J'ai lu, dans «Semailles et moissons + VIVRE», le ballon d'essai lancé par le pasteur Jean-Jacques Beljean, président du Conseil synodal de I'EREN1*. Les Évangéliques pourraient être reconnus par l'Etat de Neuchâtel, s'ils le souhaitent. À première vue, l'initiative est sympathique. Sans être un bouleversement fondamental, on se dit que cette reconnaissance contribuerait à améliorer les relations parfois difficiles entre les différentes communautés. D'autre part, une reconnaissance officielle diminuerait la méfiance instinctive du public face à nos petites Eglises et nous démarquerait de mouvements religieux dangereux comme l'Ordre du Temple solaire. L'accès de nos pasteurs, dans les institutions hospitalières, les prisons, les écoles et les manifestations publiques où la présence d'un ecclésiastique est requise serait facilité. Ce serait semble-t-il une porte ouverte à l'évangélisation d'un plus grand nombre et une occasion d'être mieux connus et sous un meilleur jour dans tous les milieux.
Aussi longtemps que nous vivons sur cette terre, nous sommes confrontés à des choix. Nous le voyons bien lors des votations, il est de plus en plus difficile de se déterminer, car souvent nous ne connaissons pas la situation qui résultera de l'option préférée. Elle comporte immanquablement des avantages et des inconvénients. Les avantages sont connus et peut-être illusoires, les inconvénients apparaissent souvent plus tard et on ne peut que les prévoir approximativement en se trompant dans un sens ou dans un autre.
Bribes d'histoire
Pascal a écrit: « Bel état de l'Église quand il n'est soutenu que de Dieu seul». On admet généralement dans tous les milieux évangéliques que la reconnaissance du christianisme comme religion d'État par Constantin a été le début d'une décadence qui aboutit à la Réformation largement souhaitée, mais pas toujours acceptée. Les Réformateurs eux-mêmes n'ont pas eu la volonté, les moyens ou le temps de séparer totalement l'Église et l'État et ils continuèrent à lier ces deux entités en cherchant parfois comme Calvin à créer une cité chrétienne. Ce fut un des points importants du Réveil de Genève que la création de communautés totalement indépendantes de l'Etat. L'adjectif « libre» qui caractérise nos Églises2*exprime précisément cette volonté de séparation. Cela ne signifie nullement que nous dénions à l'Etat le rôle important que Dieu lui a confié et que Jésus-Christ a confirmé en disant: Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. (Mat. 22: 21) C'est pourquoi, dans nos Églises libres, plusieurs de nos membres ont eu une part active comme serviteurs de l'Etat. Citons entre autres Aimé Humbert, membre du premier Conseil d'État après la révolution de 1848 et plus près de nous, Rolf Graber ancien Maire du Locle, Conseiller national et membre du grand Conseil, ou l'actuel Président de notre Fédération, Jean-Claude Barbezat qui fut premier magistrat de la République neuchâteloise.
Cet engagement politique des membres est reconnu et apprécié, mais il n'implique pas de lien entre Église et État. Ce sont deux entités voulues de Dieu, l'une, l'Etat pour maintenir un certain ordre dans la dispensation provisoire actuelle, l'autre, l'Église, expression d'un Royaume qui n'est pas de ce monde mais dont la manifestation glorieuse apparaîtra au retour de Jésus-Christ. Ceci étant admis, l'Eglise a-t-elle besoin de la reconnaissance de l'État?
Reconnaissance, oui ou non?
Dans un État démocratique, la reconnaissance de l'État est implicite dans la mesure où la liberté de conscience et d'opinion est garantie par la constitution. La reconnaissance officielle d'une partie des Eglises est contraire au principe d'égalité. Elle est une survivance d'un fait historique qui n'est pas gênant quand il ne constitue pas un privilège exorbitant ou si l'État leur confie un certain nombre de services qu'il ne veut ou ne peut faire lui-même. Il est alors normal que dans ce cas, l'Etat demande des garanties formelles. Par exemple, l'instruction religieuse dans le cadre de l'école ne doit pas être subversive. Dans un Etat réputé laïque, mais majoritairement musulman, comme par exemple la Turquie, l'enseignement religieux ne sera jamais confié aux Églises.
Dans nos démocraties d'origine chrétienne, l'éthique judéo-chrétienne est contestée et les lois s'écartent de plus en plus de l'enseignement biblique. L'adultère n'est plus interdit par la loi de l'État, ni le concubinage, ni même l'homosexualité. C'est pourquoi la lutte contre la pédophilie est un combat d'arrière-garde perdu d'avance. Le laxisme, face à la drogue est de mise. Lorsque la loi devient impuissante à réprimer un vice, l'État le légalise. La violence, même dans les écoles, est devenue un fait de société avec lequel il faut vivre.
