LE CHRÉTIEN ET LES AUTRES RELIGIONS(suite) Précédent:
B. LE NOUVEAU TESTAMENT
1. Le royaume de Dieu
Jésus est venu proclamer le royaume de Dieu. Comme chacun sait, il ne parlait pas d'un endroit précis, d'un territoire, mais d'un état ; il parlait du royaume dynamique de Dieu qui, fit irruption parmi les hommes et dans l'histoire par l'avènement de Jésus. Pour comprendre le message de Jésus, il faut se souvenir qu'il proclamait l'accomplissement de l'espérance juive préparée par l'Ancien Testament (« Les temps sont accomplis... »). Or, dans "Ancien Testament, l'idée de « royauté » a plusieurs niveaux de signification. Cela ne va pas nous conduire à une théorie complète des « deux royaumes », mais simplement à nous rendre compte que le concept vétéro-testamentaire du règne de Dieu comprenait plusieurs dimensions qui, bien que voisines (puisque c'est Yahweh, le seul Dieu, qui est roi), n'étaient cependant identiques ni en elles-mêmes ni dans leurs implications.
Dieu règne en souverain universel sur la terre entière (2 R. 19. 15 ; Ps. 99 . 145 ; etc. ). Rien n'échappe à sa Providence, à son contrôle. L'histoire des nations est soumise à son règne universel, en général certes (Pr. 2 1 . l ), mais aussi quand elle concerne son peuple lorsque Dieu utilise d'autres nations pour le punir ou le délivrer (Es. 45). De plus, le règne de Dieu sur Israël a une dimension différente en ce que sa royauté est reconnue dans le cadre de l'alliance. Elle est, en effet, fondée sur des faits historiques, actes précis de rédemption par lesquels Yahweh est reconnu comme Seigneur et Souverain. Finalement le règne de Dieu a aussi une dimension eschatologique par laquelle, il est annoncé que toutes les nations confesseront le pouvoir rédempteur du Dieu d'Israël (Ps. 67).
Le royaume de Dieu proclamé par Jésus-Christ se rapporte essentiellement à ses dimensions sotériologique et eschatologique. Jésus lui-même est l'accomplissement et l'apogée de la rédemption historique et par lui est proclamée la Nouvelle Alliance entre Dieu et les hommes, Jésus devenant le Seigneur de la vie de ses disciples. Par ailleurs Jésus a inauguré le royaume eschatologique de façon décisive par l'étendue cosmique de sa victoire rédemptrice et par la mission confiée à l'Eglise d'annoncer son Evangile au monde entier. Comme le montrent les paraboles sur la croissance du royaume de Dieu, cette « bonne nouvelle » doit être prêchée dans le monde entier avant que n'arrive la fin (Mt. 24. 14).
Il nous faut donc être très prudent dans nos débats sur les missions et les religions comparées particulièrement pour saisir le sens d'une phrase comme « le royaume de Dieu est à l'oeuvre dans d'autres religions». L'ambiguïté même d'une telle affirmation peut mener à des conclusions en opposition avec ce que l'on veut dire.
S'agit-il de reconnaître l'oeuvre de Dieu parmi les hommes, quelle que soit leur religion, oeuvre par laquelle il mène à bien ses desseins dans le temps comme Seigneur de l'histoire et de la nature (dimension générale du royaume) ? Nul ne conteste cette vérité biblique, mais ce n'est certainement pas ce que Jésus voulait dire en proclamant le royaume de Dieu. Cette dimension du royaume n'aurait rien de « nouveau », car Dieu agit dans le monde depuis la création. De plus, le royaume décrit dans les paraboles devait croître et se développer à partir de son propre ministère comme une graine ou « un peu de levain ». Il est bien difficile de parler de « croissance » à propos de la souveraineté universelle de Dieu. Enfin, selon Jésus, entrer dans le royaume de Dieu implique un acte de foi et d'obéissance. Or cet acte de foi ne conditionne en rien le règne plus général de Dieu sur le monde. En effet, le Créateur règne sur l'histoire des hommes qu'ils y consentent ou non, avec ou sans leur coopération (voir Pharaon, Nébucadnetsar ou Cyrus par exemple). il est tout à fait pertinent de dire que les opposants juifs de Jésus - même quand ils le rejettent et le crucifient - accomplissent les desseins souverains de Dieu. Ils sont alors dépendants de sa royauté générale (Ac. 2 . 2 3 ). En persistant dans l'incrédulité, ils sont restés en dehors du royaume de Dieu enseigné, instauré et incarné par Jésus.
