Si des historiens recherchent des preuves pour étayer l'affirmation selon laquelle les relations internationales sont surtout déterminées par les intérêts et non par les sympathies personnelles, ils pourront les trouver dans les relations israélo-jordaniennes de ces derniers mois.
Au mois de mars, on a assisté à de fortes oscillations dans les relations entre Israël et le royaume de Jordanie. Le début du mois a été marqué par un refroidissement sans précédent des relations. Ensuite, il y a eu l'horrible attentat terroriste à la frontière israéIo-jordanienne. La fin du mois fut par contre placée sous le signe de la réconciliation et de l'entente, chacun ayant finalement admis que les intérêts mutuels étaient supérieurs à toute chose.
Les relations ont commencé à se détériorer sur un plan strictement personnel. Deux semaines à peine après la rencontre extrêmement chaleureuse de Amman (cf. article dans notre édition précédente), Benjamin Netanyahou et le Roi Hussein ont échangé des télégrammes de nature très peu diplomatique.
La détérioration des relations avait été déclenchée par le refus de Netanyahou d'accorder à l'avion royal une autorisation d'atterrir.
Le roi voulait en fait ramener Yasser Arafat à Gaza après une visite effectuée dans la capitale jordanienne Amman. Le refus israélien s'appuyait sur de nombreux motifs de sécurité, l'argument principal étant qu'Arafat ne pouvait effectuer des atterrissages indépendants sur le territoire de l'Autonomie palestinienne sans un contrôle israélien. Selon Israël, ce point devait faire l'objet d'un accord préalable avec les Palestiniens.
Cette décision avait, semble-t-il, profondément heurté le Roi Hussein, qui avait même envisage un instant de ramener Arafat à Gaza par avion, avec ou sans autorisation israélienne.
Toutefois, l'affaire de l'avion n'est que la goutte qui a fait déborder le vase.
Depuis quelque temps, le Roi Hussein avait accumulé beaucoup de rancoeur contre Netanyahou et son comportement. Cette rancoeur était due à des différences d'opinion politique et au fait que Netanyahou avait annoncé la décision de construire un quartier juif à Har-Homar au lendemain de sa visite en Jordanie. Ce faisant, il avait donné l'impression que cette décision bénéficiait de l'approbation du Roi Hussein.
Il s'ensuivit un télégramme dont le contenu a été jugé comme extrêmement dur par les milieux politiques. Dans ce télégramme, le Roi affirmait que le Premier ministre israélien détruisait le processus de paix et indiquait qu'il n'avait plus la moindre parcelle de confiance en Netanyahou.
En un télégramme de quatre pages, Hussein ruinait les relations entre la Jordanie et Israël et les efforts de paix qui avaient été entrepris ces dernières années au Proche-Orient. Il mentionnait également sa rencontre avec Netanyahou à Washington, où il avait rencontré l'actuel Premier ministre d'Israël pour parler de la mort de Yitzhak Rabin. Le roi avait alors qualifié Rabin «d'homme droit et honnête». A la suite des déclarations du roi, les deux Etats sont entrés dans la plus grande crise de l'histoire de leurs relations. Hussein a même mis en doute le fait que Netanyahou veuille vraiment la paix. Dans ce télégramme, il a également mis en garde contre les conséquences funestes du projet de construction à Har-Homar, et il a supplié Netanyahou de reporter ce projet.
Le contenu de ce télégramme et sa publication ont fortement nui à l'image de Benjamin Netanyahou qui, pour sa part, a réagi par un télégramme au ton extrêmement modéré. Le contenu de ce télégramme a également été diffusé par la presse israélienne: «Je ne cherche en aucun cas à vous irriter ou à vous décevoir», écrivait Netanyahou. «Je ne comprends pas votre agressivité à mon égard... Il nous appartient de maintenir nos intérêts historiques communs. je suis convaincu que nous pourrons réaliser cet objectif.»
Malgré sa réserve littéraire, Netanyahou n'a pas caché sa critique à l'égard de Hussein. La réaction acerbe qui a été publiée en son nom durant sa visite en Russie (voir article séparé) en témoigne: «Nous attendons une plus grande stabilité de la part de nos amis jordaniens. Selon moi, cette critique et ces accusations sont déplacées.» Ces propos ont presque déclenché un nouvel incident diplomatique, car un quotidien israélien les avait interprétés comme si Netanyahou mettait en doute la stabilité mentale du roi de Jordanie. Netanyahou a bien sûr démenti, mais le mal était fait.
