Le temple de Salomon et la tradition maçonnique

 

 


Tout le monde sait que les francs-maçons emploient, dans leurs assemblées - ils disent i( tenues » ' un langage mystérieux, emprunté à celui des maçons bâtisseurs et, singularité plus curieuse, évoquant l'érection du' Temple de Salomon. On croit communément que la franc-maçonnerie remonte jusqu'à cette lointaine époque. Qu'en est-il au juste? On va le dire à grands traits. Et, pour ne pas donner dans la controverse, en tenant compte de données fournies par les seuls « maçons », mais historiens sérieux comme, par exemple, le vénérable Marius Lepage, de la loge de Laval qui a naguère invité le R. P. Riquet à parler devant ses « frères ».

Dans la légende maçonnique, comme dans la tradition même biblique, explique clairement cet auteur, Adam est lui le grand « ancêtre » des initiés : il « enseigna la géométrie à ses fils » or, la géométrie, base de l'architecture, est science divine par essence. Pouvait-on rêver plus noble origine? Dans la lignée traditionnelle qui en est issue, Noé et ses fils tiennent encore une place de choix : parce qu'ils reçurent de Dieu l'ordre de construire une arche - symbole de fraternité - laquelle fut elle aussi agencée selon les règles de la fameuse géométrie. Enfin apparut ce que Marius Lepage appelle la légende d'Hiram. Celle-ci devait marquer définitivement,ou presque, tout le langage et le rituel - on dit le « tuilier » - de la franc-maçonnerie.

Pourquoi cette référence à Hiram? Passons de la légende à l'histoire : la franc-maçonnerie est née de l'habitude qu'avaient certains esprits « libres » de se réunir dans les loges, autrement dit les ateliers des maçons bâtisseurs.

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L'histoire de la légende

Pourquoi encore? Parce que les bâtisseurs formaient, sans aucun doute, une des corporations d'autrefois les plus soudées et les plus fraternelles. Un maçon de jadis était un errant. Il allait de chantier en chantier. Il était donc nécessaire qu'il soit sûr de trouver partout bon accueil, mais avait à se faire reconnaître de ses pairs, soucieux d'éviter les intrus, par certains signes ou paroles connus d'eux seuls. En somme, par obligation professionnelle, La maçonnerie était devenue une sorte de société secrète; et d'autant plus secrète que l'art architectural d'alors était fait de traditions orales et de « trucs » que les bâtisseurs se transmettaient religieusement de génération en génération. D'autres corporations, telle celle des orfèvres étaient aussi fermées; mais elles étaient sédentaires, ce qui leur ôtait du mystère, et surtout la nécessité même d'être mystérieuses.

Les « maçons » qui n'étaient pas des maçons - on les appellera «maçons spéculatifs» - jouèrent, il faut bien le dire, à épaissir le « secret » de leurs propres réunions. Non seulement ils adoptèrent le langage professionnel des bâtisseurs, mais l'élargirent à tout un domaine sans rapport direct avec l'art de construire. C'est ainsi que Dieu par exemple devint pour eux « le grand architecte ». Et puis ils s'inventèrent des ascendants prestigieux, car les XVII, et XVIlle siècles, époque où naquit vraiment la franc-maçonnerie, furent un temps où les généalogies mythiques étaient fort à la mode. Louis XIV ne descendait-il pas d'Hercule?

Rien, alors, ne leur parut plus remarquable, s'agissant d'architecture, que le Temple bâti par Salomon pour y abriter l'Arche d'Alliance. Les francs-maçons décidèrent donc que l'ordre maçonnique avait été créé par Hiram, « architecte » de ce temple fameux. Curieusement, à vrai dire, car aucun des deux Hiram qui participèrent à l'érection du Temple de Salomon n'était architecte ! L'un, roi de Tyr, aida matériellement et financièrement le roi des Juifs. L'autre, originaire aussi de Tyr, n'était qu'un bronzier de grand talent : « Le roi Salomon envoya aussi chercher Hiram, de Tyr... // était plein de science pour exécuter toute oeuvre de bronze » (1 Rois, c.7, v. 13 - 14).

En dépit de cette approximation, les francs-maçons s'en tinrent à cet ancêtre,moins lointain qu'Adam ou Noé. Et comme cet Hiram est dit dans les livres sacrés « fils d'une veuve », eux-mêmes s'appelèrent les fils de la veuve. Puis, s'inspirant de l'oeuvre attribuée à cet orphelin, ils bâtirent leurs loges sur le modèle, réduit et plus ou moins volontairement interprété, du Temple de Salomon. Toute loge possède notamment les deux colonnes à l'image de celles que Salomon fil placer à l'entrée de son Temple, deux colonnes aux noms quelque peu obscurs : Yakin (ou Jakin) et Beaz, qui semblent signifier solidité et force.

On trouve aussi dans le lexique imagé des « maçons » des expressions qui se veulent de cette même origine. On n'en donnera qu'un exemple : quand un maçon est en péril, quand l'idéal maçonnique parait en danger, les initiés placent leurs mains au-dessus de leur tête, les avant-bras en forme de triangle ou de toit (encore que le Temple de Salomon ait été probablement couvert d'un toit plat comme toutes les constructions du Proche-Orient) et disent « // pleut sur le Temple ! »

Dans l'histoire légendaire de la franc-maçonnerie, il est une autre voie par laquelle on a voulu faire passer l'influence du Temple salomonien sur l'ordre maçonnique : après la dissolution décidée en 1312 par le pape Clément V, à l'instigation de Philippe le Bel, roi de France, de l'ordre militaire et religieux du Temple, on a raconté, sans aucune preuve sérieuse, que les « templiers » échappés au massacre s'étaient réfugiés dans les ateliers de bâtisseurs. Et si bien que des historiens imaginatifs ont soutenu que l'ordre maçonnique était l'héritier du grand ordre chevaleresque. Outre que cette hypothèse n'est pas fondée sur des faits contrôlés par l'histoire, la vraisemblance s'y oppose : l'ordre des Templiers était un ordre aristocratique; n'y entraient que de grands seigneurs; la franc-maçonnerie, elle, se veut un ordre ouvert. Au reste, l'ordre du Temple ne devait rien à Salomon ni aux deux Hiram. Il tenait son nom d'avoir eu son premier établissement, au temps des Croisades, près des ruines du Temple de Jérusalem.

Mais le plus étrange de l'affaire n'est-il pas d'avoir vu, tout au moins en France, et avec le Grand Orient, la franc-maçonnerie se réclamer d'un Temple bâti pour la gloire de Dieu, elle qui a joué un rôle éminent contre la foi? Il est vrai, et il faut le signaler en toute justice, que d'autres francs-maçons, réunis dans d'autres obédiences, ont renoué avec l'esprit spiritualiste de l'ancienne maçonnerie. Ceux-ci travaillent pendant leurs « tenues », devant une Bible ouverte, en général sur la première page de l'Évangile selon saint Jean.

Ph. de CLINCHAMPS

En ce temps-là, la Bible No 50 pages II-III.

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