ÉDOUARD ROBERT-TISSOT
Huit jours à peine s'étaient
écoulés depuis la mort de M. le pasteur Édouard
Robert-Tissot, que sa famille était sollicitée de
publier un volume de ses sermons. C'est à ce voeu que
quelques-uns de ses amis ont voulu répondre par la
présente publication. Ils pensent que les membres de
l'Église indépendante de Neuchâtel, privés
désormais de la prédication de leur cher pasteur,
seront heureux d'en posséder un autre souvenir encore que
celui qu'ils conservent dans leur mémoire et dans leur coeur.
C'est à cette Église, dont M. Robert-Tissot
était comme le père vénéré, et qui
l'a entouré comme sa grande famille et jusqu'à la fin
de son affection reconnaissante, que nous dédions ce recueil
de prédications faites pour elle.
Sans doute, au moment où ces sermons
paraissent, nous ne nous dissimulons point qu'ils ne peuvent donner
l'impression qu'ils produisaient lorsque le pasteur les
prononçait du haut de la chaire d'Osterwald, dans ce Temple du
Bas de Neuchâtel qu'il aimait tant. Celui qui ne l'a ni entendu
ni vu ne peut se rendre compte de la puissance de sa parole, forte
par sa simplicité même, par l'intensité de la
conviction et par l'ampleur de la forme. Ses prédications,
bien que préparées avec soin dans le recueillement et
dans lit prière, n'étaient pas composées en vue
de la publicité, elles étaient avant tout des actions ;
le lecteur devra s'en souvenir. Mais ses auditeurs retrouveront sans
peine leurs impressions d'autrefois dans les pages de ce volume. Ils
éprouveront les émotions qu'ils ont ressenties quand,
au milieu du silence solennel de la grande assemblée
subjuguée par une éloquence naturelle et sans
recherche, le pasteur Robert-Tissot fouillait les consciences,
dénonçait le péché et proclamait la
souveraine grâce de Christ, son Sauveur!
Edouard Robert-Tissot est un enfant des Montagnes
neuchâteloises. Il est né à La Charrière,
près de La Chaux-de-Fonds, le 22 juillet 1832 . Son
père dirigeait une fabrique de tuiles. Jusqu'au moment de ses
études, il resta aux Montagnes, et jusqu'à la fin de sa
vie, il est demeuré profondément attaché au pays
de son enfance. Il aimait à y revenir, à revoir La
Chaux-de-Fonds et ses environs, à y évoquer les
souvenirs d'autrefois. On a rappelé de lui ce mot: «
C'est quand j'ai passé le tunnel des Loges que je me sens
véritablement chez moi », et cet autre qui le
caractérise et qu'il prononça un jour qu'on parlait de
peinture devant lui : « Pour moi, il n'y a qu'un peintre, c'est
Jeanmaire. » Le Haut jura, avec sa grâce austère,
était pour lui le plus beau pays du monde, sa vraie patrie. Il
n'a cessé aussi d'être un enfant de ces Montagnes par la
simplicité de ses goûts, par la cordialité avec
laquelle il accueillait ceux qu'on nomme les petits de ce monde et
par une répulsion très prononcée pour tous les
privilèges. Aussi, bien que toute sa carrière se soit
déroulée dans le Vignoble, a-t-il continué
à suivre avec un intérêt très vif tous les
événements qui se passaient à La Chaux-de-Fonds.
Il l'a montré en de nombreuses occasions, dans les jours
d'épreuve comme aux jours de joie. C'est ainsi qu'en 186 1,
lors de la crise horlogère, il prêcha un sermon
où, se réclamant des liens qui l'unissaient à
ses auditeurs, il leur parla avec une sympathie si intense qu'il put
les convier à l'humiliation, à la reconnaissance de
leur péché avec cette franchise que l'amour peut seul
permettre et faire supporter. L'Église de La Chaux-de-Fonds de
son côté ne cessa de le considérer aussi comme un
de ses enfants. Elle lui adressa même un appel en 1858,
après le départ du pasteur Ladame. Elle l'invitait dans
les grandes occasions, et c'est « avec la plus vive joie et le
plus joyeux empressement » qu'il y venait, comme il le disait
lui-même en 1877, lors de la cérémonie
d'inauguration du temple indépendant. C'est lui
également qui fit la visite d'église de La
Chaux-de-Fonds, en 1893.
Il suivit les classes primaires de son village
natal et s'y signala par son ardeur au travail et son intelligence.
Le pasteur Jeanneret, qui avait distingué ses aptitudes
intellectuelles et son zèle, engagea ses parents à le
diriger du côté des études. Il s'offrit à
lui donner les premières leçons de langues anciennes,
à la condition qu'elles eussent lieu à cinq heures du
matin. Jusqu'à la fin, E. Robert-Tissot a conservé
cette habitude d'un lever très matinal, qui fut une des forces
de sa vie. Il la doit au pasteur de sa jeunesse, qui exerçait
par son caractère de vaillance et de droiture une très
grande influence sur la jeunesse masculine de La
Chaux-de-Fonds.
