Courtes méditations

(1894)
Benjamin Couve
Texte intégral

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LE MENSONGE

Dépouillez-vous du mensonge.

(Ephésiens, IV, 25.)

L'Apôtre s'adresse à des chrétiens qui ont été « instruits à se dépouiller du vieil homme corrompu par les convoitises trompeuses, » et il les exhorte à rejeter le mensonge, à s'en débarrasser pour parler en vérité chacun à son prochain. Il semble donc que l'âme régénérée ait quelque peine à se délivrer de cette tunique empoisonnée du mensonge et que le goût, l'habitude et, si j'ose dire, la manie du mensonge persiste même dans un coeur que la grâce a pénétré.

Il en est vraiment ainsi, et l'expérience vient confirmer le précepte apostolique. La part du fictif, du convenu, est considérable dans le monde où nous vivons, non seulement dans la société qui s'appelle polie et se croit raffinée, mais à tous les étages, à tous les degrés. Nous nous payons de mots, nous nous leurrons d'apparences, nous jetons de la poudre aux yeux, nous excellons au trompe-l'oeil, nous jouons la comédie et nous prenons au sérieux la comédie d'autrui. Nous changeons la valeur des mots, nous amplifions, nous grossissons les termes admiratifs, les paroles complimenteuses, les formules amicales, et nous faisons circuler sans vergogne ces assignats, dont l'étiquette ne représente guère la valeur.

On peut dire que dans aucun monde les hommes ne sont dépouillés du mensonge. Monde de la politique, monde des affaires, monde des salons, monde des journaux sont infectés de ce mal qui consiste à déguiser, à voiler, à accommoder la pensée. Les chrétiens n'échappent pas à la contagion, et nous avons expérimenté combien il est difficile de s'y dérober. Et, sans parler uniquement des paroles qui sont des traductrices - hélas! bien infidèles - de la pensée, n'est-il pas rare de voir vrai, de penser vrai, de sentir vrai? Il se mêle à nos jugements, à nos perceptions mêmes, je ne sais quoi de convenu et d'artificiel. Nous ne regardons pas les choses et les hommes avec nos yeux seulement, mais avec les préjugés courants et les opinions reçues; nous ne laissons pas jaillir directement du fond de notre conscience éclairée par Dieu notre appréciation d'un acte sans faire intervenir dans les considérants du jugement et le dispositif de la sentence le code des apparences mondaines et des convenances menteuses; il nous semble que l'or pur de la vérité ne pourrait pas circuler sans cet alliage.

Repasse à ce point de vue ce que tu as pensé, dit et fait depuis quelques mois, quelques jours même, tu seras effrayé de ces déguisements de la vérité. Tu verras combien rarement tu as pensé et senti ce qu'il était juste et vrai de sentir et de penser, combien souvent tu as substitué au verdict de la conscience écrite ou de la Bible intérieure les à peu près du monde, ses vérités atténuées et ses demi-mensonges. Tu verras combien de paroles sont sorties de tes lèvres qui n'avaient pas le titre légal de la vérité éternelle, qui sonnaient faux aux oreilles de la souveraine Justice, qui, au lieu de refléter ta pensée, la défiguraient, comme pourrait faire un miroir brisé. Tu verras que tu as menti souvent sans parler, par tes actes, qui obéissaient au monde au lieu d'obéir à Dieu, et qu'ainsi tu drapais ta vie dans des oripeaux d'emprunt au lieu de les secouer avec dégoût pour marcher dans la sincérité robuste des enfants de Dieu.


Fac Réflexion

7 / 1987
Samuel BÉNÉTREAU

 

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L'UNITÉ AVEC LA DIVERSITÉ : L'unité en Christ d'après Galates 3,28

Très souvent invoqué par les champions d'un traitement égalitaire de tous les humains le verset de Galates 3,28 enseigne-t-il vraiment le nivellement des distinctions ? De quelle nouveauté en Christ parle l'apôtre ?

«Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Christ-Jésus.»

