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écrit: TA PAROLE EST LA VERITE (Jean 17.17) Cela me suffit... |
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écrit: TA PAROLE EST LA VERITE (Jean 17.17) Cela me suffit... |
CLAUDE BROUSSONDéfenseur des Eglises opprimées
« La Terre Promise »... C'est ainsi que, pendant les douloureuses et tragiques années qui vont suivre, les protestants de France nommeront l'hospitalier et fraternel pays de Suisse. Aux yeux des huguenots qui ont « pris le Désert » plutôt que de céder et qui errent à l'aventure, exposés aux intempéries, tenailles par la faim, recrus de fatigue, cette Suisse lointaine apparaîtra comme le havre de grâce, le port tranquille où cesseront leurs tribulations. Pour d'autres, plus faibles. qui ont abjuré sous la menace des dragons, mais qui continuent, dans le secret de leurs logis, à célébrer le culte défendu, elle sera la terre de délivrance où ils pourront déposer l'écrasant et honteux fardeau des compromissions. Oh ! vivre au grand jour ! Cesser de mener une double vie, d'être à la messe le matin et d'ouvrir, la nuit, la Bible huguenote, en tressaillant au moindre bruit, en tremblant sans cesse d'être découverts ! Ne plus se taire... ! Ne dire que ce dont le coeur est plein... est-ce possible qu'un tel bonheur se puisse trouver Au Refuge ? Mais, hélas ! la Terre Promise est loin... loin dans l'espace, sans doute, mais plus éloignée encore par tous les dangers à courir, toutes les difficultés à vaincre, toutes les souffrances à supporter pour l'atteindre. Au moment où Claude Brousson se dirige vers la Suisse, le grand flot des réfugiés ne déferle pas encore vers la frontière, comme il le fera dans deux ans, au moment de la Révocation de l'Edit de Nantes, et, sans doute, l'avocat nîmois ne rencontrera-t-il ni les espions, ni les faux « passeurs », ni les soldats qui chercheront plus tard à arrêter l'exode des fugitifs en marche vers « la nouvelle Canaan ». Pourtant, son voyage ne fut certainement pas de tout repos, car il était hors-la-loi, condamné, poursuivi et il importait de gagner le Refuge aussi discrètement et aussi vite que possible. Il l'atteignit au début de novembre 1683, en compagnie, semble-t-il, de quelques autres fugitifs. Les deux pasteurs et M. de Fontfrède ne le rejoignirent que quelques mois plus tard. Brousson et ses compagnons ne furent pas les premiers à passer la frontière. Ils avaient été précédés par de nombreux Français, pasteurs et laïques, exclus par l'amnistie. Tous avaient reçu à Genève la plus large et la plus généreuse hospitalité. Mais Genève qui nourrira bientôt quatre mille réfugiés, regorgeait déjà de fuyards. Brousson n'y demeura pas longtemps et alla s'établir à Lausanne. Peu de temps après, une femme et un petit garçon arrivaient dans cette ville, et, bien que brisés de fatigue et épuisés par un long voyage, ils se mettaient aussitôt en quête du logis d'un certain M. de Saussure, notable de Lausanne. L'ayant trouvé, ils demandèrent le sieur Brousson, avocat, qui vivait présentement chez le maître de céans. Quelle ne fut pas la joie de Claude Brousson lorsqu'il se vit en présence de sa femme et de son fils Barthélemy, arrivés sains et saufs en exil. La seule ombre à cette joie, était l'absence du petit Claude, trop jeune pour courir les routes périlleuses du royaume, que sa grand'mère paternelle gardait à Nîmes, et que ses parents ne devaient plus revoir, puisqu'il mourut quelques mois plus tard. M. de Saussure, avec la générosité que montrèrent alors les bourgeois des villes suisses, insista pour que la petite famille reconstituée demeurât sous son toit. Brousson accepta non sans hésitations. Sa délicatesse s'offusquait d'être, avec les siens, une charge pour ses hôtes. Et puis, un homme aussi actif que lui, s'accommodait mal d'une inaction prolongée. Il ne tarda pas à se morfondre, dans la belle demeure trop douillette et trop quiète à son gré. Aussi songea-t-il à reprendre son ancien métier d'avocat. Ce projet paraît tout naturel : il n'était cependant pas toujours facile à réaliser. Les Confédérés, qui se montraient si accueillants aux réfugiés et qui se dépensaient sans compter pour les