Vers 1845, ses parents le mirent en pension aux
Planchettes, chez le pasteur Louis Borel, qui recevait chez lui
quelques jeunes gens pour les préparer aux études
classiques. Dans ce paisible presbytère de la Montagne, sa
vocation pastorale s'affermit; il l'avait déjà
reçue auparavant, semble-t-il, quand il était encore
chez ses parents; elle date de très loin et a dû
coïncider avec sa vocation chrétienne
elle-même.
Des Planchettes, il descendit à
Neuchâtel où il fit son instruction religieuse avec le
diacre Droz, suivit la première classe latine et les
auditoires durant trois ans pour être reçu en
théologie en 1851 . Il fit partie de la Société
de Belles-Lettres, qui l'appela même à la
présidence. Étudiant studieux, grand travailleur, il ne
dédaignait point les joies de la jeunesse et une
jovialité de bon aloi. Fils de ses oeuvres, il subvenait
lui-même à ses propres besoins, soit en donnant des
leçons, soit comme précepteur. Il ne prit pas comme
d'autres le chemin de l'Université ; ses études
théologiques furent exclusivement neuchâteloises. Mais
l'enseignement de ses professeurs, surtout celui de F. Godet, qui ne
cessa de l'entourer de sa sollicitude, de sa protection et de son
affection, lui permit d'acquérir une culture à la fois
solide et étendue qu'il ne cessa d'augmenter jusqu'à la
fin de ses Jours par de nombreuses lectures. L'histoire
ecclésiastique était sa branche favorite ; il la
professa plus tard à l'école supérieure des
jeunes filles à Neuchâtel.
Après trois ans de théologie, il
passa ses grands examens en 1854 et fut consacré le 2 novembre
de la même année par le pasteur Barrelet, de
Môtiers. Il n'attendit pas longtemps une activité
pratique, car on manquait de pasteurs à cette époque.
Il fut appelé à Saint-Blaise, d'abord comme suffragant
du pasteur Ladame, puis comme pasteur en titre dès le 11 mai
1862.
Le souvenir de ce ministère de treize
années est encore vivant dans bien des coeurs. Chargé
dès le début de toutes les fonctions pastorales, Ed.
Robert-Tissot s'en acquitta avec la conscience et le zèle qui
ont toujours caractérisé son travail. Il
développa même son ministère en instituant des
réunions régulières dans les hameaux de sa vaste
paroisse . Sa prédication attirait de très nombreux
auditeurs. Visant au but, au salut des âmes, éloquente,
puissante dans sa forme comme par la clarté de la
pensée, à la portée de tous, elle ne pouvait
qu'exercer une très grande influence et valoir au pasteur une
légitime popularité. En outre, son mariage en 1860 avec
Mlle Marie Junier, qui avait été une de ses
catéchumènes, en le faisant entrer dans une des
familles les plus honorables de la paroisse, devait cimenter encore
les liens d'affection qui unissaient le pasteur à son
troupeau.
Le ministère d'E. Robert-Tissot à
Saint-Blaise, aurait donc pu facilement, à cause de ses
succès, devenir dangereux pour l'humilité du jeune
pasteur entouré si vite de l'affection et de la
considération de sa paroisse, si Dieu ne l'avait gardé,
en lui donnant et lui redonnant sans cesse ce sentiment profond et
douloureux de sa faiblesse et de sa misère dont nous
reparlerons plus loin.
Les Mormons ayant fait quelques adeptes dans sa
paroisse, il en fut extraordinairement affecté ; s'estimant
responsable de cet exode, il s'accusait d'avoir manqué de
fidélité. Nous savons ce qu'il pensait de son
ministère par la lettre suivante qu'il écrivait au
professeur Dubois, chargé d'installer son successeur à
Saint-Blaise. « S'il m'était permis de vous dire ce que
j'aimerais qui fût dit de moi, ce serait simplement ceci, que
j'aurais exprimé moi-même si j'avais fait un sermon
d'adieu: Je confesse devant Dieu et devant les hommes mes manquements
dans l'oeuvre de mon ministère; je demande pardon à
Dieu et aux hommes des défaillances de zèle, de foi, de
charité, dont je me suis rendu coupable ; je supplie Celui qui
est le réparateur des brèches, de réparer tout
dommage que j'aurais pu causer à la vie religieuse de la
paroisse de Saint-Blaise. Si quelque bien a été
opéré pendant mon ministère, je donne toute
gloire à Dieu seul; si j'ai été en scandale
à quelqu'un, qu'il daigne me le pardonner; si quelqu'un,
à cause de moi, a abandonné le culte public, qu'il
revienne maintenant que l'obstacle est levé; si quelqu'un a
commencé à marcher dans la vie chrétienne, qu'il
persévère, et que Dieu bénisse abondamment le
ministère de mon successeur dans cette paroisse qui me sera