En parlant de la présence du royaume de Dieu au sein des religions non-chrétiennes, voulons-nous dire que Dieu fait oeuvre de salut parmi ces païens ? (Dimension sotériologique) ?
Il est vrai que Dieu agit dans le coeur des hommes et dans ce qui les entoure avant même qu'ils accèdent à la foi par une connaissance personnelle du Christ. Nous avons déjà vu comment il communiquait avec les patriarches, à partir de leur arrière-plan culturel et religieux. Beaucoup, par ailleurs, entrent en relation avec Dieu « de l'extérieur » : en reconnaissant le Dieu vivant (Melchisédek, Balaam, Jéthro), en expérimentant son pouvoir de guérisseur et de Sauveur (Naaman), ou encore par la prière (Corneille). L'action même de Dieu en dehors de l'Eglise devrait nous encourager à évangéliser, à apporter la connaissance rédemptrice du nom de Jésus à ceux qu'il prépare à la recevoir.
Une idée est à ce propos malheureusement fort répandue : il serait inutile, voire choquant et malvenu d'évangéliser puisque le royaume de Dieu serait déjà présent en dehors des alliances bibliques. Cette idée ne cadre pas avec une interprétation tant soit peu sérieuse de l'Ecriture. On suppose que
Dieu accomplirait son oeuvre de salut par Christ incognito, de façon voilée et anonyme (voir le paragraphe ci-dessous « Lumière et Logos »). Cette manière de voir me paraît incompatible avec le Nouveau Testament, où le royaume de Dieu est inséparable de la reconnaissance de la seigneurie du Christ. Annoncer Jésus comme Messie et Seigneur (exclusivement) équivaut à propager le royaume de Dieu (Ac.
8. 12 ; 28.23-31). Ce n'est pas la seigneurie de quelque principe « christique » caché et mystique (quel qu'en puisse être le sens) qui constitue la présence du royaume de Dieu, mais la seigneurie du Jésus de l'histoire, comme l'a bien montré Orlando Costas, est radicalement différente de toute autre seigneurie de ce monde par la vie du Christ : ministère auprès des pauvres et des malades, par sa crucifixion et par sa résurrection.23* En même temps qu'il souligne la nécessité de reconnaître Jésus, Costas affirme aussi que les autres religions peuvent servir d'intermédiaires au royaume de Dieu d'une façon bibliquement reconnaissable dans la mesure où elles défendent les valeurs du royaume telles que Jésus les a enseignées pour l'homme et pour la société : amour, justice, liberté, pardon, paix, espérance et renoncement radical aux modèles et aux valeurs du monde.
A mon avis, l'expérience de Jésus lui-même parmi ses contemporains contredit l'idée selon laquelle la présence du royaume de Dieu supprimerait la nécessité d'évangéliser au nom de Jésus. Israël avait le privilège de connaître Dieu et de contempler ses prodiges, il attendait son royaume, mais quand celui-ci s'est manifesté aux yeux du peuple, beaucoup ont refusé d'y entrer ou ne l'ont fait qu'avec lenteur. Voilà qui montre sans nul doute que la simple présence du royaume de Dieu au milieu d'un peuple ou dans une situation précise ne garantit aucunement la rédemption de ceux qui en sont témoins. Il est par conséquent nécessaire que retentisse l'appel à la foi et à l'obéissance en Jésus-Christ.
Le prologue de l'Evangile de Jean, ainsi que d'autres passages où l'oeuvre cosmique du Christ est mentionnée (Col. l.15 ; Hé. l.l) sont de toute évidence décisifs dans tout débat portant sur les rapports entre Christ et les autres religions.
La lumière
Celle-ci était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme (Jn. 1 . 9).
Voilà, me semble-t-il, une traduction correcte de ce verset, ambigu en grec.24* Le contexte parle de Jean-Baptiste et de son rôle annonciateur de l'accomplissement de l'incarnation.
C'est alors que Christ, la vraie lumière qui éclaire sans cesse, se met pour ainsi dire « en route » pour le point historique dans l'espace et le temps qu'il devait occuper dans le monde.
Que signifie « éclairer » tout homme ? Certains pensent que si tous reçoivent la lumière du Christ cosmique, tous sont, grâce à lui et à des degrés divers, engagés dans une relation de salut venant de Dieu - consciemment ou non. Cette lumière de Christ est présente en chaque homme dès le départ. Par conséquent, évangéliser - si l'on pense avoir le droit de le faire - ne consiste pas à apporter Christ à ceux qui ne le connaissent pas, mais à le rencontrer déjà présent chez ceux à qui l'on s'adresse.
