France: Un détenu témoigne du prosélytisme islamiste dans les prisons

 

Pression sur les détenus les plus faibles, harcèlement pour une pratique rigoriste de l'islam, endoctrinement antisémite et anti-occidental par la circulation de cassettes et de livres interdits : actuellement incarcéré en région parisienne, un homme témoigne, de l'intérieur, du prosélytisme quasi ouvert pratiqué par des détenus qui se réclament d'un islam radical.

Je suis incarcéré depuis fin 1996 pour un délit de droit commun. Dès le début de mon incarcération, je me suis rendu compte que le problème du prosélytisme en prison était bien présent dans la vie de tous les jours. Je décide donc d'écrire sur le sujet. Pour essayer d'expliquer pourquoi, comment et de quelle manière ceux que j'appelle des manipulateurs de conscience agissent pour inciter les jeunes à faire la prière, le ramadan, mais surtout comment ils les conditionnent avec des discours complètement politisés, sur fond de haine.

J'essaierai aussi d'expliquer comment ces extrémistes religieux font du social, de quelle manière ils opèrent sur le terrain, leurs moyens de propagande, mais surtout leurs objectifs principaux et pourquoi cela marche si bien ; comment ils se servent du Coran à des fins subversives, comment cette idéologie xénophobe sur fond d'islam prospère doucement mais sûrement, en profitant du désarroi et de la misère d'une catégorie de détenus bien visée. Bien entendu, je parlerai en fonction de ma propre expérience carcérale, de ce que j'aurai vu et entendu en promenade, au sport, à l'école, et dans la vie de tous les jours. (...)

Il faut savoir qu'une minorité d'extrémistes a réussi à faire montrer du doigt cinq millions de musulmans, de la pire façon qui soit. C'est-à-dire en tuant et en violant, au nom d'un dieu qui me fait plus penser au diable. Cet islam de haine n'est pas cette religion que pratiquent des millions de musulmans respectables. Ces extrémistes ont pour objectif de torpiller l'intégration, l'assimilation qui, quoi qu'on en dise, se font doucement, mais sûrement. Ils veulent se faire passer pour les représentants d'un dieu, les représentants d'une identité perdue, cela en diffusant leurs théories anti-occidentales, antisémites et racistes à des détenus affaiblis socialement et psychologiquement par des conditions que j'essaierai d'expliquer. (...)

Avant de commencer, je me présente : j'ai trente-trois ans, je suis Français d'origine algérienne, je vis maritalement avec une Française de souche, nous avons deux enfants. Je suis croyant mais je ne reconnais aucun prophète même si je respecte tous ceux qui y croient. Je mange régulièrement du porc, j'assume même d'en manger en prison. Vu ma taille et ma carrure, personne ne m'imposera de ne pas en manger, comme je l'ai déjà vu faire pendant ces années passées dans le milieu carcéral. Les cibles favorites des prosélytes, qui sont plusieurs centaines incarcérés dans les prisons françaises, sont les détenus assez faibles psychologiquement et physiquement. (...)

Lors de ma première expérience carcérale, en 1984, j'avais vingt ans, il n'existait pas toutes ces histoires de prosélytisme. Il n'y avait pas toute cette propagande, tous ces bouquins, ces discours, tous ces détenus fanatiques dans les cours de promenade, comme c'est le cas aujourd'hui. (...)La deuxième fois que j'ai été incarcéré, quelques années plus tard, il n'y avait toujours pas de signe apparent même si la population pénale était déjà composée d'une majorité d'étrangers. En fait, tout a commencé incontestablement en 1992. Il y avait quelques pro-islamistes dans les cours de promenade, des discussions sur le FIS, sur l'islam, mais pas de prosélytisme au sens propre du mot, il n'y avait pas de revues propagandistes, si ce n'est quelques corans qui se prêtaient. (...) En 1993, j'ai été transféré pour finir ma peine. C'est vraiment là que, pour la première fois, je serai amené à côtoyer et à parler avec des extrémistes qui passeront leur temps à essayer de convertir le maximum de détenus, à faire du prosélytisme à outrance.

Après plusieurs mois, j'ai fait la connaissance du premier "cas" que je vais nommer Y : il porte une barbe, la chéchia (petite calotte), et a toujours un Coran entre les mains. Dans toutes ses discussions, il se réfère à la religion qu'il interprète comme bon lui semble. Il est âgé de trente ans, parle très bien le français. Il est incarcéré pour une affaire de recel. Le deuxième "cas", que je nommerai Z, a cinquante ans, une très forte personnalité. Il est incarcéré pour une affaire d'héroïne. Il vient d'un transfert disciplinaire du centre de détention de Liancourt, où l'administration lui avait reproché de faire du prosélytisme. Il lui était surtout reproché d'avoir été le porte-parole, en réalité le meneur, d'un groupe de détenus qui revendiquait plusieurs choses, dont une salle de prière avec un imam.