toujours chère. »
C'est pendant le temps de son ministère à
Saint-Blaise, alors qu'il n'était encore que suffragant,
qu'Ed. Robert-Tissot fonda avec MM. F. de Perregaux, E. de
Pury-Marval et L. Nagel, le Journal religieux, dont il demeura le
rédacteur en chef jusqu'au dernier jour de sa vie, on peut le
dire, puisqu'il est mort la plume à la main, occupé
à revoir un article. Ce périodique, qui parut d'abord
tous les quinze jours dans le format d'une brochure de 16 pages pour
adopter celui d'un journal ordinaire et devenir hebdomadaire depuis
1872, fut un des grands intérêts de sa vie; il y mit
tous ses soins et toute son âme. C'était comme un second
ministère par le moyen duquel il put exercer son influence
nettement évangélique dans un cercle plus
étendu. Bien que secondé dès les débuts
par de nombreux collaborateurs bienveillants, il en demeura le
rédacteur en chef, responsable et jaloux de sa situation. Il y
imprimait sous la forme de méditations des fragments de ses
prédications. Il en composait d'ordinaire l'article de
tête, où il donnait en premier Neuchâtel son avis
sur les questions actuelles, religieuses, ecclésiastiques,
patriotiques, politiques mêmes et où il exposait et
défendait les principes qui lui étaient chers. La
rédaction du journal religieux fut aussi une de ses joies,
joie bien mélangée, c'est vrai, car l'exercice de la
vocation de publiciste et de publiciste religieux est sujet plus
qu'aucun autre à la critique, à la
désapprobation même. Ed. Robert apprit souvent à
ses dépens qu'il est difficile de contenter tout le monde. Il
disait parfois, avec cet humour qui lui était coutumier,
surtout quand il parlait de son journal en public, en Synode par
exemple, que ceux qui blâment sont plus prompts à parler
que ceux qui louent, et il recevait avec reconnaissance les
encouragements et les approbations. Mais il ne redoutait pas la
lutte; son tempérament combatif et son caractère
courageux ne lui permettaient pas de mettre par gain de paix la
vérité sous le boisseau.
Ce n'est pas ici le lieu de faire l'histoire du
journal religieux durant ce demi-siècle pendant lequel Ed.
Robert l'a rédigé et de rappeler le rôle
considérable qu'il a joué à certaines
époques de notre vie ecclésiastique et religieuse. Ses
fondateurs avaient estimé avec raison qu'il y avait place
encore, à côté de l'excellente Feuille religieuse
du canton de Vaud, pour un journal qui offrît à ses
lecteurs l'instruction et non seulement l'édification, qui les
renseignât sur le mouvement des idées religieuses et la
vie des églises et qui abordât aussi les questions de
philanthropie chrétienne. Dès l'abord, le Journal
religieux eut un caractère apologétique très
accentué. Aux jours troublés de l'assaut du
Christianisme libéral contre l'Église
neuchâteloise, il fut l'organe attitré et vaillant des
évangéliques. Il est devenu le champion de la
séparation de l'Église et de l'État, grâce
aux convictions personnelles de son rédacteur, puis par le
fait des circonstances qui en firent successivement l'organe
officieux de l'Église indépendante neuchâteloise
et celui des Eglises libres de la Suisse romande. Ses fondateurs, Ed.
Robert-Tissot et ses amis, ont donc rendu un service signalé
à la cause du règne de Dieu dans leur pays en le
créant et en donnant à la foi évangélique
un instrument précieux de défense et de
propagande.
C'est aussi durant son ministère de
Saint-Blaise qu'Ed. Robert fut nommé aumônier du
bataillon 2 3 et qu'il prit part comme tel à la campagne du
Rhin, pendant l'hiver de 18 5 6 à 18 5 7. Le sermon qu'il fit
à cette occasion sur: «Êtes-vous prêts
à mourir », fut impressionnant, et le souvenir en est
resté vivant dans bien des mémoires. Il valut à
son auteur d'être connu et aimé dans le pays
neuchâtelois tout entier, et nous serions incomplet, si nous ne
mentionnions ici la popularité de bon aloi dont il jouissait
et qu'il devait à sa réputation d'éloquence,
à la simplicité de sa vie et à la bonté
de son accueil. Ami et aimé du peuple, Ed. Robert était
un vrai patriote, attaché non seulement à son pays,
mais à ses institutions. Appelé en 186 5, à
prononcer le sermon d'installation du Grand Conseil, il donna la
mesure de son patriotisme chrétien en affirmant hautement et
avec courage la nécessité pour son pays de recevoir
Jésus-Christ. « J'aime mon Sauveur et j'aime ma patrie,
dit-il. Il n'y a pas d'opposition entre la foi et le patriotisme.