Le ministre de la Défense, Yitzhak Mordechai, a pu se rendre compte lui-même lors de sa visite à Amman de l'étendue des dégâts et du profond ressentiment à l'égard de Netanyahou. Selon les communiqués de presse israéliens, Mordechai a été très chaleureusement accueilli par les responsables gouvernementaux de Jordanie et a réussi à nouer de bons contacts avec le roi. Néanmoins, le ministre de la Défense et son conseiller israélien ont dû essuyer les vives critiques émises par le Premier ministre jordanien, Abdel Karim. Celui-ci a notamment déclaré que «chacune des visites de Netanyahou en Jordanie amenait son lot de mauvaises nouvelles».
Ces paroles critiques ont été publiées par la presse jordanienne et ont manifestement laissé des traces dans les esprits de la population locale. Le royaume asmonéen (la majorité de la population, contrairement à la famille royale, n'est pas favorable à Israël) a adopté une attitude hostile à l'égard d'Israël, A la suite de ce changement d'atmosphère, les relations entre Hussein et Netanyahou ont également repris un caractère normal. Le Premier ministre israélien a accompagné le roi de Jordanie durant toute sa visite. Il s'est également rendu avec lui à l'hôpital Hadassah de Jérusalem, où il a rendu visite aux victimes blessées et au Président Weizmann, hospitalisé en raison d'une fracture de la jambe. Toutes ces visites se sont étendues sur plusieurs heures durant lesquelles Hussein et Netanyahou ont pu s'expliquer sur les motifs de leur discorde. Vues de l'extérieur en tout cas, les relations personnelles entre les deux hommes d'Etat qui semblaient très perturbées ont paru meilleures. En fin de journée, à l'issue d'une réunion politique, ils ont donné ensemble une conférence de presse au cours de laquelle Hussein a renouvelé ses mises en garde concernant le projet de construction à Har-Homar. Le message de cette conférence était que les relations entre Israël et la Jordanie étaient totalement rétablies, malgré les différends personnels et malgré le massacre.
Commentaire: Rien de neuf sous le soleil: déjà à l'époque d'Abraham, lorsque le père d'Israël vivait avec Lot, le père de la Jordanie, les difficultés furent telles qu'ils se séparèrent (cf. Genèse, 13). Il est dit en Genèse 13, 7: Il y eut querelle entre les bergers des troupeaux d' Abram et les bergers des troupeaux de Lot. »
Abraham et Lot étaient bons amis, mais pas les membres des deux grandes familles. Aujourd'hui aussi, une majeure partie du peuple jordanien, comme notre correspondant Zwi Lida l'écrit, est hostile à Israël. L'inverse est vrai également: de nombreux Israéliens ne font pas confiance aux jordaniens. Cette hostilité entre les deux peuples s'est à nouveau exprimée lorsqu'un soldat jordanien a tué sept jeunes filles israéliennes. Seule la famille royale de Jordanie s'est montrée aimable avec le peuple juif.
Les parallèles vont même plus loin: lorsque Lot et sa famille ont été faits prisonniers par l'ennemi, Abraham les a libérés, et l'ennemi a frappé (cf. Genèse 14, 1-17). Il en va de même aujourd'hui: Israël a de nouveau aidé le roi lorsqu'il était en danger (ces faits ne sont pas officiellement connus). Il y a quelques années, lorsque la Syrie a voulu attaquer la Jordanie, ce sont les Israéliens qui ont stoppé les Syriens en les menaçant de représailles militaires. Cela a véritablement sauvé Hussein, car les Syriens étaient beaucoup plus forts que lui. Cela, le roi de Jordanie ne l'a jamais oublié même s'il ne le dit pas officiellement. Quoi qu'il en soit, il y a toujours eu une relation particulière entre les deux peuples, même si la véritable paix ne s'établira que sous la souveraineté bénie du Messie.
CM
Nouvelles d'Israël 05 / 1997