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Accueil
chaleureux pour Chtcharanski en
Israël
La liberté en passant
par le pont
Anatoly Chtcharanski,
détenu depuis neuf ans par le régime
soviétique - soi-disant comme «espion
pour les USA», mais à la
vérité comme «prisonnier
sioniste» - a été
libéré. Il fut accueilli
récemment, au milieu de la «Glienicker
Brücke», le pont qui relie Berlin-Est
avec Berlin-Ouest, par l'ambassadeur
américain de la République
Fédérale d'Allemagne, Richart Burt,
et conduit dans la voiture de ce dernier à
l'aéroport. Une machine militaire
américaine l'amena à Francfort
où sa femme Awital l'embrasse après
douze ans de séparation. Elle avait tout
fait pour la libération de son mari.
L'ambassadeur israélien remet un passeport
à Anatoly Chtcharanski et accompagne
l'heureux couple jusqu'à l'avion
israélien «Westwind», qui les
attend. Awital dit: «C'est le plus beau jour
de notre vie».
A l'aéroport Ben
Gourion à Lod, Anatoly est accueilli avec
enthousiasme. Le Premier ministre Shimon Peres, le
vice-Premier ministre et ministre des Affaires
étrangères Yitzhak Shamir, le
ministre de l'Intérieur Yitzhak Perez, le
ministre de l'Immigration Jakow Zur, des
parlementaires, les deux grands rabbins du pays,
des journalistes du monde entier et des milliers de
gens, dont de nombreux Juifs russes, sont au
rendez-vous. «Loué sois-Tu, Seigneur,
Toi qui fais revivre les morts»! Peres et
Shamir embrassent ce «combattant pour la
liberté des Juifs et de tous les
opprimés de l'Union soviétique»,
qui a été libéré par
les Soviets dans le cadre d'un «échange
d'espions», - ou, selon l'expression de
Chtcharanski dans une brève allocution - des
«Pharaons de notre temps». A la radio
israélienne, Chaïm Herzog souligne le
fait que «Chtcharanski est un exemple et un
symbole dans la lutte pour la réalisation
des droits de l'homme».
Des milliers de voix chantent
«Am Jisrael Chaj» (Le peuple
d'Israël vit), et «Hewenu Schalom
Alechem» (Nous vous avons apporté la
paix). Anatoly leur fait signe de la main, puis il
est conduit, avec Awital, dans une pièce
spéciale de l'aéroport, où le
ministre Jakow Zur lui remet la carte
d'identité israélienne. Shimon Peres
téléphone au président
américain Ronald Reagan et le remercie de
son inestimable soutien dans les efforts pour la
libération de Chtcharanski. Il demande aussi
la communication avec le ministre des Affaires
étrangères américain, George
Shultz, afin de le remercier aussi. Anatoly profite
de l'occasion pour remercier à son tour et
aussi pour affirmer une nouvelle fois qu'il n'avait
jamais travaillé comme espion et qu'il
espérait que maintenant les portes de
l'Union soviétique s'ouvriront pour tous les
Juifs désireux de quitter ces pays. Peres
exprime son estime pour le rôle que le
chancelier Helmut Kohl a joué lors de cet
échange réussi des
«espions».
Une colonne de voitures,
escortée par la police, amène
à Jérusalem Anatoly et Awital, avec
leurs amis intimes. Une foule innombrable se tasse
sur le bord de la route et souhaite la bienvenue
à Anatoly. Du haut de la montagne des
Oliviers, notre nouveau citoyen d'Israël jette
un premier regard sur le Mont du Temple et la ville
de Jérusalem. Puis il arrive près du
Mur des Lamentations où, porté sur
les épaules, il devient le symbole de la
survie et de l'espoir juifs. Il baise les pierres
et dit, doucement, une prière. On les
conduit ensuite dans un appartement neuf à
Jérusalem, où le couple réuni
trouve enfin une habitation durable.
C'est un grand jour pour
Israël, comme pour ceux qui espèrent et
prient, et pour les Juifs russes qui, toujours
angoissés, attendent leur permis
d'émigration vers la liberté. La
question importante reste ouverte: Est-ce que les
puissants du Kremlin suspendront enfin leurs
restrictions? Accorderont-ils des mesures plus
larges pour l'Aliya vers Israël? Pour le
moment, les voix de Moscou sont plutôt
décourageantes. Pas d'émigration
prévue, ni une reprise des relations
diplomatiques avec Israël. Cependant, le
professeur Amnon Sela, soviétologue, pense
que Mikhaïl Gorbatchev se trouve sous une
certaine pression. L'économie russe,
fortement ébréchée, aurait
besoin de l'aide technologique américaine.