assister, regardèrent parfois d'un mauvais oeil les Français envahir les diverses corporations, leur faire concurrence, les surpasser souvent par leur science, leur habileté, leur goût, et bien des huguenots cherchant à gagner leur vie, se heurtèrent à une certaine hostilité. Il ne semble pas que Brousson ait rencontré cette hostilité, et, bientôt il exerça sa charge avec succès auprès des tribunaux bernois. Lausanne était en effet, sous la juridiction de « ces Messieurs de Berne » réputés bons justiciers, équitables et droits. Installe, en famille, sur une terre libre et paisible, pourvu d'une situation honorable, il semblait que les tribulations de Claude Brousson fussent terminées et là s'arrêterait notre récit si l'avocat se fût retiré égoïstement de la lutte et désintéressé de ses frères en la foi, restes en France dans la tourmente des persécutions. Mais Brousson n'était pas homme à oublier ces malheureux. Sa pensée allait sans cesse vers eux et il désira passionnément continuer, de loin, a les aider. D'autres réfugiés pensaient comme lui et, sur leur demande, il écrivit un important ouvrage: L'Etat des Réformés de France, Les deux premières parties de ce livre exposaient les maux dont souffraient les protestants et la troisième constituait l'Apologie du Projet de Toulouse. L'ouvrage parut en Suisse, en 1684, et en Hollande quelques mois plus tard. Cette dernière édition était précédée d'une dédicace au roi et d'une « épître des protestants de France, affligés pour la cause de l'Evangile, à tous les autres protestants et frères en Jésus-Christ », qui expriment le double but poursuivi par l'auteur: émouvoir Louis XIV sur le sort de ses sujets réformes et créer, dans les pays de Refuge, un mouvement d'opinion en faveur de leurs coreligionnaires français. Si le premier but était utopique, le second ne l'était pas et fut pleinement atteint. L'ouvrage de Brousson, en faisant connaître le triste sort des protestants français, suscita, en Suisse et en Hollande, une ardente sympathie à leur égard, sympathie qui allait se traduire en magnifique élan de charité, lorsque, deux ans plus tard, la Révocation de l'Edit de Nantes jettera brutalement sur le chemin de l'exil des milliers de réfugiés. Les obligations de sa charge, la rédaction d'un important ouvrage suffiront-elles à remplir l'existence de Brousson ? Que non pas ! Il faudrait bien davantage pour épuiser l'activité d'un être aussi débordant de vie et brûlant de zèle, méridional passionne « toujours en mouvement, comme le décrit Douen , qui ne pouvait rester en place, dont la faconde ne tarissait pas, qui allait droit son chemin et ne reculait devant rien ni personne pour accomplir ce qu'il croyait être son devoir ». L'Etat des Réformés n'est pas terminé qu'il songe déjà à écrire ses Six lettres au Clergé de France, s'imaginant, avec la candeur qui s'allie si étrangement à sa subtilité d'avocat, qu'il suffira de démontrer la pureté d'une doctrine et la justice d'une cause et de faire appel à la charité évangélique pour toucher aussitôt les coeurs et changer le triste sort des reformés. Les six lettres, réunies en un petit volume, furent adressées à tous les prêtres dont Brousson put se procurer l'adresse. Point n'est besoin de dire qu'elles restèrent absolument sans effet. Ayant ainsi plaidé la cause de ses coreligionnaires auprès des protestants étrangers comme auprès du clergé français, c'est aux huguenots eux-mêmes qu'il songe enfin à s'adresser. 1685... l'année la plus sombre pour les protestants de France. La persécution s'intensifie. Les dragons pillent. saccagent, brûlent ou rasent leurs demeures. Leurs enfants, leurs jeunes filles leur sont arrachés et jetés dans des couvents. Les portes des prisons se referment sur des femmes « qui n'ont fait que prier Dieu ». Sur les galères, des hommes coupables du même « crime », peinent et gémissent, enchaînés à leurs bancs et manient les lourdes rames sous le fouet des argousins. Les pendus se balancent aux branches des châtaigniers cévenols, les bûchers dévorent leurs proies... Brousson sent venir le temps où les abjurations provoquées par tant d'épreuves deviendront de plus en plus nombreuses et