Canada: Le nouvel antisémitisme passé sous silence à l'UQAM
par Elias Levy, le jeudi 15 novembre 2001
Demain, le Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté (CRIEC) et le Centre de droit international de Montréal (CEDIM) organisent, à l'Université du Québec à Montréal, un colloque sur les défis et les enjeux de l'après-conférence internationale sur le racisme de Durban. Patrimoine Canada et le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration du Québec parrainent ce forum.
Plusieurs problématiques relatives au phénomène délétère du racisme seront analysées par les conférenciers invités à cette rencontre. Toutefois, il est regrettable que les organisateurs de cet événement aient complètement éludé un sujet épineux qui a pourtant prédominé tout au long de la conférence de Durban: l'émergence d'un nouvel antisémitisme émanant de l'antisionisme débridé affiché par les détracteurs de l'État d'Israël.
Un représentant de la communauté arabe proposera, dans le cadre du colloque du CRIEC et du CEDIM, des pistes pour élaborer une stratégie afin de lutter contre le racisme antiarabe et antimusulman. Une réflexion nécessaire et salutaire, notamment à un moment critique où, en Occident, on a tendance à associer le monde musulman à l'islamisme suicidaire prôné par ben Laden et ses séides. Parmi toutes les versions possibles de l'islam, les Occidentaux n'ont cessé de privilégier les fondamentalistes alors même que ces derniers sont minoritaires dans le monde musulman. On oublie trop souvent que si le nombre fait foi, de fait, les plus grandes communautés musulmanes au monde sont javanaises et indiennes. Or la grande majorité des musulmans javanais ou indiens ne pratique pas un islam littéral, qui serait fondé sur une lecture rigoriste du Coran.
Pourquoi les organisateurs du colloque ont-ils décidé de faire fi de l'une des dimensions cardinales du racisme contemporain, le nouvel antisémitisme, drapé dans les oripeaux de la rectitude politique, qui a sévi avec véhémence à Durban? L'échec cuisant de la conférence de Durban continue de tarauder toutes les nations qui souhaitent ardemment adopter des moyens d'action concrets pour combattre vigoureusement le racisme et les violations des droits de l'homme qui sont légion dans les quatre coins de la planète.
Mais dès son ouverture, une nuée de délégués survoltés a transformé cette conférence sur le racisme en un tribunal impitoyable qui avait pour unique mandat d'instruire le procès de l'État d'Israël, une entité «coloniale, maléfique, criminelle, arrogante... » - expressions employées par des organisations arabo-islamiques présentes à Durban - à laquelle on a imputé sans ambages tous les maux qui affligent l'humanité.
Une «palestinophilie»
À Durban, on a vu jaillir avec force un nouvel antisémitisme, né dans la mouvance de la gauche autour d'une «palestinophilie» mystique qui a aujourd'hui pour principal vecteur l'islamisme. La haine vouée aux juifs, par Israéliens interposés, se porte bien en ce début du troisième millénaire. La plupart du temps, il est vrai, cette haine viscérale se déguise, elle louvoie, elle a des pudeurs d'élégante. La langue est riche, elle offre à l'antisémitisme un attirail d'exutoires trompeurs et protecteurs: antisionisme, révisionnisme, nationalisme, chauvinisme, traditionalisme, grâce auxquels, désormais, l'interdit se dit avec le sourire.
À Durban, la haine vouée au peuple juif et à Israël a atteint des proportions effarantes. Ce nouvel antisémitisme, qui, depuis la guerre des Six Jours en 1967, a germé à gauche, plus précisément dans les milieux allant du gauchisme jusqu'à la nouvelle social-démocratie en passant par le communisme, puise son essence dans un antisionisme absolu qui postule qu'Israël est l'incarnation du «mal absolu», un État paria qu'il faut absolument éradiquer du monde.
À Durban, nombreux étaient ceux qui ont affirmé sans fard que l'annihilation de l'État hébreu atténuerait la détresse des damnés de la Terre. Mais qui peut rationnellement penser une seconde que la destruction de l'État d'Israël améliorera d'un iota la situation des descendants d'esclaves aux États-Unis ou au Brésil, celle des Afghans, des Pakistanais, des peuples de l'Afrique noire?
Le nouvel antisémitisme exploite trois stéréotypes antijuifs tenaces, profondément ancrés dans le subconscient des contempteurs de l'État d'Israël, notamment dans le monde arabo-islamique: la thèse du complot fomenté par l'impérialisme «américano-sioniste» en vue de la domination du monde; le meurtre rituel, commis par des «Juifs cruels et sans pitié», projeté aujourd'hui sur Tsahal, une armée tueuse d'enfants palestiniens; et la banalisation de la Shoah, le génocide juif perpétré par les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale.
La stratégie négationniste est l'un des principaux corollaires de la logique pernicieuse inhérente au nouvel antisémitisme. Une stratégie parfaitement transparente: puisque la Shoah confère à Israël une légitimité particulière, il suffit de la mettre en doute, voire de la dénoncer comme un mensonge, pour délégitimiser l'État hébreu.
Ce n'est pas non plus par hasard que le politologue juif américain Norman Finkelstein est devenu une coqueluche adulée dans les milieus militants et intellectuels arabes. Son pamphlet, L'Industrie de l'Holocauste - Réflexions sur l'exploitation de la souffrance des juifs, paru en français cette année aux éditions La Fabrique, est désormais un livre-culte dans le monde arabo-islamique. Finkelstein, dont les parents étaient des rescapés du ghetto de Varsovie et des camps d'extermination nazis, est porté au pinacle dans les cénacles intellectuels atabes et palestiniens. En mai dernier, invité par l'Union des étudiants arabes et palestiniens de Montréal, cet antisioniste invétéré a prononcé dans une salle archicomble de l'université McGill une conférence intitulée «Israël, l'Holocauste et la Palestine».
Une conférence raciste
À Durban, les adversaires d'Israël ont jeté l'opprobre sur la mémoire historique du peuple juif en tissant des analogies abjectes et fallacieuses entre le comportement de l'État hébreu à l'endroit des Palestiniens et la bestialité indicible des nazis que les juifs subirent pendant la guerre.
Comme me l'a expliqué l'écrivain de renommée mondiale et Prix Nobel de la paix Élie Wiesel au cours d'une entrevue récente, «ce n'est plus un secret pour personne. Ceux qui attaquent aujourd'hui la mémoire juive le font parce qu'ils détestent l'État d'Israël. Puisque l'État juif se réclame de cette mémoire, ceux qui vouent Israël aux gémonies se doivent alors de dénigrer la mémoire historique du peuple juif. Aux États-Unis, ceux qui écrivent des pamphlets contre la mémoire juive sont les mêmes qui ne cessent d'attaquer violemment et vicieusement Israël» (entrevue avec Élie Wiesel publiée dans l'édition du Canadian Jewish News du 8 novembre).
À Durban, la judéophobie la plus ignoble et l'antisionisme le plus échevelé ont fait très bon ménage. Cette conférence, qui devait combattre le racisme, s'est rapidement métamorphosée en une conférence raciste.
Dans des milieux arabo-musulmans et de gauche, on appelle cela le nouveau progressisme!
(E.Levy) ajouté le 17/11/2001