J'aime mon Sauveur et j'aime ma patrie : le Seigneur jésus
aimait sa patrie, il a pleuré sur Jérusalem et il est
mort pour son peuple ; le disciple d'un tel maître doit savoir
aimer sa patrie comme lui et comme lui être prêt à
mourir pour la sauver. J'aime ma patrie et mon Sauveur et je suis
assuré par tout le bien qu'il m'a fait, par tout le bien qu'il
fait partout où il est reçu, que plus ma patrie recevra
ce Sauveur, plus ma patrie, plus la République sera grande,
forte, heureuse, florissante. » Il fit, entendre ce même
langage précis et courageux à plus d'une reprise; dans
les cultes du Vle Centenaire de la Confédération en
1891, du Cinquantenaire de la République en 1898, et dans
diverses brochures anonymes qu'il fit paraître à
l'occasion de fêtes populaires.
Le 10 janvier 1868, la paroisse de Neuchâtel
appelait E. Robert-Tissot à remplacer le pasteur Diacon. Peu
de temps auparavant elle lui avait offert déjà le poste
devenu vacant par la retraite du doyen Du Pasquier. Il avait
refusé, ne discernant point la volonté de Dieu dans cet
appel. Quand elle lui en adressa un second, il était
prêt à l'accepter, « mais non, comme il
l'écrivait à M. Diacon lui-même, sans un
légitime effroi. » On l'a dit, il arrivait au bon moment.
L'innée 1868 marqua en effet le début de la
mémorable campagne du Christianisme libéral qui devait
aboutir, après bien des vicissitudes, au schisme de 1873 et
à la fondation de l'Église indépendante
évangélique neuchâteloise.
L'histoire de cette période
mouvementée est trop connue pour qu'il soit nécessaire
de la refaire ici. Nous nous bornons donc à rappeler la part
qu'Ed. Robert-Tissot prit à la défense de la foi et de
l'Église. Le 5 décembre, M. le professeur Buisson avait
donné, sous les auspices de la Société
d'utilité publique, une conférence sur une «
Réforme urgente de l'instruction primaire ». Au grand
étonnement de son auditoire, c'était une charge
à fond contre l'Ancien Testament. Quatre jours plus tard, Ed.
Robert-Tissot, en sa qualité de membre de la
Société d'utilité publique, demandait à
M. G. Guillaume, président de cette association, une des
conférences du lundi soir pour répondre au jeune
polémiste. « Il me paraît nécessaire,
disait-il, que la défense de l'Ancien Testament se produise
là où a eu lieu l'attaque, et je ne pense pis que le
règlement de la Société qui a permis celle-ci,
interdise celle-là. »
La conférence eut lieu le 26
décembre, en pleines fêtes de Noël. Ed. Robert, qui
savait fort bien manier, à ses heures, l'arme de l'ironie
commença par manifester son étonnement. La
réforme qu'on réclame et qu'on déclare urgente
est faite depuis longtemps. L'enseignement officiel de l'histoire
sainte dans les écoles est supprimé, les maîtres
ne sont point astreints à le donner, ni les enfants à
l'entendre. « Si je ne craignais pas d'être impoli, je
dirais au conférencier : Monsieur, votre montre retarde de
plusieurs années. » Les attaques de M. Buisson
étaient dirigées eu réalité bien plus
contre la Bible que contre l'enseignement religieux dans
l'école, aussi est-ce cette Bible qu'Ed. Robert-Tissot,
élevant le débat à sa véritable hauteur,
défendit avec toute l'éloquence d'une conviction
profonde. Il montra par les faits qu'elle n'est point un livre
immoral, qu'elle n'étouffe pas l'intelligence en maintenant la
foi au surnaturel, qu'elle n'est pas une école de servitude,
mais de liberté, qu'elle n'assombrit point la vie, mais
qu'elle est la joie de l'homme fait, la force du vieillard et la
consolation du mourant. Puis, après avoir ainsi
repoussé les attaques de l'adversaire, il établit que
la Bible doit rester le fondement de l'éducation de l'enfance,
parce qu'elle la met en contact avec Dieu, lui inculque le sentiment
du devoir, lui enseigne la fraternité humaine et lui donne une
espérance. «Voulez-vous, Messieurs, des hommes qui
connaissent Dieu, qui connaissent le devoir, qui s'aiment et qui
marchent les coeurs en haut et les regards en haut ? Donnez la Bible
à vos enfants, car c'est elle qui est le meilleur instrument
d'éducation morale. »
La conférence du professeur Buisson
n'était qu'une escarmouche d'avant-garde; la lutte devait se
généraliser, et l'on s'aperçut bientôt que
la campagne visait à introduire dans notre petit pays le
Christianisme libéral, dont les plus célèbres
coryphées s'efforcèrent tour à tour de battre en
brèche les forteresses de la foi, et dont les
conférences suscitèrent un grand nombre de
réponses de la part des évangéliques, dont le
chef incontesté était alors le professeur F. Godet.