il tente désespérément de les empêcher. Dans toutes les régions du Royaume où il est connu, il envoie « plus de trois mille paquets contenant de petits imprimés » sur de nombreuses feuilles volantes qui sont autant d'appels à la résistance et à la patience. Mais ces écrits furent dans la tourmente de la persécution ce que sont les feuilles d'automne arrachées et détruites par la tempête. Ce labeur énorme de Brousson ne portera guère de fruits et, bientôt. il ne se fera plus aucune illusion : les protestants abjurent en masse et Louis XIV pourra, non sans vraisemblance, proclamer que l'hérésie est extirpée de son royaume, qu'il n'y a plus de réformes en France et que, de ce fait, il révoque l'Edit de Nantes, désormais sans objet.
Alors, le désespoir et l'indignation de Brousson éclatent. A ses frères, « retournes dans la Babylone mystique », il écrit la Lettre aux Réformés de France toute chargée de reproches et de douleur. « Misérables ! clame-t-il, comment Oteront-ils cet opprobre de dessus leur tête ?... Qu'est devenu cette belle résolution d'être fermes jusqu'à la mort, de vivre et de mourir dans la profession du pur Evangile ?... Ha! lâches soldats de Jésus-Christ, vous avez été vaincus sans avoir même combattu jusqu'au sang ! Qui vous donnera maintenant de convertir vos yeux en fontaines de larmes pour pleurer nuit et jour votre pêche ? Qui vous fera revenir le coeur pour vous ranger encore sous les étendards de votre Sauveur que vous avez abandonné? » Ces paroles et d'autres encore du même genre, par lesquelles Brousson fustige les transfuges avec la véhémence d'un prophète d'Israël, nous serrent le coeur et nous ne pouvons nous empêcher de les trouver dures. Certes, Brousson sait ce qui se passe en France et ce que ses frères ont à souffrir... Mais il est loin. Il n'assiste point à leurs épreuves, il ne les partage pas effectivement. Esprit entier et passionné, il juge les conversions forcées avec intransigeance. Le sens des nuances, l'imagination qui évoque les détails, lui manquent. Il ne sait qu'une chose: les reformés ont cédé, ils ont abjuré. C'est le fait brutal, qui saute aux yeux. Mais ce qu'on ne voit pas, en tient-il compte ? Il ne voit pas ce qui se passe au fond des coeurs déchirés des « nouveaux-convertis »... le remords, la honte, le regret et la nostalgie du culte huguenot... Il ne voit pas, avant même que les conversions ne soient générales, le culte chéri 'refleurir au plus secret des logis... Il ne voit pas la Bible, soustraite aux recherches des persécuteurs, sortir de sa « cache » et s'ouvrir à la tremblante lueur des chandelles... Il n'entend pas la voix assourdie du père lire les textes sacres devant la famille réunie et prononcer les prières de ses ancêtres, tandis qu'une servante ou qu'un enfant fait le guet, tendant l'oreille aux bruits du dehors... Il ne sait pas qu'avant même la Révocation, un grand nombre de protestants, hommes, femmes, enfants, riches et pauvres, nobles, soldats, bergers, artisans, régents d'école et bien d'autres, de tous âges et de toutes conditions, « laissant aux dragons leur demeure et leurs biens », se sont enfuis à la campagne, plutôt que d'abjurer. Que les garrigues de la plaine, les châtaigneraies cévenoles, les hêtraies de la Lozère et de l'Aigoual, les grottes, les vallées écartées ont accueilli des centaines de personnes qui y vivent « au jour le jour, sans rien prévoir de leur sort du lendemain », et que déjà, parmi ces fugitifs, le culte défendu est célébré, en l'absence des pasteurs exilés, par de simples laïques. Il ne sait pas, enfin, ni ne prévoit encore que la religion de ses pères n'est pas morte, malgré les apparences, qu'elle vit d'une vie invisible et secrète et qu'elle reparaîtra un jour... semblable à ces rivières souterraines qui ne paraissent en été qu'un chemin de cailloux desséché, et qui, dès les premiers jours d'automne, surgissent brusquement et remplissent leur lit vide de flots abondants et tumultueux. Et C'est parce qu'il ignore tout cela, c'est parce qu'il ne prend garde qu'au résultat officiel et combien fallacieux! obtenu par la force, que Brousson porte un jugement dont la sévérité nous heurte. Et