Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CLAUDE BROUSSON 

Défenseur des Eglises opprimées


CHAPITRE VII

DES PAYS DU REFUGE AU CENTRE DE LA FRANCE

Londres au 17e siècle

 

Là, depuis quatre ans, une femme attendait, tremblait, priait, luttait contre la misère, le découragement, le mal du pays et s'efforçait d'élever de son mieux un enfant intelligent et studieux, mais nerveux et de santé, délicate.

Parfois, quand la journée avait été trop dure, quand la fatigue pesait sur ses épaules, quand elle se sentait trop seule dans la maison silencieuse, elle songeait qu'elle avait un époux sur lequel elle pourrait s'appuyer et que les conseils et l'autorité d'un père manquaient cruellement au jeune garçon...

Alors, sa solitude et la responsabilité de cette éducation l'accablaient... alors elle prenait sa plume, elle écrivait à l'absent, peut-être avec quelque amertume, peut-être avec quelques reproches... et elle s'attirait des réponses qui ne la réconfortaient guère.

Nous ne savons presque rien de Marthe Dolier, mais nous la connaissons assez cependant, pour deviner sans peine que la compagne de Claude Brousson ne vivait pas sur le même plan que son époux. C'était une femme qui aimait son mari avant tout, ce n'était pas une héroïne.

On a l'impression qu'elle a dû maudire plus d'une fois l'oeuvre entreprise par le pasteur... la maudire pour les jours d'angoisse qu'elle lui faisait vivre, mais aussi, mais surtout pour les dangers auxquels elle exposait son époux, pour le martyre vers lequel elle le conduirait peut-être.

Bouleversée à la pensée de tout ce qui menaçait cette tête si chère, elle laissait son imagination méridionale s'échauffer, elle voyait le bien-aimé capture, torture, brisé sur la roue ou suspendu à quelque gibet. Elle se voyait elle-même privée de ce qui faisait toute sa vie : attendre et espérer. Alors c'en serait fini de toute attente et de tout espoir... jamais plus on n'entendrait le pas de l'absent gravir l'escalier, jamais plus on ne verrait son visage éclairé par la tremblante lueur des chandelles, se percher sur sa table de travail, jamais plus sa voix ne résonnerait dans les chambres du logis, désormais vides de sa présence virile...

Peut-on s'étonner qu'après de pareilles visions, Marthe Dolier ne manifestât pas, lorsqu'elle écrivait à son mari, un enthousiasme excessif pour la mission du pasteur ? Mais, plutôt, une froideur que celui-ci lisait fort bien entre les lignes et qu'il relève souvent, dans ses lettres, avec inquiétude.

« Je suis fort en peine de vous, ma chère femme, lui écrivait-il, après son second départ de Hollande, de ce que vous avez si peu de force d'esprit pour supporter les épreuves par lesquelles il a plu à Dieu de vous faire passer... Vous résistez toujours en quelque manière à la vocation de Dieu et, par là, vous vous opposez en quelque sorte aux intérêts de sa gloire, a l'avancement de son règne, au salut et à la consolation de son peuple désolé, à mon devoir et à mon propre salut... Il faut que vous fassiez à Dieu un sacrifice de toutes les considérations de la chair et du sang pour acquiescer à sa volonté... Ne vous inquiétez de rien, mais souvenez-vous que Dieu conduit toutes choses avec une sagesse admirable. »

Pourtant, si Brousson plaçait son oeuvre avant « toutes les considérations de la chair et du sang », il était trop tendre de coeur pour délaisser sa famille sans regrets et, comme on l'a vu, le désir de revoir sa femme et son fils, fut une des raisons de son retour provisoire au Refuge.

Quelques jours avant Noël, le rêve de Marthe Dolier se réalisa. On entendit a nouveau dans l'escalier le pas rapide du pasteur et il apparut sur le seuil, amaigri, le visage marque par la fatigue et la maladie, mais souriant, et il serra dans ses bras une femme et un jeune garçon, éperdus de surprise et de joie.