Tout cela va à l'encontre du contexte immédiat du verset en question comme du message de tout l'Evangile. S'il est sous-entendu dans le verset 9 que tous ont déjà, par cette lumière, une connaissance de Dieu qui puisse les sauver, pourquoi et dans quel but la lumière se serait-elle incarnée ? Et si les hommes reçoivent cette lumière rédemptrice du Christ non-incarné, pourquoi certains rejettent-ils la lumière du Christ incarné, en lui préférant les ténèbres (Jn. 1.10 ; 3.19) ?
Les contemporains de Jésus, «les siens », ont reçu plus de lumière que n'importe quelle religion par les révélations de l'Ancien Testament. Et pourtant, bien des «siens ne l'ont point reçue » ! Ceci sape radicalement l'idée selon laquelle les sincères, les dévots ou les éclairés, c'est-à-dire les meilleurs des autres religions prouvent la valeur salvatrice de cette lumière de Christ. C'est précisément un tel groupe au sein du judaïsme qui a rejeté la lumière incarnée, crucifié le Christ et persécuté ses disciples. Il n'est pas question de déprécier la parole de Jean ou nier que tout bien moral ne procède de Dieu. Quand on accorde une valeur rédemptive à la dévotion ou aux bonnes oeuvres - le salut pour les meilleurs - c'est le salut par la morale, enseignement totalement étranger à l'esprit du Nouveau Testament. Comme le dit Leslie Newbigin :
L 'enseignement selon lequel les hommes de « bonne volonté », les fidèles sincères des autres religions, les observateurs de la.loi ont la certitude que leur place leur est acquise dans le ciel, est à l'exact opposé de l'enseignement du Nouveau Testament. Dans les Évangiles, l'effet de surprise est mis en relief : les pécheurs sont accueillis et ceux qui étaient assurés de leur salut se retrouvent dehors. Dieu choquera les justes par sa générosité sans limite et sa redoutable sévérité.25*
La lumière dont parle le verset 9 se réfère à la connaissance de Dieu que possède tout homme par le fait même qu'il est créé à l'image de Dieu et par conséquent ouvert à sa révélation générale. Christ peut être porteur de cette lumière indépendamment de son oeuvre rédemptrice.26* En effet, le Christ en participant à l'unité de la divinité prend part à l'oeuvre divine dans sa totalité : création, maintien de la vie et révélation (cf. Jn. 1.3-5).
Nous devrions dire sans hésitation aucune que tout ce qui est bon, beau et vrai dans l'histoire et en tout lieu de la terre a son origine en Jésus-Christ, même si les hommes l'ignorent. Il faut toutefois ajouter en même temps que cette lumière universelle n 'est pas rédemptrice.27*
Jean parle ici d'une lumière qui éclaire les hommes en tant qu'hommes, et non de la possibilité d'existence d'une lumière au sein d'« autres religions » en tant que systèmes structurés de foi, de pratiques et de culture.
Le Logos
Des premiers apologètes chrétiens aux théologiens du vingtième siècle, ce terme a été employé pour « trouver » Christ dans les religions et les philosophies humaines. Justin Martyr28* prétendit que Platon et d'autres philosophes grecs, s'ils n'avaient pas connu Jésus, n'en avaient pas moins vécu « kata logon »(selon le Logos) et étaient donc d'une certaine façon des « chrétiens ». Le théologien catholique Karl Rahner introduit de la même façon la notion d'un Christ incognito qu'accueilleraient sans le savoir les fidèles sincères des religions non-chrétiennes.
Pour eux, accepter la grâce naturelle reviendrait à accepter Christ. Il appelle ces chrétiens, des chrétiens anonymes, terme qui, depuis lors, a trouvé sa place dans plus d'un débat passionné sur le sujet.29*
Notre étude nous amène à aborder deux problèmes. Tout d'abord, on entend parfois dire que l'emploi que Jean fait du mot Logos témoigne d'une utilisation délibérée du vocabulaire philosophique grec et d'une intention syncrétique des premiers chrétiens.30*
Sur ce sujet, après une étude minutieuse de la terminologie néo-testamentaire, Visser't Hooft31* conclut que Jean, de même que Paul, de manière encore plus évidente dans les Colossiens, a résisté à la tendance syncrétiste en intégrant délibérément le vocabulaire du moment dans une théologie entièrement chrétienne, fondée sur l'Ancien Testament et centrée sur Jésus. En cela il se démarquait radicalement de ce que les apologètes essayaient de faire. Soit A, la vérité révélée de l'Evangile et B, la culture à atteindre, en l'occurrence ici la philosophie et la religion populaire grecques.