Quand les partisans du Christianisme libéral eurent
lancé leur Manifeste du 3 février 1869, et leur journal
l'Émancipation, le 7 mars de la même année, le
journal religieux soutint avec vaillance la lutte de plume
qu'exigeaient les circonstances. Il y avait un point toutefois sur
lequel son principal rédacteur se trouvait en parfait accord
avec les représentants du Christianisme libéral. De
très bonne heure, en effet, devançant les temps et les
idées de son milieu, Ed. Robert-Tissot, disciple de Vinet,
s'était rallié au principe de la séparation de
l'Église et de l'État. En 1865 déjà, il
disait dans son sermon d'installation du Grand Conseil :
« Ne croyez pas que derrière mes
paroles se cache la pensée de vouloir vous engager à
prêter à l'Église un appui extérieur et
matériel plus grand que celui qu'elle trouve aujourd'hui dans
le pouvoir civil. Je proteste contre une telle interprétation
que l'on donnerait à mes paroles.
Mon ambition va plus haut et plus loin. J'ai
parlé d'Évangile et non d'Église. Ce que je
demande, c'est que l'Évangile pénètre le peuple
tout entier, le guide, l'inspire, l'élève vers le ciel,
le sanctifie, lui inspire la justice. Quant à
l'Église... eh bien ! quant à l'Église, je dis
avec Pascal : « Bel état de l'Église, quand elle
n'est plus soutenue que de Dieu. »
Lorsque les événements eurent
obligé les évangéliques du canton de
Neuchâtel à constituer une Église
indépendante de l'État, non seulement il salua avec
joie la réalisation partielle de ses voeux, mais encore il ne
cessa de souhaiter pour son pays tout entier cette pleine
liberté qui lui semblait la seule digne de l'Église. Le
budget des cultes était à ses yeux une anomalie et une
injustice. Il en demandait la suppression sans se lasser, et
lorsqu'en 1905 il vit s'accentuer le mouvement séparatiste, il
s'en réjouit et s'écria : « C'est Lin des beaux
jours de ma vie », et il accepta sans aucune hésitation,
ni contraire avec le plus grand empressement, de faire partie du
comité de propagande de la ville de Neuchâtel.
Il avait pu sembler un moment, c'était
au mois de juin 1870, que le problème de la séparation
allait recevoir une solution définitive, conforme aux voeux du
rédacteur du Journal religieux. Mais on sait comment
l'insuccès de l'Église libérale produisit un
revirement dans l'opinion du gouvernement et comment la
séparation qu'il avait préconisée et dont les
chrétiens avaient accepté la perspective sans
enthousiasme, c'est vrai, cessa d'être désirée
par les uns pour l'être d'autant plus par les autres. Au lieu
de supprimer le budget des cultes, on révisa la loi
ecclésiastique pour donner droit de cité au
libéralisme dans l'Église. Durant cette période,
qui aboutit au projet de loi du 28 février 1873, puis à
la votation populaire du 14 septembre, la lutte fut conduite du
côté des chrétiens positifs par l'Union
évangélique. Elle avait été fondée
à la suite d'un appel publié dans le journal religieux
du 17 juin 1871. Ed. Robert-Tissot représentait le district de
Neuchâtel dans le comité. Le Journal religieux prit
nettement position contre le nouveau projet qu'il déclarait
ruineux pour l'Église et continuait à soutenir que la
séparation était la seule solution possible de la
situation. Quand un nouvel organe, L'Indépendance des Cultes,
fut créé pour préparer la votation de septembre
et pour défendre la cause de la liberté de
l'Église, Ed. Robert-Tissot accepta de faire partie de sa
rédaction, et, quand le vote populaire eut
écarté la séparation, il fut du nombre des
dix-huit membres de l'ancien Synode qui se constituèrent en
comité provisoire en vue de la fondation de ce qu'on appelait
alors l'Église nationale évangélique
indépendante. Secrétaire du dernier Synode avant 1873,
secrétaire du Synode constituant de la nouvelle Église,
membre de sa première commission synodale, il Joua donc un
rôle prépondérant dans la fondation et
l'organisation de l'Église indépendante, qui
répondait si bien à ses principes
ecclésiastiques.
Il eut l'honneur d'être appelé
à présider le culte d'ouverture du Synode constituant
de cette Église, le 4 novembre 1873, dans la Collégiale
de Neuchâtel. Ce culte, cette prédication sur le Psaume
CXXVI, v. 5, qu'il intitula : « Par les larmes au triomphe
», marquent un des points culminants de la carrière d'Ed.
Robert-Tissot. L'impression en est encore vivante, après plus
de trente années. On n'a pas oublié ce moment
où, après avoir rappelé la date mémorable
du 4 novembre 1530, de ce jour où les bourgeois de
Neuchâtel acceptèrent la Réforme, et celle du 23
Octobre de la même année, où, au milieu des
débris des idoles saccagées, ils
s'écrièrent : « Nous voulons suivre la religion
évangélique et nous et nos enfants, vivre et mourir en
icelle », il demanda au Synode d'attester solennellement, en se
levant, que la nouvelle Église prenait le même
engagement!
Depuis lors, cette Église a grandi,
s'est développée et a moissonné bien des gerbes.
Il eut la joie de le constater, et la parole de son texte s'est
trouvée véritable pour lui-même. Aux jours
douloureux des larmes, des séparations difficiles et des
déchirements, a succédé un ministère de
plus de trente-deux ans d'activité féconde et heureuse.