La triste maison du Refuge parut alors trop petite pour contenir tant de bonheur et, sans doute, ce Noël 1693 fut le plus beau de sa vie, pour l'épouse de Claude Brousson.

Quelle joie de sentir son mari en sécurité auprès d'elle! Quelle joie de le voir, de l'entendre, de le soigner, de le servir, de vivre dans l'atmosphère chaude et vivifiante que sa présence créait dans le foyer !

L'arrivée du pasteur fut bientôt connue à Lausanne. Les amis accoururent et lui firent fête, la ville entière l'accueillit chaleureusement car « son activité au Désert avait ébloui tout le monde ».

Tout de suite, il fut pressé de questions: qu'allait-il faire ? revenait-il définitivement ? reprendrait-il son métier d'avocat ?

A tous, Brousson répondit qu'il n'était désormais que pasteur et qu'il ne songeait pas un instant à exercer son ancienne profession. Et même, il se préoccupa tout de suite de faire reconnaître de façon régulière la vocation pastorale qui lui avait été conférée d'une façon extraordinaire, un jour d'hiver, sur les sommets enneigés des Cévennes.

L'Académie de Lausanne jugea cette vocation légitime, sur un avis très favorable de la Vénérable Compagnie des pasteurs de Genève et, après un sermon d'épreuve et un entretien théologique, Brousson reçut l'imposition des mains à lausanne, en mars 1694.

La famille du nouveau pasteur vécut alors quelques mois de calme bonheur... un bonheur trop calme pour un homme comme Brousson! Aussi, dès le mois de mai, reprendra-t-il son activité à travers tous les pays de Refuge. Au printemps, il est à Zurich, en août, il assiste au Synode des Eglises wallonnes, au début de l'année suivante, il se rend à Londres.

La maison de Lausanne ne le revoit plus que par intermittence. Du moins, n'est-il pas en danger et sa femme peut-elle attendre son retour sans trembler pour sa vie.

Le Synode des Eglises wallonnes lui accorde, sur sa demande, la faveur d'être agrégé au corps des pasteurs de ces Eglises, « considérant les circonstances tout à fait singulières de la vie et de la vocation de ce fidèle serviteur de Dieu, qui a été délivré par sa grâce de tant de dangers et qui a soutenu de si grands travaux ».

Mais l'unanimité n'est pas complète. Si les zélateurs sont Pour Brousson, les « politiques », ceux qui ne veulent pas se compromettre, les tièdes que choque et effraie la vie exaltée et dangereuse des Eglises du Désert, de leurs pasteurs et de leurs prédicants, mènent contre lui une guerre sourde, cherchent à déconsidérer son apostolat en France et lancent même contre lui des insinuations malveillantes et calomnieuses.

Tout rempli de l'importance de sa mission, Brousson répond vertement à ses détracteurs par une lettre qu'il fait imprimer et répandre, mais, surtout, il publie l'un de ses ouvrages les plus célèbres, éclatante justification de son oeuvre et de sa vie: La relation sommaire des merveilles que Dieu fait en France, dans les Cévennes et le Bas-Languedoc pour l'instruction et la consolation de son Eglise désolée, ouvrage que l'on appelle plus couramment, en abrégeant ce long titre: La relation des merveilles .

« Ce petit volume, dit Charles Bost, était comme un hymne a l'honneur des humbles serviteurs par lesquels Dieu avait fait son oeuvre dans le midi du royaume... Il ne donnait pas, a vrai dire, de la première Eglise du Désert un tableau absolument fidèle, mais une image idéalisée, transfigurée par le pinceau d'une ardente et saine piété. Les plus petits des prédicants y avaient leur place et Brousson, en chantant leur gloire, affirmait aussi la sienne, sans jactance, mais fièrement. »

C'est aussi lors de son séjour en Hollande nue Brousson fit publier ses sermons, publication destinée à la fois à intensifier la diffusion de sa prédication parmi les fidèles de France et a atteindre tous les protestants d'Europe.