pourtant, malgré cette sévérité, malgré ses paroles cinglantes, Brousson, comme le dit très justement Ch. Bost, « conservait, maigre tout, une haute idée de la piété protestante, il ne doutait pas que ses reproches ne fussent bien reçus, car son épître se terminait par ces quelques mots : « ceux entre les mains de qui cette lettre tombera sont conjurés, au nom du Seigneur, d'en envoyer des copies à leurs frères ». Nous savons que ce conseil fut suivi, que les exemplaires de la lettre circulèrent sous le manteau et pénétrèrent dans de nombreux foyers huguenots, que ses reproches véhéments touchèrent bien des coeurs, firent couler bien des larmes de repentir et contribuèrent à faire renaître de ses cendres le protestantisme français. Le 17 octobre de la même année, les craintes de Brousson se justifiaient: le coup définitif était porte à la « Religion Prétendue Réformée » par la Révocation de l'Edit de Nantes. Alors, malgré les défenses royales, malgré la peine de mort appliquée à tout homme qui tenterait de passer la frontière, des milliers de huguenots, affamés de liberté et de paix, prirent le chemin de l'exil. Dur chemin! semé de difficultés, de fatigues, de dangers! En voitures particulières, à cheval, en chaises de poste publiques, dans le « coche d'eau » qui remontait le Rhône, caches dans des chars de foin ou dans des futailles chargeant des charrettes, à pied aussi le long d'interminables routes, ils allaient souvent déguisés, munis de papiers qu'il ne fallait point regarder de trop près, inquiets, fiévreux, méfiants, craignant les faux « passeurs », les espions, les rondes de police dans les auberges... ils allaient, ayant laissé leur sol natal, leur maison, leurs biens, les vieux parents, trop impotents pour les accompagner, emportant quelques pièces d'or cachées dans leurs vêtements, mais sans bagages pour ne point attirer l'attention et n'ayant plus vraiment « que leur âme pour butin ». Tous, hélas! n'arrivaient pas au but. Beaucoup, pourtant, atteignirent le Refuge, mais épuisés et dans le plus complet dénuement. Dès qu'ils foulaient le sol helvétique, une admirable hospitalité les accueillait. Devant ces malheureux, haves, défaits, couverts de poussière ou de boue, les beaux hôtels de ville s'ouvraient, dont ils osaient à peine fouler les parquets luisants comme de blonds miroirs. Avec un empressement plein de bonhomie, le maire de la cité et ses conseillers, ainsi que le « maîstre d'Eglise », leur souhaitaient la bienvenue, s'informaient des circonstances de leur évasion, inscrivaient leurs noms, s'enquéraient de leurs désirs et leur désignaient les hôtes qui les recevraient, ou s'ils préféraient se rendre dans une autre ville, leur fournissaient l'argent de « la passade » qui leur permettait de poursuivre leur voyage. Hors de danger, libres, fraternellement accueillis et entourés de prévenances et d'affection, maints réfugiés, pourtant, n'avaient pas encore trouvé le bonheur. Pour cela, il leur restait une chose à faire, une chose dont tous, d'ailleurs, se préoccupaient, sitôt installés : soulager leur conscience par la rétractation publique de leur infidélité d'un jour. Ces réfugiés, en effet, arrivaient, porteurs du billet d'abjuration qui leur avait été délivré lorsque, cédant devant les horreurs de la persécution, ils avaient renié la foi de leurs pères. Ce billet, qui leur brûlait les doigts, ils le présentaient aux ministres suisses et leur demandaient humblement « de les recevoir en la paix de l'Eglise », en agréant leur acte de contrition devant toute la communauté. Alors, libérés d'un poids écrasant, ils commençaient vaillamment une nouvelle vie. S'ils recevaient beaucoup du pays qui les accueillait, ils lui apportaient beaucoup aussi: la culture française, les sciences, les arts de leur patrie et aussi de nouvelles méthodes d'agriculture, de commerce, d'industrie, des métiers encore inconnus en Suisse, des outils perfectionnés. Ce sont des jardiniers français qui créèrent, au hameau de Cour, près de Lausanne, de merveilleux jardins pleins de plantes potagères et de fleurs rares; ce sont les tisserands nîmois qui produisirent les somptueux brocards d'or et d'argent, les jolis taffetas « gorge de pigeon » ou fleuris de bouquets aux fraîches couleurs qu'ils fabriquaient jadis à l'ombre de la « Tour Magne ». Ce sont les commerçants huguenots qui ouvrirent d'élégantes boutiques où l'on vendait les dentelles, les bas de soie, les colifichets et les parfums de chez nous. Disons franchement que, le paradis n'existant pas sur terre, l'activité des réfugiés français se heurta parfois à l'hostilité de leurs hôtes qui préféraient les aider de leurs charités que de se voir supplantés par eux dans l'exercice de bien des métiers. Peu à peu, cependant, chacun trouva le moyen de gagner sa vie, même de vieux gentilshommes, des dames portant de grands noms de la noblesse méridionale, des demoiselles de bonne maison qui se mirent bravement au travail, entrèrent comme précepteurs ou gouvernantes dans des familles suisses, s'établirent modistes ou dentellières, donnèrent des leçons d'épinette, de harpe ou de chant. Claude Brousson voyait passer ce flot de compatriotes dont beaucoup, certainement, lui étaient connus. Nous imaginons sans peine le logis de l'avocat largement ouvert aux arrivants et témoin de joyeuses surprises. Le premier jour de novembre, une main impatiente souleva le heurtoir de la porte, un voyageur entra et s'arrêta sur le seuil de la salle, défaillant d'émotion, tandis que Brousson s'écriait: - Daniel ! mon frère! et courait vers lui, les bras ouverts. Ce que dut être l'étreinte de ces deux hommes, après une si longue séparation, après tant d'angoisses, d'épreuves sans nom, de dangers courus, les gens de notre temps peuvent aisément le comprendre qui passèrent par des tribulations semblables, qui furent séparés des leurs, poursuivis, emprisonnés, déportés... et, sans cesse, en retraçant les souffrances et les luttes de nos pères, au temps du roi Louis XIV, nous croyons raconter la toute récente histoire de nos propres angoisses, de nos séparations, de nos luttes clandestines dans la France occupée d'hier. Ah ! comme nous sommes près de vous, tout près, comme nous vous comprenons, fiers et vaillants ancêtres, depuis que nous avons senti se réveiller en nous votre âme de révoltés et de martyrs, depuis que nous nous sommes sentis brûlés par la même soif impérieuse de justice et de liberté! Il y a dix ans, votre épopée nous paraissait tenir de la légende. Aujourd'hui elle ne nous surprend plus parce que nous l'avons vu revivre, et, cette fois, par l'ensemble des Français, au service d'une autre cause, sans doute, mais toujours pour un généreux idéal. Et, si elle a perdu quelque peu de son prestige romanesque, elle est plus proche encore de nos coeurs. Les premières minutes du revoir passées, la joie des deux frères s'assombrit déjà : Daniel arrive seul. En voyage depuis des semaines, il ne sait pas ce qu'il est advenu de sa femme, restée à Montpellier avec ses plus jeunes enfants, en attendant de pouvoir le rejoindre, ni de sa mère, de sa fille aînée Jeanne, de son fils Claude, avec lesquels il s'était mis en route et dont il a été brutalement séparé, à Aix-en-Provence, tandis qu'ils cherchaient tous les quatre à passer en Savoie. Reconnu dans une auberge, interroge, arrête, il s'est évadé, il est reparti et, péniblement il est parvenu à gagner l'étranger par Orange et les Hautes-Alpes. Où sont les deux enfants et leur grand'mère ? Il ne le sait. Que deviennent sa femme et le reste de la famille à Montpellier où la dragonnade fait rage ? Il l'ignore également. Aussi, le bonheur de se retrouver en pays libre est singulièrement atténué pour lui par de mortelles inquiétudes. Oh! il connaît sa vaillante compagne, il ne doute pas qu'elle ne tienne tête aux dragons et qu'elle ne fasse tout au monde pour le rejoindre... Mais y parviendra-t-elle ? Il l'espère, mais il tremble... et chaque jour qui se lèvera sur la terre du Refuge le trouvera attendant et se demandant: - Sera-ce aujourd'hui ? Il attendra longtemps... il attendra des années, puisque sept ans s'écouleront encore avant que sa famille, au complet, ne soit enfin réunie autour de lui. Après quelques semaines passées à Lausanne, Daniel Brousson continua son voyage et se rendit à Amsterdam où il reprit son ancien métier de marchand