C'est une chose de dire avec Jean: «J'emploierai le vocabulaire de B pour rendre A intelligible aux hommes de la culture B en sachant bien que A . demeure vérité première, unique et distincte donnant toutefois un sens partiellement nouveau au vocabulaire utilisé ». C'en est une autre de dire : «J'emploierai le vocabulaire de B parce que B (ou les meilleurs éléments qui le constituent) est en fait identique à A, de telle sorte que les hommes de la culture B, de toute façon, croient à A même sans le savoir ».
Second problème : parler du Logos comme du « Christ non-incarné » devient vite abstrait et complètement étranger à l'incarnation. Le Jésus unique est remplacé par le Christ principe ; la mort de Jésus qui sauve une fois pour toutes devient le schéma de la croix ; etc... De telles conceptions sonnent bien à l'oreille et s'intègrent fort bien à la sauce syncrétiste en évitant soigneusement le scandale de la particularité. Cette position est cependant fondamentalement incompatible avec l'objectif de Jean dans son prologue, où tout tend vers une phrase-clé : « Le verbe (Logos) s'est fait chair ». On peut dire tout ce que l'on veut autour du mot « Logos », mais on ne peut en aucun cas syncrétiser ou rendre abstraite la chair de l'homme qu'était Jésus.
Les abstractions de ce genre témoignent souvent du désir louable de créer des liens avec d'autres religions, mais ils sont inopérants en matière d'évangélisation, en théorie comme en pratique.32* M.M. Thomas, théologien bien connu en Inde et partisan d'un système syncrétiste christocentrique,33* cherche (avec plus ou moins de succès) à préserver au Christ une place unique tout en acceptant d'autres croyances culturelles et idéologiques. Il fait la remarque significative suivante : « Ce n'est pas le Christ mystique qui a eu l'impact le plus profond sur l'hindouisme, mais le Jésus historique ».34*
3. Pierre et Paul
Le livre des Actes raconte la vie des premiers chrétiens. Rédigé par Luc, médecin païen converti, connaisseur par l'intérieur des dieux et des religions du monde gréco-romain du premier siècle, ce livre regorge d'éléments utiles au débat, mais nous nous limiterons à trois brèves remarques.
« Aucun autre nom »
Les discours de Pierre dans les Actes sont construits avec rigueur. Ils ne contiennent rien de superflu ou d'accessoire; aussi convient-il de prendre au sérieux comme un énoncé théologique, l'affirmation de l'apôtre sur l'unité et l'exclusivité du nom rédempteur de Jésus en Ac. 4.12.
Avec les paroles de Jésus lui-même se proclamant « le chemin, la vérité et la vie » (Jn. 14.6), cette affirmation va à l'encontre de l'axiome syncrétiste selon lequel tous les chemins mènent à Dieu. Le salut ne se trouve en aucun autre nom que celui de « Jésus-Christ de Nazareth, crucifié et ressuscité » (Ac. 4.10).
Nous ne pouvons absolument pas suivre J.V. Taylor qui essaie de montrer que la foi chrétienne est à la fois unique et tolérante. Il néglige la force du texte en ne le r liant qu'à son contexte immédiat, la guérison du boiteux.
Pierre disait que Jésus de Nazareth était la source de tout acte de guérison ou de salut qui n'ait jamais eu lieu. Il savait fort bien que beaucoup avaient été guéris sans connaître Jésus, et pourtant, de façon surprenante, il affirmait que Jésus était l'auteur caché de toute guérison ; qu'il était le Sauveur absolument unique parce qu'absolument universel.35*
Si Pierre (ou Luc) a voulu enseigner cela, il aurait pu être plus clair. Qui pouvait comprendre ainsi ces paroles ? Pierre lui-même va au delà du simple récit de guérison. Au verset 10, il parle de la guérison ; au verset 12, il parle de salut, terme bien plus large et tout à fait différent ; au verset 11, il cite un texte messianique dont l'éclairage eschatologique montre bien qu'il fait allusion au salut dans son sens messianique le plus plein (cf. Mt. 21 .42 ; 1 Pi. 2.4-10). Pierre a utilisé l'occasion fournie par cette guérison pour prêcher le salut, la repentance, le pardon et le « rafraîchissement » (Ac. 3. 19). Devant le sanhédrin, il prend la guérison accomplie au nom de Jésus comme signe du salut qui ne réside qu'en lui.