Or, Gorbatchev sait que s'il ne desserre pas
l'étranglement des libertés, les
Américains, qui défendent avec
véhémence les droits de l'homme, ne
s'engageront pas.
La direction du Kremlin
espère d'autres rencontres au sommet entre
Gorbatchev et Reagan, et, de ce fait - ainsi pense
Sela - serait prête à d'autres
concessions dans la question de
l'émigration. Le pas humanitaire
effectué avec Chtcharanski n'a pratiquement
rien coûté aux Soviétiques. Ils
l'ont libéré en tant
qu'«espion» - et non comme champion de la
liberté - afin de garder la face. En
même temps, ils exigeaient la
libération du champion de la liberté
noir sud-africain Nelson Mandela, prisonnier depuis
24 ans du régime blanc de l'Apartheid.
Israël est intervenu dans les
négociations en faveur de Mandela. Il semble
que ce n'est plus qu'une affaire de quelques jours
pour que Mandela soit libéré.
A présent, les Soviets
peuvent prétendre être des
interlocuteurs «honnêtes» qui se
mettent du côté des opprimés
... On sait, cependant, que Gorbatchev et ses
collègues ne se sont pas transformés
subitement en amis de l'homme. Mais, les dures
réalités - outre l'économie,
la crainte d'une nouvelle guerre mondiale -
favorisent le changement. Des manifestations de
masse à l'intention du droit
d'émigration des Juifs russes, avec le
slogan: Schalach et Ami - «Laisse aller mon
peuple» - ont démontré au
gouvernement soviétique qu'il a
intérêt à se raviser s'il veut
obtenir quelque chose du côté de
l'Occident.
Anatoly Chtcharanski a
passé le pont à Berlin, pour
retrouver sa liberté. Des centaines de
milliers de Juifs russes aimeraient le suivre. Ils
attendent le jour de leur liberté. Avec
l'aide de Dieu, ce ne sera pas en vain.
Dr. Roland
Gradwohl (IW)
.
«Je n'ai jamais
pleuré, aujourd'hui je le
fais»
Ida Petrowna Milgrom, 77 ans,
est assise, accroupie, sur son sofa vert, et
répète de sa voix tremblante:
«Je ne puis y croire, je ne puis y
croire». Cette femme aux cheveux blancs
pleure, en essuyant ses larmes avec sa main.
«Voilà neuf terribles années
où je n'ai jamais pleuré, mais
aujourd'hui je le fais».
La mère de
Chtcharanski n'arrive pas à saisir le fait
que son fils n'est plus détenu dans un camp
de prisonniers soviétique et qu'elle aussi
est enfin libérée d'un terrible
cauchemar. La dernière fois qu'elle avait eu
le droit de rendre visite à son fils,
c'était en janvier 1985. Pour cette
rencontre, la vieille dame avait fait le voyage
jusqu'à l'Oural, car Chtcharanski
séjournait au camp 35, près de la
station Wsewaiatskaja, dans la région de
Perm. Elle et son fils Leonid durent attendre
là-bas pendant deux jours avant de voir
enfin Anatoly, et de lui parler à travers
une vitre.
«Nous ne devions parler
que de choses personnelles», nous
expliqua-t-elle dans l'étroit
trois-pièces de son fils Leonid,
situé dans le quartier Petschatniki de
Moscou. Un récepteur à ondes courtes
donnait les dernières nouvelles en anglais
sur l'échange des «agents».
La vieille dame raconta que,
depuis la dernière entrevue avec Anatoly,
elle avait reçu de lui seulement trois
lettres. Dans le petit appartement se serraient les
cameramen américains et ouest-allemands.
Alors que les projecteurs des caméras
étaient braqués sur elle, madame
Milgrom expliqua qu'elle avait adressé en
dernier, le 26 janvier, un télégramme
à Mikhail Gorbatchev, afin de solliciter de
l'aide pour Anatoly. «Je suis très
reconnaissante à Gorbatchev, mais je
remercie aussi Ronald Reagan de ses efforts».
Elle manifesta sa conviction que ces politiciens
avaient «sauvé la vie de Toljas et
prolongé un peu la sienne». Les
prédécesseurs de Gorbatchev, comme
Brejnev, Andropov et Tchernenko, n'avaient pas
réagi à ses nombreuses demandes,
dit-elle.
Madame Milgrom était
visiblement tendue. Cependant, lorsque l'un des
caméramen tomba avec sa chaise qui
s'écroula sous lui, la mère de
Chtcharanski se mit à rire. Son fils Anatoly
avait été arrêté en 1977
et condamné, le 14 juillet 1978, à
trois ans de prison et dix ans de détention
dans un camp pour «haute trahison sous forme
d'espionnage» en faveur des USA, ainsi que
pour «agitation et propagande
antisoviétique». En ce qui concerne sa
libération surprenante, sa mère dit:
«Je ne le croirai que lorsque j'entendrai sa
voix». Elle attendait, en effet, un appel
téléphonique d'Anatoly Chtcharanski
et de sa femme.
