Un passé moderne
Fiction historique ou Musée Grévin vivant? À côté de médias à sensation et d'exploitation touristique USA, voilà enfin le Tricentenaire Amish, célébré à Ste-Marie-aux-Mines (68 Alsace) en 1993 par 200 inscrits, pendant 4 jours. En effet, l'anabaptisme mennonite amish, - issu essentiellement de la Réforme Radicale de Zurich au 16e siècle, - est parti de Markirch (Ste-Marie) sous l'impulsion stricte et conservatrice de Jacob Ammann (1644-1730) dit Amy, d'où «amish», plutôt qu'ammanite!
Les plus intrigués sont les habitants, car en Europe il n'y a plus d'Amish (sauf quelques pionniers nouveaux, loin d'ici). Ils seraient un corps étranger dans leur lieu d'origine. En Pennsylvanie, USA, surtout, ils ont trouvé le meilleur asile pour perpétuer leur «ethnie menno-amish ». Du reste, c'est un colloque sur les Amish, plutôt qu'un colloque Amish. Félicitations à l'initiatrice, la pourtant modeste Association Française d'Histoire Anabaptiste-Mennonite. Malgré l'absence d'Amish purs et durs, proscrivant l'avion, 55 Américains dont quelques Beachy-amish sont des nôtres, minoritaires mais missionnaires à travers le monde.
Il valait la peine de tenter d'élucider le mystère d'un apartheid de 5000 âmes au début du siècle, passé à 150000 en dépit de tout pronostic contraire: phénomène unique dans l'histoire moderne. Alors que dans nos latitudes les Mennonites évolués stagnent. L'Exposition est originale: documents historiques rares, généalogies, littérature attrayante, très bien vendue, artisanat, quilts valant jusqu'à 24000 FF (dessus de lit par assemblage de chutes de tissus, patchwork). Vingt spécialistes, même catholiques, font apparaître une étonnante actualité grâce au croisement d'Histoire, de Sociologie, d'Ecologie, d'Agriculture, d'Élevage, avec un biblicisme sous-jacent. Grâce à des données nouvelles, fouilles archéologiques, identifications architecturales (Täuferturm, tour des Anabaptistes, à Riquewihr) on saisit mieux les clés de leurs remarquables réussites.
Un passé passé
La belle vallée vosgienne de Ste-Marie-aux-Mines, jadis dédiée à Marie-Madeleine, est coupée en deux par les bouillons de la Lièpvre. Dés 1399 la rive droite est alémanique, Alsace, - la gauche romane, Lorraine, les noms de lieux toujours bilingues en ce point de passage entre les deux provinces. Premier refuge anabaptiste de l'actuelle France, avant même l'afflux des persécutés bernois, des confrères strasbourgeois sont signalés sur la rive alémanique, celle de leur propre langue. Ensemble ils atteindront un tiers d'une population souvent hostile, catholique, protestante, avec, temporairement, des Huguenots évitant les galères, les protestants étant persécutés ou persécuteurs selon les lieux. En réalité deux grands malheurs se conjuguent pour leur implantation : la persécution suisse et la guerre de 30 ans dont il s'agit de réparer dévastations et dépeuplement. Vite identifiés par les autorités comme élite travailleuse, compétente, honnête, droite, hospitalière et charitable, ils tiennent même leurs petites écoles.
Fraternité évangélique réservée à l'écart du monde, se méfiant des nouveautés, ils préfèrent les agrafes aux nouveaux boutons, ainsi que le costume des paysans bernois. Les hommes laissent pousser la barbe; les femmes aux robes simples, toutes semblables, portent les cheveux longs, et en permanence coiffe blanche. Le culte (Gmee, ou Gemee) dure jusqu'à 4 heures, suivi d'un repas en commun. Les instruments de musique sont réservés hors culte. Calomniés par tous : protestants, catholiques (Bossuet, abbé Grégoire), Philosophes, Encyclopédie, Dictionnaire de Bayle, ils sont guettés aussi par un mal interne, l'enrichissement, cause de relâchement spirituel.