Cet ouvrage, parut en trois volumes sous l'un de ces longs titres qu'affectionnait son auteur: « La manne mystique du Désert, ou sermons prononcés en France, dans les déserts et les cavernes, durant les ténèbres de la nuit et de l'affliction, les années 1689. 1690, 1691, 1692 et 1693 ».

Grande place faite à la controverse, abondance des citations bibliques, emploi fréquent d'images. de récits ou de paroles de l'Ancien Testament, pris dans un sens allégorique et en même temps appels véhéments à la repentance, à la conversion. à In sainteté de la vie, telles sont les caractéristiques de sermons.

Tout en s'occupant de ces publications, Brousson déployait encore de nombreuses activités. Entr'autres, il prenait une part importante aux travaux d'un comité qui venait de se former parmi les réfugiés pour suivre de près les événements politiques. Les négociations de paix entre Louis XIV et les Alliés venaient de commencer. Elles s'annonçaient longues et laborieuses et le comité voulait travailler à obtenir qu'une clause du traité accorde la liberté de culte aux protestants français. Nous verrons plus tard que ce traité de Ryswick déçut cruellement les négociateurs.

C'est encore de Hollande que, dès le début de l'année 1695, Brousson partit pour Londres où s'étaient constituées une douzaine de paroisses de réfugiés qui vivaient étroitement unies entre elles, en marge de l'Eglise anglicane, et qui accueillirent chaleureusement le pasteur du Désert.

Mais celui-ci ne se confina pas dans le cadre étroit de ces paroisses. Quoique d'une orthodoxie calviniste rigide, il était trop intelligent et trop large d'esprit pour se contenter d'un horizon rétréci et il fit le grand rêve de rapprocher, en une union fraternelle, les réformés, les anglicans et même les luthériens qui s'étaient cependant montrés si peu compréhensifs et si peu accueillants pour les huguenots français.

Il s'entretint de ce projet avec un pasteur anglais, le révérend Quick sur lequel il produisit une vive impression. Au cours de la conversation « qui dura cinq bonnes heures, le temps me parut court, écrivit Quick, tant j'étais heureux de posséder un tel hôte».

Mais ce rêve généreux ne se réalisa pas, car Brousson fut brusquement rappelé en Hollande où l'Eglise de La Haye « appréciant ses grands talents et sa piété, ses pénibles travaux et ses grandes souffrances pour l'Evangile » l'avait nommé pasteur.

Brousson prit possession de la première chaire de Hollande - celle même que devait illustrer plus tard Saurin - en avril 1695 et se hâta de faire venir de Lausanne sa femme et son fils.

C'est de ce séjour à La Haye que date le seul portrait que nous possédions de Brousson, portrait peint par Peter van Bronkhorst, qui se trouve actuellement au musée de Nîmes et qui représente un homme imposant dans sa robe pastorale et sous sa vaste perruque bouclée.

« Ce portrait se recommande, dit le peintre jules Salles, par une touche énergique, un dessin correct et une belle expression dans les traits du visage. La tête, presque de face, laisse à découvert tous les traits du glorieux martyr. Les mains, dont l'une tient un livre de prière et l'autre invite du geste à pratiquer les enseignements qui y sont renfermés, sont remarquablement belles. »

Assemblée au Désert
D'après une gravure ancienne de Storni

 

Cependant Charles Bost doute de la parfaite ressemblance de ce portrait lorsqu'il écrit: « les mains potelées et très fines répondent au signalement qui fut affiché en Languedoc en 1691. Cependant, il faut avouer que l'ensemble représente assez mal un homme désigné généralement comme de taille moyenne, maigre, avec le visage basané. »

Claude Brousson vécut à La Haye, avec sa famille, des jours paisibles et confortables. Aime, choyé par cette riche paroisse, comblé d'honneurs, entouré d'admiration et de respect, il eût pu y mener jusqu'à la fin de ses jours une existence large et facile.