Tous les deux n'ont pas mis longtemps à faire connaissance, le terrain de sport est devenu très vite leur lieu de prédilection, c'est là que pullulaient les victimes potentielles. Le terrain de sport était le seul endroit où pouvaient se retrouver tous les détenus de tous les bâtiments, sans qu'il y ait de surveillants près de vous. Y et Z avaient fait certains adeptes dans la prison. Ils avaient une très grande emprise sur certains détenus et avaient réussi plusieurs conversions, dont celles de deux Français de souche qui avaient pris des prénoms orientaux et cela, en quelques mois seulement.

Par la suite, ils ont fini par être repérés par la direction. Le directeur leur avait dit d'arrêter leurs réunions dans les unités de vie, mais aussi sur le terrain de sports. Il leur avait surtout ordonné d'arrêter leur diatribe envers et contre tous.

Y et Z avaient réussi à faire signer quatre-vingts détenus pour une collecte de fonds destinés à acheter des tapis, des corans et le nécessaire pour meubler une salle de prière. Quatre-vingts détenus sur un total de quatre cents, soit 20 %. Un vent de panique avait soufflé dans les bureaux de la direction. Quelques jours plus tard, ils avaient décidé de transférer Y après plusieurs jours passés en isolement. Quant à Z, il avait fini par être expulsé, en bénéficiant d'une libération conditionnelle qu'il avait déposée peu de temps avant. (...)

Fin 1996, je me retrouve une nouvelle fois incarcéré. Quand je suis descendu en promenade, j'ai retrouvé deux copains que je connais bien, dont S, qui m'a présenté la grande majorité des détenus. Pour votre sécurité, il est très important de savoir qui est ici, et pourquoi. J'ai tout de même remarqué qu'il y avait plusieurs barbus incarcérés pour des affaires liées à leur religion malveillante qu'ils veulent imposer. (...)

Très vite, j'ai fait la connaissance de plusieurs détenus dont No 2 qui est en cellule avec mon pote S. No 2 a été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle pour un homicide volontaire. Français d'origine algérienne, il a trente ans et est incarcéré depuis cinq ans. Il a été initié en prison et fait la prière depuis deux ans. Dehors, lui non plus ne croyait en rien. Il m'explique que pendant sa détention, ses frères (c'est ainsi qu'ils s'appellent entre eux) se sont intéressés à lui et ont réussi à lui faire prendre conscience qu'il fallait avoir un autre mode de vie. Que nous, les jeunes issus de l'immigration, n'avions plus aucune identité, que nous étions manipulés par les pays occidentaux, eux-mêmes manipulés par les juifs. Depuis qu'il est en prison, il est devenu antisémite. Il m'a confié qu'avant il avait des potes juifs.

Lors d'une de nos discussions, sachant que je ne fais pas la prière, No 2 me demande si je ne veux pas essayer de faire un effort pour apprendre la position de ses frères. Je lui réponds que non. Il m'explique que je devrais lire le Coran, que cela me ferait du bien, que j'y trouverais les réponses aux questions que je me pose et que ça m'aiderait à surmonter cette épreuve. Mais aussi que je devrais faire comme lui, c'est-à-dire retrouver mes racines et ma religion. Il enchaîne avec un petit discours antisémite et anti-occidental qu'il avait appris par cSur. Il me conseille de lire Le Complot de Sionet qu'ainsi je pourrai enfin comprendre les choses dont il me parle.

Un jour, après maintes et maintes discussions sur des sujets divers mais sans jamais tomber d'accord, No 2 m'explique que je dois éviter de me mettre en short pour courir. Il est vrai qu'actuellement, sur sept détenus qui courent, seul S et moi sommes en short. Il me dit qu'éventuellement je peux en mettre un, mais qui tombe aux genoux, car le Coran l'interdit, mais aussi parce que c'est un manque de respect vis-à-vis des pratiquants.

Je l'écoute tout en sachant que rien ni personne ne m'empêchera de courir en short. Je lui rétorque que je ne pense pas que ce soit vraiment écrit dans le Coran, que ça doit être une interprétation. Il continue pour me dire qu'il y a des frères qui ont fourni des réponses à toutes ces questions. Si je le veux, certains bouquins qui tournent en prison pourront m'aider à concevoir les choses autrement.