Resté seul des pasteurs fondateurs de l'Église de
Neuchâtel, après la mort, en 1882, de son
collègue Henri Junod, auquel une profonde affection
l'unissait, après celle de James Wittnauer, survenue en 1898,
il était devenu comme le père de cette Église,
qui ne lui marchandait ni sa reconnaissance ni sa grande affection.
Elle les lui témoigna en de nombreuses occasions : lors de ses
noces d'argent, du vingt-cinquième anniversaire de son
ministère à Neuchâtel ; dans les jours
d'épreuve, en 1890, pendant une grave maladie qui dura
près de six mois et quand il eut la douleur de perdre sa
compagne en 1901. Elle ne cessa, par sa fidélité
à venir l'entendre, de lui prouver combien elle
appréciait et aimait sonvénérable
pasteur.
Qu'il était digne de cette affection, c'est ce que
nous voulons essayer encore de montrer en relevant les traits les
plus saillants de la riche personnalité d'Ed. Robert-Tissot.
Caractériser l'homme, le chrétien, ce sera du
même coup dire ce qu'il fut comme pasteur et comme
prédicateur.
Ed. Robert-Tissot a été un des
hommes les plus connus et les plus populaires de Neuchâtel. Et
cela pour deux motifs. Tout d'abord parce qu'il était un homme
d'action, mêlé à la vie de son peuple,
s'intéressant à tout ce qui le concernait, vaillant
pour le bien. A 26 ans il crée un journal; quand sonne l'heure
de la lutte, il est le premier sur la brèche à relever
le gant de l'adversaire ; homme d'initiative, il fonde des cultes
nouveaux partout où c'est possible, il organise une oeuvre
d'évangélisation dans les fêtes populaires; quand
la tempérance débute au milieu d'immenses
difficultés, il sera un des premiers, si ce n'est même
le premier pasteur neuchâtelois à y entrer par un
engagement d'abstinence. Prêt à toute bonne action, il
le fut, sans s'inquiéter de l'opinion courante, ne craignant
point d'être un initiateur.
Puis on aimait en lui sa simplicité et
surtout sa bonté, qui se manifestait par ce bienveillant
sourire avec lequel il accueillait chacun. Il avait pour tous un mot
aimable et parfois malicieux, car il ne manquait pas de cet esprit de
répartie et de saine gaîté qui caractérise
les populations horlogères dont il était sorti. Et sa
bonté n'était pas seulement dans l'expression de son
visage et les paroles de ses lèvres, elle était un des
traits les plus caractéristiques de sa personne. Il aimait
surtout les petits, les humbles, et c'est à eux qu'il a
donné le meilleur de son coeur et de son ministère. Il
entrait dans leurs foyers avec simplicité, allait s'asseoir
parfois à leur table et les invitait aussi à la sienne;
il partageait leurs souffrances et leurs joies, il comprenait leurs
difficultés, il les devinait et payait largement de sa
personne et de sa bourse pour leur venir en aide. Son long
ministère lui avait acquis le droit d'entrer comme un
père et même un grand-père, dans beaucoup de
familles, dont il avait marié les parents, baptisé les
enfants, et parfois les parents eux-mêmes. On l'y recevait avec
une affection vraiment filiale.
Était-ce à ses origines qu'il
devait d'être plus réservé, plus froid, moins
expansif, et, nous croyons pouvoir le dire, plus timide dans certains
cas et en d'autres milieux où il se sentait moins libre,
surtout quand avec l'âge il fut affligé d'une
surdité croissante ? Plusieurs s'en étonnaient, en
étaient surpris et presque froissés. C'est qu'à
côté d'une certaine fierté, d'un sens très
aiguisé de l'égalité, il avait surtout le
sentiment très vif de sa faiblesse personnelle. Ed.
Robert-Tissot était un de ces humbles dont la timidité
a des causes profondes. Il se connaissait et se jugeait
lui-même. Les lecteurs de ces pages ont pu s'en convaincre
déjà par le jugement qu'il a porté
lui-même sur son ministère à Saint-Blaise. Les
paroles qu'il écrivit à ce propos expriment d'une
manière adéquate ce qu'il pensait, ce qu'il sentait. Il
les a répétées souvent avec une insistance qui
déconcertait parfois ses auditeurs. C'est qu'il avait à
un très haut degré le sentiment du péché,
de son péché! Ceux qui l'ont approché de plus
près s'en rendaient compte promptement.
Ses prières, celles qu'il
prononçait dans l'intimité surtout, étaient le
plus souvent des prières d'humiliation ; il souffrait de la
présence et de la puissance du mal dans son coeur et dans le
monde, et cette souffrance fut un des ressorts de ,son
ministère et une des grandes forces de sa
prédication.
Ses auditeurs sentaient en l'entendant qu'il
avait « appuyé d'abord sur sa conscience le glaive
tranchant de la Parole de Dieu qu'il voulait tourner contre ses
frères, » comme il le disait lui-même dans le
sermon qu'il prêcha lors de la réunion de la
Société pastorale suisse à Lausanne, en
1872.