Or, le dégoût de cette vie trop quiète et la nostalgie du Désert, s'emparèrent très rapidement de lui. Une fois de plus, le Refuge le déçut. Il s'y sentit mal à l'aise au milieu de ses nobles et aristocratiques paroissiens qui, le premier moment de curiosité et de sympathie passé, se rendirent moins nombreux à ses cultes, trouvant « que son accent méridional lui nuisait (il prononçait « assent » pour accent, « santifié » pour sanctifié) et que sa prédication peu variée n'était pas supérieure à celle de ses collègues ».

D'autre part, la guerre sourde menée contre lui par les « politiques » à son arrivée en Hollande, ne tarda pas à recommencer, car, ainsi que le remarque très justement Douen, « les consciences énergiques et insensibles au respect humain, finissent généralement par froisser quelque passion ou quelque intérêt, et comme les meilleurs d'entre nous ne sont ni impeccables ni A l'abri de la malignité publique, on leur fait payer cher leur supériorité morale.

Ce fut ce qui arriva pour le petit avocat-pasteur... qui allait droit son chemin, ne reculait devant rien ni personne pour accomplir ce qu'il croyait son devoir et poursuivait un but unique avec l'abnégation et le zèle d'un homme qui a fait le sacrifice de sa vie. Plus ardent que tous les amis qui lui paraissaient tièdes, il souffrait des ménagements de toutes sortes qu'il leur voyait garder et eux blâmaient sa franchise excessive ».

Alors, sentant d'un côté cette sourde réprobation, de l'autre une froideur grandissante et même un certain dédain, Brousson, excédé de toutes ces compromissions, de tous ces froissements douloureux, de ces auditeurs qui n'assistaient au culte que comme à un exercice littéraire ou unie joute oratoire, n'eut plus qu'un désir: retourner au Désert, fouler à nouveau l'ardente terre de ferveur et de liberté, y reprendre sa place de conducteur d'âmes vénéré et suivi avec enthousiasme, braver encore le danger et la mort en un exaltant apostolat.

Folie, aux yeux du monde, sans doute; folie aussi, aux yeux de l'épouse désolée. Mais il faut qu'il y ait sur cette terre des êtres d'exception qu'on doit se garder de jauger à la commune mesure et qui marchent, solitaires et incompris, vers le destin fixe par un Dieu « dont les voies ne sont pas nos voies»...

C'est à la fin de l'été 1695 que Claude Brousson, répondant à l'appel mystérieux qui l'attire en France, quitte La Haye et rentre dans le royaume, par les Ardennes, a travers les armées campées sur la frontière.

Il suit les sentiers écartés de la montagne en compagnie d'un certain Bruman, sorte de « serviteur d'apostolat » et rusé Normand, qui indique les routes peu fréquentées, cherche des gîtes sûrs, déjoue les pièges et ne se trouve jamais embarrassé pour sortir, lui et son maître, de nombreuses et dangereuses aventures.

Pourtant, malgré son habileté, le pauvre Bruman n'accompagnera pas le pasteur plus loin que Sedan.

Brousson commence par tenir des assemblées en Picardie et les premières lettres qu'il adresse au Refuge débordent de joie et d'enthousiasme. « je ne saurais, écrit-il à un ami, vous exprimer la joie et la consolation que je sentis la première fois que je fus obligé de marcher à pied, de nuit et dans les déserts. Cela me mettait d'abord dans l'esprit l'idée de mes premières pérégrinations... » Et à sa femme: « je m'estime infiniment plus heureux que si j'étais établi dans la meilleure Eglise de Hollande. Le seul regret que j'aie, c'est de savoir que vous vous affligez de ce qui devrait vous consoler, vous remplir d'une sainte joie... Si vous pouviez être témoin des choses, vous en seriez fort consolée. je vous prie, ma chère femme, d'entrer dans ces sentiments de piété, afin que vous bénissiez vous-même le Seigneur pour la grâce qu'il daigne me faire; et vous contribuerez à cette oeuvre comme moi, puisque je suis une partie de vous-même. »

Après un mois passé en Picardie, Brousson et son accompagnateur arrivent à Sedan et trouvent dans la ville et les villages environnants « un grand nombre de frères affamés de la Parole de Dieu ».

