|
Les bons
citoyens du kibboutz El-Rom
Les colons juifs ont du mal
à accepter qu'Israël ne puisse obtenir
la paix sans céder le Golan
«La grande peur vient de
l'inconnu», explique calmement Carol Krugel.
Au kibboutz El-Rom, les enfants dorment mal, et les
parents hésitent à évoquer les
«projets alternatifs» qu'ils ont
déjà conçus. El-Rom se trouve
tout au nord du plateau du Golan, à quelques
kilomètres à peine de la ligne
d'armistice et des villages druzes qu'Israël
va restituer aux Syriens. Si la Syrie accepte une
solution progressive et réclame, en signe de
bonne volonté, l'évacuation de
colonies de peuplement juives dès le
début des opérations, il se pourrait
que l'idyllique communauté d'El-Rom, forte
de 300 âmes, soit la première à
«disparaître».
Israël a proposé
à la Syrie une restitution progressive. On
marchande, avec la médiation des Etats-Unis,
pour voir à quelle distance et en combien de
temps - cinq ans ou moins -
Israël va se retirer et
à quel moment les Syriens se
déclareront prêts à normaliser
les relations. Depuis des mois, les choses semblent
piétiner. Mais à présent
qu'Yitzhak Rabin a dépassé la
moitié de son mandat et veut presque
à tout prix attirer la Syrie vers la paix,
la lutte israélo-israélienne pour le
Golan fait rage.
Les habitants d'El-Rom sont
tout sauf des nationalistes acharnés. Ils
votent presque tous pour le parti travailliste. Le
kibboutz a été fondé en 1971,
sous un gouvernement socialiste. Pour tous les
gouvernements israéliens et tous les
citoyens d'Israël, il ne faisait aucun doute
jusqu'il y a peu que le Golan, conquis lors d'une
guerre défensive, resterait israélien
pour toujours. Ceux qui s'installaient, sur ce
plateau basaltique étaient des pionniers,
des émissaires du mouvement des kibboutz,
qui agissaient sans repousser qui que ce soit, et
sans aucune arrière-pensée d'ordre
financier. El-Rom produit aujourd'hui des pommes de
grande qualité, des avocats et des
pastèques. Le raisin des vignes qui
s'étendent sur les collines bordant l'autre
côté de la route est livré
à une coopérative régionale
qui produit les meilleurs crus d'Israël. Mais
le kibboutz d'El-Rom est surtout connu pour son
studio perfectionné de sous-titrage de films
étrangers. Toute cette infrastructure est
à présent menacée: depuis
trois ans, le Golan est peu à peu devenu un
objet de négociations.
En 1992, les fidèles
habitants d'El-Rom ont à nouveau choisi le
parti travailliste. Aujourd'hui, ils sont
déçus. Ils ont en vain demandé
au gouvernement de les éclairer sur leur
sort dans l'avenir proche. Mais Carol Krugel,
enseignante de 40 ans, assure qu'il n'y aura pas de
révolte. «Nous ne sommes pas de ceux
qui incendient les pneus de voiture. Ici, il n'y a
que de bons citoyens».
A 40 minutes en voiture, la
situation est nettement plus tendue à Gamla,
localité perchée sur les hauteurs du
lac de Génézareth. Depuis trois
semaines, une grève de la faim
organisée de manière professionnelle
par les colons fonctionnaires attire d'innombrables
autocars d'Israéliens inquiets,
désireux de manifester leur
solidarité. Plus de 200.000 personnes s'y
seraient retrouvées, auraient arboré
des «pin's Golan» et fait des dons. Le
gouvernement s'est depuis longtemps engagé
à soumettre toute concession territoriale
importante concernant le Golan à un
plébiscite. Mais les grévistes
voudraient que celui-ci soit organisé
dès maintenant afin de réduire Rabin
à l'impuissance.
Les 13.000 colons du Golan
pèsent à peine dans la balance, mais
tous les Israéliens sont conscients du
risque que cette opération représente
pour la sécurité: Israël
pourrait supporter la chute de 1.000 missiles sur
Tel-Aviv, mais deux divisions blindées
syriennes sur le Golan menaceraient son existence.
En outre, contrairement à ce qui se passe
dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie, il
n'existe ici aucune «population hostile»
avec laquelle toute coexistence semblerait
impossible. Dans les montagnes, on a en quelque
sorte l'impression de se faire opérer sans
être malade.
Ainsi, il se pourrait
qu'Yitzhak Rabin voie ses propres partisans lui
fermer la porte de la Syrie. Avigdor Kahalani
voudrait même qu'un texte de loi prescrive
une majorité des deux tiers pour renoncer au
Golan. Ce général réserviste
âgé de 50 ans est un héros de
guerre: en 1973, quasiment seul, il a
défendu le Golan contre l'assaut des
blindés syriens. Aujourd'hui, il est un
élu du Parti travailliste et s'oppose
à Rabin. «Je suis disposé
à faire la paix demain matin et à
attendre 50 ans», a-t-il déclaré
à Gamla. «Une fois que tout sera en
ordre, je signerai pour que nous rendions le Golan
après 50 autres années - un peu comme
les Anglais et les Chinois vont le faire pour
Hong-Kong».
La question du Golan divise
les travaillistes. Les idéalistes d'El-Rom,
que le Parti a jadis envoyés sur la
montagne, sont aujourd'hui les premiers à
payer le prix de la paix en devant renoncer
à leurs foyers, à leurs fermes et
à leurs champs. Mais il faut bien
reconnaître qu'Israël ne peut obtenir la
paix sans céder le Golan.
«Peut-être notre fils devra-t-il
à nouveau conquérir le Golan dans dix
ans», commentent amèrement les Krugel,
«mais ce sera certainement la dernière
fois.» DW
Nouvelles
d'Israël 11 / 1994
©
Nouvelles d'Israël
|
|