Un jour, No 2 me tend un livre en promenade en me conseillant de le lire. (...)Les discours de No 2 sont vraiment idéologisés, très politisés. Il a des discours de mort, il croit réellement que, dans un avenir proche, il faudra combattre comme à l'époque des croisades. En le regardant faire aussi avec d'autres détenus, je le dis sans aucune erreur possible, No 2 est devenu un professionnel du prosélytisme. (...) La réaction de No 2 vis-à-vis de moi m'a fait prendre conscience que je ne pourrai plus approcher ces prosélytes si je ne rentre pas dans leur jeu. Je décide donc de leur faire croire que je suis en train de me poser des questions sur une éventuelle conversion totale, mais qu'avant je veux apprendre sur le sujet. (...)

Mon pote S m'a expliqué à quel point No 2 était xénophobe et antisémite. Comme exemple, il changeait systématiquement la chaîne de télévision dès qu'un juif prenait la parole. Il refusait de regarder l'émission "7/7", présentée par Anne Sinclair, "Envoyé spécial", présentée par Paul Nahon et Bernard Benyamin, sous prétexte qu'ils étaient juifs. Il voyait des juifs partout. Ils étaient la cause de tous les malheurs, de toutes les crises, des guerres dans le monde. Il allait même jusqu'à dire qu'il avait pris dix-huit ans par la faute des jurys qui étaient composés par une majorité de juifs. Tout ce qu'il disait lui avait été appris par ces prêcheurs habités par les intolérances, qui sévissent dans les cours de promenade et qui ont pour objectif de convertir le maximum de personnes.

C'est dans ces discussions-là que l'on sent qu'une manipulation existe bien, car ces discours sont appris par cSur, ils sont propres à la prison. Les prosélytes ont bien compris que cet endroit était porteur pour leurs messages hostiles et leur mission première qu'est la conversion des détenus. Selon sa signification étymologique, le mot conversion (du latin conversio) signifie retournement, changement de direction. Pour certains, la conversion passe simplement par un changement d'ordre mental, d'opinion. Cela peut aussi impliquer l'idée d'un changement de pensée, d'un retour à l'origine, d'un retour à soi, voire d'une renaissance. C'est le cas de No 2 et de tous ceux qui sont d'une origine arabo-musulmane. En ce qui concerne les autres, il y a une transformation totale de la personnalité, de la pensée, et une rupture totale d'avec sa vie antérieure, ce qui est le cas des Occidentaux, et pour simplifier disons qu'il y a la conversion (retour aux sources) et la conversion (mutation totale).(...)

Parmi ceux qui Suvrent le plus pour islamiser radicalement le maximum de détenus, il y a celui que j'appellerai No 3, avec qui je parle régulièrement. D'entrée de jeu, il m'a dit : "Tu es notre frère, regarde la France t'a mis en prison, c'est pour ça qu'il faut te battre avec nous." (...)N° 3 se bat pour un Etat islamique avec un califat (grand chef pour tous les pays musulmans), une sorte de guide spirituel comme l'a été de sinistre mémoire un certain ayatollah Khomeiny. Il m'explique que la démocratie telle que nous la vivons n'est pas le bon choix. Il me parle aussi du complot juif, il est viscéralement anti-français car ce gouvernement aide le pouvoir algérien à combattre ses frères.

Lui aussi veut essayer de me faire prendre conscience que je dois changer de vie et d'habitudes. Il m'a déjà fait plusieurs discours sur la religion avec des arguments politiques et sociaux, un discours très bien préparé, que lui aussi connaît par cSur, qu'il répète comme une récitation. Il argumente en me disant que cela me fera du bien de lire le Coran, qu'il faut absolument que j'apprenne la religion de mes parents, que nous devons nous défaire de cette occidentalisation dont nous sommes victimes, et enfin qu'il faut que tous les hommes comme moi soient solidaires de leur combat. (...)

N° 3 m'a bien sûr fait plusieurs fois un historique sur le FIS, comment il a prospéré, le projet qu'il avait pour l'Algérie (rien de bien réjouissant), tout en affirmant qu'il n'y a pas d'autre alternative que la charia. Il reste persuadé que le FIS va finir par prendre le pouvoir d'une façon ou d'une autre. Il me reproche souvent d'être représentatif d'une jeunesse issue de l'immigration qui ne fait rien pour aider le combat qui doit être aussi le nôtre, et du fait de nous désintéresser de sa religion.

Quand il a su que je ne parlais pas l'arabe, tout excité il me dit : "Ce n'est pas normal, ce n'est pas de votre faute car vous avez été francisé par l'école, par les copains, les assistantes sociales, etc. Il faut te reprendre en main et apprendre avec les frères qui sont ici." (...)

Le lendemain de l'attentat au métro Port-Royal, N° 3 est remonté contre ses frères, plus précisément contre ceux qui ont fait cela, non pas pour les morts et les blessés (que Dieu ait leurs âmes), mais juste parce que dans deux jours il doit passer en appel pour une liberté provisoire qui, à coup sûr, sera rejetée. Moi-même, je lui ai conseillé de ne pas se déplacer.

