous devons mentionner au moins le Docteur Elam, de
Barnet; le Docteur Ede, de Molesey; le Docteur
Russell, de Finchley, et Lady Barratt.
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