Quand les réformés s'intéressent aux évangéliques !

 

La Fédération des Eglises Protestantes de la Suisse (FEPS) a publié en un cahier de 12 pages le texte d'une conférence donnée par Heinz Ruegger¥ lors d'une journée de formation pour prêtres et pasteurs du groupe de travail oecuménique « Nouveaux mouvements religieux en Suisse». Cette brochure est titrée « Les évangéliques » avec le sous-titre « Un défi pour les Eglises multitudinistes». L'auteur distingue plusieurs types d'évangéliques :

 

1) Le fondamentaliste, fondé sur l'inerrance de la Bible à tendance anti-communiste, anti-catholique et anti-oecuménique.

2) Le type classique, à profil non-fondamentaliste tel qu'on le trouve dans l'Alliance Evangélique animée dès son origine d'un esprit oecuménique, cristallisé, par exemple, autour de la personne de Billy Graham (Congrès d'évangélisation Lausanne 1974).

3) Le type à orientation sociale fortement représenté chez les évangéliques du Tiers-monde (René Padilla, Samuel Escobar) avec une dimension oecuménique et politique très prononcée. (Théologie de la libération).

4) Le type pentecôtiste charismatique, en remarquant que les groupes pentecôtistes ont choisi la séparation et que leur théologie est plutôt fondamentaliste et anti-oecuménique, ce qui n'a pas empêché certains d'entrer officiellement en dialogue avec Rome. Les courants charismatiques, par contre, traversent les différentes confessions avec une grande ouverture.

 

Heinz Ruegger fait encore remarquer qu'il y a aussi des évangéliques au sein des églises réformées et qu'il est indispensable de prendre cette mouvance au sérieux. Il voit dans le traditionalisme catholique des similitudes avec la mouvance évangélique-fondamentaliste, les uns et les autres défendant, par exemple, une morale conservatrice assez stricte, les uns et les autres se soumettant à une autorité supérieure infaillible, que ce soit celle du pape, ou celle de la Bible. Nous pensons toutefois que ces deux autorités ne sont en réalité pas comparables. Celle du pape se fonde sur sa prétention d'être ici-bas le représentant de Dieu ou le vicaire du Christ, alors que l'autorité de la Bible lui vient de son auteur même, parce qu'elle est Parole de Dieu.

 

Par ailleurs H. Ruegger signale que de nombreux catholiques sont engagés dans des mouvements évangéliques, même à plein temps, comme par exemple dans les «Groupes Bibliques Universitaires» (GBU) ou dans « Campus pour Christ ». L'auteur relève aussi que la culture moderne des jeunes chrétiens (rock, pop, gospel, danse, mime, etc.) est pratiquement exclusivement du type évangélique. Il constate d'autre part que les Eglises nationales, à force de vouloir être pluralistes, n'ont plus de contour défini, alors que les évangéliques offrent des réponses claires aux questions existentielles que les gens se posent. C'est, dit-il, le christianisme engagé des évangéliques, leur grand intérêt missionnaire et leur accueil chaleureux qui sont attractifs. Cette approche nous semble assez honnête et équilibrée, ce qui contraste singulièrement avec d'autres présentations qui rabaissent plutôt les évangéliques, jusqu'à en faire des sectaires.2 Mais H. Ruegger relève quand même ce qui lui apparaît comme des faiblesses chez les évangéliques : des pressions psychologiques pour obtenir des conversions, une vision dualiste du monde (les bons et les méchants, les croyants et les incroyants), un système étroit de normes morales (par exemple : l'attitude face aux homosexuels) et une adhésion aveugle à des énoncés doctrinaux indiscutables. Il y a certainement des faiblesses chez les évangéliques et peut-être de plus graves que celles relevées par H. Ruegger. Mais dans les milieux évangéliques que nous connaissons on n'est généralement pas du tout favorable aux pressions psychologiques ou à l'adhésion aveugle à des énoncés doctrinaux, tandis que la distinction entre croyants et incroyants nous paraît bibliquement bien fondée. Au niveau éthique nous devons aussi nous en tenir à ce que dit l'Ecriture au sujet de l'homosexualité et autres péchés qu'elle dénonce formellement. H. Ruegger parle de l'incapacité des évangéliques du type fondamentaliste d'entretenir des relations oecuméniques avec des chrétiens qui pensent autrement qu'eux. Il n'a apparemment pas compris qu'il s'agissait là plutôt de fidélité aux principes bibliques empêchant ces évangéliques de s'engager dans des relations oecuméniques avec des personnes et des mouvements qui ont plus ou moins abandonné les fondements scripturaires et qui poussent leur oecuménisme jusqu'à entrer en relation avec des religions non chrétiennes.

 

Pour conclure l'auteur de cet exposé déclare qu'à son avis le mouvement évangélique est surtout un défi pour les églises multitudinistes et en particulier pour les réformés. Pour les évangéliques il s'agit néanmoins d'être prudents, car si les protestants oecuméniques ont changé de ton, c'est qu'ils ont constaté que la moitié des protestants pratiquants de notre planète sont de tendance évangélique et que c'est là une raison suffisante pour chercher à entrer en dialogue avec cette mouvance. Mais dans quel but ? Alors que les protestants se rapprochent également des catholiques et qu'ensemble ils entrent de plus en plus en contact avec les religions non chrétiennes (juifs, musulmans, bouddhistes, etc.), on s'avance lentement, mais sûrement, vers des fusions dans la confusion. Or, les évangéliques perdraient leur identité et leur raison d'être s'ils se laissaient entraîner dans cette direction. Il est à craindre que certains évangéliques prendront ce chemin - il en est qui l'ont déjà pris - sans réaliser où il les mènera, parce qu'ils se font des illusions et qu'il leur est agréable de ne plus être traités de sectaires, étant enfin reconnus comme des interlocuteurs valables. Nous espérons que beaucoup d'autres ne s'engageront pas dans cette voie, même s'ils devaient être mal jugés. Répétons ici ce que nous disions déjà ailleurs:

 

« VEILLONS AUX PETITS COMMENCEMENTS

POUR EVITER LES GRANDS EGAREMENTS »

 

J. Hoffmann

La Bonne Nouvelle 2/97

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