Introduction
.
AVANT-PROPOS
La veille de la Toussaint, traversant le
cimetière d'une grande ville, j'ai lu sur la tombe d'un
enfant, cette inscription tragique gravée sur le marbre
rose : « Pourquoi? »
Je me suis arrêté, la gorge
serrée, l'âme angoissée. Ce cri douloureux,
véhément, d'une mère, d'un père,
auxquels la mort brutale vient d'arracher un enfant, ce cri
confié à la pierre si froide d'un tombeau
bouleversait mon âme. Sous le ciel gris d'arrière
automne, à qui s'adressait-elle cette question poignante de
coeurs déchirés?
Soudain, le marbre rose parut se multiplier
et prendre des formes humaines parmi lesquelles je reconnus
plusieurs personnes rencontrées au cours de mon
ministère, tant il est vrai qu'il est des âmes dont
le visage ressemble à une pierre funéraire parce que
leur coeur n'est déjà plus qu'un tombeau renfermant
d'amers regrets, restes d'illusions trompées, vestiges
d'une vie brisée !
Je me voyais entouré par la foule des
révoltés, des mutilés, des
déçus de la vie qui tous me répétaient
menaçants ou suppliants, ce terrible mot :
« Pourquoi ? »
Je me sentis membre tout à coup de
cette société accablée et souffrante. Une
douleur intense étreignit mon coeur. Tous ces
révoltés de la terre n'étaient-ils pas mes
frères, mes soeurs, mon père et ma
mère?
« Que puis-je leur répondre,
ô mon Dieu, m'écriai-je ? Que puis-je faire pour eux,
pour ces vies ravagées et jamais apaisées ? 0 Dieu !
tu le sais, ces êtres n'ont. que faire de notre
commisération, de nos formules de sympathie, de nos
condoléances sincères ! Donne-moi donc pour eux Tes
paroles qui sont esprit et sont vie... » Dix jours plus
tôt, dans une station climatérique, je venais de
m'endormir quand je fus réveillé par la sonnerie du
téléphone de la pension où je logeais. Les
aiguilles de ma montre marquaient minuit. Je m'assis le coeur
battant, car je savais qu'habituellement un coup de
téléphone à pareille heure dans cette maison
et dans cette cité, appelait un prêtre au chevet d'un
mourant. Après le bruit de pas précipités
dans les couloirs, tout redevint silencieux. Toujours assis sur
mon lit, je pensais à cette âme inconnue qui cette
nuit allait passer dans l'éternité. Elle
était venue sur la montagne pour y trouver la
guérison. Dans l'espoir d'une amélioration, elle
avait tout quitté : sa famille, ses amis, son pays, et
maintenant, loin des siens, elle devenait la proie de la mort dans
une terre étrangère. «Pourquoi » ce
destin douloureux? Solitaire, en veille au milieu de quelque trois
mille cinq cents malades j'étais écrasé par
le fardeau des âmes ! qu'en était-il de cette
âme aux portes de l'éternité ? Que pouvais-je
faire pour elle ?.
Tandis que le prêtre s'en allait dans
la nuit lui apporter «les secours de la religion », je
fis monter à Dieu cette ardente prière :
« O mon Dieu, Toi qui a tant aimé le monde,
révèle Ton Fils unique à cette âme
inconnue et sauve-la dans Ta grâce infinie ! Emploie ce
prêtre pouf lui apporter l'unique message qui sauve, la
Croix du Calvaire, le sang précieux de Christ qui purifie
de tout péché. Pénètre-le de la
solennité de sa mission, lui qui va être le dernier
humain. à lui parler de Toi… »
Mais au fond,
pourquoi m'occuper ainsi de l'âme de mes frères ?
N'ont-ils pas tous dans. ce monde leur religion ? Ne peuvent-ils
pas à toute occasion et sur leur lit de mort, faire appel
au prêtre ou au pasteur qui leur plait ? Pourquoi donc
m'inquiéter ? N'y a-t-il pas un clergé officiel pour
baptiser, marier, assister, enterrer ?
Malgré tout cela, je me sens
responsable, car je sais bien qu'aucune religion ne peut sauver
par elle-même. Je sais aussi que nombreux sont ceux qui dans
ce monde en ont assez de la religion et ne veulent plus de
rien.
Alors pour les révoltés de la
terre, pour les sans-Dieu, pour tous ceux qui crient encore :
« Pourquoi ? » je prends la plume, pour leur parler
en frère du Dieu des révoltés, du Seigneur
des sans-Dieu, du Dieu qui les comprend mais qu'eux ne comprennent
pas.
Neuchâtel, novembre
1946.
.
INTRODUCTION
Quand brusquement l'épreuve terrasse
un homme, interrompant le cours régulier de son existence,
frustrant ses desseins, bouleversant les plans chéris de
son coeur, selon son état spirituel, trois attitudes
s'offrent à lui : la révolte, la résignation,
l'acceptation joyeuse.
Page suivante: CHAPITRE PREMIER - LES
RÉVOLTÉS