Ils l'écoutaient avec cette attention
respectueuse et cette soumission qu'inspire à la conscience le
spectacle de la sincérité. Ils acceptaient tout de sa
bouche, car il dénonçait le péché avec
puissance. Il fouillait les vies pour le dévoiler, il faisait
parler la conscience, il décrivait le mal comme un homme qui
connaît le coeur humain. Sa grande autorité et son
expérience lui permettaient de nommer les choses par leur nom,
avec simplicité, et de ne pas rester dans les
généralités qui n'atteignent personne. Sa parole
était précise et actuelle. D'autres ont
été plus profonds, plus riches peut-être; il
était avant tout pratique, saisissant l'occasion propice,
parlant de l'événement, du scandale même du jour,
pour amener ses auditeurs à s'examiner eux-mêmes,
à se juger et a se condamner. Sa prédication
était un appel incessant à une sanctification plus
haute ; elle avait rarement des accents de triomphe et si parfois,
à l'occasion du réveil de 1875, par exemple, il a
affirmé sa foi en la victoire sur le péché, on
le vit insister surtout et bien plus souvent sur la distance qui
sépare la réalité de l'idéal, la vie du
chrétien de la vie chrétienne.
Sévère pour lui-même,
sévère pour les autres, Ed. Robert-Tissot n'avait rien
de dur et de hautain. Il avait un coeur chaud, ouvert à toutes
les compassions. Cet ami des humbles prêchait comme il vivait ;
et, s'il connaissait le coeur humain, il connaissait les hommes par
le coeur. Que de fois, en l'écoutant, ses auditeurs n'ont-ils
pas senti que leur pasteur les avait compris, que leurs souffrances,
leurs luttes, leurs difficultés, leurs angoisses
étaient les siennes et qu'il partageait le poids de leurs
fardeaux. Il n'y a presque pas un de ses sermons où ne
retentisse la note de la compassion et de l'encouragement.
Cette capacité de sympathie provenait
surtout du sentiment de sa propre faiblesse. Avec les dons qu'il
avait reçus, qui faisaient de lui un orateur de race, un des
maîtres de la chaire neuchâteloise, le prédicateur
tout désigné dans les grandes solennités et dont
on disait: « il ne peut prononcer deux mots sans
éloquence » ; avec sa prestance, sa force physique, sa
stature imposante et majestueuse quand il prêchait; avec sa
voix infatigable et admirablement souple qui lui permettait de
produire sans effort les plus grands effets ; avec sa parole claire,
limpide, persuasive, à la fois si simple et si puissante ;
entouré du respect et de la considération de tous, en
voyant jusqu'à la fin se maintenir le nombre de ses auditeurs
et sa prédication plus appréciée que toute
autre, il aurait pu facilement s'abandonner à la vanité
que produit la louange et qu'engendre le succès (1).
Dieu l'a préservé de cet orgueil. Cet
homme qui semblait né pour la chaire tremblait dans la
sacristie. Il y souffrait d'une angoisse qu'il a appelée
lui-même une agonie. Aussi jamais ne s'est-il reposé sur
son passé. Jusqu'à la fin, jusqu'à la veille de
sa mort, il a composé et travaillé avec soin ses
prédications, les préparant spirituellement par la
prière et la méditation, les écrivant, les
apprenant, refusant de s'accorder les facilités de
l'improvisation et de se confier dans l'inspiration du moment et du
milieu. Cette fidélité fut récompensée.
Il ne connut pas la décadence, et ses amis qui l'avaient
entendu durant tout le cours de son ministère avaient
l'impression qu'il progressait encore... Lui seul ne le sentait pas,
ne le croyait pas. Bien plus que les succès, il discernait les
lacunes de son activité, il s'en préoccupait, et s'il
n'était pas insensible aux témoignages d'affection
qu'il recevait, ni ingrat envers ceux qui les lui donnaient, il ne se
laissait point aller aux joies de la satisfaction personnelle.
On comprend ce que devait être pour cet
homme à la conscience toujours éveillée et dont
le coeur vibrait au contact de la souffrance, la grâce de
Jésus-Christ. Il l'avait saisie pour lui-même avec joie;
elle était le rocher sur lequel il avait pris pied, le refuge
où il cherchait l'assurance du salut, dans la mesure
même où il se sentait indigne. Il l'a proclamée
avec force, toujours, durant tout son ministère, partout,
devant le peuple réuni dans les solennités
patriotiques, devant le Grand Conseil, comme devant son
Église, dimanche après dimanche. La trompette ne
rendait pas un son confus. Son message était simple et clair;
on a pu le résumer dans cette déclaration de
l'apôtre Paul qu'il avait prise pour texte de son sermon
d'installation à Neuchâtel: « Cette parole est
certaine et digne d'être reçue avec une entière
croyance, c'est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver
les pécheurs dont je suis le premier. » La question du
salut de ses auditeurs était, avec celle d'une vie
chrétienne conséquente, la principale à ses
yeux. Il la posait clairement à ses
catéchumènes. Il se préoccupait à un tel
point de la leur voir résoudre qu'une d'elles se souvient lui
avoir entendu dire qu'il en avait perdu le sommeil, pendant ces jours
de l'instruction religieuse où il cherchait à les faire
descendre dans les profondeurs de la conviction du
péché. Il la posait aux malades et aux mourants,
auxquels, c'était connu, il ne cachait ni la gravité de
leur état, ni la nécessité de profiter encore de
l'heure présente pour se mettre en règle avec
Dieu.