Le zèle de ce « pauvre peuple » est si grand qu'il n'observe peut-être pas toute la prudence désirable et Bruman de son côté se dépense un peu trop ostensiblement en organisant les 'réunions où les gens viennent en foule pour exprimer publiquement le repentir de leur abjuration, pour être reçus dans la paix de l'Eglise et pour participer à la Sainte Cène.

Trop d'allées et venues entre la ville et la campagne d'alentour ne manquent pas d'attirer l'attention et, pour comble, les fidèles qui n'ont pu sortir de Sedan « de peur de faire trop d'éclat », réclament que le pasteur tienne une petite assemblée dans le faubourg même de leur cité.

Brousson sait le danger qu'il court. Il ne peut cependant rester sourd à cet appel et il préside un culte dans une maison amie.

Tout se passe sans incident. Mais, le lendemain, alors que le pasteur se repose et devise paisiblement avec ses hôtes, le bruit d'une troupe en marche retentit dans la rue. En un instant, la maison est investie et, avant que Brousson ait eu le temps de s'enfuir, l'officier surgit sur le seuil. Il ne reste qu'un recours au ministre, c'est de l'aborder hardiment.

- Que demandez-vous, monsieur ? fait-il en s'avançant.

L'officier le regarde à peine: il le prend pour le maître de la maison, mais il se dirige sans hésiter vers Bruman qu'il arrête, croyant avoir à faire au prédicant et il ne cherche même pas à interroger Brousson qui, sans hâte apparente, se retire et va se cacher dans une chambre écartée.

En même temps, les archers envahissent la maison, fouillant partout, à la recherche de livres défendus. Revenus bredouilles, ils s'éloignent, emmenant l'infortuné Bruman.

Se croyant hors de danger, Brousson sort de sa cachette et, tout désolé par l'arrestation de son guide, il arpente de long en large la salle basse, lorsqu'il voit tout à coup entrer le guet qui, repris de soupçons, vient fouiller une nouvelle fois la maison.

Le pasteur a juste le temps de se blottir entre la porte et le mur. Par la rainure, il voit les soldats aller et venir dans la salle, tandis que les deux petits garçons de ses hôtes, inconscients du drame qui se déroule, n'interrompent même pas leurs jeux.

Sur le seuil, l'officier surveille ses hommes. Avisant les enfants, il les interpelle :

- Hé ! les marmots... Savez-vous point où se trouve le ministre ?

Eperdu de terreur, Brousson voit alors le regard innocent du plus jeune, un bambin de quatre ou cinq ans, se fixer sur la porte derrière laquelle il se tapit et son petit doigt désigner la cachette

- Ici.. Monsieur l'officier.

C'en est fait, Brousson est pris!

Mais non... l'officier n'a pas compris le geste ni entendu les mots balbutiés par l'enfant et, comme les archers reviennent après de vaines perquisitions, il leur donne l'ordre de quitter la maison.

Il ne reste plus à Brousson qu'à partir précipitamment de Sedan, ce qu'il fait, déguise en portefaix.

Mais il continue ailleurs son apostolat et déploie une grande activité en Champagne, en Brie, en Ile-de-France. S'il n'entre pas dans Paris, c'est que plusieurs pasteurs revenus du Refuge y ont été arrêtés. « Tout le monde convient, écrit-il, qu'il n'y aurait pas de prudence à m'y arrêter (à Paris), les commissaires et autres préposés ayant, depuis quelques mois, des ordres exprès de courir sus aux gens de ma sorte. »

Brousson gagne ensuite la Normandie qu'il parcourt en tous sens et où il fait un assez long séjour, partageant son activité entre la prédication et la rédaction de divers écrits concernant l'organisation de l'Eglise sous la Croix.