Dans ce contexte, il est moins que jamais souhaitable que l'Église recherche la reconnaissance de l'État. Elle y perdrait volontairement son indépendance et la liberté de crier « casse-cou ».
Si l'Europe et la Suisse continuent dans cette direction, nous finirons par vivre un jour ce que l'Allemagne a connu dans les années trente, un gouvernement méprisé et impuissant face à la montée de la violence, du chômage et de la démoralisation. Cette dangereuse situation appellerait le recours à un « leader charismatique» pour rétablir l'ordre. Leader dont Hitler et Staline ont été des prototypes.
Un scénario possible.
Le règlement d'application pour être reconnu par !'Etat n'est pas établi. Nous ne connaissons pas les exigences qu'il comportera. Dans un premier temps, elles seront sans doute assez petites pour ne pas effaroucher les Évangéliques dont on souhaite une meilleure collaboration, quitte à introduire progressivement d'autres sollicitations. Il est toutefois déjà précisé que cette reconnaissance pourra également s'adresser à des groupes musulmans et bouddhistes. On peut d'ores et déjà prédire que la reconnaissance de l'Etat n'est pas une garantie contre la confusion religieuse, bien au contraire! D'ailleurs, comment l'Etat, dont ce n'est pas le rôle, pourrait-il faire un tri ? Ses critères ne peuvent être religieux. Mais alors que seront-ils? Le plus probable, c'est que l'Etat confiera à une commission composée d'ecclésiastiques des Églises déjà reconnues, le soin de définir la norme à appliquer. On peut s'attendre à ce que les Églises qui ne reconnaissent que l'Ecriture Sainte comme norme de foi et de vie et qui sont déjà qualifiées de fondamentalistes et d'intégristes ne soient guère appréciées. Toutefois, il serait de bonne guerre de ne pas les décourager au premier abord pour pouvoir, petit à petit, grignoter leur résistance et leur particularisme. On sait qu'une grenouille vivante, jetée dans une casserole d'eau chaude s'échappe instantanément, mais si on la met dans une casserole d'eau tempérée placée ensuite sur le feu, elle se laissera cuire vivante sans réagir car elle s'habitue à l'élévation progressive de la température. C'est pourquoi, il est plus sage de ne pas se laisser mettre dans la casserole, si accueillante soit elle ; ceci d'autant plus que le projet d'ouverture va dans le sens souhaité par le Conseil oecuménique des Églises, selon une information transmise par le service de presse protestant du 12 décembre 1996 dont voici quelques extraits :
Information du Conseil oecuménique des Eglises.
Le Conseil oecuménique des Églises envisage d'apporter des changements fondamentaux à sa structure, entre autres de mettre en place un nouveau «forum oecuménique» qui pourrait inclure la participation de l'Eglise catholique romaine et d'autres Eglises qui ne sont pas membres du COE. [...] Selon le projet, «toutes les Églises chrétiennes pourraient être invitées à déclarer solennellement leur intention de faire progresser leurs relations jusqu'à ce que puisse se tenir un concile oecuménique de l'Eglise tout entière de Jésus-Christ, au sens de l'Eglise ancienne indivise». Cette déclaration aurait lieu lors d'un acte commun, en l'an 2000, destiné à célébrer l'unité de l'Église comme don et vocation. [...] Ce forum pourrait comprendre l'Église catholique romaine et des organismes évangéliques qui ne sont pas membres du COE.
Affaiblissement des Évangéliques
La reconnaissance par l'État des Évangéliques qui le voudront bien les affaiblira dans l'ensemble, car il est facile de présumer que plusieurs communautés évangéliques n'accepteront pas l'offre. Il y aura alors des Évangéliques reconnus et d'autres qui ne le seront pas. Le fossé ne sera plus entre Églises traditionnelles multitudinistes et Eglises évangéliques de professants, mais entre Églises reconnues et Églises non reconnues indépendamment des doctrines professées puisque les musulmans pourront être reconnus. La confusion sera plus grande qu'aujourd'hui mais on peut déjà prévoir qui sera classé parmi les sectes !
Et qu'arrivera-t-il si dans la Fédération, une Église accepte l'intégration et l'autre pas?
Toutes ces considérations me poussent à dire résolument non au ballon d'essai qui nous est proposé, même si pour cela, nous devons renoncer aux avantages qui y sont liés.
J.-C. NICOLET ancien rédacteur de VIVRE
1Église Réformée Évangélique du Canton de Neuchâtel.
2Il s'agit des églises de la « Fédération des Eglises Evangéliques Libres» (FEEL) de Suisse romande.
La Bonne Nouvelle 1/98
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