Madame Milgrom affirme que ce
n'était pas le gouvernement
soviétique qui l'avait informée de la
libération de son fils. Quant au
communiqué parlant de sa propre
émigration de l'URSS, elle expliqua:
«Cela non plus, je ne l'ai pas appris par les
Soviets. Tout ce que j'ai entendu jusqu'à
présent, m'est parvenu par les nouvelles de
l'Ouest». En disant cela, elle désigna
le récepteur à ondes courtes.
Cependant, Madame Milgrom
manifesta l'espoir que l'URSS lui accordera, ainsi
qu'à Leonid et à sa femme Raja, avec
leur deux enfants Sacha (14 ans) et Boris (8 mois),
la permission d'émigrer. «Je ne sais
pas comment j'ai pu survivre à ces neuf
terribles années». Toutes les nuits,
dit-elle, elle avait dû penser à son
fils détenu, qui n'avait qu'un moyen de
protestation au camp: la grève de la
faim.
Elle ajouta que le sort de
son fils avait épuisé son mari, qui
mourut d'une crise cardiaque dans un trolleybus le
20 janvier 1980, à l'âge de 75 ans -
jour des 32 ans d'Anatoly Chtcharanski. A
l'époque, les autorités
soviétiques avaient refusé à
Anatoly de participer aux obsèques de son
père. La famille avait juste reçu un
télégramme de condoléances du
camp.
.
En Israël, Anatoly
s'appelle maintenant Nathan
«Sois loué,
ô Eternel, Toi qui délivres les
prisonniers de leurs chaînes». C'est
avec ces paroles de bénédiction de la
liturgie juive que réagit le
président d'Etat , Chaïm Herzog,
lorsque, pendant une séance gouvernementale,
un adjudant lui souffla la nouvelle qu'Anatoly
Chtcharanski venait de traverser le pont Glienicker
à Berlin.
Herzog publia aussitôt
un communiqué où il disait:
«Anatoly Chtcharanski est devenu un exemple et
un symbole. Son courage a redonné espoir
à nos frères et soeurs en Union
soviétique ... Sois le bienvenu dans ta
patrie, Anatoly. Que beaucoup d'autres puissent te
suivre»! Avec ces paroles, Herzog avait
exprimé les pensées que beaucoup
d'Israéliens portaient dans leur
coeur.
Le bonheur se lisait sur le
visage d'Anatoly Chtcharanski lorsqu'il descendit
à l'aéroport Ben-Gourion près
de Tel Aviv, du petit avion «Westwind»
qui l'avait transporté de Francfort en
Israël, accompagné de sa femme Awital
et d'un petit groupe d'amis
israéliens.
Chtcharanski se jeta dans les
bras du Premier ministre Shimon Peres, qui
attendait à l'aéroport. En guise de
salutations, Peres et son nouveau concitoyen
s'embrassèrent pendant 30 secondes au moins.
Puis, Awital présenta son mari au ministre
des Affaires étrangères, Yitzhak
Shamir qui n'hésita pas non plus à
l'embrasser.
«Nous sommes tous
très émus, comme vous», dit
Peres à Anatoly, «comment vous
sentez-vous»? «Je suis très
heureux d'être maintenant dans mon
pays», répondit Anatoly dans un
hébreu parfait, qu'il avait appris pendant
ses neuf ans de détention, au moyen de
livres entrés en contrebande au camp.
Anatoly portait un anorak
neuf brun clair, Awital une nouvelle robe brun
foncé. Elle avait échangé son
foulard gris habituel contre un nouveau avec des
fleurs. Les étreintes et les poignées
de main n'en finissaient pas. La moitié des
membres du gouvernement était à
l'aéroport, ainsi que plusieurs anciens
co-détenus de Chtcharanski. Le grand rabbin
israélien Sapira prononça sur Anatoly
cette bénédiction rarement
formulée, sinon dans certaines
prières: «Loué sois-Tu, ô
Dieu, Toi qui ressuscites les morts»!
Le faste que le gouvernement
avait réservé à
l'arrivée d'Anatoly Chtcharanski en
Israël dépassait tous les
précédents. On avait non seulement
envoyé un avion spécial à
Francfort, mais encore préparé une
réception d'Etat à l'aéroport
de Tel Aviv. De nombreux bus étaient mis en
service, afin que tous ceux qui le
désiraient puissent se rendre à
l'aéroport pour accueillir Anatoly.