L'Eglise, en effet, que le ministre trouve en France, à son retour de Hollande, est dans un état pitoyable. De cruelles et longues années de persécutions l'ont décimée; le désordre y règne; les pasteurs manquent; des questions embarrassantes, concernant les baptêmes et les mariages, se posent aux huguenots restés fidèles. L'état-civil n'existe pas à cette époque. Les registres de l'Eglise catholique en tiennent lieu, en sorte qu'un jeune couple qui refuse de faire bénir son union par un prêtre, n'est pas considéré comme marié et ses enfants seront tenus pour des bâtards. Aussi, bien des huguenots cèdent-ils à la tentation de faire célébrer publiquement baptêmes et mariages à l'église.

Navré de retrouver l'Eglise protestante dans l'anarchie, Brousson rédige alors ses Lettres Pastorales sur l'administration des sacrements, le rétablissement des exercices de piété, l'ordre du culte, l'institution des anciens et des diacres, l'élection des' pasteurs et des prédicants de bonne volonté qui désirent en remplir le rôle et la brûlante question des baptêmes et des mariages.

Ces Lettres Pastorales de Brousson constituent un remarquable effort de réorganisation des Eglises Réformées de France. Et, si la mort de leur auteur ne lui permit pas de faire appliquer sa Discipline par l'ensemble du peuple protestant. ses directives furent cependant suivies par de nombreux fidèles, jusqu'à la restauration complète des Eglises par Antoine Court".

Toujours sur les chemins, ne séjournant jamais longtemps en un même lieu, prêchant en de nombreuses assemblées, donnant la communion, célébrant baptêmes et mariages, Brousson se dépense en Normandie sans compter. La joie de son apostolat lui donne des forces inespérées, sa santé est « ferme et vigoureuse. La force de son Dieu s'accomplit dans sa faiblesse ».

Une assemblée tenue dans la nuit du 7 au 8 avril est dénoncée et donne lieu à une information. Mais on cherche en vain le pasteur qu'un témoin décrit comme: « un peu voûté, vêtu d'un justaucorps de drap gris, d'une veste rouge et d'un chapeau noir bordé ».

A peine échappe à ce danger, Brousson en court un second chez le gentilhomme normand qui le reçoit. Son célèbre accent méridional lui joue un mauvais tour en intrigant fort un avocat d'Alençon, « homme d'esprit et d'honneur », mais zélé papiste, en visite chez l'hôte du pasteur.

Brousson se voit presse par lui de questions fort embarrassantes, puis, c'est au tour du gentilhomme de trembler quand l'avocat l'interpelle directement et lui déclare tout net que son soi-disant parent est un ministre protestant.

« L'honneur et l'équité » l'emportent néanmoins sur le fanatisme de l'avocat qui ne dénonce pas le pasteur.

Mais, lorsqu'il revient le lendemain inviter le maître de maison à plus de prudence, l'homme à la veste rouge est déjà loin...

Cependant Bâville n'ignore pas que Brousson est rentré en France. Le 2 juin, on arrête, à Nîmes, Henry Pourtal, l'ancien et fidèle accompagnateur du ministre, devenu prédicant par la suite, alors que, réfugie chez des amis, il copie un sermon de Brousson.

Sur le malheureux Pourtal, condamné à être roue vif et qui mourra avec fermeté, on trouve un billet que le pasteur a eu l'imprudence de lui écrire et dans lequel il parle de son ministère en France.

Brousson est donc dans le royaume. Mais OÙ? le billet ne le dit pas.

Bâville, alerte, le fait chercher partout, s'agite, s'impatiente, s'irrite des copies de sermons du ministre que ses espions saisissent ici et là, écrit de tous côtés, à Mgr Fléchier, entr'autres, auquel il avoue : « il est certain que cet homme me tourmente plus que jamais », et pour finir, informe le secrétaire d'Etat, Pontchartrain, qui fait envoyer à tous les intendants de France le signalement de « cet homme dangereux » afin qu'on fasse diligence pour l'arrêter.

Au début de septembre, Brousson est averti qu'on connaît son itinéraire. Il ne lui reste qu'un moyen d'échapper à ses ennemis, c'est de quitter la France.

