Un fichier pour des évangéliques non sectaires ?

 

Encore sous le choc des événements de Cheiry et de Salvan, où une quarantaine de personnes de la secte du «Temple du Soleil» ont trouvé la mort, des évangéliques ont voulu prendre leurs distances. Convoqués par Paul Ranc, diacre de l'Église réformée du canton de Vaud et spécialiste des sectes, 37 pasteurs et responsables d'églises et oeuvres évangéliques de Suisse romande se sont rencontrés le 8 décembre 1994 à l'Institut Biblique Emmaüs de St-Légier Vaud). Il leur fut proposé la constitution d'un fichier des églises et oeuvres évangéliques dans le but de les démarquer des sectes. Ce projet pourrait être réalisé sous forme d'un classeur qu'on remettrait aux journalistes et aux autorités civiles. L'idée, bonne en soi, pose quand même certains problèmes. Pour Paul Ranc la secte présente trois caractéristiques :

 

1. Elle est soumise à un chef absolu ou « gourou » qui a le monopole de la vérité...

2. On y exerce des pressions psychologiques sur les adeptes (techniques de persuasion)... .

3. L'argent y joue un rôle important... Il nous semble qu'ici deux remarques s'imposent :

a) La 2e et la 3e caractéristiques se retrouvent malheureusement aussi dans certains milieux qui passent pour être évangéliques.

b II manque deux autres signes distinctifs de la secte :

4. La secte professe de fausses doctrines (hérésies) et se livre à des pratiques incompatibles avec l'Ecriture.

5. La secte croit posséder seule toute la vérité et qu'il n'y a pas de salut en dehors d'elle.

 

Est-ce intentionnellement que ces deux derniers signes distinctifs fondamentaux ont été omis pour qu'on n'en vienne pas à considérer certains mouvements évangéliques et des églises multitudinistes comme des sectes ? Car il y a secte, dans le sens péjoratif du terme, partout où la Bible, Parole de Dieu, est supplantée, altérée ou remplacée par la parole de l'homme, que ce soit sous forme de traditions, d'enseignements, de pratiques ou de prétendues prophéties ou révélations. Il faut mettre en garde contre tout mouvement religieux, quelle que soit son importance, qui ajoute quelque chose à la Parole de Dieu, qui en retranche quelque chose (Apoc. 22 : 18-19) ou qui en tord manifestement le sens (II Pierre 3 : 16). On dénonce très justement la scientologie, Moon, les Témoins de Jéhova, etc., mais n'y a-t-il pas aussi secte dans les milieux nominalement chrétiens, où l'on professe ou accepte une théologie moderniste destructrice de la foi biblique, et là où l'expérience extatique ou euphorique prime sur ce que dit l'Ecriture? Il est d'autre part à craindre que des églises attachées à la Parole de Dieu, ne trouvant pas nécessaire de se faire « ficher », soient de ce fait considérées comme des sectes par des églises officielles et autres organisations beaucoup moins respectueuses des Ecritures, autrement dit, beaucoup plus sectaires elles-mêmes !

Il est aussi à craindre que des églises et oeuvres évangéliques non rattachées à la FREOE (« Fédération Romande des Églises et Oeuvres Évangéliques») subissent le même sort, son président n'a-t-il pas déclaré que l'on peut considérer comme « sectaires » ceux qui ne veulent pas devenir membres de la FREOE? Une telle déclaration n'est-elle pas en elle-même un trait caractéristique du « sectarisme » ?

Le plus grand souci des milieux représentés à la rencontre de St-Légier semble avoir été celui d'être reconnus par les églises officielles et les autorités civiles pour qu'on ne les confonde plus avec les sectes pernicieuses. Et pour bien montrer que les églises évangéliques indépendantes de l'Etat n'ont rien de commun avec les sectes, on a fait état de leur appartenance à la grande famille protestante, de leur fidélité à la tradition de la Réforme et à la pensée des Réformateurs, plutôt que d'avoir relevé l'attachement des authentiques évangéliques à la seule autorité de la Parole de Dieu en matière de foi et de vie. Car les évangéliques ne partagent manifestement pas en tous points la pensée des réformateurs pédobaptistes, sacramentaires, multitudinistes et même persécuteurs des chrétiens non conformistes. Mais le rapprochement avec le protestantisme officiel est amorcé et les évangéliques pensent pouvoir en tirer profit en n'étant ainsi plus soupçonnés de sectarisme. Une prochaine concrétisation de cette appartenance à la même tradition de la Réforme se fera lors du prochain «Jour du Christ» (Lausanne 1996)*où, pour la première fois, les églises et oeuvres évangéliques affiliées à la FREOE seront associées à la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS). Une affaire à suivre!

J. Hoffmann

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* Voir«La Bonne Nouvelle»5/1994 sous «Un nouveau Jour du Christ en 1996»pp. 481-482.

La Bonne Nouvelle 2/95

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