Un jour, en parlant avec No 3, j'ai employé le mot "beur" pour désigner le Français de parent maghrébin, il m'a interrompu net pour me dire qu'il ne fallait jamais dire ce mot qui a été inventé par les Français et par les juifs pour nous dévaloriser, mais qu'il fallait plutôt dire musulman. J'ai essayé de lui expliquer que c'était pour faire une distinction entre la deuxième génération. Il enchaîne pour me dire que ce nom a été créé pour nous déraciner encore plus de nos origines. C'est pour cela, me dit-il, que, dans les banlieues, il y a des frères qui travaillent pour une revalorisation des origines, une réislamisation des jeunes. Moi qui suis issu des banlieues nord de Paris, je n'ai pas vu ce dont il me parle, même s'il est vrai que certains jeunes ont été approchés.

Comme je l'ai déjà dit, leur cible préférée est le jeune d'origine maghrébine, mais ils ne négligent ni les Noirs ni les Européens ; à un moment donné, tous les détenus sont approchés par leur discours. Plusieurs fois, j'ai vu ces manipulateurs faire des remarques à des détenus qui s'appelaient par des surnoms, style Momo pour Mohammed, Nono pour Nordine, Dédé pour Déran. Ils expliquent que ces surnoms nous ont été donnés par les Occidentaux pour nous éloigner de nos vraies racines, afin de nous franciser un peu plus. Ils préfèrent que nous prenions des noms d'animaux, tels que le lion, le faucon, le renard, une comparaison qui me fait dire que, pour une fois, je suis d'accord avec eux. (...)

No 3 aussi passe une grande partie de la journée à lire le Coran avec bien d'autres livres écrits par de soit-disant grands théologiens, il me propose de m'en prêter, traduits en français, pour commencer à les lire et à apprendre le sujet. Il m'a été expliqué que ces livres sont rentrés spécialement en prison pour ceux qui, comme moi, ne comprennent pas l'arabe, ils sont même traduits dans plusieurs langues. Il y a aussi beaucoup de textes tapés à la machine à écrire ou à l'ordinateur, qui sont des appels à la guerre sainte, des appels à combattre les forces du mal, c'est-à-dire les impies, les juifs et l'Occident. (...) Il faut savoir que ces lectures, en plus des cassettes interdites, sont un outil de propagande très efficace. Un jour, je me suis fait prêter une de ces cassettes, et une fois en cellule, je l'ai écoutée : elle débute par des prêches enflammés entrecoupés par des coups de kalachnikovs.

En ce qui concerne les livres, ce sont les visiteurs qui les déposent le plus simplement du monde, et cela en toute impunité. Pour les cassettes, elles suivent le même parcours que les autres choses interdites. (...) De ce que j'ai pu voir, les bouquins de propagande tournent de bâtiment en bâtiment, soit par le sport, soit par l'infirmerie, par l'école. Les cassettes sont dupliquées et distribuées dans ces mêmes endroits. (...)

Le ramadan approchant, No 3 et quelques-uns de ses frères demandent à tout le monde si nous voulons le faire. Pour ceux qui ne veulent pas le faire, ils leur imposent des arguments jusqu'à ce que ces derniers disent accepter. (...) Il faut savoir qu'une pression existe réellement pour inciter les jeunes à faire le ramadan. Une grande majorité de détenus disent faire le ramadan pour être tranquilles, mais aussi pour ne pas être considérés comme parias.

Ils sont plusieurs milliers à subir la loi instaurée par ces ultras, beaucoup voudraient manger de belles côtes de porc, mais la pression est telle qu'une grande majorité n'ose pas le faire, afin d'éviter un conflit avec certains qui sont prêts à en arriver aux mains. La réalité carcérale est telle que le détenu est obligé de composer avec son entourage immédiat, l'administration pénitentiaire n'étant présente que ponctuellement. (...)

Le lendemain matin du dernier jour du ramadan, tous ceux qui ont fait le jeûne se font la bise en promenade, chacun dépose sur la table du café, du thé, des gâteaux et diverses boissons. Sur la trentaine de détenus, une vingtaine s'est réunie autour de la table où No 4 récite des versets de mémoire, accompagné d'un prêche enflammé. Tout le monde est regroupé autour de lui, les mains tendues devant en signe d'allégeance. C'était la première fois que j'assistais à une scène pareille, cela a duré vingt minutes, ils ont fini en criant plusieurs fois ensemble "Allah Akhbar". Par la suite, ils ont invité tous les détenus présents à venir boire le café sans aucune distinction de race pour expliquer le pourquoi de cette cérémonie. Cela s'est passé devant les surveillants de garde, sans aucune crainte. Je suis franchement dégoûté de constater que ces pollueurs de la pensée peuvent agir avec autant d'aisance, sans rencontrer les foudres de l'administration pénitentiaire. Il y a quelque chose qui m'échappe. (...) En leur laissant le terrain, ils deviennent légitimes aux yeux des autres détenus. Pourquoi ne pas leur mettre une salle à disposition, mais avec un représentant officiel, choisi par une administration, et ainsi contenir cette dérive qui, malheureusement, s'accroît d'année en année ? (...)