A grand regret, il franchit de nouveau la frontière et, par Bâle, il retourne à Lausanne.

Après un court séjour en Suisse, voilà Brousson de nouveau à la Haye où il retrouve sa famille et prêche. dès le 8 novembre, dans un des temples de la ville.

Sans consentir A prendre quelque repos, il se remet immédiatement au travail, avec l'ardeur et la ténacité que nous lui connaissons. Il écrit, fait imprimer divers ouvrages, préside des cultes et reprend aussi sa place au sein du « Comité des Huit », charge de suivre de près les négociations du traité de paix, en vue d'obtenir une clause rétablissant en France la liberté du culte.

Mais il va vite aller de déception en déception et il aura perdu tout espoir d'aboutir, avant même que la paix de Ryswick ne soit signée.

Pendant son absence, des divisions regrettables se sont produites parmi les réfugiés. Au comité dont il fait partie, avec Jurieu et Benoît, s'oppose un autre comité de dix membres, recrutés parmi les modérés qui se refusent à agir auprès des Alliés et prétendent tout obtenir directement de Louis XIV.

Or, Brousson sait qu'ils n'obtiendront rien. Trop de ses requêtes au roi sont restées sans réponse pour qu'il se fasse la moindre illusion sur le succès du « Comité des Dix ». La requête de ce dernier, en effet, n'alla même pas jusqu'au roi, personne n'avant osé la lui présenter.

Mais les Alliés, sur lesquels Brousson fondait plus d'espoir, le déçoivent très vite aussi. A mesure qu'avancent les pourparlers de paix, il est forcé de constater que les souverains protestants ont bien d'autres préoccupations que celle d'intervenir en faveur des réformés de France. L'Electeur de Brandebourg, Frédéric 1er, refuse de recevoir la lettre que Brousson avait envoyée a toutes les puissances protestantes d'Europe pour tenter de les intéresser à la cause des huguenots français: il craindrait bien trop, en aidant au rétablissement du culte en France, de voir partir les réfugiés qui enrichissent son pays. Quant au roi d'Angleterre, sur lequel Brousson et ses amis fondaient tant d'espérances, il se prépare, malgré toutes ses promesses à abandonner les protestants en signant une paix séparée avec Louis XIV. Habile jurisconsulte, avise négociateur, Claude Brousson, malgré son ardeur et son dévouement, n'obtient finalement aucun résultat.

Le salut du peuple huguenot de France ne viendra donc ni des puissances étrangères, indifférentes à son malheureux sort, ni de son roi sans pitié. Il ne peut venir que de Dieu et de lui-même.

Par sa fidélité, sa piété, sa patience, sa fermeté dans l'épreuve et devant le martyre et la mort, il doit prouver à la face du monde son droit a l'existence.

Persuadé que ce peuple a besoin d'être soutenu, dirige, console, Brousson se sent impérieusement appelé a cette tache. Son activité au Refuge, si utile soit-elle, lui paraît vaine en comparaison de l'oeuvre surhumaine qui le réclame en France.

Il sait que jamais le danger de retourner dans le royaume n'a été aussi grand pour lui, mais presse une fois de plus par le mouvement de sa conscience, il décide brusquement de partir.

Les larmes de sa femme lui déchireront le coeur, mais ne le retiendront pas. Marthe Dolier doit préparer de nouveau son léger bagage. Dans la poche du justaucorps gris de fer, on glisse la bourse de cinq cents florins que les Etats de Hollande avaient coutume de compter aux pasteurs rentrant en France, ainsi qu'un passeport au nom de Paul de Beausobre. Et, par une chaude journée d'août, « abandonnant comités rivaux, diplomates subtils, princes oublieux et égoïstes », Brousson, quittant les Pays-Bas pour aller poursuivre une oeuvre religieuse plus importante a ses yeux, serre dans ses bras sa femme et son fils qu'il ne reverra plus sur cette terre, et part, sans tourner la tête, vers le martyre.

L'ancien temple de Caen

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