parfumeur. « Il leva boutique, écrivit plus tard son fils Claude, cinq ou six mois après sa venue dans ce pays, avec l'aide de mon cousin Rey... et quoique son capital fût très petit et que l'un et l'autre n'entendissent pas la langue, il ne laissa point que de gagner largement de quoi s'entretenir. Mais, soit à cause de la fatigue du voyage ou par la douleur de se voir séparé d'une femme et d'une famille qu'il aimait fort chèrement, il tomba dans une telle langueur qu'on craignait a tous moments de le perdre et il resta dans ce triste état jusques qu'il eût plu à Dieu de rassembler sa famille auprès de lui, ce qui ne fut pas si vite qu'il l'avait espéré. » Cependant, la foule des fugitifs continuait à envahir les cantons suisses. En un seul jour, Claude Brousson put compter deux mille arrivées à Lausanne. Le généreux pays qui accueillait les huguenots français ne pouvait continuer indéfiniment à loger et à nourrir tant de réfugiés. Le comité forme pour s'occuper d'eux estima nécessaire de trouver d'autres régions hospitalières vers lesquelles on pût les diriger. Il chargea Brousson et La Porte, ancien pasteur du Collet-de-Dèze, de se rendre en Allemagne et en Hollande pour trouver d'autres lieux d'asile et des ressources. Voilà donc une nouvelle mission qui s'offre à l'avocat. Il l'accepte sans hésiter et se met en route avec son compagnon. L'Allemagne du XVIIe siècle était formée d'une infinité de petits Etats plus ou moins importants qui ne présentaient entre eux aucune cohésion. Les deux voyageurs vont aller d'un Etat à l'autre, frapper à toutes les portes, voir princes, margraves, électeurs et solliciter leur aide pour les réfugiés français. L'accueil reçu sera très variable : certains feront la sourde oreille, d'autres tergiverseront, craignant de mécontenter le puissant roi de France, d'autres, enfin, accorderont, souvent d'ailleurs dans un but intéresse, les secours demandés. Mais un des plus grands obstacles rencontres fut l'étroitesse confessionnelle et l'incompréhension de la plupart des Luthériens auxquels les deux députés se heurtèrent avec stupeur. Si bien que Brousson dût, avant même de demander et d'obtenir des secours temporels, « consacrer tous ses efforts a rétablir une confraternité religieuse » avec ces protestants si éloignes des reformés français. Le prince régent de Wurtemberg, pressenti le premier, répondit qu'il avait grand pitié des fugitifs, mais que sa principauté était trop proche de Strasbourg pour qu'il puisse se permettre de mécontenter Louis XIV en accueillant des réfugiés sur ses terres. Toutefois, il leur accorderait des subsides au passage s'ils traversaient ce pays pour aller plus loin. A Nuremberg, le Sénat, tout luthérien, fit des difficultés: il ne tenait guère à permettre aux réformés de s'installer sur son territoire et d'y célébrer leur culte « selon leur coutume ». A Bayreuth, nos voyageurs furent plus heureux: le margrave accorda des lettres patentes qui permettaient à de nombreux réfugiés de s'établir dans son pays. A Berlin, enfin, l'électeur Frédéric-Guillaume qui travaillait à faire du Brandebourg un puissant Etat, vit tout de suite le profit qu'il y aurait à favoriser l'établissement des huguenots français dans cette province. Plus de vingt mille d'entre eux bénéficièrent de son hospitalité, mais le plus grand bénéfice fut pour leurs hôtes à qui les nouveaux venus firent connaître les sciences, les arts, l'industrie de leur patrie et dotèrent la ville médiocre et arriérée qu'était alors Berlin de ses premières fabriques, de belles maisons et de merveilleux jardins. Brousson, cherchant à obtenir de l'Electeur une aide plus large encore, lui montra l'intérêt qu'il y aurait à adresser des lettres aux fidèles de tous les pays protestants d'Europe. Le prince ayant « goûté ces propositions » chargea les deux députés de rédiger eux-mêmes ces lettres et ils se mirent aussitôt au travail. C'est du séjour à Berlin que date un nouvel ouvrage de Brousson: les « Lettres des protestants de France qui ont tout abandonné pour la cause de l'Evangile, à tous les autres protestants évangéliques et frères en Jésus-Christ, avec une lettre particulière aux