Ils sont plusieurs à Suvrer pour islamiser radicalement les détenus, ils veulent nous obliger à prendre une voie qui n'est pas la nôtre. No 4 est le plus nerveux de tous. Une fois, il m'a dit que s'il devait mourir, il aimerait que ce soit comme le martyr Kelkal l'avait fait, au nom de Dieu. Khaled Kelkal n'était pourtant qu'un jeune beur de la banlieue lyonnaise, incarcéré pour des délits mineurs. Il a fini mort criblé de balles suite à des actions terroristes qu'il revendiquait au nom d'un islam de haine et de mort qui lui avait été enseigné en prison.

Pour faire passer ce qu'ils appellent "leur message spirituel", ce que moi j'appelle "leur message de haine", ils sont prêts à détruire les valeurs fondamentales de la République. Ils sont contre toutes les conquêtes offertes par les révolutions telles que mai 1968. Ils veulent remettre en question l'avortement, les libertés de penser, la liberté sexuelle, le mariage mixte. (...)

Les trois critères qui permettent de reconnaître les plus fondamentaux d'entre eux, ceux qui Suvrent le plus à radicaliser les plus fragiles, sont les suivants : pour commencer, ils ne mangent pas de viande car elle n'est pas tuée selon leur rite ; ils ne regardent pas la télévision car elle est administrée par les juifs ; ils gardent une barbe pour être plus près de leur prophète. (...)

En prison, il y a ceux qui ont une étiquette de DPS (détenu particulièrement surveillé), qui concerne la plupart des détenus incarcérés pour des affaires de terrorisme. Pour ces raisons, ils les changent régulièrement de cellule, en moyenne tous les trois mois. En commun accord avec d'autres détenus, ils s'arrangent pour changer de cellule entre eux, ainsi, ils peuvent rester dans les mêmes bâtiments et garder leurs territoires. (...)

Comme pour tous les autres, No 5 est innocent devant les juges, mais il revendique haut et fort son appartenance au GIA et au FIS devant les détenus. Il aime à répéter qu'il faut égorger par la nuque et non par la gorge tous les impies, les juifs et les démocrates. (...) No 5 a aussi un discours très politisé. Il se réfère à la misère des Palestiniens, des Irakiens, des Bosniaques, pour justifier que tout est de la faute des juifs, financés par les Occidentaux ou le contraire. Lui aussi parle de déclaration de guerre. Il argumente ses explications avec des versets du Coran, que chacun d'eux traduit à sa façon et selon son humeur. Tous ces fous de Dieu, qui comme lui font du prosélytisme, ne sont ni plus ni moins que des théologiens du terrorisme.

Un jour, il m'a expliqué qu'avant d'être emprisonnés tous ces groupes de "combattants" incarcérés ne se connaissaient pas bien, qu'ils Suvrent pour la même cause, notamment instaurer une théocratie en Algérie, puis au Maghreb, pour l'étendre au monde. Il m'explique qu'ils ont profité du fait d'être incarcérés pour échanger leurs coordonnées afin de pouvoir tous se revoir une fois libérés, ce qui m'avait déjà été dit par No 3. Il faut savoir qu'une certaine unification a pu avoir lieu grâce à la prison. Sachant que toutes les affaires de terrorisme sont traitées par le tribunal de Paris, par un collégial de quatre juges d'instruction, tous ces fous de Dieu sont incarcérés dans les prisons de la région parisienne. Ils sont plus de deux cents incarcérés au moment où j'écris sur le sujet. (...)

Je vais enfin donner une bonne nouvelle, à savoir qu'une très grande majorité des conversions sont accomplies plus par souci de tranquillité que par conviction religieuse. Effectivement, certains jouent les extrémistes en criant par les fenêtres "Vive le FIS", "Vive le GIA". Ils disent faire la prière et être solidaires des terroristes, mais pour beaucoup d'entre eux, ils ne sont que des fumeurs de haschich. Pour avoir parlé avec plusieurs de ces éphémères, il en ressort qu'ils ne veulent pas se faire prendre la tête, ils ne veulent pas passer pour des traîtres, alors ils laissent croire qu'ils ont changé.