Cette esquisse de sa vie et de son
caractère serait incomplète, si nous ne rappelions pas
l'affection qu'il vouait à la jeunesse, aux enfants de ses
leçons, aux apprentis qu'il appelait ses «
garçons», à ses catéchumènes, et
surtout à ses anciennes catéchumènes. Il
rassemblait ces dernières régulièrement tous les
mois, et ces réunions, auxquelles il tenait à les
convoquer lui-même, maintinrent entre lui et elles un lien
vivant et persistant d'affection qui fut une des joies de sa vie. A
plus d'une reprise, elles fêtèrent leur pasteur, qui
était de plus en plus pour elles, à mesure que les
années passaient, un père qui les traitait et les
aimait avec une vraie tendresse. Elles eurent en particulier le doux
privilège d'embellir les derniers jours de sa carrière
terrestre, quand elles se réunirent au nombre de plus de deux
cents, depuis les plus anciennes jusqu'aux plus jeunes, pour
célébrer le cinquantenaire de son ministère. Il
relevait de maladie et déjà son médecin lui
prescrivait une diminution d'activité et des retranchements
douloureux dont la perspective l'attristait profondément, car
son énergie était plus grande que ses forces physiques.
Cette manifestation à la fois grandiose et intime lui fut
infiniment douce. Il semblait, les jours suivants, avoir bu à
la fontaine de jouvence et sa joie débordait comme celle d'un
enfant. Et c'est au milieu de cette joie que le Seigneur, qui savait
combien la retraite ou même l'abandon partiel de quelques
fonctions du ministère, lui auraient été
pénibles, est venu le reprendre aux siens et à son
Église, subitement, le 20 décembre 1905, au moment
où, posant la plume, il se préparait à se rendre
au collège pour y donner une leçon à ses
apprentis. Il est mort ainsi debout, à la tache, et il a
été trouvé prêt pour le grand
départ.
En effet la mort ne l'a point surpris.
Serviteur vigilant, il attendait le Maître. Au printemps de
1890 déjà, une grave maladie l'avait maintenu des
semaines durant au seuil du tombeau. Il fut rendu aux prières
des siens et de l'Église, mais c'était, comme il le dit
lui-même quand il remonta en chaire pour la première
fois, afin que « voyageur revenu des extrêmes
frontières de la vie, je me prépare mieux à mon
heure dernière et je travaille plus fidèlement à
l'édification de mes frères. »
Il reprit alors sa tâche avec un
zèle tout nouveau. A l'âge où plusieurs songent
à la retraite, il conservait toute son activité avec un
soin jaloux. Il repoussait la pensée du repos et ne
s'accordait pas même les vacances nécessaires. Lorsque
plus tard la paroisse de Neuchâtel créa un
quatrième poste de pasteur, il s'opposa avec vigueur a une
trop grande réduction de son quartier.
En même temps, sa pensée se
tournait vers l'au-delà. Il savait, comme il le disait
familièrement un jour en chaire, en citant les paroles d'un de
ses amis, pasteur et âgé comme lui, « qu'il tirait
ses dernières cartouches », et il parlait dans ses
sermons de la mort et du ciel d'une telle manière que
plusieurs de ses auditeurs se demandaient si ce n'était point
son chant du cygne. Les dépouillements successifs, le deuil de
sa compagne, la surdité, puis une maladie de coeur qui entrava
son activité durant les derniers mois de sa vie le
préparèrent à un départ qu'il savait
pouvoir être subit.
Ses funérailles eurent lieu le 22
décembre, au milieu d'un grand concours de population. Le
culte mortuaire fut célébré dans ce Temple du
Bas, où il avait prêché durant tant
d'années avec fidélité cet Évangile du
salut, dont il pouvait dire: « J'ai cru, c'est pourquoi j'ai
parlé. » Curieuse coïncidence, son collègue
avait choisi pour texte de son oraison funèbre la même
parole dont Ed. Robert-Tissot avait fait la caractéristique du
ministère, dans son sermon d'installation à
Saint-Blaise en 1862 : « La mort agit en nous et la vie agit en
vous.»
Au programme qu'il développait
quarante-trois ans auparavant et qu'il résumait alors dans ce
mots : « A la vie par la mort, telle doit être ma
règle de conduite», il s'est efforcé d'être
fidèle...
Ed. Robert-Tissot laisse derrière lui,
comme une trace lumineuse, le souvenir d'un pasteur qui
s'était donné à Dieu et à son
Église, pour la gloire de son Maître et pour le salut de
ses frères