Corneille
Il est stupéfiant de voir comment l'histoire dramatique de Corneille (Ac. 10) est parfois utilisée pour étayer l'idée selon laquelle des païens sincères peuvent entretenir avec Dieu une relation juste et acceptable, sans connaître Christ, alors que le but même du récit est de montrer le contraire. La description détaillée de sa piété, de sa générosité et de ses prières en font, en un sens, un des meilleurs produits du paganisme. Comme nous l'avons noté plus haut, il est évident que Dieu lui parle, a entendu ses prières et remarqué ses bonnes oeuvres. C'est à ce stade de son expérience religieuse que Dieu entre en relation avec lui. Malgré cela, il a besoin d'entendre l'Evangile, de connaître Jésus et de lui répondre par la foi ; Dieu, dans sa grâce, a résolu de sa propre initiative d'envoyer son ange auprès de lui et auprès de Pierre. Sans l'initiative divine et l'obéissance de Pierre, Corneille n'aurait pas reçu les dons spécifiques attachés à la connaissance du Christ : le pardon des péchés (10.43), le Saint-Esprit ( 1 0. 44), le salut ( 1 1 . 44), la vie grâce à la repentance ( 11. 18 ).
Y eut-il d'autres Corneille ? Ont-ils tous reçu la visite d'apôtres ou d'évangélistes ? Quelle est devant Dieu la position d'hommes qui le craignent sans avoir jamais entendu parler de Jésus-Christ ? Nous l'ignorons comme nous ignorons celle des «bons païens » de notre époque. Dieu seul connaît les coeurs. En revanche, ce récit nous apprend que ce n'est pas sa piété qui a apporté à Corneille la joie du salut et la vie, mais seule la connaissance de Jésus par un témoignage fidèle comme celui de Pierre, peut offrir cette connaissance et cette joie à ceux qui l'ignorent.
« Un Dieu inconnu ? »
Dans le berceau même du polythéisme grec, Paul fait face aux Athéniens, peuple sophistiqué et idolâtre (Ac. 17. 16-34). Une exégèse complète de ce passage ne pouvant être entreprise dans le contexte de cet article, nous nous contenterons de quelques remarques.
Après une introduction brillante, Paul prononce une phrase cruciale : « Ce que vous révérez sans le connaître, c'est ce que je vous annonce » (v. 23). Lorsque Paul dit : « Vous adoriez Dieu sans le connaître », il ne félicite pas les Athéniens. Il veut plutôt dire : « En dépit de votre religiosité, vous ne connaissez pas du tout le vrai Dieu, mais je viens vous affirmer qu'il est nécessaire et possible de le connaître, non pas sous les masques des idoles ou dans vos temples, mais par l'Evangile ». Ce qu'il enseigne cadre bien avec ses déclarations de Romains 1 : la connaissance de Dieu est manifeste, mais rejetée. Dieu n'est pas un « dieu inconnu » ; ce sont les Athéniens qui ne le connaissent pas.
Certains pourtant pensent que Paul, en citant les poètes des Athéniens, adopte une attitude positive et tolérante envers la culture grecque ; ils voient dans la prédication et la résurrection de Jésus ce que les Grecs révéraient déjà dans leur extrême religiosité. Certes Paul se réfère au panthéisme stoïcien et au déisme épicurien, mais un examen plus approfondi montre qu'il le fait pour montrer les limites de ces philosophies par rapport à la globalité de la vision biblique du monde. Il ne s'agit donc pas d'une réinterprétation généreusement approbatrice, mais d'une mise au point courtoise mais ferme qui aboutit au commandement explicite de ce « repentir » en vue du jugement imminent de Dieu. Se repentir signifie « se tourner ». Paul n'attend pas des Athéniens qu'ils se réjouissent d'entendre son message tout en continuant à adorer leurs idoles, mais il espère plutôt les voir abandonner leurs idoles pour se tourner vers le Dieu vivant. Le compte-rendu de Luc à propos de Paul étant cohérent, tout cela est en harmonie avec sa réaction à Lystre quand la foule veut adorer les apôtres. « Nous vous exhortons, dit-il, à renoncer à ces choses vaines et à vous tourner vers le Dieu vivant ». L'accent est placé sur l'accessibilité de la connaissance de Dieu (1 4.1 3-1 8 ; voir aussi 26.17). Sa mission auprès des Gentils consiste à ouvrir leurs yeux pour les conduire des ténèbres à la
lumière, du royaume de Satan à celui de Dieu, afin de recevoir le pardon des péchés. Ce langage ne laisse aucune place à la continuité entre les religions païennes et l'Evangile.