En 1997, j'ai été transféré pour un rapprochement familial. Le premier jour que je suis descendu en cour de promenade, j'y ai retrouvé un détenu, un Antillais. Je l'appelle donc par son prénom à consonance occidentale, par lequel je l'avais connu. Il m'explique qu'il a pris un prénom oriental suite à une conversion totale, dans la mesure où il était chrétien. Il m'explique qu'il avait commencé à s'intéresser à la religion dans une autre prison, ce sont des détenus qui lui ont ouvert les yeux, une fois libéré, il s'est même fait circoncire. Je l'ai connu avant que ces endoctrineurs ne réussissent à le convaincre : il fumait le "hasch" sur le terrain de sport, il était fou de Tyson (lui aussi nouvellement converti).

Dans la cour de promenade, j'ai remarqué deux barbus, un signe ostentatoire d'appartenance à cette secte des fous furieux. Un des deux barbus que j'appellerai A est au même étage que moi, c'est un clandestin qui parle très bien le français. L'autre, B, est un Français de souche converti à un islam extrême. B me parle de sa vie : il est issu d'une famille modeste, il a fait des études pour être architecte, à cette époque, il se met à fréquenter des étudiants qui sont proches du FIS et qui, petit à petit, lui enseignent les préceptes d'un islam radical. Il m'a dit avoir trouvé des réponses à des questions qu'il se posait. Il finit par se convertir, en ayant l'envie d'aider le peuple musulman opprimé dans le monde entier.

Quand il me raconte tout cela, je reste bouche bée. Il est en train de me "tuer", ce fou, il est Français de souche, il a un bon métier, il était beau gosse (car avec sa barbe il ne l'est plus), et il est là devant moi à me parler de la guerre sainte, des maquis, de son combat, alors que moi qui suis d'origine algérienne, je n'arrive pas à le comprendre, c'est une scène surréaliste.

La première fois où j'ai été choqué, c'est lorsque j'ai vu A et B poser les serviettes et faire la prière en pleine promenade devant les surveillants qui étaient de garde ce jour. Une fois fini, je leur ai demandé si personne ne leur disait rien, ils m'ont expliqué que personne ne pourrait les empêcher, c'était la première fois que je voyais cela.

Un jour, que je "tournais" seul avec B, je lui demande si ses frères l'acceptent bien du fait qu'il est Français de souche, il me répond : "Seul les impies parlent d'ethnie. Nous, nous sommes tous des musulmans, quelle que soit notre nationalité, on se bat pour une nation musulmane avec comme seule loi la charia et d'une façon ou d'une autre, on y arrivera." Je lui demande s'il a déjà combattu. Il m'explique que, lors d'un stage en Afghanistan, il a participé à l'attaque d'un char au lance-roquettes, mais qu'il n'y était qu'en temps que spectateur. Il m'a donné des détails assez durs sur l'assaut final, cela s'était passé dans une plaine près de Kaboul. Là-bas, il a été initié aux maniements des armes, des explosifs et aux combats. Ils étaient plusieurs Français de souche, mais aussi des Français d'origine étrangère et toutes sortes de nationalités.

Un autre jour, je me suis retrouvé avec C. Au parloir, il était entouré de détenus auquels il expliquait qu'il ne fallait plus boire de Coca-Cola, ni manger de bonbons, du fait que ces aliments contenaient tous de la gélatine fabriquée à base d'os d'animaux dont fait partie le porc. Il promet de bientôt distribuer une liste complète qu'il doit recevoir sous peu, en attendant, il demande de faire circuler l'information. J'étais en compagnie d'un copain qui finit par me dire : "Si on les écoute ceux-là, on n'a plus rien droit de faire." Emporté par son élan, il commence à me donner un enseignement de cette guerre qu'il faut continuer et il finit par me donner un cours sur le maniement des explosifs, plus exactement :

 

Comment transformer un détonateur à mèche en détonateur électrique !

Comment faire une mine artisanale avec de simples cartouches de fusil !

Comment faire un système de mise à feu avec une pince à linge !

Comment en faire un autre avec un réveil à piles !

Comment se servir d'une cigarette pour faire une mise à feu lente !

Comment faire exploser une bouteille de gaz avec un réchaud, ils appellent cette méthode FLNC. (...)

 

Vu de l'extérieur, rien n'est vraiment apparent. D'où ce sentiment d'inertie de l'administration, qui ne peut pas se douter à quel point ces radicaux sont actifs, avec des moyens de propagande assez considérables. Ces désaxés pensent à long terme. Le travail de fond qu'ils accomplissent, en essayant de radicaliser les plus jeunes, ne portera ses fruits que dans plusieurs années. Ces nouvelles forces et ces nouveaux combattants dont ils parlent sont une allusion à peine voilée aux jeunes qu'ils essayent d'enrôler comme ils l'ont été eux-mêmes, par le biais d'associations culturelles, sportives, voire caritatives.