Ce verset, si légitimement cher au coeur des chrétiens, salue l'avènement d'une réalité bouleversante : une nouvelle création, faite de l'union des hommes et des femmes les plus divers ! Mais une déclaration aussi massive n'est pas sans soulever de graves questions. Elle suscite inévitablement une réflexion qui contraint à prendre en compte l'ensemble de l'enseignement de Paul, ainsi que sa pratique.

QUELLE UNITÉ ?

Abordons la phrase par la fin, par l'énoncé positif de la nouveauté, . . , , . pour revenir ensuite sur la négation initiale des séparations. Cette démarche se justifie aussi bien logiquement que spirituellement: c'est l'unité instaurée par le Christ qui pulvérise les antiques oppositions, et non l'inverse.

Frappante, dans ce texte, est la personnalisation de l'unité. Le mot «unité» évoque habituellement pour nous une certaine qualité de vie et de relations au sein d'un groupe, ou encore l'encadrement de ce groupe dans une structure plus ou moins souple. Ici il y a personnalisation résolue, à deux niveaux.

NIVELLEMENT?

INTERCHANGEABILITÉ ?


Courtes méditations

(1894)
Benjamin Couve
Texte intégral

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L'ESPRIT DE DÉNIGREMENT

Vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres.

(Galates, V, 15.)

Il est difficile d'employer des expressions plus fortes pour caractériser le manque d'esprit fraternel et chrétien. Il ne s'agit pas seulement de médisance, mais surtout de malveillance : les actes sont blâmés et non pas seulement les paroles. Mais actes et paroles dérivent d'une même source : source amère et empoisonnée. Les hommes se mordent et se dévorent. Les chrétiens eux-mêmes (et c'est à des chrétiens que l'apôtre écrit) se jalousent, se dénigrent, même sans se haïr. Que serait-ce donc s'ils se haïssaient?

Oh! l'affreux spectacle que celui de l'acharnement avec lequel nous cherchons à rabaisser ce qui est grand, à enlaidir ce qui est beau, à trouver une raison égoïste pour les dévouements et une souillure au fond de toutes les puretés! Nous injurions les gloires, selon l'expression de saint Jude (v' 8), et nous rapetissons les hommes et les choses, comme si c'était nous grandir que de décapiter les statues et de briser les piédestaux.

Ne rien admirer, c'est la devise des sots et des méchants. On peut être à la fois sot et méchant, et tel se croit clairvoyant qui manque seulement de bonté, tel prétend au discernement des esprits qui excelle à flairer le mal et dont les yeux, fermés au bien et au beau, ont une pénétration de lynx pour les laideurs et les vices.

L'esprit de dénigrement rend l'historien ou le moraliste impropre à sa tâche; il empêche le simple chrétien de vivre en chrétien, car il le rend âpre en ses jugements, dur pour les égarés, sceptique devant les grandeurs morales. Le voyez-vous, ce perpétuel fureteur des consciences, cet inquisiteur qui de sa propre autorité examine, tranche et condamne, ce contempteur qui, suivant l'expression du poète, « juge toute la nature d'après ses pieds d'argile, sans vouloir lever les yeux pour contempler sa tête divine Couronnée d'un feu spirituel et touchant à d'autres sphères? »

Qui peut se rendre ce témoignage de n'avoir pas « mordu et dévoré » les autres? de n'avoir pas cherché ce qui ravale au lieu de ce qui exalte, ce qui diminue les grandeurs morales au lieu de les faire ressortir? d'avoir eu le discernement de la sympathie et non la clairvoyance du dénigrement?

La piété même peut ici nous égarer. Elle doit élever notre idéal, mais elle ne doit pas nous rendre moins indulgents et moins compatissants (bien au contraire) pour ceux qui ne le réalisent pas. Gardons-nous, plus que du feu, des allures tranchantes, des jugements sommaires, des paroles amères, des morsures de la langue. Cherchons dans l'homme le beau, non le laid; il vaut mieux pleurer sur l'homme que rire de lui. « Le coeur humain, a dit Joseph de Maistre, est un cloaque; descendons-y cependant quelquefois en nous bouchant le nez, pour y recevoir quelques leçons utiles. » Il y a trop de mépris dans ces paroles. Disons plutôt que le coeur humain est un sanctuaire profané, un temple fait pour Dieu et trop souvent livré aux idoles, encombré et souillé. Descendons seulement dans le coeur d'autrui après avoir fait le tour du nôtre, et que les profanations et les turpitudes qui le déshonorent ne nous laissent jamais oublier sa destination première et sa vocation future.


