L'alimentation rituelle dans la
tradition juive en 1970
Discipline essentielle
peut-être, la plus connue sans doute, la plus
astreignante sûrement de la pratique juive
à notre époque, celle qui exige le
respect des interdits alimentaires a
été brièvement
évoquée ici il y a quelques mois.
Voilà qui a soulevé un grand nombre
de questions : Où? Quand? Comment? .. Pour y
répondre, un de nos reporters a
visité, pour ceux qui ne l'ont jamais fait,
les abattoirs, les magasins, les restaurants qui
assurent aux Israélites soucieux de
respecter ces prescriptions les produits qui leur
conviennent.
Pour les juifs qui pratiquent
fidèlement la religion issue de la Tora et
dont les exigences ont été
précisées, dans leurs
modalités, par les « docteurs de, de la
Loi », il s'agit, rappelons non seulement de
s'abstenir de certaines nourritures « impures
», mais d'observer certaines règles
dans la préparation de celles qu sont
permises (Lévitique, chap. 11
Deutéronome, chap. 12 et 14).
.
Comment ces règles
peuvent-elles être suivies en fait dans la
société occidentale du XXe
siècle qui est la nôtre ?
Un chiffre tout d'abord : il
existe, dans la seule région parisienne, une
soixantaine de boucheries dites «
cachères » (par francisation du mot
kasher : « approprié »), pour un
nombre de fidèles qu'on peut estimer entre
soixante et cent mille. Naturellement, seule la
chair des animaux réputés « purs
» de par leur espèce y est mise en
vente, et après qu'elle ait
été rituellement
traitée.
Le halaf couteau d'acier avec
lequel l'animal à sacrifier doit être
égorgé, sera d'une longueur au moins
égale au double du diamètre du cou de
la victime. On disposera donc de « halaf
» de trois tailles différentes selon
qu'ils sont destinés au gros ou au menu
bétail, ou bien à la volaille. C'est
l'affaire du chohet, l'abatteur rituel, qui
n'accomplit cet office qu'une fois doté du
gabbala, diplôme qui l'autorise à
exercer.
.
L'interdit principal celui
qui concerne la consommation du sang
Après avoir
prononcé le che'hita, la
bénédiction, il opère donc. Le
sang de l'animal doit couler sur le sol où,
en principe, il est aussitôt recouvert de
cendres., L'essentiel est que les fidèles ne
consomment pas de sang; on se souvient que tel est
le principal interdit de la Loi de Moïse en ce
domaine.
Il convient ensuite
d'examiner les viscères, de s'assurer que la
victime destinée à la consommation
des fidèles n'était pas terefa,
c'est-à-dire impure, par défaut ou
maladie qui risquait d'entraîner une mort
prochaine, dans l'année. On admet que ce
serait le cas si l'abatteur découvrait
après examen : des p!aies provoquées
par les griffes d'un fauve, ce qui est à
vrai dire assez exceptionnel dans la région
parisienne; une perforation des vaisseaux ou des
parois; des mutilations; des organes
arrachés; des déchirures; des
blessures provoquées par une chute; une
fracture ou même une fêlure.
.
Enfin, le nerf sciatique
doit être enlevé.
Il restera à la
ménagère de stricte observance
à prendre certaines précautions : la
viande doit être pressée
jusqu'à ce qu'il n'en sorte plus une goutte
de sang. Par précaution, elle doit la
tremper dans l'eau pendant une demi-heure, avant de
la faire macérer dans du gros sel pendant
une heure. Un nouveau rinçage enfin
précédera la cuisson.
Le vin doit lui aussi
être contrôlé. Certains rites,
assurés par un rabbin chez le producteur ou
le négociant, permettront de le
considérer comme « pur » et
légalement consommable. Le sceau «
cachère », apposé sur les
tonneaux ou les bouteilles, sera la preuve
matérielle de la garantie ainsi
donnée. Le même sceau couvre d'une
façon générale les autres
aliments, et surtout le pain et le lait. Ces
règles sont particulièrement strictes
à l'époque des fêtes de la
Pâque.
S'y ajoute, en tout temps, le
respect de celles qui concernent l'interdiction des
« mélanges » : défense de
cuire la viande dans du lait et de boire du lait
après avoir mangé de la viande. Il
convient d'espacer de trois heures au moins
l'absorption de ces denrées
différentes; et les plus pieux parmi les
fidèles attendent même cinq ou six
heures.
.
Le sceau
«cachère» garantit la
pureté légale
C'est pourquoi les juifs
« orthodoxes » se fournissent pour la
presque totalité de leur alimentation dans
des magasins « cachers », boucheries et
épiceries notamment, qui leur assurent la
pureté légale de tout ce qu'ils
achètent : le sceau, sur la viande et sur le
conditionnement des autres produits, en
témoigne.
On conçoit que la
fidélité absolue à des
pratiques aussi minutieuses ne soit pas
aisée dans la vie d'aujourd'hui. Les juifs
« observants » sont donc pour la plupart
contraints de prendre tous leurs repas chez eux :
on imagine difficilement des repas
«cachères» organisés dans
les cantines des grandes entreprises... Et si les
grands centres ont, nous le savons, des restaurants
spécialisés, il n'en est pas partout.
Il arrive cependant qu'on trouve une nourriture
irréprochablement « cachère
» là où on l'attendait le moins
: c'est l'aéroport d'Orly, qui est
équipé de la plus importante cuisine
de France où sont préparés de
tels repas : 2 500 par jour en pleine saison, pour
les clients des lignes aériennes, ceux de
EL-AL, bien sûr, la compagnie
israélienne, et de la Pan American World
Airways, en majeure partie.
Si bien que le mode de
transport le plus moderne se trouve de nos jours
être le plus sûr dispensateur d'une
cuisine conforme à un rite trois fois
millénaire.
Hervé
POPHILLAT
En ce
temps-là, la Bible No 20 pages
II-III.
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