La fièvre de la prière touche beaucoup de détenus. Je ne peux pas donner un pourcentage exact, mais je le redis, sans aucune erreur possible de ma part, une grande partie sont des touristes de la religion, ceux que j'ai précédemment nommés les éphémères.

Il y a aussi de vrais modérés qui ne s'occupent pas des autres. Comme mon voisin, qui a plus de quarante ans, que j'avais surpris en train de faire la prière, sans avoir le besoin de le dire. Il m'a même vu prendre une fois du porc et n'a jamais fait de remarques. Il est discret, tout le contraire de ceux que je dénonce et qui, par leur comportement, leurs barbes ou leurs prêches, sillonnent les promenades avec leur doctrine qui prône la violence pour faire triompher leur vision de la vie qui est d'une tristesse incommensurable. Dans les prisons, ces extrémistes ont le soutien de tous les clandestins qui ne ratent aucune occasion de s'associer avec eux au moindre problème, comme le jour où un extrémiste a demandé à un autre du bâtiment d'en face de baisser un peu la musique (occidentale). Ce dernier l'a envoyé sèchement promener. Il fut convenu d'un rendez-vous à l'infirmerie, mais le détenu n'est jamais venu, l'extrémiste l'a fait agresser en promenade par des frères à lui, il n'a plus jamais remis la musique par la fenêtre.

Tous ces extrémistes ne cherchent pas la confrontation. Ils essayent simplement d'imposer leur vision de la vie : comme le port du short qu'ils interdisent, plus précisément, le short doit descendre en dessous des genoux, ou la douche, où ils veulent que tout le monde reste en slip, ou interdire le porc, voire la viande qui n'est pas tuée selon le rite. Leur méthode est la suivante : dès qu'il y a quelque chose qui ne leur plaît pas, ils font des réflexions aux plus faibles, qui ne peuvent que suivre leurs avertissements, plus par souci de tranquillité que par affinité religieuse. Ils se sentent forts, ils sont en nombre et ont une certaine assurance qui frise l'insolence, pratiquement tous les détenus les respectent énormément, sans pour autant épouser leurs causes, cela en partie grâce à leurs affaires qui restent très médiatisées. (...)

Depuis les années 1994-1995, le prosélytisme est en constante croissance dans les prisons. Ce fléau ne rencontre aucune résistance. Il faut vite trouver des solutions pour pouvoir les contrecarrer. L'administration pénitentiaire doit arrêter de fermer les yeux. Si rien n'est fait, les cours de promenade vont devenir le berceau de la future djihad, une succursale où les prêches les plus enflammés sont actuellement enseignés. Le contexte même de la prison les aide énormément. Tel que la misère sociale, la dureté de la prison, l'abandon de certains par leurs proches, ce qui fait que les détenus deviennent beaucoup plus réceptifs aux thèses provocantes de ces fous furieux. (...)

Dans le registre des conversions, il y a ce jeune Cap-Verdien qui est incarcéré pour meurtre. Il a vingt-six ans, il est resté quatre semaines à notre étage avant de changer de bâtiment. Cela fait quatre années qu'il est incarcéré, il s'est converti il y a quelques semaines. Depuis ce jour, il porte un prénom oriental, beaucoup de détenus parlent de lui, dont A et B, qui font de lui un modèle à suivre. C'est une victoire pour la cause qu'ils défendent. Toujours dans le registre des conversions, A parle régulièrement avec un détenu d'un autre bâtiment, il a une trentaine d'années, c'est un Français de souche. Un jour, A m'appelle pour me le présenter par un prénom oriental, il enchaîne pour me dire que ce jeune frère vient aussi de se convertir à l'islam. A en est vraiment fier, car il a Suvré pour ce résultat. A me dit aussi : "Regarde, lui, c'est un Français, et il apprend l'arabe, il fait la prière, c'est devenu un vrai musulman, c'est cela que tu devrais faire toi aussi, au lieu d'apprendre les mathématiques et le français."

Je lui ai répondu "Inch Allah" (Si Dieu veut).

Dans les jours qui ont suivi, j'ai cherché à me renseigner sur ce nouveau fou pour en savoir plus. J'ai appris qu'il était incarcéré pour une affaire de viol, il a été condamné à huit ans d'emprisonnement, ce délit est très mal vu en prison. Certains détenus leur font la chasse, surtout s'ils sont français de souche, vieux et isolés.

Les islamistes ont très bien compris qu'il ne fallait surtout pas faire de différence dans les délits, de façon à pouvoir recruter tous les mécontents et ce, le plus largement possible. (...)