Courtes méditations

(1894)
Benjamin Couve
Texte intégral

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LA TERRE DE LA PROMESSE

Ils ne purent y entrer à cause de leur incrédulité.

(Hébreux, III , 19.)

Où ne purent-ils pas entrer?

Dans la terre promise. Il s'agit des Israélites mais il s'agit aussi de nous et du ciel où nous sommes invités.

Le passé ici éclaire le présent; l'histoire donne une leçon aux croyants de tous les âges.

Un poète contemporain a exprimé dans une allégorie la recherche de la vérité par les hommes, ou, comme il l'appelle, leur expédition vers la terre de la promesse. Il suppose que des pèlerins arrivent sur les bords d'un fleuve impétueux qu'il faut franchir pour arriver au but. Les uns suivent le premier élan de leur passion; ils plongent, et périssent dans les flots. D'autres, à ce spectacle, se découragent, nient la promesse même, et meurent sans espoir. Quelques-uns, les meilleurs, se mettent à l'oeuvre pour vaincre les résistances du torrent; longtemps, patiemment, ils multiplient leurs efforts, mais ils se trompent de direction, et ils persévèrent dans leur erreur. Une troupe, composée de méprisables vagabonds, sous la conduite d'un chef ambitieux triomphe de l'obstacle, aborde en conquérants; mais, incapables de profiter de cette conquête, ils ne trouvent pas dans la terre de la promesse la félicité promise. « La terre de la promesse, conclut le poète, demeure le pays des rêves. »

Peut-être en effet cet apologue exprime-t-il la recherche de la vérité sociale, et ceux qui veulent trouver le paradis sur la terre, ou meurent en deçà du but, ou périssent dans l'effort qu'ils ont cru faire pour l'atteindre. Mais notre paradis n'est pas ici-bas, et si la terre de la promesse rayonne loin, bien loin de nous, elle n'est pas un rêve pour cela. ,

La grande erreur de ceux qui combattent en insensés pour réaliser sur la terre l'égalité absolue et la félicité matérielle, c'est de ne pas vouloir attendre sans voir et espérer malgré les apparences mêmes. N'avons-nous pas entendu l'un d'eux s'écrier l'autre jour : « Le christianisme leur promettait le ciel; c'était bon pour les imbéciles. Nous matérialistes, qui savons qu'il n'y a rien de l'autre côté de la vie, nous voulons être heureux ici-bas. » Pauvres aveugles que nous sommes! Qu'est-ce donc qui est plus facile à croire, ou que le bonheur existe dans le monde des réalités invisibles préparées par la Miséricorde Éternelle, ou qu'il doit exister dans ce monde où la lutte règne sans trêve et où, depuis tant de milliers d'années, la souffrance est la plus palpable des réalités?

Il y a une terre de la promesse. Nous ne l'avons pas seulement entrevue dans nos rêves; elle n'a pas seulement traversé notre esprit enfiévré comme un éclair déchire la nue, elle n'est pas née des conceptions d'un poète ou des théories d'un philosophe; elle existe, affirmée par Celui qui ne peut mentir, racontée par les prophètes et les apôtres, garantie et conquise par le Josué de la Nouvelle Alliance qui n'a pas traversé le Jourdain seulement, mais qui nous fait passer avec lui du désert où l'on pleure de soif dans la terre de bénédiction où toutes les larmes sont essuyées.


Appel de Minuit

02 / 1999
Marcel Malgo

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La division entre l'âme et l'esprit

«Car la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu'une épée quelconque à deux tranchants, pénétrante jusqu'à partager âme et esprit» (Hébr. 4, 12).