rois, électeurs, princes et magistrats protestants ». Cet ouvrage fut imprimé aux frais de l'Electeur qui accepta de le faire distribuer dans toute l'Europe. Il fut réimprimé plus tard en Hollande et en Allemagne. Ces Lettres des protestants de France dont l'unique but était de disposer les Etats protestants à faire bon accueil à leurs frères réformés persécutés amenaient logiquement les nations protestantes à s'unir politiquement pour la défense de leur religion, en sorte qu'on peut dire sans exagération que Claude Brousson, sans le vouloir, fut un des promoteurs de la Ligue d'Augsbourg. Frédéric-Guillaume offrit à Brousson un poste de professeur à l'Académie de Berlin. Mais l'avocat n'avait pas terminé sa mission en pays étranger. Il déclina l'offre et, toujours en compagnie du pasteur La Porte, il se rendit en Hollande. Quel changement ! D'abord, Brousson ne se sent pas aussi étranger ici qu'en Allemagne. Il est accueilli par son frère, le parfumeur, il habite vraisemblablement chez lui et, sans doute, les délicieuses senteurs qui viennent de la boutique et envahissent tout le logis, lui rappellent-elles d'heureux souvenirs de jeunesse, alors qu'il étudiait le droit à Montpellier chez le cousin « marchand parfumeur » auquel devait succéder Daniel. Ensuite, Daniel Brousson n'est pas seul en Hollande: de nombreux réfugiés y sont déjà installés comme lui et, parmi eux, que de visages familiers, que de vieux amis l'avocat retrouve avec joie! Entr'autres, le pasteur Gaultier de St-Blancard, qui exerçait son ministère à Montpellier avant d'être jeté par la tourmente sur les routes de l'exil. Enfin, après s'être souvent heurté aux Eglises luthériennes d'Allemagne, Brousson découvre les Eglises wallonnes de langue française auxquelles les réfugiés français se sont tout naturellement incorpores, où l'on respire l'atmosphère inoubliée des Eglises de France, où l'on peut, en fermant les yeux, se croire encore dans un des pauvres temples dévastés et détruits des Cévennes ou du Languedoc... Brousson est partout l'obi et d'un chaleureux accueil. Il a l'honneur d'être reçu plusieurs fois par le prince Guillaume d'Orange et par le Grand Pensionnaire Fagel. Mais il n'a pas à solliciter d'eux aide et secours, comme il l'a fait chez les princes allemands: il constate avec satisfaction que les autorités néerlandaises ont déjà beaucoup fait pour les huguenots français et sont disposées à faire plus encore... il ne lui reste qu'à les remercier. L'avocat fait aussi, en Hollande, de nouvelles connaissances parmi les personnalités françaises réfugiées. Il rencontre, en particulier le célèbre pasteur, Pierre Jurieu, prédicateur éloquent, écrivain, savant théologien, caractère passionné et impérieux. N'est-ce point lui qui avait ose écrire à propos de Louis XIV: « Les rois sont faits pour les peuples et non pas les peuples pour les rois », affirmation qui paraissait, à cette époque, d'une audace inouïe. Les deux hommes sympathisèrent: « Tous deux, dit Ch. Bost, animés d'une foi inébranlable, d'un conservatisme doctrinal et rituel pareillement intransigeant, communiaient dans les mêmes grandioses certitudes ». Jurieu s'était appliqué à l'étude des prophéties de Daniel et de l'Apocalypse, dans le but d'y trouver « des raisons d'espérer une prompte délivrance de l'Eglise. » Il avait fixé ses conclusions dans un ouvrage célèbre: L'accomplissement des prophéties ou la délivrance de l'Eglise, dans lequel il crut pouvoir annoncer la fin probable des persécutions vers 1689, ouvrage qui allait susciter chez les persécutés de grandes espérances suivies de cruelles désillusions. Brousson s'enthousiasma pour le livre de Jurieu et entreprit a son tour, avec l'ardeur et la passion qu'il mettait à toute chose, l'étude des prophéties de Daniel et de l'Apocalypse dont on sentira l'influence dans ses ouvrages postérieurs auxquels il donnera souvent une allure apocalyptique. Mais, au bout de quelques mois, l'avocat et son compagnon La Porte, ayant constaté que la Hollande faisait pour les réfugiés tout ce qu'ils comptaient lui demander, jugèrent leur mission terminée et retournèrent en Suisse. |
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