Tous les soirs, il y a cinq détenus qui se retrouvent à la fenêtre pour écouter et poser des questions à A et B, qui en profitent pour faire passer leurs messages subversifs, haineux. Ils incitent tout le monde à s'engager avec eux. Ces discussions démarrent vers 20 heures pour finir aux alentours de 23 heures. Il m'arrive souvent d'écouter ce qui y est dit, ils répètent souvent que les musulmans de France ont appris un islam à la française, qu'ils comparent à du somnifère. Ils disent qu'un vrai musulman n'a pas le droit de se marier avec des juives ou des chrétiennes. Ils fustigent le haut conseil à l'intégration, où siège Abdel Benazzi, Français d'origine marocaine et capitaine de l'équipe de France de rugby. (...)

Un matin, A est appelé par le chef du bâtiment. Il lui a été dit qu'il fallait arrêter de faire du prosélytisme dans la prison sous peine d'être transféré. Quelques jours avant ça, il y a eu un accrochage dans la bibliothèque entre A et un détenu zaïrois, car, en s'y rendant, le Zaïrois s'est adressé au prêtre de la prison en l'appelant Mon Père (ce qui me paraît normal). A lui a fait la réflexion en lui disant qu'il ne devait pas l'appeler Mon Père, que c'étaient des imposteurs, j'en passe et des meilleures. Le Zaïrois lui a répliqué sèchement, en lui disant qu'il était chrétien et qu'il faisait ce qu'il voulait. Il y a eu une ambiance électrique, chacun restant sur ses positions, ils ne se sont plus jamais reparlé, et A entreprit tout ce qu'il put pour essayer d'isoler ce Zaïrois. (...)

Il est 1 heure de l'après-midi quand un surveillant vient ouvrir la cellule de A. Quelques secondes plus tard, il y a des cris de joie, il se met à sa fenêtre et crie "Allah Akbar" plusieurs fois. Il m'appelle et me dit qu'il est enfin libéré, il appelle d'autres détenus pour leur annoncer la nouvelle. Il explique très fort que c'est grâce à Allah, qui l'a décidé ainsi, il dit à B qu'il va aussi bientôt sortir et qu'il faut continuer le combat de l'intérieur. Il prend quelques coordonnées et promet de passer voir l'avocat de quelques-uns de ses frères. Il est heureux, vingt-six mois qu'il était incarcéré, c'est la cour d'appel qui l'a mis dehors et non son juge qui, lui, ne voulait pas. A a été libéré, B est passé au mitard avant de changer de cellule. Je peux vous dire que cela se ressent énormément, il n'y a pratiquement plus aucune discussion comme c'était le cas avant. Seulement, de temps à autre, il y a toujours des cris d'"Allah Akbar" par les fenêtres.

Voilà ce qu'il faudrait entreprendre pour faire en sorte qu'ils ne polluent plus les esprits, les transférer sans leur laisser le temps de s'installer à nouveau. Ce que je trouve rassurant, mais aussi très drôle, c'est que personne dans la cour ne se plaint de leur départ forcé. Ils ont même essuyé quelques critiques de la part de certains. (...)

Il y a bientôt deux ans que j'écris sur le sujet. J'aurai pu rajouter beaucoup d'autres anecdotes, mais j'ai voulu faire un condensé pour essayer d'expliquer la situation actuelle. Je précise qu'à aucun moment je n'ai voulu donner un cliché de l'islam en général. Ce que j'ai fait, c'est de dénoncer une secte très active dans les prisons, se revendiquant d'une religion qui n'a rien en commun avec l'islam.

Je termine par faire le voeu que, dans un avenir proche, il n'existera plus d'extrémistes quels qu'ils soient et où qu'ils soient.

 

SI DIEU LE VEUT

INCH ALLAH

L'auteur

Actuellement incarcéré pour une affaire de droit commun, l'auteur de ce témoignage, Français d'origine algérienne, a préféré garder l'anonymat pour des raisons de sécurité. Son récit, dont la rédaction du Monde détient une copie intégrale, a été quotidiennement écrit entre 1996 et 1998.

Il relate des scènes puisées dans plusieurs maisons d'arrêt de la région parisienne. Ce témoignage, dont les autorités judiciaires et pénitentiaires ont eu connaissance courant 2000, est parvenu au Monde début octobre. Après avoir été authentifié par la rédaction, il a été jugé suffisamment fondé pour être publié malgré son caractère anonyme.

" ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 31.10.01

(Le Monde) ajouté le 31/10/2001

Trouvé sur http://voxdei2.free.fr/infos Point Final - Informations chrétiennes et eschatologiques au quotidien.