C. Conclusion
J'ai essayé de rassembler les divers apports bibliques sur le sujet des religions non-chrétiennes pour faire ressortir à la fois la dimension universelle, cosmique et inclusive de la révélation biblique et sa dimension inévitablement particulière, historique et exclusive. La dimension particulière risque d'être négligée et occultée dans les débats actuels; c'est pourquoi, nous lui avons accordé plus d'attention. Je conclurai en approuvant de tout coeur ces paroles de J. Blauw : Dire que l'homme est l'image et le serviteur de Dieu est la chose la plus positive jamais dite sur lui. Dire qu'il refuse d'être serviteur dans son désir d'être « comme Dieu » ou faire de Dieu ou des dieux ses instruments est
la chose la plus négative jamais dite sur lui. Je ne connais pas de message plus exaltant que celui qui proclame qu'en Christ la vérité profonde de l'homme et de sa relation avec Dieu a été restaurée. Telle est la véritable vision biblique de l'homme en vue de laquelle parler des « possibilités humaines » n'est qu'une régression. A mon avis, la Bible ne s'intéresse pas à des problèmes comme celui de la « continuité» ou de la « discontinuité ». La grande continuité, c'est celle de l'amour de Dieu pour l'homme, révélée d'abord en Israël, puis en Jésus-Christ. La grande discontinuité, c'est l'effort permanent de l'homme pour avoir un dieu plutôt que de servir Dieu, c'est prétendre à l'indépendance quand il est totalement dépendant. La lumière que jette la Bible sur l'homme et sa religion, ou sa religiosité, pénètre jusqu'aux replis les plus cachés de l'existence humaine. -36*
Trad : Edith Bénétreau
Les données bibliques Christopher J. H. WRIGHT
Trad : Edith Bénétreau
Ichthus 1986 -2 - 4
23. Orlando E. Costas, in Anderson et Stransky (édits), Christ's Lordship, pp. 133-156 ; cf. J.H. Yoder, « Discerning the Kingdom of God in the Struggles of the World », Interniational Review ofMission, Oct. 1979, pp. 366-372.
24. L'alternative est la suivante : « C'était lui la véritable lumière qui éclaire tout homme et qui vient dans le monde ». Mais « venir dans le monde » est une tautologie qui pourrait décrire la venue de n'importe quel homme, mais elle est particulièrement apte à décrire l'incarnation du Christ, but premier du prologue.
25. L. Newbigin, The Open Secret (Londres: SPCK et Grand Rapids: Eerdmans, 1978) p. 196. Voir aussi ses commentaires à la page 199.
26. Dans un survol comme celui-ci, nous ne pouvons aborder l'approche de Barth, les dangers du Christo-monisme, etc.
27. J.W.R. Stott, Christian Mission. p. 68.
28. Justin Martyr. Apologia. 1.46.
29. Les travaux de Rahner recouvrent une vingtaine d'années (De 1960 à 1980). Un résumé de sa pensée a paru dans un article de K. Riesenhuber, « the Anonymous Christian according to Karl Rahner », in Anita Röper, The Anonimus Christian (New-York : Sheed and Ward. 1966). Une étude semblable en rapport particulièrement avec l'Inde a été rédigée par R. Panikkar, The Unknown Christ of Hinduism (Londres : Darton, Longman et Todd, 1965).
30. E.g. W. Pannenberg fait remonter le syncrétisme chrétien à une énergie syncrétiste identique dans le développement de la religion de l'Ancien Testament : voir Basic Questions in Theologiy, vol 2 (Londres : SCM), pp. 85ss.
31. Visser't Hooft: No Other Name. ch. 2.
32. Leslie Newbigin fait des commentaires caustiques sur la valeur d'abstractions comme « L'Etre transcendant» etc. dans un dialogue éventuel avec d'autres religions. The Open Secret. ch. 10, spécialement pp. 185-191.
33. M.M. Thomas : Man and The Universe of Faiths (Madras : CLS, 1975), p. 157.
34. Ibid. p. 79. (C'est nous qui soulignons).
35. J.V. Taylor: «The Theological Basis of Interfaith Dialogue», International Review of Mission. Oct. 1979, pp. 373-384.
36. J. Blauw ; « the Biblical View. » pp. 384.