A son arrivée,
Chtcharanski reçut aussi les documents
israéliens d'immigration et adopta le nom
hébraïque de Nathan. (SAD)
Ephraim Lahav,
Jérusalem
.
«Nous l'avons
laissé parler afin que la tension en lui
s'en aille»
Même la direction de
freinage défectueuse de l'avion qui devait
amener de Berlin à Francfort le citoyen
russe Anatoly Chtcharanski après sa
libération, ne pouvait ternir l'ambiance
joyeuse au sein du petit groupe de voyage. Le
pilote avait découvert la
défectuosité juste à temps et
le voyage pouvait être effectué avec
une autre machine. Chtcharanski était
tellement impressionné par tout ce qui
venait de se passer, que personne n'avait
l'idée de le questionner sur ses plans
d'avenir en Israël. Ludwig Rehlinger,
secrétaire d'Etat au ministère de
l'Intérieur allemand, qui, avec
l'ambassadeur américain à Bonn,
Richard Burt, avait conduit Anatoly (37 ans)
à travers le pont Glienicker vers la
liberté, décrit l'atmosphère
qui régnait dans l'avion: «Il
était tellement rempli de tout ce qu'il
venait de vivre que Burt et moi-même - et
cela se comprend - ne lui avons pose aucune
question. Nous l'avons laissé parler, afin
que la tension en lui s'en aille».
En même temps, à
l'aéroport de Francfort-sur-le-Main, 50
journalistes, environnés des techniciens et
cameramen de la télévision,
attendaient l'arrivée de Chtcharanski avec
sa femme. Un vent glacial soufflait lorsque les
reporters virent, de la terrasse des visiteurs,
atterrir le «Business-Jet Westwind WW
23», venant d'Israël.
Rudolf Zewell,
Francfort
.
Awital
immédiatement conduite dans le hall des pas
perdus
Une belle femme,
habillée d'une veste foncée et
coiffée d'un foulard noué sous une
touffe de cheveux dans la nuque, descendit du Jet.
Les journalistes ne purent cependant entrevoir
Awital Chtcharanski que pendant un court instant.
Elle fut immédiatement conduite vers le hall
des pas perdus du secteur de transit B 40.
Des employés de la
garde frontières dans leurs habits de combat
et des policiers armés de mitraillettes,
bouclèrent à clé les
entrées de ce secteur. Les chiens policiers
faisaient comprendre à chacun qu'ils
étaient là pour empêcher toute
approche de Madame Chtcharanski. La
sécurité d'abord! Les contrôles
étaient si sévères que
même les gens voulant simplement remettre des
fleurs, furent renvoyés sans
commentaire.
Peu avant 13 heures, l'avion
d'Air-force de Berlin, avec à bord Anatoly
Chtcharanski, se posa à l'aéroport de
Francfort dans la zone militaire. Le consul
américain salua le citoyen
libéré dans l'aire d'atterrissage.
Ensuite, on se rendit avec une voiture au hall des
pas perdus, qui se trouve dans la zone civile de
l'aéroport.
.
Un revoir entre quatre
yeux
Après l'accueil par
l'ambassadeur israélien de Bonn, Yitzhak Ben
Ari, Chtcharanski fut conduit dans une chambre
où, pour la première fois depuis
douze ans, il pouvait serrer sa femme dans ses
bras. Aucun reporter, aucun officiel ne devait
être présent. C'était un revoir
entre quatre yeux.
Puis, Awital Chtcharanski
remercia, par des paroles simples et touchantes,
Richard Burt et Ludwig Rehlinger. Après une
lutte qui avait duré des années, elle
était enfin arrivée au but. Sans
jamais se lasser, elle avait combattu en faveur de
la libération de son mari. Jamais elle
n'avait douté qu'un jour elle le reverrait.
Pour elle, «l'an prochain à
Jérusalem» représentait plus
qu'une salutation pieuse.
Enfin, à 14h.23,
l'avion bi-réacteurs israélien
décolla de la piste à Francfort et
transporta le couple Chtcharanski vers un accueil
triomphal à Tel Aviv.
Après cet
échange sans heurt des prisonniers sur sol
allemand, Ludwig Rehlinger dit simplement: «Le
gouvernement allemand s'est engagé avec
beaucoup de fermeté et a fait son possible
afin de mener à bonne fin cette
affaire». C'est aussi avec un sentiment de
contentement qu'il pouvait se défendre
contre la critique que des citoyens allemands
avaient été échangés
avec des agents. «Si c'est la seule
possibilité de faire sortir un homme de
prison aussi droit que Chtcharanski, je ne me
compromets en rien en agissant ainsi», dit
Rehlinger.
Nouvelles
d'Israël Mai 1986
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Nouvelles d'Israël
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