Jacob Ammann 1644-1730
Ce second rénovateur anabaptiste, un bon siècle après Menno Simons, est un Suisse réfugié à Ste-Marie. Sa longue devise se lit dans 1 Jean 2 : 1 5-1 6 : « N'aimez point le monde . .. ». Mais on ignore s'il sait écrire. De même les premiers « frères » furent tôt privés, par leurs persécuteurs, de leurs docteurs versés en Écritures Saintes. Face à la mondanisation, à l'indiscipline, à des fréquentations du temple protestant, il apparaît animé d'un intégrisme axé, non sur la spontanéité égalitaire de leurs débuts au 16e siècle, mais sur le 17e déjà évolué (moderne en son temps!). Un biblicisme parfois arbitraire, subjectif ou illuministe lui fait exagérer le lavement des pieds, l'excommunication (Meidung), la barbe sans moustache, les agrafes, ce qui finira par séparer les agrafés (Häfteltäufer) des boutonnés (Knöpfeltäufer).*Le schisme prend forme entre 1693 et 1697, surtout en Alsace et Lorraine, où la pratique amish ne disparaîtra que début du 20e siècle. La dernière trace d'Ammann se perd à Zellwiller (67) près Barr, dont la forêt « Hintere Wald » comprend Le Hohwald actuel avec son antique cimetière anabaptiste. Par la suite le refus du serment et de l'armée en fera émigrer beaucoup vers l'Amérique. Les restants s'accultureront assez généralement, avec quelques tentations vers le matérialisme, l'occultisme, le multitudinisme, les mariages mixtes, mais aussi des réveils.
Le présent américain
Le relais est avantageusement assuré, comme par une machine à remonter le temps. Monument vivant de la fidélité divine et humaine, en apparence figé, mais en pleine expansion. Une haute moralité est fondée sur les 4 Evangiles au détriment de l'enseignement des Apôtres. On y chante dans la 13e édition de cantiques allemande, 895 pages de 1564, composée en partie par des martyrs en prisons du vieux monde. Les prédications sont figées, mais en dix ans 330 nouvelles églises sont nées. On évangélise par la vie, non par des campagnes. C'est un monde clos en miniature, mais au rendement agricole égal ou supérieur à celui des installations sophistiquées. Avec des procédés archaïques ils comptent énormément de jeunes ; à 18 ans ils partent, mais pour revenir à 80%. Jardin d'essai d'un reconstructionisme, même si la transposition dans le monde profane est utopique. On y est à l'abri de dangers mennonites comme la haute-critique biblique, la mondanité, le féminisme, l'individualisme, le charismatisme, l'occultisme, le stress et les progrès asservissants, paraît-il. Pourtant, a-t-on dit, ils «gavent une société de consommation qu'ils fuient pourtant comme le diable».
Une interpellation
Malgré carences et excès ultérieurs, l'histoire finit par reconnaître les racines foncièrement bibliques des anabaptistes-menno-amish. Alors qu'à l'inverse l'image d'un Luther se ternit. Quel est finalement le plus hérétique? Au culte de clôture, un pasteur protestant, dans ce grand temple contemporain daté de 1638, souligne le côte à côte des ex-persécutés et des ex-persécuteurs. Du haut d'une galerie un évêque amish nous fait entonner par coeur, et par le coeur, «Gott ist die Liebe» (Dieu est amour. Le Seigneur m'aime). Et c'est avec la paix, la dominante de leur message. Du reste, ne sont-ils pas tous intégristes, avec plus ou moins de fondamentalisme:
Les Amish se référant au 17e siècle, les protestants au 16e, Rome au Moyen-Age ? A tous disons: Montez plus haut! Mais aujourd'hui l'Amish nous interpelle, nous qui vivons mal notre modernité. Il diagnostique notre réalité. Très proche de la Bible et de la Création, ces deux plus grandes sources de révélation -, il nous invite: N'aimez pas le monde, mais respectez le monde, la Création, aussi en vous-mêmes.
Le succès est dû entre autres à son authenticité, loin de l'opportunisme spirituel si courant de nos jours. Entre un Mennonite libéral et féministe allant prier avec le Pape à Assise, et un Mennonite-Amish conservateur, il doit y avoir une 3e voie, par la grâce de Dieu. Merci quand même à Jacob Ammann !
Charles Hoffmann
* Martin & Lienhart, Wörterbuch der elsässischen Mundarten, T. 2. p. 655.
Une nouvelle version du Nouveau Testament vient en paraître en « Pennsylvania Deitsh », langage traditionnel des Amish, proche du dialecte parlé dans la province allemande du Palatinat (Pfalz).
La Bonne Nouvelle 2/95
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