Posons-nous tout d'abord cette question: Comment peut-on distinguer entre l'âme et l'esprit? Même si, pour bon nombre de chrétiens, la chose n'est pas aisée, il existe cependant une nette distinction entre ces deux choses; sinon, la Parole n'en aurait pas parlé: «la Parole de Dieu ... âme et esprit ... » Où réside cette distinction? Sur un plan général, nous pouvons dire que l'âme de l'homme est tournée vers sa vie naturelle terrestre et ce qui s'y rattache; par contre, l'esprit est orienté vers la vie spirituelle et tout ce qui est de Dieu et de Son Fils.

L'âme de l'homme

L'esprit de l'homme

Foi sensible ou spirituelle?


Courtes méditations

(1894)
Benjamin Couve
Texte intégral

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LA COLERE

 

Que tout homme... soit lent à se mettre en colère, car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu.

(Saint Jacques, I, 20.)

La colère, a-t-on dit, est une folie courte; et, en effet, le propre de l'homme en colère, comme du fou, c'est d'être « hors de lui-même, » de ne plus « se posséder, » de n'être plus maître de sa langue ou de son bras. C'est une ivresse qui monte au cerveau. On voit trouble; parfois, on voit rouge; les objets perdent leurs proportions et deviennent démesurés. La moindre offense est un outrage; une peccadille est un crime; et les châtiments doivent se régler sur les délits : de là des paroles qu'on regrettera tout à l'heure, des regards qui sont des flèches empoisonnées, des gestes qui indiquent ce qu'ils n'osent achever.

Personne ne tient plus la barre du gouvernail, et la barque affolée obéit à toutes les secousses de la passion. Cela durera une minute ou une heure, peu importe; pendant cet intervalle, il y a une éclipse de la volonté, une disparition du moi souverain.

« Celui qui est lent à la colère, disait déjà le livre des Proverbes (XVI, 32), vaut mieux qu'un héros, et celui qui est maître de lui-même que celui qui prend des villes. » Et combien d'autres passages du même livre (XIV, 29; XXIX, 11, 22) qui sont restés vrais après des milliers d'années! Car si la vie civilisée et raffinée de nos jours impose à notre brutalité native certaines limites, si elle prévient par là des excès où le barbare se fût porté du premier coup, la colère est la même; la source, pour ne pas s'épancher au dehors, n'en bouillonne que davantage. Que de fois, obligés par les convenances mondaines ou les exigences sociales à ne pas laisser éclater la passion qui grondait en nous, nous n'en avons pas moins senti l'amertume nous envahir et la folie nous égarer!

Lors donc que nous voudrions donner à notre colère, soit pendant qu'elle s'amasse, soit après qu'elle s'est déchaînée, l'excuse d'une vérité à proclamer, de la morale à venger, des droits de Dieu à sauvegarder, méfions-nous de nous-mêmes et de nos « saintes colères. » Dieu n'a pas besoin de nos colères. La justice ne se révèle point par nos transgressions : ce n'est pas au milieu des tonnerres et des éclairs de notre passion que s'entend le mieux la voix de sa Vérité.

Nous obscurcissons, au contraire, les droits de Dieu par notre âpreté à les revendiquer, voilà la triste réalité. Nous compromettons l'honneur de Dieu en prétendant le défendre, voilà notre humiliante confession. Notre colère n'accomplit pas la justice de Dieu : elle l'entrave.

Parents qui voulez reprendre et punir vos enfants, maîtres qui, dans la direction de vos élèves avez souvent à lutter et contre eux et contre vous-mêmes, patrons qui commandez à des serviteurs, à des ouvriers, à des employés, et qui devez les blâmer avec une fermeté douce, chrétiens de tout ordre qui êtes sans cesse exposés à la tentation d'écraser vos frères sous les tables de la loi, rappelez-vous que la « colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu, » et que, pour faire l'oeuvre de Dieu, il faut ressembler à ce Dieu, infaillible en ses jugements, Lui, et pourtant « lent à la colère. »

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COLERE, ESPRIT